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samedi 15 janvier 2011

Poupoupidou de Gérald Hustache-Mathieu , un amour de comédie policière

J’ai eu la chance de pouvoir assister en avant-première à la projection de Poupoupidou, avant que les médias n’en parlent. C’était le lundi 10 janvier, dans le très beau Club de l’Etoile où le réalisateur, Gérald Hustache-Mathieu, deux interprètes, Sophie Quinton et Guillaume Douix, et les musiciens du film sont ensuite venus pour une discussion informelle. Même si ce film s’apprécie facilement il y a tout de même un certain nombre d’indices à débusquer pour le savourer davantage.

Le grand public aimera cette comédie policière bien française qui se hisse au niveau des bons films américains. les cinéphiles se délecteront des références et des clins d'œil aux grands réalisateurs.

On n’est pas en Amérique
C’est l'affirmation ironique du gendarme alors que tout suggère les USA depuis le très beau générique annonçant la distribution dans des cartouches lumineux comme des enseignes, où les noms sont composés avec des petites étoiles. La référence à Times Square est évidente. Jean-Paul Rouve conduit une Peugeot 504 décapotable des années 70-80 qui n’est pas sans rappeler certaines « américaines ». Les paysages évoquent les grands espaces. Une station service (désaffectée aujourd’hui) ressemble à celles qui émaillaient la Mother Road 66, reliant Chicago à Santa Monica. Le décorateur a même réussi à trouver un bâtiment au toit plat ayant des allures de motel. Plus tard on verra un poster de gratte-ciels.

Gérald Hustache-Mathieu a voulu situer l’action dans un paysage qui aurait pu être américain et il n’a pas cherché très longtemps un endroit où il pourrait faire de larges plans sans devoir effacer les fils électriques. Il est revenu à Mouthe où il avait tourné des scènes de son précédent film (Avril, en 2006). Cette petite ville n’est pas seulement la ville la plus froide de France mais aussi la limite au-delà de laquelle où on ne capte pas bien la radio. En faisant reculer la voiture de son héro pour lui permettre de terminer l’écoute de son morceau favori on insiste du même coup sur la localisation avec un gros plan sur le panneau « Bienvenue à Mouthe ».

Dans un Montana jurassique
Les décors naturels sont situés en bordure de la frontière suisse, dans cette partie du Haut Jura qu’on appelle la petite Sibérie tant les températures hivernales y sont basses. Elles sont descendues à moins 41° en 1985, record non homologué car les thermomètres avaient éclaté (le mercure gèle à moins 39). On plaisante qu’il n’y a que deux saisons à Mouthe, l’hiver et l’hiver prochain.

On ressent le froid avec la masse de la neige qui sature l’écran. Le paysage semble à l’extrême avoir été filmé en noir et blanc alors qu'on entend le premier couplet de California dreaming … and the sky is grey …

La température a effectivement provoqué des difficultés de tournage. Il faut des graisses spéciales pour préserver le matériel quand on filme par moins 10 moins 15, voire moins 24. Avec aussi de longues heures de préparation matin et soir. Le problème le plus crucial était la buée sur les focales. Il fallait donc que le plan de travail tienne compte des variations de température au cours de la journée. Parfois il fallait mettre les optiques au chaud et attendre une heure pour éviter d’avoir une image floue. Au moins les comédiens n’ont pas eu recours à des artifices pour que la buée s’échappe de leurs lèvres …

Des références aux contes
Jean-Paul Rouve, alias David Rousseau, nom « commun », arrive à Mouthe pour toucher le pactole d’un héritage qui se restreint à Tobby, un Terre-Neuve empaillé, conservé intact avec son baril. Il y aurait bien quelqu’un à aller chercher dans la neige … Candice Lecoeur, alias Sophie Quinton, une jeune femme dont le visage apparaît à la surface du manteau neigeux la faisant ressembler à la mariée de Yves Saint Laurent. On peut aussi songer à Blanche-Neige, à ceci près qu’elle est vraiment morte et qu’aucun baiser ne pourra la réanimer. Le prince (charmant) arrive trop tard dans sa blanche décapotable. A défaut de la sauver il réussira libèrera un lapin blanc pris au collet d’un braconnier.

Jean-Paul Rouve, engoncé dans son anorak corail, s’enfonce dans la neige comme un chaperon rouge au bord du bois, prêt à se faire croquer par un gendarme qui s’appelle Bruno Leloup. Il a un don exceptionnel, lui permettant d’entendre chaque détail comme la respiration haletante d’un petit animal. Se comparant à l’œnologue qui a du nez il a, lui, de l’oreille.

Rien d’étonnant alors à ce qu’il entende jusqu’à la voix de Candice l’interpeler depuis l’au-delà. Pressentant sans doute un destin tragique elle a, depuis l'âge de treize ans, rempli 24 carnets intimes.

