J'ai lu ça et là des observations du style : Grégoire n'est pas un pervers narcissique. Un PN ne se comporte pas ainsi, etc … La question n'est pas là puisque L'amour, les forêts n'est pas un documentaire de santé mentale.
Quand Blanche croise le chemin de Grégoire, elle pense rencontrer celui qu’elle cherche. Les liens qui les unissent se tissent rapidement et leur histoire se construit dans l’emportement. Le couple déménage, Blanche s’éloigne de sa famille, de sa sœur jumelle, s’ouvre à une nouvelle vie. Mais fil après fil, elle se retrouve sous l’emprise d’un homme possessif et dangereux.
C'est bien de cela qu'il s'agit, de la difficulté à se soustraire à une emprise lorsque celle-ci s'est installée. Peu importe qu'elle soit une variante de la jalousie ou d'une forme de perversion. Peu importe également que cet homme ait ou non des circonstances atténuantes (ce dont le film ne parle d’ailleurs pas).
La question est de savoir comment se soustraire à cette relation. Comme en prévient l'avocate (Dominique Reymond), c'est une guerre. Et Blanche (le prénom est bien choisi) empruntera un chemin peu courant pour commencer à se libérer de Lamoureux (quelle riche idée de lui avoir donné ce nom).
Dès les premières images, alors que l’on entend le langoureux Hold me tight de Johnny Cash, on devine que la promesse que « tout ira bien » n’est qu’une façade. Elle, naïve, le croit buveur d’eau. C’est de la vodka qu’il avale. Plus tard ils vont échanger des vers de Racine (Britannicus Acte II, scène 2) :
J'aimais jusqu'à ses pleurs que je faisais couler.
Quelquefois, mais trop tard, je lui demandais grâce.
Le spectateur assistera à la montée en puissance de l’amour et lorsqu’elle prononcera la formule magique « j’échange la mer contre les forêts » nous savons que la descente aux enfers est pour bientôt.
Blanche (Virginie Efira) a des appréhensions mais elle les fait taire. Le couple continuera à partager les références aux grandes oeuvres du patrimoine, accordant un sursis à une issue qui ne pourra qu’être fatale. Le mari (Melvil Poupaud) est très fort, renversant systématiquement la situation à son avantage.
Valérie Donzelli les films avec délicatesse. La caméra fait le point tantôt sur l’un, tantôt sur l’autre. Blanche apparaît souvent floue et l’angoisse grandit tandis que les parallèles littéraires deviennent de plus en plus éloquents. Il y a en outre un bel hommage à Jacques Demy (les sœurs jumelles, les chansons) qui apporte un peu de légèreté dans la tragédie qui se prépare. C’est très astucieux, tout comme d’avoir fait jouer les deux sœurs à la même actrice (et j’ai mis un certain temps à le comprendre). Ce procédé suggère en effet que Blanche a de la ressource.
Pourtant la dénonciation des violences n’est pas facile. Ses collègues (Romane Borhinger, Virginie Ledoyen) envient son empressement et elle n’osera pas parler par honte et par peur. Elle choisit de se réparer dans le secret, en décidant de se lancer dans une aventure avec un amant de passage (formidablement interprété tout en douceur par le chanteur Bertrand Belin) et le chemin qu’elle emprunte n’est pas classique.
Trouvera-t-elle la force d’aller jusqu’au bout de la démarche ? Le montage nous le laisse supposer puisque le film commence avec sa « confession » … mais en laissant planer le doute sur l’issue, ce qui donne toute sa force au scénario.
Le casting est d’une précision remarquable. Outre les comédiens cités plus haut, on prend plaisir à retrouver Marie Rivère (la maman) et Nathalie Richard (la gynécologue). On comparera à Mon roi d’Emmanuelle Bercot ou à d’autres films traitant de ce sujet. On aura tort. Chacun sa musique et tous ensemble participent à la prise de conscience de ce phénomène contre lequel il faut lutter.
On rit. On tremble. On pleure aussi. C’est une réussite.
L’amour les forêts de Valérie Donzel
Co-écrit par Valérie Donzelli et Audrey Diwan
Co-écrit par Valérie Donzelli et Audrey Diwan
D’après le roman d’Éric Reinhardt, « L’amour et les forêts » publié aux Editions Gallimard
Avec Virginie Efira, Melvil Poupaud, Dominique Reymond, Romane Borhinger, Virginie Ledoyen, Marie Rivière, Bertrand Belin, Nathalie Richard
sortie 23 mai 2023
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