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lundi 20 avril 2020

Acusada, film argentin de Gonzalo Tobal

J’avais pu voir Acusada alors que Canal + était en accès libre et j’ai du coup compris différemment la Fille au bracelet.

C'est un film argentin réalisé par Gonzalo Tobal à partir d'un fait divers et qui a été présenté en compétition au Festival de Venise 2018.
Dolores Dreier est une jeune étudiante sans histoire jusqu’au jour où sa meilleure amie est retrouvée assassinée. La police soupçonne très vite la jeune fille au visage angélique. Celle-ci l'a menacée de mort après la diffusion d'une vidéo à caractère sexuel. Deux ans plus tard, seule accusée du procès, elle est au centre d’un déchaînement médiatique, entre soutiens et détracteurs. Dolores est soutenue sans relâche par ses parents et défendue par le meilleur avocat de la ville. Au cours du procès, le voile est levé sur un certain nombre de secrets et la solidarité familiale se fissure...
Je ne vais pas me lancer dans une analyse comparée des deux films mais je donnerai malgré tout quelques points de comparaison parce que, bien que réalisés à deux ans d'intervalle, et sans que Stéphane Demoustier, le réalisateur français n'ait visionné la version d'origine, il y a des différences intéressantes du point de vue du fonctionnement de la justice dans les deux pays, et des similitudes quant à la façon dont les jeunes considèrent l'amitié et la sexualité.

Si la famille de Lise vit confortablement dans la banlieue de Nantes, la famille de Dolores (Lali Espósito) est carrément fortunée, dans une vaste maison avec piscine et elle a hérité d'une hacienda du grand-père. Nous ne sommes pas dans des milieux sociaux semblables.

La musique de Time of the Season, par the Zombies résonne sur le générique du film et je réalise que je connais très bien cet air. Et pour cause puisqu'il date de 1964 ...

Tout semble aller bien alors que se déroule une séance photo plutôt glamour dans une ambiance détendue : Je me sens mieux depuis que j’ai repris des activités. Je suis très soutenue par ma famille dit Dolores dont on aura remarqué que le prénom signifie douleurs, et au pluriel s'il vous plait.

La jeune fille répond à une interview et on notera le surpoids d'une hypermédiatisation dans l'affaire, orchestrée par la famille elle-même, manifestement avec l'intention d'influencer l'opinion, alors que la version française est plus sobre, également je dirais plus digne, et extrêmement concentrée sur la tentative de résolution de l'affaire.

Dans le film argentin, les parents (Leonardo Sbaraglia et Inés Estévez) sont convaincus de la culpabilité de leur fille et s'ils mettent tout en oeuvre pour lui évider une condamnation c'est d'abord une question d'honneur avant d'être de l'amour, même s'ils aiment leur enfant. Si après tout ce qu'on a fait tu es déclarée coupable tu ne seras plus ma fille dira son père en insistant : C’est la chose la plus certaine que j’ai jamais dite. Va te coucher maintenant.

C'est peut-être aussi une main mise de l'avocat (Leonardo Sbaraglia), ami de la famille (qui la ruinera en honoraires) et qui est lui aussi persuadé de sa culpabilité. Dolores décrit son père comme très efficace, sa mère très calme. C'est surtout lui qui l'accompagne au tribunal, comme le fait Roschdy Zem dans La Fille au bracelet.
Les parents français sont eux aussi très investis, et très présents mais ils agissent davantage comme soutien. Ils ne cherchent pas à influencer la justice. Et surtout on les remarque préoccupés de n'avoir pas vu leur enfant changer, et grandir de cette façon, alors que les argentins sont anéantis : on n’aurait jamais pensé qu’un tel cauchemar nous tomberait dessus (dit la mère en faisant preuve d'un égoïsme incroyable car le vrai cauchemar c'est la mère de Camila qui le vit).
L’avocat la brusque : je ne t’ai pas demandé ce que tu as pensé mais ce que tu as fait. Concentre-toi. Plus tard il la coachera, ce qui n'est pas montré dans la version française. Il lui fera reprendre le fil de l'histoire avec des mots appropriés. On lui fera travailler son langage corporel.

Dans chaque pays la police a sans doute fait une erreur quant à la véritable arme du crime, un couteau en France, une paire de ciseaux en Argentine ... des ciseaux avec lesquels Dolores sacrifiera ses cheveux. Mais faut avoir les cheveux longs pour avoir l’air d’une fille bien ?

Comme dans La Fille au bracelet il y a un moment d'égarement quand la jeune fille s'approche du domicile de son ancienne amie. Il y a petit frère qui lui aussi va jouer un rôle important, à la fois à propos de la recherche d'une pièce que l'on pense être à conviction, mais aussi dans l'amour inconditionnel qu'il porte à sa soeur. Je t’aime pareil Dolo, ça m’est égal si c’est toi ou pas. La mère ne peut se retenir de gifler le petit garçon ... car pour elle ce n'est pas du tout "égal".

