Je croyais ne rien devoir apprendre de Madame Bovary. Je n'avais pas été attirée par la pièce dont tout le monde disant pourtant énormément de bien. On ne peut pas aller partout.
Il m'a fallu un sursaut de conscience (je tenais à voir le maximum des pièces nominées aux Molières) pour que je me décide. Et voilà que je ressors du Poche Montparnasse totalement sous le charme de cette mise en scène inventive, et pourtant sobre.
Une toile peinte en guise de décor suggère quelque part dans la campagne normande. Quatre chaises et une table de bistrot. Quelques coupes qui sont prêtes à une célébration. Les cris de Vive la mariée résonnent en fanfare. Les comédiens sont aussi musiciens et ça change tout.
Ils sont tour à tour personnages ou narrateurs, ce qui donne à la pièce un caractère d'épopée qui convient parfaitement à l'oeuvre.
Emma est sincèrement heureuse d'épouser Charles, persuadée d'atteindre avec lui la passion, la félicité et l'ivresse. Il l'aime d'un amour inaltérable mais ils ne sont pas au diapason. La suite, tragique est connue. Emma crie son appétit de vivre. Elle ignore qu'elle court à sa perte. Il ne lui en tiendra pas rigueur, imputant la faute à la fatalité.
L'un comme l'autre sont extrêmement touchants, chacun à leur manière et on comprend la nomination Molière en tant que Révélation féminine pour Sandrine Molaro qu'elle mérite amplement de remporter (même si son expérience théâtrale et cinématographique est solide).
Gustave Flaubert définissait lui-même le bovarysme (en 1858) comme la capacité de l’homme à se concevoir autre qu’il n’est. Le seul moyen de supporter l’existence, c’est de s’étourdir dans la littérature comme dans une orgie perpétuelle.
Paul Emond a respecté dans son adaptation la dimension romantique du roman. Ce qui est nouveau peut-être dans ce qui nous est proposé c'est d'avoir trouvé une écriture permettant à tous les personnages de défiler dans le jeu d'un quatuor, en inventant une dynamique théâtrale spécifique. Car ils ne sont jamais que quatre sur scène, mais toujours quatre.
Madame Bovary devient un opéra. On sait que la fin sera tragique mais on suit chaque dialogue, on écoute chaque chanson, comme si on ignorait leur destinée. On se prend au jeu des acteurs. On se dit que peut-être il y aura une autre issue. Le spectateur est embarqué dans la noce, le bal, la fête ... Il vit parmi ces gens. Il est plongé dans un autre siècle, un autre monde ...
La musique et les ambiances sonores y participent, comme le rythme et m'ampleur de la rage de vivre de l'héroïne. On ressort troublé par sa capacité d'audace. Sans lui donner raison on se demande si on a un courage équivalent dans nos vies actuelles ...
Madame Bovary de Gustave FlaubertAdaptation de Paul Emond
Mise en scène de Sandrine Molaro et Gilles-Vincent Kapps
Avec Gilles-Vincent Kapps, Félix Kysyl (ou Paul Granier), Sandrine Molaro et David Talbot
Scénographie, Barbara de Limburg
Musique originale, Gilles-Vincent Kapps
Coproduction Théâtre de Poche-Montparnasse, La Fiancée du Requin et Atelier Théâtre Actuel
Spectacle créé le 12 novembre 2015 au Théâtre de Poche-Montparnasse
Représentations du mardi au samedi à 19h et le dimanche à 17h30
01 45 44 50 21
Plusieurs autres spectacles, tout autant de qualité, sont à l'affiche dans ce théâtre, petit par la taille, grand par les idées. Trois figurent dans le palmarès des nominations pour les Molières. Le pari n'était pas gagné d'avance quand Philipe Tesson s'est porté candidat à la reprise du lieu. Il convient aujourd'hui avec grande modestie : c'est vrai qu'on ne peut pas dire qu'on a raté notre entreprise.
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