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La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

mardi 31 mai 2016

Remise des Prix Polar SNCF

C'est dit : je ne suis pas lectrice de romans policiers. Je veux dire que, lorsque j'ai le choix, j'ouvre plutôt un autre type de livre. Mais il m'arrive d'en découvrir avec intérêt, de les chroniquer et même de les recommander avec énergie.

Je suis donc venue à la remise des Prix Polar SNCF avec les meilleurs intentions du monde. Je dois dire que les paroles de Christophe Fanichet, Directeur de la Communication de la SNCF ont été très chaleureuses. Je me suis sentie accueillie dans la famille du Polar réunie ce soir et je promets de lire davantage ce genre.

J'ai un an pour m'améliorer et devenir "normale" puisque j'ai appris que sur deux romans vendus la moitié sont des polars. C'est de loin le type d'ouvrages le plus lu en France avec 18 millions d'exemplaires vendus dont les trois quarts en format Poche. C'est ce format que plébiscite la SNCF pour des raisons financières mais aussi de praticité.

On lit beaucoup dans le train. Dès qu'un trajet excède une heure 3 personnes sur quatre sont prêtes à ouvrir un livre. Et la SNCF facilite les choses en distribuant des polars à longueur d'année.
Mais rien n'interdit de les consommer l'après-midi au coin du feu, ou d'y consacrer des nuits blanches. Le genre a beaucoup évolué, prenant en compte des faits de société, se saisissant de zones d'ombre que le roman évite de fouiller, flirtant avec l'humour et s'infiltrant dans l'univers de la Bande dessinée. 
La SNCF pilote une série d'actions (dans la continuité de la fondation pour la lutte contre l'illettrisme). Avec le concours de nombreux partenaires comme Cultura, 300 festivals partenaires comme Quai du Polar à Lyon, le festival du court métrage de Clermont-Ferrand, ou celui de la BD d'Angoulême où l'espace polar est ultra dynamique avec 150 000 participants aux animations cette année.
Sans oublier les bénévoles SNCF sans qui rien n'existerait, et bien entendu les experts qui lisent et visionnent des films à longueur de temps. Christine Ferniot, journaliste littéraire pour Lire et Télérama, animatrice du Cercle Polar sur Telerama.fr, me confiait lire au moins un livre par jour. Bernard Poirette, journaliste, animateur radio à RTL, ne doit pas être loin du score.
Plus d'un million et demi de personnes ont ainsi vécu une expérience polar au cours des douze derniers mois. C'est énorme. Et s'il y a bien un Prix décerné par le public c'est le Prix Polar SNCF avec une édition 2016 riche de 32 000 votes.

La remise des récompenses alternait de très courts films résumant l'opération ou présentant les lauréats en compétition, si bien que nous avions assez vite une représentation du style propre à chaque auteur.

lundi 30 mai 2016

Caprice des Dieux

Je pensais glisser ce billet en pleine vague de chaleur quand la préoccupation majeure est de savoir quoi mettre au menu d'un pique-nique. La météo n'est guère favorable à ce genre d'escapade mais anticipons le retour du beau temps. Soyons fous. Soyons optimistes.
On grignote quand on a faim, sans attendre de passer à table. Pour éviter de manger n'importe quoi Caprice des Dieux a choisi d'innover à la veille de son soixantième anniversaire pour rester toujours jeune et demeurer en phase avec les attentes de ses plus jeunes consommateurs.

Mini Caprice & Go est un nouveau format snacking idéal depuis la lunch box jusqu'à la moindre pause gourmande qui existe depuis le 1er avril 2016 et ce n'était pas un poisson.

C'est toujours la même recette, ce qui rassurera les deux tiers des consommateurs qui affirment apprécier les marques qui leur rappellent leur enfance. La nouveauté du format séduira par contre les jeunes qui avouent à 73% adorer essayer de nouveaux produits alimentaires.
Selon une enquête commanditée auprès d'IPSOS en avril dernier, le fromage serait synonyme de convivialité et de partage. Il serait consommé au moment de l'apéritif ou en début de soirée par 66% des jeunes de 15 à 30 ans. La proportion monte à 75 % quand il s'agit de pique-nique.

En cas de fringale manger un fromage serait un réflexe plus fréquent que tendre la main vers un paquet de chips ou une viennoiserie. C'est plutôt rassurant.

dimanche 29 mai 2016

La Pudeur des sentiments de Dalila Heuse

Les chemins que prennent les mots avant de devenir des livres sont divers. La pudeur des sentiments a été lauréat du speed dating 2015 organisé par Kindle Amazon au Salon du livre à Paris. Si bien qu'après avoir été un fort succès en numérique le voilà choisi pour conquérir un lectorat, disons plus "classique".

Entre temps il a été un succès en auto-édition. La couverture n'a pas changé. Mazarine a respecté le choix de l'auteure en conservant une photo d'enfance. Car il s'agit d'une autobiographie qui impose le respect. On remarque d'ailleurs que Dalila Heuse a les même initiales que son héroïne.
Louis Hanotte, peintre septuagénaire amnésique depuis plus de quinze ans, reçoit par la poste un roman d’une femme dont il n’a jamais entendu parler auparavant. Poussé par la curiosité, il abandonne ses toiles afin de se plonger dans la lecture. Doriane Hector raconte son histoire d’enfant abusée dès l’âge de cinq ans par un père violent et autoritaire, qui fait voler en éclats toute la famille. Profondément troublé, Louis veut à tout prix découvrir le lien qui pourrait l’unir à cette inconnue.

Au même moment, dans un service de soins intensifs, Léa, une femme d’affaires de cinquante ans, lutte contre la mort suite à un terrible accident de voiture. Sa mère Marie la veille avec un dévouement surnaturel. Les deux femmes peuvent enfin se parler après tant d’années de non-dits.
Née en Belgique, Dalila Heuse est âgée d’une cinquantaine d’années. C'est avec une sincérité bouleversante et une énergie incroyablement positive qu'elle restitue ce qu'elle a subi sans verser dans l'apitoiement. Avoir choisi la voie fictionnelle (le récit est annoncé comme un roman) lui a sans doute permis de mettre ses sentiments à distance. C'est en tout cas courageux.
On pourra trouver des faiblesses à l'articulation des destins de Doriane Hector et de Léa. On remarquera des imprécisions. L'orthographe du prénom de l'héroïne est instable d'un chapitre à l'autre. C'est volontaire, car il s'agit de faire passer le message de la double personnalité qui a permis  à Dalila de sortir pour quelques heures des affres de son histoire. Elle m'a dit s'être longtemps débattue avec ces deux prénoms durant toute sa vie.