Et je pense à Fanny Ardant déclarant à propos de Roman Polanski : je le suivrais sur l’échafaud.

L’accusation repose sur des coïncidences et des hypothèses. Dans les deux films on observe les mêmes éléments : l'importance des jeux vidéo, la légèreté à l'égard de la sexualité, deux amies, une sextape, l'alcool, des amitiés en dents de scie entre disputes, menaces puis pardon, le harcèlement sur les réseaux sociaux, le besoin d'organiser de grandes fêtes, même si prudemment on prévoit cette fois en Argentine une Free Range Party ("une fête sans portable", donc sans risque d'être filmé et les réseaux sociaux), un petit frère à aller chercher à la sortie de l'école.

L'intrigue est semblable, mais le traitement est radicalement différent. Dolores décrit (elle aussi) la relation qu'elle entretenait avec Camila comme régie par l'amitié, la loyauté, le divertissement. Là encore on pourra s'interroger sur la manière dont les parents peuvent aider leurs enfants s'ils ne les connaissent pas. Même s'ils sont prêts à réaliser tous leurs souhaits, comme celui d'intégrer une école de mode à la scolarité très couteuse.
Dolores semble froide et déterminée. Mais elle est de bonne volonté par rapport à tout ce qu'on lui demande. On va bientôt la découvrir dépressive, hantée par ce qu'elle a vu le lendemain matin de la fête. Des images de la scène de crime, survolée par un joli petit oiseau, reviennent régulièrement et fugitivement sur la musique de Eyes Without A Face, une chanson de Billy Idol coécrite avec le guitariste Steve Stevens et incluse dans l'album Rebel Yell sorti en 1984, et dont le titre fait référence au film fantastique de Georges Franju Les Yeux sans visage (1959).

Après chaque vision, Dolores est prise de nausée, effarée aussi par le rôle qu'on lui fait jouer, et sans doute très triste que son entourage la croit coupable. On la surprend à se googeliser elle-même. Il est effarant de la voir se justifier sur un plateau de télévision, répondant à un journaliste d'investigation (Gael García Bernal) au lieu d'être en face d'un Avocat général. Ce type d'émission serait-il possible en France, pendant un procès ?
Les scènes de procès montrent combien le système judiciaire est différent dans les deux pays. Notamment l'absence de tenues vestimentaires spécifiques et la place occupée par l'accusée.

L'importance de la religion est soulignée. Le petit Martin est heureux de faire sa première Communion et la messe est ponctuée de légères notes cristallines. La vérité vous affranchira. C’est un trésor très précieux dit le prêtre alors que la mère (plus que jamais convaincue de la culpabilité de sa fille) essuie une larme.

Il y a toujours beaucoup de monde autour d'e Dolores. La pression est si forte qu'elle craque. A force de maitriser le moindre de ses actes,  ce sont les parents qui la "bracèlent". J’en peux plus murmure-t-elle à son père qui est hors de lui : On a vendu la maison de campagne, hypothéqué la maison, ta mère a perdu son job… Et toi tu viens de dire j’en peux plus !

Les déclarations évoluent. L’avocat la menace de sortir de prison à 46 ans. Je sais que quelque part tu te sens coupable, je ne sais pas pourquoi. Cela n’a pas trop d’importance mais ce n’est pas une bonne idée de faire 25 ans de prison. Alors comment poursuivons-nous cette affaire ?

J’ai un aveu à faire. Je n’ai jamais pardonné (… ) Je voulais qu’elle meure mais je ne l’ai pas tuée. Si la jeune fille regrette de ne pas avoir appelé les secours elle risque d'être condamnée à minima à 5 ans de prison pour non assistance à personne en danger. On lui conseille de ne pas avouer que son amie n'était pas encore décédée lorsqu'elle a quitté la maison.

Les lumières sont sombres alors que le film français est coloré. L'esthétisme du premier le situe à la limite d'un surréalisme, avec des mouvements circulaires de caméra tournoyant autour du personnage principal. De longs moments sans paroles distillent une atmosphère angoissante. Un puma roderait depuis plus de deux ans dans la ville. Légende urbaine ou réalité ? L'oiseau sautille toujours sur les vestiges de la fête, puis se pose sur le corps ensanglanté avant de s'envoler par une fenêtre brisée ... qui donne sur les toits d'où l'on peut voir ... je ne vous dirai pas quoi.

On n’entend pas le verdict non coupable mais on comprend en voyant les pleurs de la mère que Dolores est acquittée pour défaut de preuve. Sans grande surprise pour le spectateur puisqu'elle a clamé son innocence à son petit copain et à son père. Cela fait resurgir malgré tout la question de savoir qui serait le vrai coupable puisque son amie est bien réellement morte.

Acusada, de Gonzalo Tobal avec Lali Espósito, Daniel Fanego, Leonardo Sbaraglia, Inés Estévez, Gael García Bernal, 
Copyright Marcos Ludevid pour la première photo, Copyright Haut et Court pour les deux suivantes

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