(billet mis à jour en octobre 2011 puis en janvier 2014 :
pour lire ma critique du film de Jalil Lespert consulter ce billet)
Après-demain vous ne pourrez plus accéder à l'exposition et trouverez porte close. Libre à vous de penser vous consoler en regardant des photos mais vous feriez une grossière erreur. A quelques rares exceptions les modèles sont présentés hors vitrine et non derrière une glace (comme c'était principalement le cas pour la pourtant très belle Exhibition Rykiel au musée des arts décoratifs l'an dernier). Les voir de près suscite une émotion très forte. Elles sont bellissimes et semblent parfaitement portables, à quelques exceptions près. Leur créateur n'a jamais cherché à faire de la "haute-couture" et cela se sent encore aujourd'hui. Son style était sûr et il a été une mine d'inspiration pour beaucoup.pour lire ma critique du film de Jalil Lespert consulter ce billet)
C'est le portrait qu'Irving Penn fit de lui en 1983 qui donne le la. Yves Saint-Laurent, grand timide, vous regarde sans souffrir d'être vu. Ses lunettes démesurées n'ont jamais été un handicap pour juger un drapé, choisir une couleur, ajouter un élément ... jusqu'à son rituel "çà suffit !" qui le faisait arrêter avant la surcharge.
1958/59/60 il démarre chez Dior qui lui doit quelques modèles toujours furieusement tendances comme le blouson Chicago en crocodile, imaginée pour la collection "Souplesse, Légèreté, Vie" en 1958. (La fourrure revient en force cet hiver.)
L’introduction d’un blouson de cuir noir dans un défilé de mode deux ans plus tard a choqué le monde de la couture. Appelé modèle Chicago, il était en crocodile verni, bordé de vison. Derrière lui se profilaient d’autres images : celle du mythique blouson de cuir porté par les stars du rock’n’roll et des acteurs hollywoodiens, l’image aussi de ceux qu’on appela les « blousons noirs ».
C'est pour cette maison de haute-couture qu'il dessina la fameuse silhouette trapèze annonçant les années 60.
Au printemps-été 1958 il présente sous la signature Dior cette robe du soir de tulle blanc (photo de gauche, signée © Alexandre Guirkinger)
La salle suivante est consacrée à la collection réalisée pour le Bal Proust donné par les Rotschild en 1971, pour le centenaire du grand écrivain. Saint Laurent créa pour cette soirée privée de somptueuses toilettes inspirées de la mode du XIX° siècle comme celle-ci (photo de droite), en crêpe georgette ivoire, rehaussée de guipure blanche et d'une ceinture de satin saumon, offerte par Jane Birkin à la fondation.
Une interview en voix off nous apprend que la faute pour laquelle le couturier a le plus de complaisance serait la trahison (grand bien lui fasse : il a tant été copié), que sa couleur préférée est le noir (mais il a si bien su la faire éclater de couleurs) et que son peintre préféré est Picasso.
Plus loin, le studio du 30 bis de la rue Spontini, dans le 16ème arrondissement est reconstitué avec son bureau tout simple : une planche sur deux tréteaux. A peine a-t-il la place pour y ouvrir un cahier à esquisses tant il est surchargé d'un gentil capharnaüm (je serais mal placée pour le railler, comprenne qui sait) : des pots de crayons, des cœurs-presses papier en pâte de verre, ses lunettes, un vase avec des épis d'orge à longue barbe, Moujik en porcelaine, et encore des crayons.Une corbeille d'osier blanc en dessous, les ciseaux d'or sur l'étagère, des photos (on reconnait son ambassadrice Catherine Deneuve), encore Moujik, en affiche, en statue. Yves Saint Laurent était fou de son chien, mort d'une piqure de scorpion dans sa villa marocaine. Andy Warhol fit un portrait très touchant de l'animal comme du maitre d'ailleurs.
