Je voulais retracer assez vite la cérémonie des Molières à laquelle j'ai assisté depuis les coulisses de la salle de presse. Il y a beaucoup à dire ... alors en attendant il me semble que ces Confessions d'un acteur déchu arrivent à point nommé.
On sait que la gloire est éphémère. Des personnalités de talent ont terminé leur vie dans l'abandon et la misère.
On pense à l'émotion d'Annie Girardot confessant, précisément aux Molières, que si elle n'était pas certaine qu'elle avait manqué au théâtre, le théâtre lui avait manqué. Mais aussi à Denise Glaser abandonnée de tous alors qu'elle avait fait découvrir tant de personnes. Régulièrement la télévision s'empare du sujet avec un "Que sont-ils devenus" larmoyant.
Osman nous dit que le cinéma, c’est comme une drogue. Quand on tourne, ça fait du bien, ça met plein de couleurs dans la vie. Mais après, quand ça s’arrête, il y a la descente. Et ça peut faire très mal, surtout quand on a quinze ans et plus de parents.
A sa place, je n'aurais pas employé le terme de "confessions" car même si l'auteur reconnait quelques délits (dont il ne nie pas l'importance) il n'est pas le plus coupable dans l'affaire. Et il a la grande honnêteté de dire qu'il le co-signe avec son ami Raymond Dikoume.
Ce que le livre d'Osman Elkharraz a de particulier c'est qu'il met aussi en lumière le dysfonctionnement des services sociaux et de l'aide à l'enfance.
Le jeune homme surfe avec la tragédie en permanence. Le drame n'est pas tant qu'il n'ait pas pu continuer comme acteur. C'est qu'il ait eu tant de mal à continuer tout court. Un gamin de 13 ans, orphelin, ça devrait pas devoir se débrouiller tout seul, film ou pas film. Certes Abdellatif Kechiche, réalisateur du film L'Esquive, a une (énorme) part de responsabilité, mais il n'est pas le seul. Jamel Debbouze en prend lui aussi pour son grade avec ses promesses en l'air. Mais surtout, que faisaient l'école, les services sociaux, tous ceux qu'on appelle "partenaires" de l'enfance ?
Son livre n'est pas que personnel. Il pointe le devoir de mémoire, les promesses non tenues, l'ingratitude. Et c'est loin d'être une histoire extra-ordinaire.
Les daronnes (les mères) elles lisent et écrivent à peine le français mais elles vont te remplir des documents super-techniques genre le Pôle Emploi, La CAF, sans faire de chichis, alors que toi t'aurais lâché l'affaire depuis longtemps. Elles maitrisent que quelques mots et avec ça elle font tout. (p. 23).
Il évoque sa grand-mère avec tendresse, la Kabylie, les moments de prière. Et puis les scènes de tournage, éprouvante. Tous les réalisateurs ne sont pas des bourreaux mais le gamin n'était pas préparé et personne n'a pris soin de lui. L'écriture est haletante, fougueuse. Les mots ne sont pas emballés dans du papier de soie. Une fois ouvert on ne lâche pas ce bouquin.
Ça avait commencé pourtant comme un conte de fées : Moi, je devais jouer Krimo, un petit rebeu qui vit dans une cité avec sa mère. C’était le rôle principal. Ça donnait grave envie. Ça allait durer de juillet à août, du coup on pourrait pas partir en vacances. Et comme j’avais nulle part où aller, ça tombait bien.
Nous sommes en 2004. C'est le deuxième long métrage d'Abdellatif Kechiche. L'Esquive sera primé quatre fois aux César. Il aura aussi les honneurs de festival de Cannes. Sara Forestier et Sabrina Ouazani, qui faisaient elles aussi leurs débuts au cinéma, poursuivront leur carrière, surtout Sara. Osman retournera dans l'ombre, sans eau, électricité ni chauffage, c'est-à-dire en fait dans la rue. Et quand il aura son premier bulletin de salaire il découvrira les retenues programmées par le Trésor Public (qui n'oublie aucune des bêtises qu'il a faites ado).
Il avait perdu sa mère d'un cancer foudroyant trois ans plus tôt. A tout juste 10 ans. Son père a été incarcéré au Maroc pour trafic et est décédé quelques années plus tard à la suite d'un empoisonnement. Toute l'équipe du film le savait. On aurait dû le protéger de la notoriété et surtout de la misère.
On ne pourra plus dire après l'avoir lu qu'on ne sait pas comment vivent certains mômes dans les cités. Le présent semble moins violent aujourd'hui. L'écriture a sans doute un effet thérapeutique sur le jeune homme qui a tenté des pistes pour continuer sur la voie du cinéma, comme les castings, (mais il faut savoir se vendre... et surtout être disponible au pied levé au risque de perdre un CDD durement obtenu) ou le cours Florent. le théâtre l'a aidé à mieux parler français (p. 94) mais ce qui le motivait davantage c'était le cinéma.
Il démontre les paradoxes. On le croit acteur quand il cherche un travail "alimentaire" et sa candidature est souvent écarté par crainte qu'il ne lâche le job pour se rendre sur un tournage. Une phrase résume bien le point de non retour où il est vite acculé : le cinéma et moi on était plus dans la même réalité, et dans la mienne, on faisait pas semblant (p. 111).
Osman Elkharraz espère que son récit permettra de faire toute la lumière sur les rouages d'un métier féroce. Son livre est aussi sa thérapie. Mais cela ne suffit pas. Il termine par une prière et par des remerciements qui résonnent comme un slam. Impossible de penser qu'il ne sera pas entendu !
Confessions d'un acteur déchu, De l'Esquive à la rue de Osman Elkharraz, avec Raymond Dikoume, Stock, en librairie le 11 mai 2016
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