Quoiqu'il en soit le livre ne concourt pas au Goncourt. C'est un récit de vie et il doit être lu comme tel. Un témoignage courageux qui, on l'espère permettra aux victimes (qui sont malheureusement nombreuses) d'avoir la force de lever elles aussi le voile.

Les propos sont très justes. Le père de Doriane frappe sa mère qui, comme beaucoup de femmes dans la même situation ne parviendra pas à rester objective. Elle se sent responsable de la violence de son conjoint. L'amour, la honte et la peur exercent sur son jugement un effet pervers. (p. 51)

Plus loin elle lui fait dire que le pardon est une preuve de bon sens et non de faiblesse. (p. 131) A douze ans, le gamine ne parvient pas délibérément à envoyer son père en prison et ses six frères et soeurs à la DASS. (p. 166) L'assistante sociale et le médecin de famille sont au courant et resteront muets. Et le bourreau, à force de renier l'évidence, fera disparaitre la réalité de sa conscience (p. 204).

C'est un vrai coup de chance que le sport ai permis à l'adolescente de transcender sa situation. Elle va conquérir une forme de gloire avec la natation et on peut penser que c'est aussi une barrière protectrice qu'elle a réussi à ériger entre ce père et elle.

Les chiffres sont glaçants. On parle de 2 millions de victimes. On dit que dans chaque classe de toutes les écoles il y aurait 2 enfants concernés. On se demande pourquoi la prescription trentenaire continue à protéger les violeurs alors que l'important serait de soutenir les victimes. Une proposition de loi visant à supprimer la prescription a été refusée au moins 3 fois à l'Assemble nationale. On se demande pourquoi.

Dans un tel contexte le livre de Dalila Heuse est une lecture essentielle. Et la preuve que le malheur n'est pas une fatalité indélébile rendant tout bonheur impossible. Pour l'heure le blog tenu par l'auteure n'est pas vraiment un blog littéraire, et il est truffé de fenêtres publicitaires. Il sera temps à la publication d'un second roman de trancher sur un statut d'écrivain.
Un spectacle est à l'affiche en ce moment sur le même sujet,  Les Chatouilles ou la danse de la colère, de et avec Andréa Bescond, mis en scène par Éric Métayer au Théâtre du Petit Montparnasse. La comédienne a obtenu il y a quelques jours le Molière 2016 du Seul(e) en scène.

Elle a tenu à dédier sa récompense à toutes les victimes de pédophilie. Marchez la tête haute, leur dit-elle, vous avez survécu !

La Pudeur des sentiments, de Dalila Heuse, Lauréate Amazon 2015, éditions Mazarine, en librairie le 6 juin 2016

samedi 28 mai 2016

Les Goûts du Voyage d'Olivier Bellin aux éditions Salaün

J'adore les livres de recettes dès qu'ils sont davantage qu'une compilation ... de recettes. C'est le cas de ce Tome 2 des Goûts du Voyage aux éditions Salaün Holidays. A la fois livre de cuisine et livre de voyage, cet ouvrage invite le lecteur à redécouvrir les recettes emblématiques d’une trentaine de pays, revisitées par le grand chef breton Olivier Bellin.

Il exerce ses talents à l’Auberge des Glaziks à Plomodiern dans le Finistère (deux étoiles au Guide Michelin).

Une halte en Afrique du Sud lui fournit l'occasion de paner le thon avec des graines de sarrasin (p. 20) en l'associant à une petite salade assaisonnée d'une vinaigrette de pomme, qu'il semble d'ailleurs affectionner particulièrement. Il donne la recette mais aussi il explique comment cuire ce poisson qui peut vite devenir trop dur.

La saucisse aux algues de Molène est toute trouvée pour accompagner des pommes de terre en Allemagne (p. 28). Ce même légume sera taillé "en coin de rue" pour être servi avec un Chateaubriand aux Etats-Unis (p. 64).

Les carottes en lamelles décoreront joliment une assiette de goulash hongroise (p. 76). Légumes et fruits bretons sont à l'honneur comme la fraise de Plougastel qui égaillera une mousse de riz et riz au lait en Inde. (p. 84)

Le chef se soumet lui aussi à l'exercice en faisant escale dans sa région (p. 40) avec un tartare de maquereaux à la crème de raifort qui plaira sans doute aux alsaciens.

Les propositions sont inventives, élégantes et simples tout en misant sur une certaine originalité. Les photos des plats, signées par Bernard Galéron, photographe quimpérois collaborant à de nombreuses revues et auteur de plusieurs ouvrages sur la cuisine et l’art de vivre sont ultra appétissantes. Pour chaque destination on dispose aussi d'images qui donnent réellement envie de partir. Les textes de Yann Rivallain, journaliste et voyageur, présentent les principales richesses culturelles, patrimoniales ou environnementales de chaque escale.

Les goûts du voyage sont à offrir pour consoler ceux qui restent à quai, et pour les encourager à prendre le large.

Les Goûts du Voyage d'Olivier Bellin, textes de Yann Rivallain, photographies de Bernard Galéron, aux éditions Salaün, en librairie ou sur le site de Coop Breizh http://www.coop-breizh.fr/ à partir du 20 mai 2016

vendredi 27 mai 2016

Des fleurs et des épines de Valérie Gans

Un bon livre est un bon livre, quel que soit son format.

Certains commencent leur vie en numérique, d'autres naissent par la "grande" porte avant que les droits ne soient rachetés par une édition dite de Poche, ce qui est la preuve d'un fort succès. Né en février 1953, sur une idée ingénieuse et visionnaire d'Henri Filipacchi, le Livre de Poche a beaucoup oeuvré pour la démocratisation de la lecture. Il permet encore aujourd'hui à des romans de toucher un public plus large.

C'est ainsi que Des fleurs et des épines sont arrivées jusqu'à moi. Je ne connaissais pas Valérie Gans qui avait pourtant déjà publié Du bruit des silences (JC Lattès, 2013) avec les mêmes personnages principaux et qui, depuis, a écrit le troisième tome, le Chant des lendemains.
Après un an passé en Afrique pour échapper à un compagnon violent, Julie rentre à Paris et retrouve avec bonheur sa sœur Lorraine, fleuriste, ses neveux et nièces, et ses parents qui vivent en Dordogne. Devenue une sage-femme expérimentée, elle trouve très vite sa place dans la clinique du docteur Victor Le Crétois, qui la prend sous sa protection. Sa rencontre avec Sophie, une amie de son neveu Bastien, mère porteuse pour financer ses études, va troubler son fragile équilibre. L'amour de Victor, de vingt-cinq ans son aîné, suffira-t-il à lui redonner confiance ? Pourra-t-elle aider Sophie dans le dilemme de la gestation pour autrui ?
Ce livre est inclassable, entre saga familiale et roman sociologique. Très inscrit dans l'air du temps et dans les nouveaux modes de vie. On y fait connaissance (je n'avais pas lu le premier tome de la série) avec des hommes et des femmes qui pratiquent un certain art de vivre, un peu dans l'esprit du film le Coeur des Hommes, en plus tendre, et plus féminin, voire féministe.