La première collection présentée en son nom marque la révolution des genres. Chanel avait commencé à libérer la femme de ses carcans vestimentaires. Saint-Laurent ira plus loin. Elle va désormais progressivement s'autoriser à porter le caban, le trench, la vareuse, la saharienne (1967). Et surtout le smoking dès 1966, mais avec un jabot de dentelles et un ruban de soie noire remplace le nœud papillon. Chaque saison, le smoking, chic et sophistiqué, devait être réinterprété par son créateur qui en créa plus de deux cents variations.
Ce qui était alors révolutionnaire c'était de proposer non pas une mode mais un style, donc des vêtements intemporels. Des smokings, Yves saint-Laurent en dessinera chaque année, toujours réinventé. Un mur leur est consacré à la fin de l'exposition avec au premier plan celui avec lequel tout a commencé.
Le tailleur pantalon apparait presque simultanément, veste croisée à huit boutons noirs, fines rayures blanches, cravate et pochette noires à pois blancs sur une chemise immaculée. Il n'empêche que cinq à six ans plus tard des femmes se faisaient encore renvoyer de leur travail si elles osaient se présenter devant la pointeuse en pantalon !
Ce sont les visiteurs qui avancent désormais le long de l’allée centrale entre une double rangée de mannequins assis comme les clientes d’un défilé de mode. On se sent jugé par ces ersatz de mme de Fontenay, toutes en lavallière, même si leur chapeau est un peu moins grand.
Le noir était sa couleur préférée mais il a osé l'associer avec des teintes éclatantes et même à juxtaposer des tons inhabituels : le vert et le rose shocking, le rouge et le violet. On se souvient de celle-ci dont le nœud de satin rose clair répond au décolleté du dos, dessinée pour le lancement du parfum Paris, sur une fragrance de roses évidemment.
Un dressing reconstitue la garde-robe de La Chamade et de Belle de jour, deux des films où Catherine Deneuve est habillée en Saint-Laurent. Elle porte ses nouveautés depuis 1965 avec une fidélité comparable à celle qui unissait Audrey Hepburn et Hubert de Givenchy.
L'actrice parait bien sage dans sa petite robe noire mais ses pensées ne le sont pas : les vêtements d'Yves sont si parfaits qu'il faudrait être nue dessous, disait-elle.
Yves Saint-Laurent aimait les femmes. Loulou de la falaise fut son égérie. Il habilla Paloma Picasso, Grace de Monaco, Hélène Rochas, Elsa Schiaparelli, Lauren Bacall et tant d'autres. Mouna Ayoub avait commandé une robe de dentelle noire, fermée sur le coté par une paire de rubans de satin rose. Il fallait oser marcher avec !
Il est amusant de voir combien le modèle numéro 70 est tendance cette année. C'était la robe de daim, (très courte) bordée de franges, sertie de bijoux et aux emmanchures échancrées au carré que portait Françoise Giroud en 1968. Elle travaillait alors dans la mode et n'était pas encore entrée en politique. La future première secrétaire d'état à la condition féminine affichait néanmoins déjà sa liberté.
Mais le couturier a aussi provoqué des scandales, souvent involontairement. Comme la collection 40, dessinée pour l'été 1971, rappelant trop ouvertement une période marquée par la collaboration, seulement trente ans plus tôt. Qu'importe, les chaussures à semelles compensées reviennent en force. Plusieurs années de suite les collections surprendront par leur audace. Et Laetitia Casta s'est affichée à la cérémonie des César de 2010 avec une robe pareillement transparente au modèle de 1968 (robe numéro 87), avec juste quelques paillettes en plus.
C'est vrai qu'elle aurait pu se couvrir davantage en jetant sur ses épaules ce manteau de fourrure verte (1971) dans lequel Naomi Campbell a défilé à l’occasion de la rétrospective Yves Saint Laurent, organisée à Paris en 2002.
On peut ensuite observer la série de photos commandées à Jean-Loup Sieff pour le lancement de son eau de toilette "Pour homme" en 1971, visionner le film où Pierre Bergé parle de leur travail, écouter le disque qu'Alain Chamfort, (pianiste de Jacques Dutronc à ses débuts, puis de Serge Gainsbourg et de Claude François) a composé en hommage sous le titre Une vie Saint-Laurent.
