Né en RDA en 1944, écrivain et homme de théâtre, longtemps censuré, Christoph Hein est devenu à partir des années 1980 une figure intellectuelle dont les prises de position politiques comptent. Il a été visionnaire en ne se réjouissant pas sans réserve de la chute du Mur, qui on le sait aujourd’hui, a accentué les fragilités économiques.
Sa célébrité le dispense probablement d’explications qui auraient été précieuses pour tout lecteur français né après 1970. Le récit souffre de l’absence de références. Par exemple un évènement se produit un 8 septembre (p. 335) sans que l’on puisse saisir de quel millésime il s’agit. L'édition française n'a pas conservé la couverture de l'édition allemande pour des raisons probablement publicitaires mais il aurait pu réfléchir à un prologue en guise d'avertissement au lecteur.
Il manque aussi des indications géographiques précises. Il aurait été plus commode de suivre sur une carte le périple de Paula. Il n’est pas évident qu’elle vit dans un Berlin encore coupé en deux. Qui hormis les allemands apprécie l’éloignement de la ferme de Kietz des galeries berlinoises ? Comment mesurer la difficulté de se rendre dans les grands musées ? Qui sait qu’Ahlbeck est un ancien petit village de pêcheurs, devenu l’une des plus « célèbres et des plus attrayantes » stations thermales d’une île de la Baltique ? Je connais par contre très bien la ville de Vendôme, à l’inverse cette fois des allemands, et je comprends mal que l’auteur l’ait placée en bordure de Loire, mais qu’importe.
Christoph Hein raconte l'histoire d’une femme qui est née et qui a grandi comme lui en RDA, cette Allemagne qu'on disait « de l'Est » et qui était la petite sœur de l’ex Union soviétique. Elle sacrifie une partie de sa vie de femme et de mère pour satisfaire des ambitions artistiques qui seront en fin de compte laminées. Le récit n’est pas linéaire, insérant des flash-backs non chronologiques sur cinq décennies au long de 417 pages très (trop) dialoguées et où les détails anodins abondent sans faire avancer le récit.
Une grande partie du roman est consacrée à décrire ce que les personnages boivent, dans quels verres et quelles circonstances. Jusqu’à la dernière phrase : Je commande une bouteille de vin.
On s’interroge sur la personne de Paula, croyant un instant lire une véritable biographie malgré un début surréaliste avec la disparition de la fiche d’un carnet d’adresses électronique. La fiction traverse l’histoire de la peinture contemporaine avec la montée de l’abstraction, du monochrome (même si la composition intitulée Blanc sur blanc de Malévitch remonte tout de même à 1918) puis le surgissement des collages de textes courts et poétiques sur les toiles.
On pourrait facilement ne pas relever des phrases anodines qui cependant ont un poids historique. L’Allemagne d’alors célébrait trois uniques valeurs, les 3 K : Kinder, Küche, Kirche – les enfants, la cuisine, et l'église. Une femme devait avant tout être une mère et reléguer tout le reste au second plan. (p. 110)
(Après la chute du mur et en raison du chômage) les maisons sont devenues des cages dorées, invendables. Les gens s’estiment vieux. Ils n’ont que 45 ans. Les plus chanceux transforment l’été leurs garages en studio de vacances loués à prix d’or sur les bords de la mer baltique (p. 325).
On pourrait aussi ne pas retenir des réflexions philosophiques sérieuses sur le mariage à trois comme garant d’une stabilité conjugale, ou encore sur une société idéale qui se passerait de l’argent.
J’ai fini par m’attacher à cette femme forte pour qui peindre était toute sa vie. A cette femme fragile qui avait, nous dit-on les plus beaux yeux du monde, les plus tristes aussi. Avec la solitude inscrite sur son visage … l’impression d‘être tellement vulnérable (p. 314). Alors que l’issue est narrée au début du roman j’ai espéré l’héroïne plus résistante, solide comme le brin de seigle de mer, une plante vivant sans humus, capable de survivre sur le sable sec.
Je me suis surprise à regretter de refermer le livre. Avec le sentiment d’être passée (moi aussi) à coté d’une belle personnalité, m’interrogeant sur ce qui, dans son échec, aura relevé du hasard, des pressions familiales, de sa personnalité, en particulier de son incapacité à se laisser aimer, ce qui aura été provoqué par son enfance et ce qui aura été induit par le contexte socio-politique et le conformisme socialiste.
Je me suis demandé aussi quelles Paula souffraient de l'impossibilité de se réaliser quelque part dans le monde aujourd'hui pour les mêmes raisons.
L'auteur sera présent pour une discussion-débat jeudi 26 mai à 20 heures à l'Orangerie du Plessis. Belle opportunité de l'interroger ...