On se met à cultiver bio. On réfléchit à une forme de décroissance. Cuisine, bons vins et bons petits plats y sont très présents (j'aurais bien vu un carnet de recettes en annexe, peut-être par déformation bloggistique puisque A bride abattue est alternativement culturel et culinaire).
Les fleurs sont partout, pas seulement dans le titre. Elles composent une sorte de métaphore aux diverses facettes du bonheur. Les épines étant le revers de la médaille en quelque sorte.

Le livre traite le sujet des violences faites aux femmes et de leur place dans le monde du travail. Il aborde avec beaucoup de finesse la question de la Gestation pour autrui. On joue un peu à l'apprenti sorcier en faisant des enfants qui auront deux papas ou deux mamans. Après avoir pointé cette pratique en usant d'arguments très pertinents, Valérie Gans réussit à imaginer un dénouement inattendu (p. 348) et probablement heureux.

D'une manière générale Valérie Gans (qui a dit en interview avoir subi elle-même un pervers narcissique) a une vision positive de la vie et c'est ce qui fait du bien. Elle ne minimise pas les problèmes mais elle laisse entrevoir qu'une solution n'est pas illusoire. On peut penser d'ailleurs à Agnès Ledig, notamment avec Pars avec lui.
Ce qui est très réussi dans son roman c'est la place qu'elle accorde aux hommes. Loin d'être tous pervers ou faibles il y a des êtres qui sont valeureux et à côté desquels il ne faudrait pas passer sans les voir. Le message est beau et on a envie de connaitre la suite du déroulement du parcours de vie de ses personnages.

Des fleurs et des épines, de Valérie Gans, publié JC Lattès en février 2015, puis en Livre de Poche depuis le 4 mai 2016

jeudi 26 mai 2016

Le système Ribadier de Feydeau

Le doute n'est pas permis. Voilà un vaudeville où les portes vont claquer, comme les répliques.

Jean-Philippe Vidal, qui avait déjà monté cette pièce (dans la même scénographie) au Théâtre de l'Ouest Parisien de Boulogne-Billancourt il y a quatre ans, présente une version très personnelle de cette pièce.

D'une part avec un décor "au carré" qui semble a priori rassurant. Moquette, tissu, encadrement, tout est en lignes droites et en noir et blanc, sans surprise apparente. Les personnages se déplacent sur le plateau comme sur un échiquier. Et pourtant rien ne tient. Le "cadre" (au sens où on l'entend en psychologie) est artificiel. La supercherie ne résistera pas longtemps.
Ribadier est le second mari d'Angèle, veuve de "feu Robineau". Devenue très suspicieuse, suite aux tromperies de son ex-mari, Angèle a développé une jalousie frisant la paranoïa et surveille étroitement les activités de son deuxième époux. Mais Ribadier possède un don, qu'il a érigé en "système". Ainsi peut-il convoler en galante compagnie grâce à un truc que lui seul connaît ... et que vous découvrirez au cours de la soirée.
Je ne connaissais pas la pièce et j'avoue qu'il m'a surprise. C'est un des plaisirs de ce spectacle que de se laisser prendre au jeu en cherchant qui a raison de soupçonner ou non l'autre.

On compatit pour Angèle dont la jalousie est légitime depuis qu’elle a découvert le carnet relié en maroquin de son premier mari qui y notait méticuleusement ses frasques. Le portrait grimaçant de cet homme est hypnotique (le trucage est très bien conçu) et finit par générer une sorte d'angoisse qui contrebalance le côté habituellement excessif des vaudevilles.

On plaint parfois Ribadier (Pierre Gérard) parce qu'Angèle devient tyrannique et qu'on se dit qu'il n'oserait tout de même pas lui faire cet affront.

Et quand arrive Thommereux, l'ex-amoureux de madame, de retour d'exil pour ne pas trahir l’amitié de son ami, feu Robineau, on comprend que l'implosion est proche. Le couple ne tenait qu'à un fil et ce fil va craquer.

Il dit "tu". Elle répond "vous". Je ne trouve néanmoins pas dans l'écriture de Georges Feydeau matière à réflexion sur notre époque comme elle a pu l'être de son vivant, à la fin du XIX° siècle. Nous dire que tous les maris sont infidèles, en démontrant que les femmes le sont aussi n'est pas un scoop.
Il n'en demeure pas moins que les rebondissements sont amusants et que l'interprétation des acteurs est si fine que la pièce offre une belle distraction.

J'ai beaucoup aimé le jeu d'Hélène Babu qui campe une Adèle rebelle et moderne, à l'esprit pratique (elle épouse en secondes noces un homme qui a les mêmes initiales que le premier pour ne pas devoir "démarquer son linge de maison"). Il faut la voir en furie au bord de la crise de nerfs quand elle tient la preuve que son époux est une canaille

Est-ce un hasard ou une volonté délibérée mais le metteur en scène a confié le rôle de la femme de chambre à Ludmilla Dabo qui apporte une touche originale à la fonction.

Le rythme ne connait pas de répit. Oui, les portes claquent. Les cartes volent. Les acteurs mènent la danse.

Les dialogues sont efficaces. La comédie devient jubilatoire.

Le Système Ribadier, de Georges Feydeau
Mise en scène : Jean-Philippe Vidal
Avec Hélène Babu, Gauthier Baillot (ou Arnaud Simon), Romain Lagarde, Pierre Gérard, Ludmilla Dabo, Pierre-Benoist Varoclier (ou Nathan Gabily)
Du mardi au samedi à 21 heures, Matinée le samedi à 16 heures
depuis le 19 mai et jusqu'au 30 juin 2016
La Pépinière Théâtre
7 rue Louis le Grand 75002 Paris
01 42 61 44 16

mercredi 25 mai 2016

Propos cocasses et insolites entendus en librairie

J'ai une amie libraire qui, lorsqu'elle craque, m'envoie par mail quelques-unes des perles (mais elle dirait plutôt que ce sont des pavés) qu'elle entend dans sa boutique.

