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jeudi 10 juillet 2025

Superhôte d'Amélie Cordonnier

J'aime beaucoup l'écriture d'Amélie Cordonnier dont j'ai lu quasiment tous les livres (je m'aperçois que j'ai manqué Pas ce soir mais je m'y plonge demain …). Je l'avais découverte et appréciée dès son premier roman, Trancher et depuis je lui reste fidèle. Jamais elle ne m'a déçue et Superhôte est encore un coup de coeur.

C'est le roman idéal à lire en période estivale puisqu'il  traite d'un sujet de société et de circonstances, la location via une plateforme de type Airbnb par exemple dont le PDG a déclaré que la France est le deuxième marché au monde juste après les Etats-Unis (p. 107). C'est dire combien nous sommes concernés.
Anaïs emploie Sylvie comme femme de ménage depuis quinze ans dans sa maison du Touquet. Maintenant qu’elle la loue sur Airbnb, Sylvie s’épuise à tout nettoyer de fond en comble avant l’arrivée de chaque nouvel occupant. La petite entreprise fonctionne néanmoins correctement jusqu’à ce jour qui fait basculer leur vie et les sépare à jamais. Dévastée, Anaïs démonte un à un les mécanismes qui ont irrémédiablement conduit au drame dont elle tient Sylvie pour responsable. L'auteure alterne son point de vue avec celui de Camille, la femme de la femme de ménage qui, révoltée, Camille estime sa mère injustement accusée.
Amélie Cordonnier a l'habitude de s'atteler à des faits de société et réussit là encore à appuyer là où ça fait mal. On prend conscience en la lisant de la colère des municipalités estimant que ce mode de location génère une crise du logement en ruinant les espoirs de la population locale dans les zones touristiques (p. 108). Je le constate régulièrement à Oléron. Pourtant les propriétaires n'ont pas conscience de mal agir car cette "solution" leur permet aussi de profiter de leur bien à condition de s'y rendre hors saison.

Ce que j'ai le plus apprécié ce sont les réflexions de l'auteure à propos de la condition de "femme de ménage" (qui est rarement un homme on le notera) que l'on "prend" (p. 163), et qui parfois est "jetée". Elle n'est pas la première à avoir décortiqué l'enchainement des tâches. Florence Aubenas l'avait admirablement fait dans Le quai de Ouistreham il y a déjà 14 ans. Elle est d'ailleurs citée dans le roman (p. 38) de même que le très émouvant film d'Eric Gravel, A plein temps où l'on suit Laure Calamy s'épuiser en tant que femme de chambre dans un palace. Sans oublier L'assommoir d' Emile Zola.

Le roman est extrêmement documenté. On y apprend que 570 000 personnes travaillent dans les 15 000 entreprises de propreté que compte la France et qui réalisent à elles toutes 17 milliards d'euros de chiffre d'affaire (p. 28).

Elle a raison de souligner que faire le ménage avant ou après une location n'a absolument rien à voir avec son entretien hebdomadaire (p. 105). Le hasard m'a fait assister à l'intervention d'une entreprise dans la propriété louée par des amis pendant leur séjour et j'ai été saisie par l'énergie qui était développée et par la somme de travail des trois personnes qui ont passé en revue le moindre recoin. Même quand je suis pleine de bonnes intentions je ne fais pas la moitié du quart. Et je m'imagine soigneuse …

Je n'ai pas employé longtemps une femme de ménage. C'était assez épuisant pour moi car je ne voulais pas qu'elle découvre une maison en désordre. Du coup je me levais plus tôt pour ranger au maximum. J'ai finalement préféré arrêter et faire les choses à mon rythme. Et puis, mais c'est très personnel, faire le ménage me détend, quand cela ne tourne pas à la maniaquerie bien sûr.

Les descriptions de l'installation du fameux boitier à clés (que l'on voit de plus en plus au-dessus des boites aux lettres) et du "protocole" recensant toutes les instructions destinées aux locataires sont autant hilarants que déprimants tant ils sonnent vrai. Le retour d'expérience de Camille remplaçant une journée sa mère (p. 72) est un morceau d'anthologie, au final assez effrayant. Mais moins que le PV de garde à vue reproduit p. 112 et suivantes, dont l'inhumanité est blessante.

Superhôte est une tragédie en cinq actes mais qui nous est racontée très intelligemment sous l'angle de la comédie pour mieux nous amener à réfléchir sur les dérives d'une société où l'argent ne fait décidément pas le bonheur.

Pour lire mes autres critiques de livres de cette auteur suivre le lien.

Superhôte d'Amélie Cordonnier, Flammarion, mars 2025

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