Paula T. une femme allemande de Christoph Hein, chez Métailié, 2010
Chroniqué dans le cadre du Prix Robinsonnais 2011
Sa célébrité le dispense probablement d’explications qui auraient été précieuses pour tout lecteur français né après 1970. Le récit souffre de l’absence de références. Par exemple un évènement se produit un 8 septembre (p. 335) sans que l’on puisse saisir de quel millésime il s’agit. L'édition française n'a pas conservé la couverture de l'édition allemande pour des raisons probablement publicitaires mais il aurait pu réfléchir à un prologue en guise d'avertissement au lecteur.
Il manque aussi des indications géographiques précises. Il aurait été plus commode de suivre sur une carte le périple de Paula. Il n’est pas évident qu’elle vit dans un Berlin encore coupé en deux. Qui hormis les allemands apprécie l’éloignement de la ferme de Kietz des galeries berlinoises ? Comment mesurer la difficulté de se rendre dans les grands musées ? Qui sait qu’Ahlbeck est un ancien petit village de pêcheurs, devenu l’une des plus « célèbres et des plus attrayantes » stations thermales d’une île de la Baltique ? Je connais par contre très bien la ville de Vendôme, à l’inverse cette fois des allemands, et je comprends mal que l’auteur l’ait placée en bordure de Loire, mais qu’importe.
Christoph Hein raconte l'histoire d’une femme qui est née et qui a grandi comme lui en RDA, cette Allemagne qu'on disait « de l'Est » et qui était la petite sœur de l’ex Union soviétique. Elle sacrifie une partie de sa vie de femme et de mère pour satisfaire des ambitions artistiques qui seront en fin de compte laminées. Le récit n’est pas linéaire, insérant des flash-backs non chronologiques sur cinq décennies au long de 417 pages très (trop) dialoguées et où les détails anodins abondent sans faire avancer le récit.
Une grande partie du roman est consacrée à décrire ce que les personnages boivent, dans quels verres et quelles circonstances. Jusqu’à la dernière phrase : Je commande une bouteille de vin.
On s’interroge sur la personne de Paula, croyant un instant lire une véritable biographie malgré un début surréaliste avec la disparition de la fiche d’un carnet d’adresses électronique. La fiction traverse l’histoire de la peinture contemporaine avec la montée de l’abstraction, du monochrome (même si la composition intitulée Blanc sur blanc de Malévitch remonte tout de même à 1918) puis le surgissement des collages de textes courts et poétiques sur les toiles.
On pourrait facilement ne pas relever des phrases anodines qui cependant ont un poids historique. L’Allemagne d’alors célébrait trois uniques valeurs, les 3 K : Kinder, Küche, Kirche – les enfants, la cuisine, et l'église. Une femme devait avant tout être une mère et reléguer tout le reste au second plan. (p. 110)
(Après la chute du mur et en raison du chômage) les maisons sont devenues des cages dorées, invendables. Les gens s’estiment vieux. Ils n’ont que 45 ans. Les plus chanceux transforment l’été leurs garages en studio de vacances loués à prix d’or sur les bords de la mer baltique (p. 325).
On pourrait aussi ne pas retenir des réflexions philosophiques sérieuses sur le mariage à trois comme garant d’une stabilité conjugale, ou encore sur une société idéale qui se passerait de l’argent.
J’ai fini par m’attacher à cette femme forte pour qui peindre était toute sa vie. A cette femme fragile qui avait, nous dit-on les plus beaux yeux du monde, les plus tristes aussi. Avec la solitude inscrite sur son visage … l’impression d‘être tellement vulnérable (p. 314). Alors que l’issue est narrée au début du roman j’ai espéré l’héroïne plus résistante, solide comme le brin de seigle de mer, une plante vivant sans humus, capable de survivre sur le sable sec.
Je me suis surprise à regretter de refermer le livre. Avec le sentiment d’être passée (moi aussi) à coté d’une belle personnalité, m’interrogeant sur ce qui, dans son échec, aura relevé du hasard, des pressions familiales, de sa personnalité, en particulier de son incapacité à se laisser aimer, ce qui aura été provoqué par son enfance et ce qui aura été induit par le contexte socio-politique et le conformisme socialiste.
Je me suis demandé aussi quelles Paula souffraient de l'impossibilité de se réaliser quelque part dans le monde aujourd'hui pour les mêmes raisons.
L'auteur sera présent pour une discussion-débat jeudi 26 mai à 20 heures à l'Orangerie du Plessis. Belle opportunité de l'interroger ...
Paula T. une femme allemande de Christoph Hein, chez Métailié, 2010
Chroniqué dans le cadre du Prix Robinsonnais 2011
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