Un formidable sujet de roman
Ces carnets vont donner à David rousseau les ingrédients pour écrire un nouveau livre. A son arrivée on le voit aux prises avec son éditrice. Il n’arrive pas à faire décoller le polar pour lequel il avait déjà engrangé une conséquente avance sur recettes. Il va trouver à Mouthe matière à écrire un best-seller qui rejoindra ceux qui l’ont rendu célèbre.

Des personnages secondaires à forte personnalité
Il fallait de forts caractères pour contrebalancer cette intrigue construite entre deux personnages qui jamais ne se rencontreront. Les personnages secondaires sont donc très marqués. Comme cette réceptionniste plutôt gothique. Et surtout ce brigadier Bruno Leloup (Guillaume Gouix), dont la sexualité a une part de mystère. Sa sensibilité montre que dans un endroit aussi éloigné ce n’est sans doute pas facile de vivre ses préférences. Le comédien plaisante, supposant qu’il rêve sa sexualité plutôt qu’il ne la vit. Le réalisateur conseille de suivre attentivement le dernier plan quand Guillaume sur ses béquilles s’appuie sur Jean-Paul et que leurs dos s’éloignent en cahotant un peu comme dans un film de Chaplin.

Martine, Candice ou Marylin ?
Avant de se faire appeler Candice la jeune héroïne répondait au nom de Martine. Le prénom a été très attribué en France dans les années 50-55, à cause de la popularité de la star de cinéma Martine Carol. Sans compter la série des Martine publiée chez Casterman depuis 1954 et qui a fait rêver des millions de petites filles. Bien entendu le scénariste la fait naitre un premier juin, comme Marilyn.
S’inspirer de Marilyn Monroe n’était pas l’idée de départ, qui était de faire un polar à Mouthe, en racontant une rencontre improbable : celle d’un enquêteur et d’une victime, déjà morte. C’est en apprenant que la chanteuse du groupe rock Pandomania a affirmé être la réincarnation de la star que Gérald Hustache-Mathieu a construit sa trame. Son psychiatre affirmait l’avoir soumise à des séances de régression sous hypnose, pour revivre des séquences d’une vie antérieure, sans équivoque liée à la vie de Marilyn. On trouve sur You tube les pseudos documentaires de cette affaire.

Chambre 5, casier 5 (aussi), un 5 sur le poster. Le chiffre 5 émaille le film comme autant de petits cailloux blancs sur le chemin de l’évocation de Marylin. A un journaliste l’interrogeant sur sa tenue de nuit elle avait répondu qu’elle dormait avec seulement quelques gouttes du précieux N° 5 de Chanel. On voit en gros plan des comprimés bleu de Stylnax, nom inventé pour la cause, parce qu’on n’a pas le droit de filmer des médicaments réels.

Belle évocation de Marilyn
Imiter Marilyn n’était pas le propos du film. Le personnage demeure Candice (j’entends candeur). On entendra juste des petits bouts de sa voix et de son rire, pour semer le trouble. Sophie Quinton n’a pas été choisie pour sa ressemblance avec l’actrice défunte.
Sophie est la seule capable de passer de la femme naïve à la femme fatale, puis encore à la femme perdue. Je n’aurais de toute façon pas voulu d’autre comédienne. C’était la seule possible. Si elle lui ressemble j’aime à croire que c’est un hasard. Et le hasard à ce niveau là c’est un don. J’espère pouvoir ne jamais me passer de Sophie.
Sophie, dont c’est le 4ème film avec Gérald, insiste sur l’ambiance qu’il fait régner sur le plateau. Il est très pointilleux, sur tout, le moindre tissu, et c’est très agréable parce qu’on sait où on va. Je n’ai pas cherché à interpréter, réactualiser une Monroe des années 2000. Je ne me suis pas glissée dans sa peau. J’ai juste essayé de l’évoquer avec délicatesse par la tenue et le jeu du travail charnel et sensuel.Le rôle de la musique
Jérémy a travaillé sur une quinzaine de versions du fameux morceau qui se termine par Poupoupidou, remixées ou non, pour finalement prendre la plus simple, celle dont le potentiel émotif sera le plus puissant.
Stéphane a rejoint l’équipe quand le film était déjà monté, sur d’autres musiques. C’est la reprise de I put a spell on you (formidable par Joe Cocker) qui l’a inspiré pour ses improvisations, qu’il enchainait sans songer même à les enregistrer, au grand dam du réalisateur. Il a ensuite repris, avec une touche très personnelle California dreaming, le grand tube des Mamas and the Papas.

Des références multiples
Reconnaitre les références du réalisateur ajoute un plaisir supplémentaire mais les ignorer ne gêne en rien la compréhension du film. Il estime que les références dopent le cinéma comme le sampling a renouvelé la musique, ce que le hip-hop a très bien intégré.

On pense vite à Fargo (6ème film des frères Coen, sorti en 1996), où une femme flic découvre un cadavre dans la neige, et mène l'enquête jusqu’au bout ... malgré une grossesse proche du terme.
La référence est assumée mais le réalisateur s’affirme étonné de sa proximité avec un cinéma qui n’est pas apparemment si facile d’accès.