Ce recueil, bestseller outre-Manche, réunit les questions les plus drôles, surprenantes et bizarres que les gens posent parfois à leurs libraires. Et pourtant rien n’a été inventé…

Poète et nouvelliste, Jen Campbell s’est inspirée de son expérience de libraire à Édimbourg et à Londres pour rapporter dans un blog ses conversations invraisemblables, étranges ou extravagantes avec certains clients. Le succès lui a donné l’idée de partager sous forme de recueil ces petites phrases et historiettes complètement inouïes – et pourtant vraies !

L'auteur est britannique mais on entend le même type de remarques en France. Mon fils qui a été bibliothécaire pendant quelque temps pourrait témoigner de demandes pareillement farfelues ou surréalistes :
  • Où est votre rayon fiction vraie ? (p. 21)
  • Est-ce qu'il y a des livres de Dickens qui sont drôles ? (p. 25)
  • Est-ce que vous auriez un exemplaire de Jane Eyre ? Pouvez-vous me raconter l'histoire? J'ai un devoir à écrire dessus pour demain. (p. 29)
  • Quel dommage qu'il n'y ait pas d'images dans les livres pour adultes. On s'y habitue quand on est petit et puis tout d'un coup, il n'y en a plus. (p. 41)
  • Est-ce que vous avez des livres écrits par Madame Bovary ? (p. 59)
  • Je cherche un livre avec une couverture de ce vert-ci. C'est pour aller avec le papier cadeau que j'ai acheté. (p. 70)
  • (Client en train d'acheter Treize façons de se débarrasser d'un cadavre, murmurant sérieusement) : En fait, vous savez, il y en a quatorze ... (p. 139)
  •  Est-ce que vous avez un rayon interdit au moins de 18 ans ? (p. 150)
Né au Venezuela, Pancho publie ses premiers dessins en Uruguay où il contribue à de nombreuses revues jusqu’au coup d’État militaire de 1973. En France, Pancho fait paraître ses dessins dans Le Canard enchaîné et Le Monde, entre autres.
Un recueil, Signes et figures, paru en 2009, reprend ses tableaux exposés à la Maison de l’Amérique Latine. Un deuxième recueil de caricatures et de dessins, Un monde de brut, est paru en janvier 2015 aux Éditions Baker Street.
Propos cocasses et insolites entendus en librairie de Jen Campbell, Traduit de l’anglais par Géraldine D’Amico, Illustrations de Pancho, BakerStreet, en librairie depuis février 2016

mardi 24 mai 2016

Jeu de quilles

J'attendais la fin du mois pour vous reparler de cette boisson plutôt symbolique de soleil et de pique-nique même si on peut bien entendu (en toute modération) la consommer à longueur d'année.

Nous avions été chanceux sur le plan de la météo le week-end du premier Mai à Cambremer pour ces rencontres autour des AOC-AOP. Et même si la floraison est tardive cette année ce fut agréable de voir s'épanouir les premières fleurs des pommiers.
Dominique Hutin, journaliste à France Inter, animateur de l'émission On va déguster ! et passionné de cidre, nous a proposé dans l'après-midi du samedi un Atelier du Goût intitulé Jeu de Quilles et Histoires de Bulles autour d'une dégustation à l'aveugle dans une salle du restaurant Les Saisons.

L'art du cidrier est d'élaborer un assemblage équilibré à partir de fruits de saveurs différentes douces, douces-amères, amères, acidulées, ou encore aigres. Aucune de ces pommes ne seraient consommables en fruit de table. Ce sont des pommiers spécifiques comme le raconte Tracy Chevalier dans son dernier roman, A l'orée du verger.
Nous étions privés de la vue mais il nous restait l'odorat et le goût. Le Cidre AOP Pays d'Auge du Gaec du Manoir de Grandouet de Stéphane Grandval a été de nouveau testé et approuvé. Son équilibre entre le sucré, l'acide et l'amer est très réussi et la couleur de sa robe, une fois dévoilée est très belle.
J'ai pu enfin découvrir le cidre du Cotentin cher au coeur de Dominique Hutin. Il devrait en juin gagner (enfin) le label AOP. Son goût est très structuré et sa couleur jaune franc.
Changement radical de saveur ensuite avec le poiré. La prise de mousse naturelle s'effectue en bouteille. Comme son cousin le cidre, le poiré se conserve debout afin que le dépôt naturel reste au fond de la bouteille. Les vergers ne subissent aucun traitement, surtout parce que les poiriers de haute tige sont des arbres très résistans aux maladies. Ils peuvent se développer pendant 200 ans, voire 300.  Rien à voir avec la durée de vie d'un abricotier qui ne dépassera pas 15 ans dans le Sud-Ouest. Un seul de ces arbres peu produire à lui seul quelque 2000 bouteilles. On imagine la nostalgie d'un poiréculteur (quel joli métier) lorsqu'il apprend qu'un voisin a abattue ne serait-ce qu'un arbre pour planter des céréales...

Le Poiré Domfront exprime son terroir. À la fois rond et typé grâce à la variété de poire "Plant de Blanc", il joue sur un équilibre sucré-acidité relevé par une pointe d’astringence mais le résultat est autant fruité que floral.
J'avais eu l'occasion d'en découvrir plusieurs à la clôture des discussions de la matinée et franchement j'adore. Cet après-midi c'est une bouteille de la GAEC du Pré Verger, L'Yonnière61330 Torchamp que nous avons apprécié.
La boisson est dine en bulles. Sa robe couleur platine est très délicate. On reconnait des arômes de miel d'acacia et en fin de dégustation de volatiles notes de menthe surgissent subtilement.
Pour finir, un Crémant de Savoie (je ne savais pas que cela existait) qu'il aurait été plus sage de faire goûter en première position en raison de son astringence et de sa virgule amère en fin de bouche. Cette boisson va devenir la quatrième appellation de la région. C'est peut-être des quatre bouteilles qui nous ont été présentées, la seule que l'on verrait accompagner une viande rouge. 

Je suis en tout cas surprise de cette découverte et je compte bien cet été en apprendre davantage sur les terroirs de cette région.

lundi 23 mai 2016

Confessions d'un acteur déchu, à lire absolument

Je voulais retracer assez vite la cérémonie des Molières à laquelle j'ai assisté depuis les coulisses de la salle de presse. Il y a beaucoup à dire ... alors en attendant il me semble que ces Confessions d'un acteur déchu arrivent à point nommé.

On sait que la gloire est éphémère. Des personnalités de talent ont terminé leur vie dans l'abandon et la misère.

On pense à l'émotion d'Annie Girardot confessant, précisément aux Molières, que si elle n'était pas certaine qu'elle avait manqué au théâtre, le théâtre lui avait manqué. Mais aussi à Denise Glaser abandonnée de tous alors qu'elle avait fait découvrir tant de personnes. Régulièrement la télévision s'empare du sujet avec un "Que sont-ils devenus" larmoyant.