On commence à repérer ce que nombre de grands couturiers lui doivent. Les larges jupes froncées et les robes sévillanes chez Christian Lacroix, sans compter le châle jaune du modèle 94, les grosses fleurs et les motifs de paillettes rebrodées chez Sonia Rykiel, sans oublier les bouches toutes différentes brodées sur le velours noir du modèle 91 (observez bien : il y en a même une d'où pend une cigarette), les seins proéminents chez Jean-Paul Gautier et tant d'autres détails encore ...
Saint-Laurent avait lui-même largement puisé dans le patrimoine artistique en s'inspirant de Braque, Picasso, Van Gogh ... On se souvient tous de la petite robe mythique en jersey de laine multicolore de l'automne-hiver 1965, dite « Hommage à Mondrian », 1965, (collection Mondrian, Poliakoff) portée de nouveau par Diana Gartner, à l’occasion de la rétrospective YSL.
Cette robe a contribué à faire connaître Piet Mondrian en France.
Alors que dans les défilés on ne perçoit qu'une impression d'ensemble l’exposition permet de s’approcher de très près des modèles. On remarque que les coutures qui permettent d’incruster les lignes noires et les plages de couleurs sont si fines qu’elles en deviennent invisibles. La mise en volume de la toile (plane) est parfaitement réussie. C'était un résultat comme celui là dont le peintre rêvait.
Il y eut aussi cette robe de cocktail en jersey de laine (photo de droite) de la collection Automne-Hiver 1966, en hommage à Tom Wesselmann.
Et puis ces magnifiques vestes de la Collection haute couture 1988, Hommage à Vincent Van Gogh, brodées par les mains de fées des ouvrières du brodeur Pierre Lesage en hommage aux « Iris » et « Tournesols » de Van Gogh. Chacune a demandé près de 700 heures de travail de broderie. C'est un tour de force technique pour obtenir l’impression d’une peinture. Les paillettes et les perles ont été cousues une à une, parfois sur du ruban de manière à donner une sensation de relief.
Saint-Laurent s'était lancé le défi de réinterpréter des chefs d'œuvre de grands maitres de la peinture et de traduire en vêtements de grands écrivains. Comme le dit Pierre Bergé la démarche était à la fois anti-conformiste et savante.
Ses robes de mariées firent scandaleusement rêver : Laetitia Casta habillée de quelques boutons de fleurs, ... une babouchka de tricot de laine et rubans de satin pour clôturer la collection Stravinsky en 1965, une autre toute de noir vêtue.Je ne me souvenais pas de celle-ci, portée par une Carla Bruni radieuse lors du défilé organisé sur les pelouses du Stade de France, en 1998, avant la finale de la Coupe du monde France- Brésil ... La robe avait été créée pour la collection Cubiste du Printemps-été 1988, et s'appelait "Hommage à Braque"
© Reuters/Desmond Boylan.
C'est avec une tenue plus simple, griffée Hermès, messager d'un autre style que la colombe, qu'elle s'est mariée en février 2008 avec qui l'on sait.
Le seul pays où il séjournait régulièrement était le Maroc (il était né en 1936 en Algérie et y avait passé sa jeunesse). Il avait acheté avec Pierre Bergé une petite maison dans la médina de Marakech en 1966. Plus tard, en 1980, il fit l'acquisition de la demeure du peintre Jacques Majorelle dont les jardins ont, depuis, été restaurés. 600 000 personnes les visitent chaque année et beaucoup se font photographier devant le mémorial «Yves Saint Laurent, couturier français».