La chambre de Jean-Paul Rouve ressemble beaucoup à celle d’un hôtel de Malbuisson qui n’a pas eu à subir beaucoup de transformations. La réplique çà sentait encore la colle n’a pas été inventée. Le papier peint évoque un décor de Barton Fink, encore un film des frères Coen, (1991), l’histoire d’un jeune dramaturge, qui connait l'angoisse de la page blanche et à qui un étrange voisin révèle quelques secrets sur l'art de l'existence. Un roman populaire le mène à Hollywood et au succès. Et quand la caméra passe par la bonde du lavabo de la chambre de David pour ressortir par son iris, bleu lui-aussi, c’est encore à Barton Fink que l’on pense …

On pense aussi à Twin Peaks, le feuilleton télévisé américain créé par Mark Frost et David Lynch, diffusé entre avril 1990 et juin 1991. Dans cette ville imaginaire, située dans le nord-est de l'État de Washington, le cadavre de Laura Palmer, une jolie lycéenne connue et aimée de tous, est retrouvé emballé dans du plastique sur la berge d'une rivière. L'agent spécial du FBI Dale Cooper désigné pour mener l'enquête découvre alors que Laura n'était pas celle que l'on croyait et que de nombreux habitants de la ville ont quelque chose à cacher... Les analogies entre Laura et Candice, (même visage cyanosé, même journal intime susceptible de donner le nom de leurs assassins) et entre Dale Cooper et David Rousseau sont tentantes. Le panneau “Bienvenue à Mouthe” fait écho au fameux “Welcome to Twin Peaks” qui ouvrait le générique de la fameuse série télévisée. Gérald Hustache-Mathieu sort des rails de Twin Peaks grâce au personnage de la psy.
Référence à Elephant (de Gus Van Sant en 2003, Palme d'Or à Cannes) avec le T-Shirt jaune de l’ado ex-fan de Candice, arrivé in extremis sur le tournage. Voir ce garçon jouer à des jeux vidéo violents renvoie aussi à la fusillade du lycée Columbine, et qui était le sujet du film.
La scène de fou dans l’arbre est inspirée d’Armacord ( le film de Fellini sorti en 1973). Le réalisateur italien ne tournait que dans le studio 5 de Cinecitta.

Fantomas (adaptée en 1913 au cinéma par Louis Feuillade) apparaît à la gendarmerie en provoquant un décalage amusant. Les mains du comédien se trouvent dans la même position que celle que montre l’affiche, sans que ce soit intentionnel. Comme pour signifier que la solution est à portée de vue sans que personne ne la voie.
Le jeune réalisateur s’autorise aussi quelques clins d’œil à ses propres œuvres. Le panneau Bienvenue à Mouthe était présent dans son précédent long métrage, Avril. C’est bien entendu ce mois là qui est retenu dans la séance de photo du calendrier. Sophie Quinton présente la météo avec la même veste en cuir que celle qu’elle portait dans le court-métrage Peaux de vaches, primé à Clermont-Ferrand et un buste de bovidé est agité en fin de séquence. Le titre d’un des derniers romans de David, La Chatte andalouse, est aussi celui du second court-métrage de Gérald Hustache-Mathieu.

Beaucoup de films français viennent du roman. Les réalisateurs se concentrent sur les dialogues et ne filment pas les corps. Or le cinéma a beaucoup à raconter avec une image, une couleur, un son. Kubrick disait en l’espèce qu’un peintre ne pense pas au message qu’il va transmettre quand il peint. Ce sont les couleurs, les odeurs, les textures qui le dirigent … Le réalisateur ne craint donc pas de nous montrer une pub caricaturalement macho avec des plans appuyés sur la peau, les fesses, les seins de Candice, laquelle s’exhibe avec un naturel confondant.

Un polar d'amour
Gérald avait choisi Mouthe à défaut d’avoir les moyens de tourner dans les grands espaces américains (et quelle réussite !). Dire d’un film qu’il est américain pourrait aussi être synonyme de mauvais film, de navet. Il avait très peur de ne pas parvenir à construire un vrai film de cinéma. Un peu comme un sportif qui n’a entrepris que trois randonnées dans sa vie et qui annonce qu’il va faire l’Everest.
Il voulait s'orienter vers un polar noir. Et puis l’humour est arrivé. Certains spectateurs à d’autres avant-premières ont qualifié le film de comédie policière. La maman de Jean-Paul a parlé d’un polar d’amour. Gérald concède en souriant qu’il ne guérira jamais de son romantisme.
Il rêve de s'attaquer à quelque chose d’énorme. Hitchkok dans une histoire policière. Ou un film de vampire.

Pour clore ce très long article (mais comment résumer un débat d'une heure ?) je laisserai le mot de la fin à Marylin : je ne veux pas être riche. Je veux être merveilleuse.

Merci à Sandra de m'avoir entrainée ce soir-là. A mon tour je vous incite à voyager sur son blog cinéphilement top.

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