En empruntant l’expression chez La Fontaine, Kinga Wyrzykowska a choisi de nous raconter avec Patte blanche une histoire sous forme de fable. On s’attend donc à trouver une morale à la fin du roman.
Mais d’abord, elle campe les personnages d'une famille qui connait grandeur et décadence, et dont chacun a un travers à cacher.
Les Simart-Duteil ont marqué l'actualité comme étant une famille parfaite. Paul, Clothilde, Samuel ont été des enfants rois. Leur père, magnat des autoroutes au Moyen-Orient, leur mère, Italienne flamboyante, leur ont tout donné. Leur nom si français, leur maison flanquée d’une tourelle – comme dans les contes –, leur allure bon chic bon genre ont imprimé sur le papier glacé de la mémoire collective.Jusqu'à ce qu'un jour, un frère caché écrive de Syrie pour réclamer sa part de l’héritage. Si "l’étranger" montre patte blanche… il n’est pas pour autant le bienvenu. Paul, dont la notoriété d’influenceur politique commence à exploser, décide de prendre en main le salut de son clan. Une lutte pour la survie de la cellule familiale se met en branle.La famille s'affichera alors à la page des faits divers, les signalant reclus dans leur manoir normand aux volets fermés. La façade se lézarde. Les failles intimes se réveillent. Les souvenirs remontent et, par écran interposé, le lecteur plonge dans la généalogie d’un huis clos.
L'écriture de l'auteure, dont c'est le premier roman, est autant nerveuse qu'intelligente. On retrouve dans ce livre nombre de sujets qui ont fait, et qui pour certains continuent, les choux gras des médias sociaux.
Il est question de followers à qui Clothilde, la fille, 1036 amis sur Facebook, raconte le moindre épisode de son quotidien sa vie plutôt que de les savourer avec ses enfants. Elle comptabilise les likes attribués à des photos prises dans des poses ridicules, mais tant pis, il faut de l’effet. Paul, le fils ainé, a fait son coming-out. Claude, le père, mène une double vie. Isabella, la mère est adepte de la chirurgie esthétique.
La vie pas très nette de la famille s'étale sur le Net. L'analyse de la futilité est judicieuse (p. 155). Les répliques sont truffées d'expressions anglaises. Très vite, le lecteur s'interroge sur la vérité des sentiments. Tout semble artificiel, même les suppliques polies mais intéressées du rejeton syrien.
L'histoire se passe en Normandie, à Yvetot, et on pense à Guy de Maupassant qui, lui aussi dressait de noirs portraits de la bourgeoisie. On a aussi en tête des images de Festen, ce film danois co-écrit et réalisé par Thomas Vinterberg, Prix du jury à Cannes en 1998, qui a pour sujet la révélation de vérités difficiles à entendre …
Pierre Desproges aurait pu en être l'inspirateur. C'est caustique et caricatural mais comme aucun personnage n’attire la sympathie on ne va pas bouder notre plaisir. La crise révèle la nature profonde des gens (p. 243) et bientôt c'est un vrai jeu de massacre.
Éric Zeimour apparait fugacement, dans un train, contre la poitrine duquel Clothilde s’écroule. Le lecteur tremble un peu parce que les références aux attentats de Charlie et du Bataclan se profile en toile de fond, décrivant un climat social que nous avons connu et d'où émerge la peur de l'autre, sans que l'on ait la capacité à déterminer avec justesse de quel "autre" il y a le plus à craindre, surtout dans une communauté où personne ne veut rien perdre ni même partager.
Ce qui est également très réussi c'est la porosité entre les bons et les méchants. Ainsi Clotilde, qui cherche à bien faire améliore chaque recette avec des épices (pour y mettre sa patte écrit l’auteure). Mais lorsqu'elle le fait pour des sandwichs qu’elle distribue porte de La Chapelle à des migrants on le lui reprochera au motif que "la fantaisie peut créer du conflit et de l’incompréhension. Et puis pas trop de familiarité (lui conseille-t-on). Les gens ne sont pas des anges, vous savez, ni ici ni ailleurs. Ni eux ni vous" (p. 190).
Sans devenir paranoïaque comme les membres de cette famille, retenez l'astuce du paquet de chips -vide et propre- pour brouiller les ondes et protéger ses données (p. 240). Je conserve mon passeport dans un sachet métallisé depuis des années.
Je n'ai qu'un (petit) reproche à faire à Kinga Wyrzykowska, c'est l'emploi erroné de l'expression mariage pluvieux comme signe de bonheur (p. 192). Même des auteurs français, qui n'ont pas comme elle l'excuse d'être né en Pologne (en 1977) le font. Il ne s'agit pas de météo mais d'âge. Lorsqu'on se marie plus vieux on est censé avoir eu le temps de mieux choisir et par conséquence d'être davantage heureux.
Patte blanche de Kinga Wyrzykowska, éditions du Seuil, en librairie depuis le 18 aout 2022
Prix Françoise Sagan 2023
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