Aller de l'un à l'autre équivaut à feuilleter un carnet de tendances grandeur nature. Tout peut se comprendre au pied de la lettre et à contre-pied. A commencer par le titre, EXHIBITION, qui s'entend à double sens puissance deux.
Volontairement prononçable en français comme en anglais, sans signifier exactement la même chose, il affirme le développement et la puissance internationale de la maison de couture. Il annonce aussi clairement la mise en avant de la créatrice. N'oublions pas qu'elle a joué en 1994 son propre rôle au cinéma dans le film de Robert Altman, Prêt-à-Porter. Que sa forte personnalité en a fait naturellement le chouchou des médias et des pipoles. Qui ne connaît pas sa chevelure flamboyante, sa silhouette finement moulée dans une robe noire, son engagement auprès des femmes, sa passion pour le chocolat ?
Sonia Rykiel a l'habitude de se mettre en avant, de s'exhiber, comme on le dit dans notre langue, sans crainte du qu'en-dira-t-on. Et du même coup elle a libéré les femmes de bien des carcans. Tout cela se sait. Tout cela apparait, clairement, dans cette exposition qui a quelque chose de spectaculaire, comme le sous-entend le terme anglais.
Avec la voix, chaude et sensuelle, de Sonia Rykiel, des extraits des défilés, des pages de magazine sorties des archives, des campagnes publicitaires. Apparemment elle ne cache rien, allant jusqu'à exposer sur des portants des tenues portées par sa fille Nathalie (autrefois mannequin, aujourd'hui PDG de la marque) sans retenue : on peut voir cote à cote les robes qu'elle a véritablement portées pour chacun de ses deux mariages, et qui ont été dessinées par sa mère évidemment.
Pourtant il demeure, et c'est tant mieux, une Sonia secrète, dont les blessures ne regardent qu'elle (pas la peine de relire le billet trois fois je ne ferai aucune allusion sensationnaliste à l'intime) et c'est au fond avec pudeur qu'elle affiche au grand jour que ce qu'il est supportable de voir. Comme cela est fait avec magnificence !
La mère de Sonia lui tricote de superbes pulls multicolores trop larges alors qu'elle rêve d'un modèle moulant et noir, qui mettrait en valeur sa chevelure rousse. Du coup elle déteste les vêtements, qu'elle n'aime qu'usagés.
La mère de Sonia lui tricote de superbes pulls multicolores trop larges alors qu'elle rêve d'un modèle moulant et noir, qui mettrait en valeur sa chevelure rousse. Du coup elle déteste les vêtements, qu'elle n'aime qu'usagés.
Elle travaille comme étalagiste. Son sens artistique est remarqué par un certain ... Matisse qui achète tous les foulards qu'elle a si joliment disposés. Quand elle est enceinte elle ne peut se résoudre à porter des tenues structurées comme des abat-jours. Elle mettra en avant son petit ventre dans une robe moulante qui va emballer toutes les femmes, enceintes ou pas. A force de faire retoucher tous les vêtements qu'elle prend dans la boutique Laura, propriété de son mari, Sam Rykiel, avenue du Général Leclerc, à deux pas de la porte d'Orléans, Sonia se met à penser sérieusement à se lancer. Le prototype du premier "vrai" pull fera tout de même 7 aller-retour entre l'usine d'un fournisseur de son mari et la boutique avant de correspondre enfin à son goût. Nous sommes en 1962. Le premier sera commercialisé sous le nom de Fanny (le prénom de sa mère). S'il ne se trouve pas au Musée des Arts décoratifs nous avons tout de même une profusion très représentative de la production dans une alcôve intitulée "La revanche du Poor Boy Sweater", sorte de melting-pot de toutes les tendances sur 40 ans.
En général les décolletés sont larges et ronds pour dégager le cou. "Il faut faire remarquer sa tête sans se faire remarquer" disait-elle, et elle s'emploie à aider les femmes à mettre leur corps en valeur.
Les bases de son style sont posées. L'évolution s'opérera par petites touches. Parce que Sonia Rykiel aime trop la mode pour faire des changements radicaux. Elle a des principes et s'y tient. La rupture saisonnière est une horreur qu'elle s'efforce de rendre plus douce. "Je ne révolutionne jamais. J'évolue. Souvent imperceptiblement" prévient-elle en 1973. Cette rétrospective en est la preuve. Il est nécessaire de regarder sur les cartons descriptifs les années des modèles pour constater un écart d'âge conséquent qui ne saute pas aux yeux. Rares sont les stylistes à rester autant fidèles à leur ligne.
