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mercredi 2 juillet 2025

La liste 2 mes envies de Grégoire Delacourt

Je n'avais pas encore lu La liste 2 mes envies quand j'ai rencontré Grégoire Delacourt il y a quelques jours.

Il avait été principalement question au cours de cette soirée animée à la médiathèque d'Antony par Amandine Lochmazeur de son dernier livre, Polaroïds du frère, dont j'ai rendu compte ici.

Depuis, j'ai lu cette Deuxième liste et je suis heureuse de dire que cette lecture est vraiment réjouissante. D'ailleurs je note qu'il emploie deuxième et pas seconde, ce qui pour un puriste de la langue française de son niveau pourrait être signifiant. Cela voudrait-il dire qu’il ne s’interdit pas d’écrire un troisième opus ?

La Liste de mes envies avait connu un succès qu'on peut qualifier de phénoménal avec 1,5 million d'exemplaires vendus pour ce best-seller international traduit en trente-cinq langues, adapté au théâtre, puis au cinéma et qui sera de nouveau sur la scène … cet été en Avignon, à 13 h 30 à l'Ancien Carmel d'Avignon, dans la continuité du Mois Molière versaillais, cette fois dans une interprétation totalement féminine avec Gwénaël Ravaux (relâche les 11 et 18 juillet).

Ce deuxième roman avait véritablement propulsé la carrière de Grégoire Delacourt et il n’était pas question, ni nécessaire, d’écrire une suite. Mais les choses ne s’enclenchent pas forcément dans une logique prévisible … Sont arrivés le Covid et le confinement que l’écrivain estime avoir vécu dans une atmosphère étrange à New-York (où il réside la plupart du temps maintenant). Face à l'ampleur de la pandémie (près de 160 000 cas recensés et plus de 17 000 morts confirmés ou probables), Donald Trump envoya le "USNS" (United States Naval Ship), un navire hôpital de la U.S. Navy de 272 mètres de long pour 70.000 tonnes et d’une capacité de 1000 lits.

A son entrée à Manhattan, le 30 mars 2020, il était survolé par des hélicoptères de chaînes de télé, salué par de grands jets d’eau propulsés depuis les bateaux-pilote de la ville et accueilli dans un silence religieux par le maire de New-York et de nombreux curieux. Grégoire fut lui aussi impressionné par ce colosse marqué d'immenses croix rouges.

Sa mission était d’accueillir les malades non contaminés par le virus mais ayant besoin de soins urgents, donc de soulager les hôpitaux submergés par la crise. Il repartira sans avoir jamais tourné à plein régime et aura traité moins de 200 personnes. Mais on ne le sait pas encore.

L’atmosphère est sinistre. Grégoire avoue avoir besoin (comme beaucoup à l’époque) de légèreté. De plus, il vient d’achever L’enfant réparé et il aimerait préserver sa part joyeuse. Je le comprends pleinement car cet ouvrage m'a bouleversée encore bien davantage que Polaroïds

Il se souvient alors de Jocelyne, la mercière, dont régulièrement les lecteurs lui demandent des nouvelles. Il se dit que ce serait marrant d’aller voir comment elle a évolué. Il décide de repartir mentalement à Arras qui, soit dit en passant est une très jolie ville dont j'adore les grandes places.

Ce fut un exercice difficile de retrouver son phrasé mais palpitant, de nature à provoquer de la joie(car l'aventure est racontée à la première personne mais comme le souligne l’auteur On est qui on veut quand on écrit, donc on peut être une femme)Les phrases en italiques ocre sont celles que que je l’ai entendu dire lors de la rencontre, ou tirées du roman, et dans ce cas le numéro de la page figure entre parenthèses.

Dans La Liste de mes envies, Jocelyne avait gagné dix-huit millions qu'elle refusait d'encaisser. Dans La Liste 2 mes envies, il lui en reste quinze, et un seul désir : les dépenser.

Il est vrai que Grégoire Delacourt réussit, avec cette suite très attendue des lecteurs, son pari des retrouvailles avec cette femme plus surprenante, plus drôle et plus touchante que jamais. De ses années de publicitaire il a conservé l’amour des mots et le formidable talent de les faire surgir inopinément ou de les associer pour créer des métaphores, des oxymores, bref d’enrichir le récit. Pour première preuve le titre du roman qui résonne différemment selon que je l’écris ici ou qu’on le lit sur la couverture. On notera d’ailleurs que le changement d’éditeur (de JC Lattès à Albin Michel) ne se sent pas tant les visuels sont cohérents.

