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lundi 9 juillet 2018

Guy, écrit, réalisé et interprété par Axel Lutz

Alex Lutz vient de réaliser Guy et c'est la seconde fois qu'il entre dans la peau d'un personnage âgé. En toute logique puisqu'il est taraudé par la question du temps (il est pourtant  encore jeune).

Je l'avais vu en "vieux comédien" au cours de la cérémonie des Molières en 2016 et il était déjà bluffant. Cette fois la performance est encore plus saisissante parce qu'un film est forcément plus "sérieux" qu'un sketch. Il impose d'être crédible sur la longueur.

Guy a été présenté en clôture de la Semaine de la critique à Cannes il y a quelques semaines et il tourne depuis en avant-première dans les cinémas d'art et d'essai qui ont une programmation audacieuse, comme Le Sélect d'Antony (92) où je me trouvais ce soir. Parce qu'il en faut de l'audace pour parier sur un tel point de départ.

Pourtant, une fois que vous l'aurez vu, vous conviendrez que c'est une très grande réussite et il y a fort à parier qu'il connaitra un succès comparable à Intouchables.

Axel avait envie depuis un moment de raconter une belle histoire, et de le faire en musique. Il dédie son film "à nos pères" avec un pluriel qui sous-entend qu'on pourrait en avoir plusieurs. De fait l'écriture du scénario oscille constamment entre gravité et légèreté.

La prestation du comédien est exceptionnelle. On ne soupçonne jamais l'artifice alors qu'on sait pertinemment qu'il y a un énorme travail de maquillage, exigeant d'arriver très tôt au studio. Il y a 16 prothèses à poser (dont certaines, au ras des cils, ce qui ne s'était encore jamais fait) avant de reprendre les taches de vieillesse, une par une.

Il faut dire qu'il est comme un poisson dans l'eau avec ce qu'on appelle le HMC, habillage, maquillage, coiffure. On peut le croire quand il glisse dans le texte de Guy qu'Elnett (qui n'a pas besoin de publicité parce que c'est de notoriété publique) est la meilleure des laquesLe comédien parle avec simplicité de la contrainte, énorme, mais totalement prévue et acceptée de supporter chaque jour cinq heures de maquillage. Le reste n'est que champ libre dit-il avec humour, on n'est pas tributaire d'une grue qui n'arrive pas, de rails de travelling qui ne sont pas posées au bon endroit.

Cet artiste adore le travail de portraitiste et de composition parce qu'il lui permet d'exprimer des choses à travers une incarnation, un peu comme le faisait Noémie Lvovsky, interprète et réalisatrice de Camille redouble.
Il voulait faire une oeuvre hyperréaliste et c'est gagné. On le reconnait sous le masque, parce que c'est vraiment lui ... avec des années en plus et pas un personnage totalement imaginaire, certes âgé mais qui sortirait de nulle part.

C'est un très beau film sur la filiation, tant du point de vue du géniteur que de celui de l'enfant. Le père se trouve être un homme célèbre. Cette spécificité permet paradoxalement de l'approcher, avec le prétexte de réaliser son portrait à travers un film.
Pour résumer, c'est l'histoire d'un jeune homme qui va à la rencontre d'un père dont il a appris l'existence depuis la mort de sa mère. On verra celle-ci en flash-back ou par un plan rapproché sur une photo. C'est aussi l'histoire de Guy, un homme qui n'a jamais eu conscience d'être un "bon" père et qui va nouer un lien harmonique avec un plausible enfant.

Le personnage de Guy, chanteur, est un homme qui prend son métier au sérieux mais qui ne se prend pas au sérieux. Il exprime donc un doute au tout début : pourquoi l'avoir choisi comme sujet du film ? Il concède après un moment d'agacement que ce n'est pas interdit de faire un film (sur lui). Et plus tard on remarque que le tutoiement s'est infiltré : Pourquoi toi tu me filmes ? C'est le spectateur qui reçoit la réponse avec la photo de la mère qui apparait alors.

Le film interroge donc sur la question de la légitimité. Est-on davantage le fils de son père lorsqu'on a été reconnu (et inversement)? Finalement la reconnaissance est-elle un acte administratif ou le fruit d'une confrontation ?