Osman nous dit que le cinéma, c’est comme une drogue. Quand on tourne, ça fait du bien, ça met plein de couleurs dans la vie. Mais après, quand ça s’arrête, il y a la descente. Et ça peut faire très mal, surtout quand on a quinze ans et plus de parents.

A sa place, je n'aurais pas employé le terme de "confessions" car même si l'auteur reconnait quelques délits (dont il ne nie pas l'importance) il n'est pas le plus coupable dans l'affaire. Et il a la grande honnêteté de dire qu'il le co-signe avec son ami Raymond Dikoume.

Ce que le livre d'Osman Elkharraz a de particulier c'est qu'il met aussi en lumière le dysfonctionnement des services sociaux et de l'aide à l'enfance.

Le jeune homme surfe avec la tragédie en permanence. Le drame n'est pas tant qu'il n'ait pas pu continuer comme acteur. C'est qu'il ait eu tant de mal à continuer tout court. Un gamin de 13 ans, orphelin, ça devrait pas devoir se débrouiller tout seul, film ou pas film. Certes Abdellatif Kechiche, réalisateur du film L'Esquive, a une (énorme) part de responsabilité, mais il n'est pas le seul. Jamel Debbouze en prend lui aussi pour son grade avec ses promesses en l'air. Mais surtout, que faisaient l'école, les services sociaux, tous ceux qu'on appelle "partenaires" de l'enfance ?

Son livre n'est pas que personnel. Il pointe le devoir de mémoire, les promesses non tenues, l'ingratitude. Et c'est loin d'être une histoire extra-ordinaire.

Les daronnes (les mères) elles lisent et écrivent à peine le français mais elles vont te remplir des documents super-techniques genre le Pôle Emploi, La CAF, sans faire de chichis, alors que toi t'aurais lâché l'affaire depuis longtemps. Elles maitrisent que quelques mots et avec ça elle font tout. (p. 23).

Il évoque sa grand-mère avec tendresse, la Kabylie, les moments de prière. Et puis les scènes de tournage, éprouvante. Tous les réalisateurs ne sont pas des bourreaux mais le gamin n'était pas préparé et personne n'a pris soin de lui. L'écriture est haletante, fougueuse. Les mots ne sont pas emballés dans du papier de soie. Une fois ouvert on ne lâche pas ce bouquin.

Ça avait commencé pourtant comme un conte de fées : Moi, je devais jouer Krimo, un petit rebeu qui vit dans une cité avec sa mère. C’était le rôle principal. Ça donnait grave envie. Ça allait durer de juillet à août, du coup on pourrait pas partir en vacances. Et comme j’avais nulle part où aller, ça tombait bien.

Nous sommes en 2004. C'est le deuxième long métrage d'Abdellatif Kechiche. L'Esquive sera primé quatre fois aux César. Il aura aussi les honneurs de festival de Cannes. Sara Forestier et Sabrina Ouazani, qui faisaient elles aussi leurs débuts au cinéma, poursuivront leur carrière, surtout Sara. Osman retournera dans l'ombre, sans eau, électricité ni chauffage, c'est-à-dire en fait dans la rue. Et quand il aura son premier bulletin de salaire il découvrira les retenues programmées par le Trésor Public (qui n'oublie aucune des bêtises qu'il a faites ado).

Il avait perdu sa mère d'un cancer foudroyant trois ans plus tôt. A tout juste 10 ans. Son père a été incarcéré au Maroc pour trafic et est décédé quelques années plus tard à la suite d'un empoisonnement. Toute l'équipe du film le savait. On aurait dû le protéger de la notoriété et surtout de la misère.

On ne pourra plus dire après l'avoir lu qu'on ne sait pas comment vivent certains mômes dans les cités. Le présent semble moins violent aujourd'hui. L'écriture a sans doute un effet thérapeutique sur le jeune homme qui a tenté des pistes pour continuer sur la voie du cinéma, comme les castings, (mais il faut savoir se vendre... et surtout être disponible au pied levé au risque de perdre un CDD durement obtenu) ou le cours Florent. le théâtre l'a aidé à mieux parler français (p. 94) mais ce qui le motivait davantage c'était le cinéma.

Il démontre les paradoxes. On le croit acteur quand il cherche un travail "alimentaire" et sa candidature est souvent écarté par crainte qu'il ne lâche le job pour se rendre sur un tournage. Une phrase résume bien le point de non retour où il est vite acculé : le cinéma et moi on était plus dans la même réalité, et dans la mienne, on faisait pas semblant (p. 111).

Osman Elkharraz espère que son récit permettra de faire toute la lumière sur les rouages d'un métier féroce. Son livre est aussi sa thérapie. Mais cela ne suffit pas. Il termine par une prière et par des remerciements qui résonnent comme un slam. Impossible de penser qu'il ne sera pas entendu !

Confessions d'un acteur déchu, De l'Esquive à la rue de Osman Elkharraz, avec Raymond Dikoume, Stock, en librairie le 11 mai 2016

dimanche 22 mai 2016

Madame Bovary mise en scène de Sandrine Molaro et Gilles-Vincent Kapps

Je croyais ne rien devoir apprendre de Madame Bovary. Je n'avais pas été attirée par la pièce dont tout le monde disant pourtant énormément de bien. On ne peut pas aller partout.

Il m'a fallu un sursaut de conscience (je tenais à voir le maximum des pièces nominées aux Molières) pour que je me décide. Et voilà que je ressors du Poche Montparnasse totalement sous le charme de cette mise en scène inventive, et pourtant sobre.

Une toile peinte en guise de décor suggère quelque part dans la campagne normande. Quatre chaises et une table de bistrot. Quelques coupes qui sont prêtes à une célébration. Les cris de Vive la mariée résonnent en fanfare. Les comédiens sont aussi musiciens et ça change tout.

Ils sont tour à tour personnages ou narrateurs, ce qui donne à la pièce un caractère d'épopée qui convient parfaitement à l'oeuvre.

Emma est sincèrement heureuse d'épouser Charles, persuadée d'atteindre avec lui la passion, la félicité et l'ivresse. Il l'aime d'un amour inaltérable mais ils ne sont pas au diapason. La suite, tragique est connue. Emma crie son appétit de vivre. Elle ignore qu'elle court à sa perte. Il ne lui en tiendra pas rigueur, imputant la faute à la fatalité.

L'un comme l'autre sont extrêmement touchants, chacun à leur manière et on comprend la nomination Molière en tant que Révélation féminine pour Sandrine Molaro qu'elle mérite amplement de remporter (même si son expérience théâtrale et cinématographique est solide).

