Mon grand-père était un rescapé de la Grande guerre et même si autour de nous les familles ne se plaignaient pas les blessures physiques et morales ont marqué mon enfance.
Il fallait trottiner à droite de pépère pour discuter avec lui quand on montait en ville : l’explosion d’un obus l’avait privé de l’usage de son oreille gauche.
Il fallait finir son assiette : par respect pour les années de disette on ne jetait aucune nourriture. Il fallait apprécier les rutabagas et les topinambours (ces légumes qu’on dit « oubliés » et qui reviennent à la mode avaient permis à mes parents de pouvoir tout simplement manger à leur faim. Les plants de pommes de terre, infestés d’insectes ravageurs, n’auraient pas suffi)
Il ne fallait pas se moquer quand mémère paniquait lorsqu’on entamait l’avant-dernier kilo de sucre ou de farine de la réserve. Elle avait toujours peur de manquer.
Il fallait décrypter les soupirs, les allusions, ne pas poser de questions embarrassantes comme : - vous alliez au combat avec des pantalons rouges ? - mais pourquoi t’avais pas de tenue de camouflage ? - pourquoi tu n’as pas retrouvé ton travail au retour de la guerre ? - où étaient les états major pendant les combats ? - c’étaient qui les doryphores ? - pourquoi tu dis que tes copains sont morts le 11 novembre et que c’est écrit 10 novembre sur leur tombe ?
Pas besoin d’entendre des contes de fées et des légendes quand l’Histoire avec un grand H a marqué ses parents. On imagine plein de réponses, plus ou moins vraisemblables. D’autant qu’on ne sait pas grand-chose. Mon grand-père se fâchait quand on l’interrogeait : c’est trop sale, la guerre, je ne veux pas qu’on en parle !
Il avait refusé la médaille militaire, trop dégoûté par le comportement de ses supérieurs.
Et puis un jour il avait souhaité retourner sur place. Il voulait qu’on se rende compte nous-même de l’horreur. Nous avons passé une journée à arpenter les anciens champs de bataille, à sillonner les cimetières, à lire les noms sur les plaques commémoratives, à monter, descendre des milliers de marches. Je me souviens particulièrement du fort de Douaumont. Ma grand-mère y a vu une plaque au nom de son père. Nous avons compris alors que ce n’était pas lui le soldat inconnu qui reposait sous l’Arc de triomphe parisien. Mon grand-père ne cessait de s’étonner : mais comment l’herbe a pu redevenir verte, comment les arbres ont-ils pu repousser… C’était tout noir. Tout avait brûlé. Et maintenant tout est si calme, si beau.
J’ai compris ce jour là la difficulté à transmettre la vérité historique. Comment faire pour que les enfants de nos enfants comprennent et que cela ne se reproduise plus jamais ? Bref, ce qu’on appelle maintenant le devoir de mémoire. Et puis Jean-Pierre Jeunet a fait « Un long dimanche de fiançailles » qui est sorti en salles juste avant novembre 2004. C’est en voyant cette œuvre de fiction que j’ai réalisé de quel enfer mon grand-père était revenu. Et que j’ai mesuré combien il s’était senti trahi par la nature verdoyante des environs de Verdun et du Chemin des Dames.
Il fallait trottiner à droite de pépère pour discuter avec lui quand on montait en ville : l’explosion d’un obus l’avait privé de l’usage de son oreille gauche.
Il fallait finir son assiette : par respect pour les années de disette on ne jetait aucune nourriture. Il fallait apprécier les rutabagas et les topinambours (ces légumes qu’on dit « oubliés » et qui reviennent à la mode avaient permis à mes parents de pouvoir tout simplement manger à leur faim. Les plants de pommes de terre, infestés d’insectes ravageurs, n’auraient pas suffi)
Il ne fallait pas se moquer quand mémère paniquait lorsqu’on entamait l’avant-dernier kilo de sucre ou de farine de la réserve. Elle avait toujours peur de manquer.