Mais Yves Saint-Laurent n'avait pas besoin d'aller dans un pays pour en saisir la quintessence. On l'a qualifié de « voyageur immobile ». Il a su rendre l'atmosphère indienne (dès 1962), asiatique, russe (triomphe en 1976), espagnole (le modèle 113 en taffetas noir est une merveille ainsi que la tenue de torero 114) et même africaine sans jamais y avoir mis les pieds. Et l'idée de les montrer au public sur des mannequins bleus est formidable.
Il pouvait aussi dessiner des modèles futuristes. Ci-dessous la robe de crêpe bleu est portée par Ifke Sturm, et celle de crêpe noir portée par Christelle Saint-Louis Augustin. La taille et le buste en cuivre sont issus de moulages du sculpteur Claude Lalanne.C'est directement sur le corps des mannequins qu'elle moulait des ceintures, des bustiers … comme encore ce "buste" de cuivre galvanisé (photo de droite) sur une robe du soir en crêpe georgette présentée pour la collection Tapis persan et Robe lamé oriental de l'Automne-Hiver 1969.
Claude Lalanne avait aussi composé des miroirs immenses pour le salon de musique de l’appartement parisien qu’il habitait avec Pierre Bergé. Tous deux furent de grands collectionneurs des Lalanne et Claude a honoré de multiples commandes pendant une quinzaine d’années. Le bar de maillechort acquis en 1965 a été acheté 2 700 000 euros lors de la vente aux enchères qui a suivi le décès de YSL par Mme Fendi qui l’a prêté au musée des Arts décoratifs le temps d'une magnifique exposition aujourd'hui terminée. (voir le billet de mars dernier)
Et bien entendu la maison Saint-Laurent produisait aussi des robes de bal "incroyables" comme celle-ci pour la Collection haute couture automne-hiver 1990 photo © Alexandre Guirkinger.
Après une robe de cette facture les dernières semblent réduites à des oriflammes qui flottent dans des alcôves illustrant une douzaine de classeurs d’échantillons de tissus épinglés par couleur, composant un jeu de dominos géants, un vrai choc de couleurs, à moins que ce ne soit la palette d’un artiste.
Dans une ultime vitrine on découvre le bijou dessiné pour la première collection (1962), la broche-cœur que Saint-Laurent faisait porter à chaque collection sur le modèle qu'il aimait particulièrement. C'était son fétiche, un cœur qui bat, énorme comme la paume de sa main.
Dans le hall du Petit Palais un téléviseur permet de voir la rétrospective Yves Saint Laurent, organisée à Paris en 2002 au Centre Pompidou. Claudia Schiffer y apparait successivement en saharienne et en smoking. Naomi Campbell était spécialement venue (le couturier avait été le premier a faire défiler des mannequins à la peau noire). Catherine Deneuve avait chanté "ma plus belle histoire d'amour" ...
Yves Saint Laurent trouvait regrettable que la haute couture n'habille que des femmes riches, et c'est pour cela qu'il a créé le prêt-à-porter. Il a été le premier à s'intéresser à la rue, à dialoguer en prise directe et constante avec son époque. Faire des robes importables était sans intérêt à ses yeux. Qu'il repose en paix : nous avons envie de toutes les porter !
Courez vite les admirer sans délai et puis lisez en revenant les (excellentes) Lettres à Yves signées de Pierre Bergé (livre paru chez Gallimard en 2010) et dont je vous parlerai plus en détail très prochainement.
Yves Saint-Laurent au Petit Palais du 11 mars au 29 août 2010, sauf lundis et jours fériés.
Du mardi au dimanche de 10h à 18h (fermeture des caisses à 17h).
Nocturne le jeudi jusqu'à 20h.
Nocturne exceptionnelle le samedi 28 août de 18h30 jusqu'à minuit. Dernier accès à 23h. Achats en ligne uniquement sur fnac.com.
Pour aller plus loin : Fondation Pierre Bergé-Yves Saint-Laurent
Une biographie intitulée Pierre Bergé, Le faiseur d'étoiles, Béatrice Peyrani, essai, éditions Pygmalion, 382 pages a été publiée en septembre 2011, et chroniquée sur le blog le 4 octobre 2011
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