Gustave Flaubert définissait lui-même le bovarysme (en 1858) comme la capacité de l’homme à se concevoir autre qu’il n’est. Le seul moyen de supporter l’existence, c’est de s’étourdir dans la littérature comme dans une orgie perpétuelle.

Paul Emond a respecté dans son adaptation la dimension romantique du roman. Ce qui est nouveau peut-être dans ce qui nous est proposé c'est d'avoir trouvé une écriture permettant à tous les personnages de défiler dans le jeu d'un quatuor, en inventant une dynamique théâtrale spécifique. Car ils ne sont jamais que quatre sur scène, mais toujours quatre.
Madame Bovary devient un opéra. On sait que la fin sera tragique mais on suit chaque dialogue, on écoute chaque chanson, comme si on ignorait leur destinée. On se prend au jeu des acteurs. On se dit que peut-être il y aura une autre issue. Le spectateur est embarqué dans la noce, le bal, la fête ... Il vit parmi ces gens. Il est plongé dans un autre siècle, un autre monde ...

La musique et les ambiances sonores y participent, comme le rythme et m'ampleur de la rage de vivre de l'héroïne. On ressort troublé par sa capacité d'audace. Sans lui donner raison on se demande si on a un courage équivalent dans nos vies actuelles ...
Madame Bovary de Gustave Flaubert
Adaptation de Paul Emond
Mise en scène de Sandrine Molaro et Gilles-Vincent Kapps
Avec Gilles-Vincent Kapps, Félix Kysyl (ou Paul Granier), Sandrine Molaro et David Talbot
Scénographie, Barbara de Limburg
Musique originale, Gilles-Vincent Kapps
Coproduction Théâtre de Poche-Montparnasse, La Fiancée du Requin et Atelier Théâtre Actuel
Spectacle créé le 12 novembre 2015 au Théâtre de Poche-Montparnasse
Représentations du mardi au samedi à 19h et le dimanche à 17h30
01 45 44 50 21

Plusieurs autres spectacles, tout autant de qualité, sont à l'affiche dans ce théâtre, petit par la taille, grand par les idées. Trois figurent dans le palmarès des nominations pour les Molières. Le pari n'était pas gagné d'avance quand Philipe Tesson s'est porté candidat à la reprise du lieu. Il convient aujourd'hui avec grande modestie : c'est vrai qu'on ne peut pas dire qu'on a raté notre entreprise.

samedi 21 mai 2016

Maligne de Noémie Caillault

Je suis allée voir Maligne à la Pépinière parce que Noémie Caillault était nominée pour le Molière du Seul(e) en scène et que la cérémonie aura lieu lundi prochain. J'ai beau sortir énormément, il y avait des spectacles que je n'avais pas vus et je mets les bouchées double ces jours-ci. Je n'aime pas parler de ce que je ne connais pas.

Mais aussi, je lis rarement les dossiers de presse avant, histoire de ne pas être influencée et ... j'ignorais la dimension autobiographique de la pièce. Ce n'est qu'au moment des saluts que j'ai réalisé l'ampleur de ce que la comédienne a réellement enduré, preuve qu'elle est parvenue à faire ce qu'elle annonce : Ce spectacle n’est pas un "spectacle de cancéreuse". C’est le récit d’une étrange cohabitation : cohabitation de la vie incarnée, exultante, enthousiaste et de la mort qui se tapit. Noémie raconte tout cela, seule en scène, avec ses mots, sa sincérité, sa fragilité. Et ses éclats de rire.

Noémie est Maligne à plus d'un titre. Pétillante d'humour, d'une énergie incroyable, doublée d'une spontanéité insensée et d'une humilité exemplaire. Cette avalanche de compliments n'a rien à voir avec sa maladie mais avec son tempérament et son talent. Quand on a l'occasion de discuter avec elle, ses qualités s'imposent avec évidence. J'ai rencontré une grande comédienne, Molière ou pas.

Le décor est d'une simplicité toute fonctionnelle : des chaises de styles très différents devant un rideau noir, libérant ainsi une space scénique que Noémie occupe largement. On comprendra que chaque siège est le symbole d'un lieu ou d'un personnage du récit. L'aventure commence en décembre 2011. Elle danse et nous prévient qu'elle aime que tout fonctionne normalement.

Mais la vie en décide autrement et le mot cancer est vite lancé. Une palpation de routine révèle une petite boule qu'une échographie devrait classer sans suite. Elle n'a que 27 ans. A cet âge on n'inflige pas des rayons pour rien, même pour une petite radio. On va quand même en faire une et puis ... tout s'enchaine. La jeune femme ironise, tout en prenant les choses courageusement, devant combattre ne premier lieu la crédulité des copines, persuadées de son hypocondrie. Ce n'est pas non plus auprès de sa mère qu'elle sera chouchoutée. Celle qui a développé une diplomatie de dictateur et qui lui parle avec la délicatesse d'un ours considère la situation avec une mauvaise foi qui ne fut sans doute pas drôle à supporter.

Le public en tout cas est autorisé à rire. La description d'une séance de mammographie (très juste) est hilarante. Noémie a vécu tout ce dont elle parle ... inutile d'inventer quand la réalité est si "surréaliste" et pourtant si vraie. On pourrait penser que le spectacle est plombant. Pas du tout.
La mise en scène est alerte. Une vidéo fait revivre en images le moment où il est préférable de couper se cheveux. Là encore le sourire de Noémie éclate comme à la veille d'une bonne blague. Le foulard glissera. La perruque grattera. Elle se préférera chauve et tant pis si on murmure autour d'elle des phrases "à la con".

Noémie a recours à des images très visuelles pour nous faire comprendre la suite des effets secondaires, qu'elle compare à un enchainement de métamorphoses à la Brachetti, artiste considéré virtuose en la matière. Et pour nous faire "bisquer" des bénéfices secondaires comme les taxis gratuits et le passe-file ...

On entend des voix ... Jeanne Arenes, Romane Bohringer, François Morel, Olivier Saladin et Dominique Valladié interprètent médecin, radiologue, ou la mère ... en donnant la réplique à ce qui n'est plus un monologue.

La comédienne pousse l'humour jusqu'à décerner des étoiles aux établissements hospitaliers. Elle pointe que le nom donné à l'Hopital Georges Pompidou (décédé d'une forme de cancer hématologique très rare) n'est peut-être pas très heureux, mais elle lui donne 5 * pour les beignets au chocolat de la cafétéria. Elle raconte avec émotion avoir été une des dernières patientes de l'Hotel Dieu.