Comme il questionne aussi sur le contexte d'un secret, Axel Lutz a choisi de le traiter sous forme de documentaire, ce qui suggère la vérité, mais il voulait le faire avec le plus de liberté possible, voilà pourquoi il a choisi une manière particulière qu'on appelle -le terme est plus connu aux Etats-Unis qu'en France- mockufiction (on dit aussi mockumentaire, et le mot est très joli, évoquant le mensonge).
Le comédien adore inventer, en particulier le déroulement de quelque chose qui peut avoir l'air d'exister. Tout est donc inventé, et tourné caméra à l'épaule à la manière d'un documentaire, avec les codes du genre,  comme la projection de rushes, et si bien que cela pourrait être "vrai". Le coté documentaire est cimenté par des lapsus, des mouvements de caméra, des mises au point qui tardent un peu, jusqu'à l'affiche ... tout est mise en abîme.
Les personnages sont créés pour l'occasion. Guy Jamet n'a jamais existé. Alex Lutz ne voulait pas faire une référence unique à une personne réelle. En revanche il reconnait avoir été influencé par les époques, les orchestrations, et donc forcément les images nous font penser à plusieurs chanteurs des années 79, surtout Patrick Juvet, mais aussi Herbert Léonard, Joe Dassin, Claude François (même si la critique est plusieurs fois faite envers celui qui chantait du nez et qui a voulu bricoler ...) et s'il ressemble parfois à des acteurs vieillissants comme Jean-Paul Belmondo ou André Dussolier (il aurait été parfait dans le rôle).
Sauf que, précisément,  il ne fallait pas un "vieux" pour l'interpréter, ça n'aurait pas été de jeu. Par contre Michel Drucker, Julien Clerc, Dani (sauf pour la séquence-flashback où on la voit chanter avec Guy cette fois "jeune") jouent leurs propres rôles, comme Alessandra Sublet  et Nicole Ferroni qui nous offre une chronique très mordante sur Europe 1 à l'instar de ce qu'elle fait si bien.
Alex vient de la scène et pratique plus que tout ce qu'on appelle le spectacle vivant qui, dans le meilleur des cas est un tout, et surtout pas "seulement" une comédie, un drame, un thriller ... Vous aurez compris que cet artiste ne se laissera jamais enfermer dans une case. Ses goûts sont d'ailleurs très éclectiques, allant des Préludes de César Franck jusqu'aux chansons d'Elvis Presley. Quant à l'univers de la scène il revendique autant Valère Novarina que Patrick Sébastien (on pense d'ailleurs aux formidables séquences de L'autre coté du miroir imaginées par l'imitateur il y a dix ans). 
Alex Lutz ne fait pas "que" jouer le rôle d'un homme âgé. Il est aussi remarquable de justesse dans la peau de ce chanteur (et de ses rituels comme celui d'embrasser sa bague avant de monter sur scène) et la prestation musicale est (elle aussi) bluffante. Il a bien entendu créé aussi toutes "ses" voix. Des tubes "probables" ont été écrits, en suivant une évolution musicale en cohérence avec tendances et les modes qui ont traversé les années. Plusieurs hommages sont rendus, dont un, émouvant, à Robert Charlebois en nous permettant aussi de revenir sur l'histoire du divertissement, et de raconter une histoire de France en filigrane.
Il n'est pas tourné que vers le passé. On assiste à une drôlissime séance de travail entre le chanteur, son attachée de presse (Nicole Calfan) et son webmaster (Vincent Heden) qui leur explique comment assurer sa présence sur les réseaux sociaux. C'est comme si tu me parlais avec des bip commente Guy. C'est vrai que le lexique est pointu et abscons. Moi-même, pourtant un peu plus aguerrie que le personnage, je n'ai pas tout compris.

L'humour n'est jamais loin, par exemple dans cette séquence où dans une belle complicité le fils et le père (on notera que Gauthier et Guy ont la même initiale), assis à une terrasse de café, inventent une vie de serial killer à chaque passant.

Gauthier fait semblant jusqu'au bout, posant à son interlocuteur les questions d'usage à la situation de l'interview. Guy répond qu'il est de Metz. Il dira plus tard qu'il a un fils qui s'appelle Frédéric. On remarque qu'on n'est pas loin de sa réalité. Le comédien est né à Strasbourg et son fils s'appelle Ferdinand. Si on pouvait l'interroger on lui demanderait ce qu'il a mis de lui dans le personnage de Guy et dans ce film ... dédié à Tom et Ferdinand.

C'est Tom Dingler qui est Gauthier, un rôle difficile puisqu'on ne le voit quasiment jamais. Comme il est touchant lorsqu'il murmure papa, papa à mi-voix alors que son père ne semble pas le remarquer, occupé à marcher dans la garrigue. Par contre le fils légitime est lui interprété par Bruno Sanches (qui jouait déjà dans le premier film d'Alex, Le talent de mes amis), que l'on connait par ailleurs pour être ... Liliane ... (du célèbre duo Catherine et Liliane que l'on adore regarder sur Canal +).
Et quand Alex Lutz se balade à cheval on reconnait sa passion pour l'équitation. On se doute qu'il n'est pas doublé.

On sourit de l'audace de faire dire à ce Jamet des choses que tout le monde pense mais n'oserait pas clamer sur un plateau de télévision. Il s'autorise à balancer mine de rien que Fogiel n'a rien inventé avec son divan puisque Henri Chapier avait quasiment le même des années plus tôt.

Le film est émaillé de nostalgie et d'humour, souvent discret comme cette allusion à James Bond ... Jamet plus jamais.

Alex Lutz a l'amour de la chronologie éclatée. A la fin du film le cheval revient seul au moment où on sentait que le fils allait révéler son identité. Les rôles s'inversent alors.

Prends la galop mon garçon, expression familière mais ô combien lourde de sens.

Le film s'achève sur un medley et on remarque que les images en noir et blanc du début sont montrées à l'envers. En étant amené à regarder le film avec les yeux de Gauthier on se trouve d'une certaine façon en position de "co-auteur" du film. On en ressort sans avoir de certitude à propos de ce que ce c'est que réussir sa vie, et être un bon père ... et tant mieux parce que les réponses demeurent personnelles.

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