Elle combine tricot et soie, coutures à l'endroit et sur l'envers, place les poches très bas pour que les femmes y mettent confortablement les mains à bout de bras, emprunte au vestiaire masculin le pantalon qu'elle élargit en jupe portefeuille l'hiver 87-88, puis la salopette dont elle remonte la taille et qu'elle propose en multipliant les accessoires (comme ces bonnets, ces écharpes rehaussées de grosses fleurs ou ces colliers de laine) ,
combine le confort ( des matières fluides, souples, des manches qui se déroulent en fonction des besoins) et la séduction (des coupes près du corps, des décolletés profonds et ronds, des tissus transparents, des talons vertigineux), joue avec les superpositions,
les découpes et les trompe l'oeil plus ou moins coquins (le plus drôle à mon sens, en 2004 avec une paire de mains gantées de rouge cramoisi sur le bas du dos d'une robe noire. Il vous faudra aller au musée pour la voir).
Elue femme la mieux habillée du monde en 1970 elle déclare avoir "doucement rigolé" puisqu'elle portait le même manteau depuis 5 hivers consécutifs, à titre "d'effort personnel dans une société marquée par trop de gaspillage".
Les robes noires sont à l'honneur dans la vitrine 23 "Coup au coeur" qui nous montre des noirs intenses, des noirs mats, couleur ardoise, des noirs brillants en nous rappelant que les créateurs Japonais ou Belges n'ont pas été les premiers à adopter cette couleur.
Le noir, les rayures, les strass, les chapeaux melon, sont devenus des marques de fabrique. Le noir c'est parce que c'est la seule couleur portable pour une rousse flamboyante, qui puisse valoriser la femme comme un écrin supporte un bijou. Inversement, c'est une couleur magique, qui s'éclaire au contact d'une autre, de n'importe quelle autre, qu'elle déclinera en successions de rayures. Ensuite, tout se combine, les rayures peuvent être tranchées, ou ton sur ton mais en jouant avec les matières ou les épaisseurs.
Elle innove tout en demeurant elle-même. Longtemps elle a choisi des mannequins aux yeux charbonneux sous une frange épaisse, les cheveux courts, la bouche rouge, qu'on aurait cru sorties d'un tableau de Van Dongen. Ce fut la première à donner l'ordre de sourire aux top-models. De fait, ses défilés sont joyeux et se terminent dans des éclats de rire. (Je vous invite à partager celui auquel je me suis rendue en février dernier, ma seule et unique incursion dans la haute-couture, compte-rendu ici, et film là). Quel top-model n'a pas porté du Rykiel ? sans doute pas Karen Mudler que l'on voit sur ELLE en mai 96. Sur la droite on devine le titre d'un entretien avec Soeur Emmanuelle "Je craque pour le vison".
Elle fait confiance en suivant son intuition. On lui présente Dominique Isserman. Elle lui confie d'emblée plusieurs pages pour Vogue. La collaboration durera 10 ans. On pouvait apercevoir tout à l'heure la célèbre photographe se faufiler de vitrine en vitrine. Malgré la médiocrité de mes clichés (j'ai été autorisée à photographier, sans flash, cela va de soi) j'ose les mettre en ligne parce que rien mieux qu'une photo ne peut rendre compte de cette exposition.
Sonia Rykiel est une femme fascinante qui n'a cessé d'être admirée. En 1985, Andy Warhol fait son portrait en voisin (il habitait rue du Cherche-Midi; elle réside et tient boutique à Saint-Germain-des-Prés depuis ... 1968). Un carré d'un peu plus d'un mètre de côté (acrylique et encre à sérigraphie sur toile) éclate sur le mur, à coté de l'écran où sont projetées des extraits des défilés.
Pour consulter toute l'actualité du Musée des Arts décoratifs, vous pouvez aller sur leur site. Je vous recommande la patience car il est en refonte complète et les erreurs de chargement sont fréquentes. La situation devrait s'améliorer dans les jours prochains. Vous avez jusqu'au 19 avril 2009 pour admirer les 220 silhouettes de l'exposition.
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