Son metteur en scène, Morgan Perez, en parle avec justesse : Quand j’ai rencontré Noémie, la femme comme l’actrice, j’ai tout de suite été touché et séduit par son humour, sa dérision, sa pudeur, sa sensibilité face à son histoire qui transpirent dans le texte. J’ai voulu une mise en scène au texte qui s'attache à restituer avec simplicité la chronique de sa maladie, la brutalité de son annonce comme la longueur de son vécu et invitant le spectateur à être traversé par cette jeune femme.

Antoine Coutrot, Emmanuel de Dietrich et Caroline Verdu-Sap, qui codirigent le théâtre depuis huit ans ont un regard particulier sur les conditions de création du spectacle. Ils connaissent bien Noémie ... puisque c'est un membre de l'équipe (son nom est encore dans la fiche technique). Ils ont une façon touchante de présenter cette histoire si particulière :
Au commencement était une jeune tourangelle passionnée de théâtre qui quitta son emploi de chargée de clientèle au Crédit Agricole des Pays de la Loire pour "monter faire du théâtre à Paris" ; en l’occurrence, il s’agira des cours de Jean-Laurent Cochet à la Pépinière. Barmaid au café du coin de la rue pour financer son aventure parisienne, elle y fait preuve derrière son zinc d’une telle faconde et d’une telle passion que lorsqu’un poste se libère à la caisse du théâtre, nous le lui proposons avec un enthousiasme qui n’a d’égal que celui avec lequel elle accepte... Et six mois après, patatras : un cancer du sein... Et comme Noémie est d’un naturel partageur, nous tous à la Pépinière (ouvreurs, techniciens, et bien sûr toutes les équipes artistiques qui se succèdent au fil des ans) suivrons au quotidien, et dans le désordre : les examens médicaux, le sentiment d’injustice, la peur, la colère, l’incrédulité, mais aussi les "bénéfices secondaires" comme elle les appelle, les anecdotes, les détails plus ou moins scabreux, les crises de fou rire... Tant et si bien que nous lui suggérons d’en faire "quelque chose", de mobiliser le formidable appétit de vivre qui est le sien pour partager avec le public cette fichue, satanée et détestable aventure, mais aussi cette authentique expérience de vie qu’est un cancer.
Voilà. Vous savez tout. J'insiste sur la qualité de l'écriture, du jeu et du rire, jamais complaisant, interprété par une comédienne avant tout. Je n'ai qu'un mot à vous dire : allez-y. Et qu'une question à Noémie : à quand le prochain spectacle ?

Maligne de et avec Noémie Caillault
Mise en scène de Morgan Perez
Avec les voix de Jeanne Arenes, Romane Bohringer, François Morel, Olivier Saladin et Dominique Valladié
Du jeudi au samedi à 19 heures, depuis le 29 janvier 2016
La Pépinière Théâtre
7 rue Louis le Grand 75002 Paris 01 42 61 44 16
Le spectacle sera joué aux Béliers en Avignon l'été 2016

Le texte de la pièce est publié chez Payot

vendredi 20 mai 2016

Coquilles Saint Jacques façon Nigella et sans gluten

J'avais chroniqué le livre de recettes Nigella express il y a quatre ans et j'ai eu envie de le rouvrir. bien m'en a prit. Je voulais cuisiner des coquilles Saint-Jacques un peu différemment. C'est-à-dire sans la sauce béchamel où on la noie souvent.
Difficile de faire plus simple.

On enrobe les coquilles dans la chapelure. J'ai pris celle que Mon Fournil propose sans gluten.

Elle est ultra fine, parfaite pour cela, sans qu'il soit nécessaire d'ajouter du lait ou de l'oeuf (eux aussi allergènes pour beaucoup de personnes).

J'ai commencé par laisser mariner les noix dans un peu de jus de citron et d'huile d'olive, mais cette étape n'est pas indispensable.
Ensuite je les ai enrobées de chapelure.
Je pose une minuscule lichette de beurre sur chacune, et hop, au four à 250° (th 7-8) pour un quart d'heure.
Comme le plat est brûlant faites attention !
Si les noix étaient pourvues de corail (mes amis bretons d'Erquy les prohibent mais il se trouve que celles-ci en avaient, et je n'allais pas les jeter ...) on peut els faire revenir à la poêle dans une huile aromatisée à l'ail et en tartiner des tanches de pain grillé. On arrose de jus de citron et on pose une grosse câpre. Idéal pour l'apéritif.

Plat de cuisson Appolia et manique rouge Poppy Charles Viancin combinant textile et silicone.

jeudi 19 mai 2016

Rencontre avec Tracy Chevalier pour A l'orée du verger

Tracy Chevalier a grandi à Washington, DC, vit à Londres avec son mari anglais et son fils. Elle a écrit huit romans et dirigé la publication de deux recueils de nouvelles. En dehors de l’écriture, elle organise des expositions dans des musées et galeries d’art londoniennes.

Je vous souhaite d'avoir la chance de croiser sa route. Elle parle très bien français, ce qui facilite les échanges avec elle. Mais surtout, elle ne se réfugie derrière aucune périphrase pour répondre aux questions avec une sincérité absolue. Elle a de plus une propension à réfléchir sur sa pratique avec humilité. Passer une soirée avec elle est un vrai bonheur.

Vous la connaissez sans doute par ses livres, des romans historiques qui vous tiennent en haleine jusqu'au bout, et même au-delà. Combien de fois ai-je fait allusion à une séquence de la Jeune fille à la perle dans un de mes billets ! Inspiré par le célèbre tableau de Vermeer, il a séduit 5 millions de lecteurs dans le monde, a été adapté au cinéma avec Colin Firth et Scarlett Johansson avec 3 nominations aux Oscars en 2004.

Elle est venue à Paris pour le lancement de son dernier livre, A l'orée du verger, dont l'action principale se déroule dans l’Ohio, une région qu'elle connait bien puisqu'elle a étudié à l’Université d’Oberlin.
La famille Goodenough s'installe en 1838 sur les terres marécageuses du Black Swamp, dans l'Ohio. Chaque hiver, la fièvre vient orner d'une nouvelle croix le bout de verger qui fait péniblement vivre cette famille de cultivateurs de pommes. Tandis que James, le père, greffe des arbres pour obtenir des pommes à couteaux à la saveur parfaite, la mère, Sadie, préfère les pommiers à cidre pour fabriquer de l'eau-de-vie.  
Quinze ans passent sur ces terres hostiles. Leur fils Robert part tenter sa chance dans l'Ouest. Il y sera garçon de ferme, mineur, orpailleur, puis renouera avec la passion des arbres en prélevant des pousses de séquoias géants pour un exportateur anglais fantasque qui les expédie en Europe. De son côté, sa sœur Martha traverse le pays à sa recherche, accompagnée d'un lourd secret à lui faire partager... 
Tracy Chevalier nous plonge dans un pan méconnu de l’histoire des pionniers et dans celle du commerce des arbres, soit dans un objectif de consommation, soit dans celui de l'agrément. Mêlant personnages historiques et fictionnels, de New York à San Francisco, À l’orée du verger peint une fresque sombre mais profondément humaniste, et nous livre une épopée familiale touchante.
Le procédé narratif est inhabituel, avec des ruptures dans la chronologie pour entretenir le suspense : je n'ai pas voulu écrire une saga western. L'insertion des lettres de Robert à sa famille permet d'accélérer le temps et de poser l'angoissante question du destinataire. Quelqu'un les a-t-il lues puisqu'elles restent sans réponse ?