Je me suis dit que Grégoire Delacourt devait se porter mieux, que L’enfant réparé avait été une écriture bénéfique et qu’il pouvait continuer sa route d’écrivain du bon pied.

Les jumelles inventées dans le tome 1 réapparaissent pour faire contrepoint. Elles sont toujours hystériques, désireuses de tout ce qui est superficielLes rebondissements sont spectaculaires et un suspense est habilement entretenu jusqu’au bout. Beaucoup d’humour se diffuse. Je sais que de nombreux lecteurs ne supportent pas d’être interrompus par les notes de bas de page mais j’aime beaucoup ce principe et dans un de mes projets de roman il y en a beaucoup (c’est d’ailleurs pourquoi il est resté à l’état de projet parce qu’on a estimé que ça ne se faisait pas), sans doute autant que dans celui-ci. Le ton est joyeux. Mais le propos est sérieux, toujours. Et quand il a un doute sur notre impression il confirme que c’est bien exact (par exemple pour les missions confiées en conciergerie).

Il désigne la publicité sous le nom de réclame (p. 107 et 234). A propos, le publicitaire qu’il est resté dans l’âme (je ne suis pas ironique, je sais de quoi je parle, ayant travaillé une vingtaine d’années dans le domaine et n’ayant rien oublié des montagnes russes qu’on y traverse) nous glisse quelques références judicieuses mais sait-il que l’excellence de la formule : on a toujours besoin de petits pois chez soi, aurait provoqué l’effet inverse de celui qui était recherché. Les ménagères (car c’était elles à l’époque qui avaient la charge des courses) achetaient une boite, une seule, et la conservaient précieusement dans le placard, ne l’utilisant qu’en dernier recours, pour ne pas risquer de manquer de ces petits pois dont elles pourraient davantage avoir besoin un autre jour ? Si bien que les ventes n’ont pas progressé, au contraire.

Même pour cet opus, écrit lui aussi dans la veine feel-good, l’auteur s’est documenté, collationnant des évènements étonnants (dont il nous garantit précisément l’exactitude en note de bas de page et il fait bien car ce qui est par exemple demandé à un concierge de luxe -p. 108- est ahurissant). Il a l’idée formidable d’imaginer un groupe de GA, autrement dit de Gagnants Anonymes, sur le modèle des AA, Alcooliques Anonymes. Le lecteur est donc invité régulièrement à suivre les échanges des membres, supervisés par un modérateur dont l’empathie s’accompagne de fermeté.

J’ignore si c’est pour consoler les pauvres êtres sans ressources qu’on dit souvent que l’argent ne fait pas le bonheur. En tout cas ce modérateur fait oeuvre de psychologie en démontrant que ce qui réjouit les participants n’a rien à voir avec l’argent (p. 113). Jocelyne finit par comprendre qu’on se trompe en pensant que l’argent est destiné à réaliser des rêves mais il est utile pour réaliser des vies. L’argent doit permettre d’avoir une vie debout (p. 108). Et c’est ce à quoi elle va s’employer.

La convocation avec l’inspecteur des Impôts (qui s’appelle Monnet, nom prédestiné si on l’entend comme un mot anglais) est d’une incroyable drôlerie en même temps qu’une horreur absolue. Il est en effet, pour résumer, aberrant qu’il soit plus "rentable" de dépenser son argent pour soi que de l’offrir à d’autres. Et il me semble que cette tendance est en train de gagner du terrain avec de nouvelles restrictions dont la "pauvre" Jo n’a pas encore idée.

Le rappel à la loi est glaçant (p. 153) : la loi est très claire, on peut donner de l’argent à un proche mais d’un montant raisonnable (et -c’est moi qui l’ajoute- le fisc a pour cela des critères tout à fait subjectifs corrélés à votre propre niveau de revenus et de vie, autrement dit plus vous êtes riches par votre travail plus vous êtes autorisés à donner), et à l’occasion d’un évènement ponctuel tels un mariage, un anniversaire, une naissance, et pourquoi pas une réussite à un examen (exact ! Et -c’est encore moi qui l’ajoute- le fisc le désigne sous la formule de "don d’usage"). Il en ressort que si on donne "trop" l’Etat prélèvera 60%. Point barre.