Il fallait décrypter les soupirs, les allusions, ne pas poser de questions embarrassantes comme : - vous alliez au combat avec des pantalons rouges ? - mais pourquoi t’avais pas de tenue de camouflage ? - pourquoi tu n’as pas retrouvé ton travail au retour de la guerre ? - où étaient les états major pendant les combats ? - c’étaient qui les doryphores ? - pourquoi tu dis que tes copains sont morts le 11 novembre et que c’est écrit 10 novembre sur leur tombe ?
Pas besoin d’entendre des contes de fées et des légendes quand l’Histoire avec un grand H a marqué ses parents. On imagine plein de réponses, plus ou moins vraisemblables. D’autant qu’on ne sait pas grand-chose. Mon grand-père se fâchait quand on l’interrogeait : c’est trop sale, la guerre, je ne veux pas qu’on en parle !
Il avait refusé la médaille militaire, trop dégoûté par le comportement de ses supérieurs.
Et puis un jour il avait souhaité retourner sur place. Il voulait qu’on se rende compte nous-même de l’horreur. Nous avons passé une journée à arpenter les anciens champs de bataille, à sillonner les cimetières, à lire les noms sur les plaques commémoratives, à monter, descendre des milliers de marches. Je me souviens particulièrement du fort de Douaumont. Ma grand-mère y a vu une plaque au nom de son père. Nous avons compris alors que ce n’était pas lui le soldat inconnu qui reposait sous l’Arc de triomphe parisien. Mon grand-père ne cessait de s’étonner : mais comment l’herbe a pu redevenir verte, comment les arbres ont-ils pu repousser… C’était tout noir. Tout avait brûlé. Et maintenant tout est si calme, si beau.
J’ai compris ce jour là la difficulté à transmettre la vérité historique. Comment faire pour que les enfants de nos enfants comprennent et que cela ne se reproduise plus jamais ? Bref, ce qu’on appelle maintenant le devoir de mémoire. Et puis Jean-Pierre Jeunet a fait « Un long dimanche de fiançailles » qui est sorti en salles juste avant novembre 2004. C’est en voyant cette œuvre de fiction que j’ai réalisé de quel enfer mon grand-père était revenu. Et que j’ai mesuré combien il s’était senti trahi par la nature verdoyante des environs de Verdun et du Chemin des Dames.
Des reconstitutions des tranchées sont exposées dans plusieurs villes comme celle-ci (photo à gauche) au Palais de Gouvernement de Nancy .
On montre aussi divers équipements militaires, des ambulances, du matériel comme ce canon de 75. (à droite)
C’est utile pour favoriser une prise de conscience chez les jeunes enfants. De même que les carnets de notes des Poilus exposés dans la salle du sommet de l’Arc de triomphe sont des témoignages émouvants. Il est essentiel aussi de témoigner que la drôle de guerre aurait tout simplement pu ne pas avoir lieu …puisque les peuples écossais, allemands et français étaient prêts à vivre ensemble en toute convivialité comme Christian Carion le démontre dans « Joyeux Noël », un film sorti en 2005 et qu’il faudrait mettre au programme d’histoire des collèges et des lycées. C’est autrement plus éloquent que toutes les lettres d’archives !
A chacun de trouver sa façon de se souvenir et de rendre hommage. Pour moi ce seront ces quelques photos parce que le souvenir le plus beau de mon grand-père demeure les balades en forêt quand nous partions à la recherche des champignons. Le plus étonnant est qu'elles ont été prises ce matin même à quelques secondes d'intervalle, juste avant 11 heures.
A chacun de trouver sa façon de se souvenir et de rendre hommage. Pour moi ce seront ces quelques photos parce que le souvenir le plus beau de mon grand-père demeure les balades en forêt quand nous partions à la recherche des champignons. Le plus étonnant est qu'elles ont été prises ce matin même à quelques secondes d'intervalle, juste avant 11 heures.
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