C'est en France qu'elle a rédigé ces courriers, alors qu'elle voyageait en train de Montpellier à Paris, se mettant presque dans la situation de son personnage tentant de lancer un pont entre la Californie et l'Ohio.
La pomme de la discorde
Le thème du roman lui est venu alors qu'elle effectuait des recherches pour La Dernière Fugitive, publié Quai Voltaire, en 2013. Elle découvre dans Botanique du désir de Michael Pollan un chapitre sur les pommes dans l’Ohio du XIXe siècle. La relation entre les humains et les plantes l'a passionnée. Et particulièrement la pomme, symbole de santé, mais aussi d'ivresse. On pourrait multiplier les références (auxquelles Tracy n'a pas songé) : évocatrice de l'Eden comme du péché originel, de Guillaume Tell à Newton en passant par à Steve Jobs ou encore la pomme de la discorde, synonyme de grave conflit à venir.

La déesse de la Discorde n’ayant pas été invitée au repas de noces de Pelée et Thétis, voulut se venger en jetant au milieu des invités une pomme d’or provenant du jardin des Hespérides, sur laquelle était inscrit : "A la plus belle". Héra, Aphrodite et Athéna se disputèrent le fruit. Zeus demanda à Pâris de départager les déesses. Athéna lui promit la réussite et Héra la richesse mais malgré cela, il désigna Aphrodite qui lui promit l’amour d’Hélène, la femme de Ménélas. Il enleva par la suite la jeune femme, ce qui déclencha la guerre de Troie.

J'ai aussi pensé à la Manzana de la discordia parce qu'en espagnol "manzana" signifie aussi bien pomme que "pâté de maison". Le numéro 43 du Passeig de Gracia, est devenu célèbre à Barcelone en raison de la brouille entre trois riches propriétaires de trois palais, conçus par trois architectes, Puig I cadafalch, Domènech I Montaner et Antoni Gaudi, dans trois styles architecturaux qui à l'époque s'opposaient mais qui aujourd'hui sont très regardés.

Le roman raconte le combat que se livre un couple où l'homme préfère le sucré et la femme l'acide. Et les conséquences sur les enfants. Vous prendrez probablement parti pour ou contre Sadie qui est un personnage très tranché. Mais n'oubliez jamais la dureté du mode de vie de l'époque. James n'est pas non plus exempt de reproche. Il la gifle (p.20) quand elle s'oppose à lui.
Les arbres voyagent comme les hommes
Si le pommier est autochtone en France depuis la Haute Antiquité, on sait depuis quelques années que son ancêtre principal est une espèce asiatique, endémique de la zone allant des Balkans au nord des montagnes de l'Altaï.

Des immigrants anglais ont prélevé des rameaux de leurs pommiers préférés (venus du Kazakhstan) afin de les greffer là où ils se sont établis. Au XIXe siècle l'Angleterre s'est prise de folie pour des arbres californiens, notamment des redwoods et des séquoias géants.

Tracy Chevalier a voulu pointer que les arbres étaient une sorte de miroir aux migrations humaines avec ce mouvement inverse de l'Amérique vers l'Angleterre.

J'ai bien entendu pensé à Chateaubriand qui a tant oeuvré dans le domaine botanique en ramenant des arbres du monde entier pour les planter dans le parc de la Vallée-aux-Loups, aujourd'hui propriété du département des Hauts-de-Seine (en accès libre en gratuit). Je vous recommande sa visite, à plusieurs saisons. Surtout pour y découvrir le premier cèdre bleu pleureur, de quelque 600 mètres carrés d'envergure.
Inspirée par de grands auteurs
Tracy Chevalier a découvert William Faulkner à 19 ans avec The Sound and the Fury (1929), publié en français sous le titre Le Bruit et la Fureur, qui l'a beaucoup impressionnée. Son écriture pourrait aussi faire penser à Tandis que j'agonise (1930) et elle reconnait avoir subi l'influence des premiers romans de Toni Morrison.

Il est possible aussi que Charlotte Brontë ait pu l'influencer. Elles ont toutes deux écrit des nouvelles. Et la jeune fille à la perle ne parle guère plus que Jane Eyre.

Bien que bilingue, elle ne parcourt les traductions de ses romans qu'en diagonale, et est toujours surprise par l'usage du passé simple. Elle ne se relit pas davantage dans sa langue maternelle : j'écris pour vous, pas pour moi.

L'adaptation cinématographique appartient à un autre monde
Interrogée sur des projets cinématographiques Tracy Chevalier souligne qu'un roman se déroule de manière radicalement différente. Elle tient à écrire pour un lecteur et non pour une personne qui regardera.

Elle confie néanmoins un projet autour de Prodigieuses Créatures, Paris, Quai Voltaire, 2010, dont un producteur australien a acheté les droits il y a 5 ans, mais qui n'a pas abouti.

Un nouveau roman ...
Une maison d'édition anglaise lui a demandé ainsi qu'à d'autres auteurs, d'écrire à propos de Shakespeare en s'inspirant d'une pièce du grand dramaturge. Elle a choisi Othello parce qu'elle s'intéresse depuis toujours à l'altérité. L'action commencera aux Etats-Unis en 1974, dix ans après l'adoption du Civil Rights Act interdisant toute forme de ségrégation dans les lieux publics. Tous les personnages ont 11 ans. Un jeune garçon noir arrive dans une école parmi des blancs.
Parallèlement à la lecture de ce roman j'espère réconcilier ceux qui préféreraient les pommiers à pommes avec leurs ennemis qui voudraient planter des pommiers à cidre. Les deux sont nécessaires et je vous invite à réaliser une recette que j'ai expérimentée il y a quelques jours. Elle emploie la pomme normande et se déguste avec un bon cidre AOP Pays d'Auge.
A l'orée du verger, de Tracy Chevalier, Traduit par Anouk Neuhoff, en librairie depuis le 11 mai 2016
Merci à Anaïs Hervé pour la photo qui n'est pas logotypée A bride abattue.

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