La générosité est un mot que l’Etat providence a exclu du Code des Impôts et que l’administration dispose de 15 ans (pas 3 comme pour l’impôt sur le revenu) pour vérifier tous les mouvements bancaires et infliger le cas échéant une pénalité de 80% (p. 155), ce qui amène Jocelyne (mais c’est Delacourt qui s’exprime parce que je l’ai déjà lu dans un autre de ses romans) : le mot générosité a du souci à se faire (p. 160). Il confirmera ses craintes plus loin : Si on n’emploie plus ce mot de gentillesse, cette qualité va disparaître.

Grégoire Delacourt a beaucoup insisté sur l’aspect fiscal. Il existe une différence significative entre les USA et la France. Là-bas on a le droit de donner ce qu’on a gagné, ici on est taxé par l’Etat (donc on est deux fois imposé puisque le fruit des revenus est soumis une première fois à imposition). Si "la vie ça se donne, ce que savent pertinemment les femmes" (p. 131) les millions … non.

Il convient tout de même de mettre un bémol : En règle générale, les gains issus des jeux de hasard ne sont pas soumis à l'impôts sur le revenu car les gains reçus sont exceptionnels. Est-ce que ça compense ? Je ne sais pas. Et de toute façon cependant, le gagnant sera imposé l'année d'après sur son nouveau patrimoine en fonction des investissements et placements réalisés.

On n’a plus le droit de se plaindre quand on est très riche si on part du principe que l’argent résoudra tous les problèmes. On est suspect quand on gagne au loto en vertu du principe que l’argent ne tombe pas du ciel et qu’il faut le gagner par son travail (dont je rappelle la signification du mot : douleur, puisqu’historiquement il désigne la souffrance d’une femme pendant l’accouchement).

En fait bien plus qu’un second épisode : c’est une vraie suite. Je me répète mais j’ai adoré ces notes de bas de page qui, le plus souvent, nous invitent dans le cerveau de Jocelyne et qui s’égrènent jusqu’au bout du roman, se prolongeant en épilogue, citations et autres bonus. On a le sentiment qu’il est douloureux d’écrire le mot FIN et cela nous convient car il nous est tout autant difficile de refermer le livre.

J’ai appris plein de choses. Moi qui adore les expressions j’ai découvert un nouveau mot, et tant pis pour le néologisme : Avoir de l’argent, c’est une sorte de pestification (p. 76). Et je sais désormais pourquoi on parle d’un jour sans (p. 223). Et puis j’adore la philosophie de la mère de Jo, que je vais reprendre à mon compte : c’est possible, ça peut ne pas être facile, mais c’est possible (p.136).

Qui dit "vie" dit "bonne chair" et le livre ne manque pas de conseils gourmands. Je suis très tentée de faire l’expérience du vin toscan Serpaiolo dont Grégoire Delacourt vante les arômes de mûre, cassis, chêne, tabac et vanille (p.137) ... Quand je pense que l’Italie était l’invité d’honneur du dernier Wine Paris et que je ne le connais pas ! Qu’à cela ne tienne je m’organiserai pour en débusquer une bouteille l’an prochain … et vérifier si son prix est aussi astronomique que le laisse supposer la note de bas de page.

Vous aurez compris que j’ai beaucoup apprécié cette lecture. Certains personnages sont parfois incroyables mais si attachants, et d’une telle variété qu’on se reconnaît forcément dans l’un d’entre eux. On rencontre jusqu’au bout des rebondissements spectaculaires et le suspense ne tarit pas. L’annonce du film (p. 218) m’a cueillie. Je ne m’y attendais pas … alors que je sais pertinent qu’un long métrage a été tiré de l’histoire. Il y a même un soupçon de polar. Tous les ingrédients du bon roman y sont, et le considérer simplement comme un feel-good serait réducteur.

La Liste 2 mes envies de Grégoire Delacourt, Albin Michel, en librairie depuis le 17 avril 2024

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