Avez-vous lu Ulysse de James Joyce ? Pas davantage que La recherche du temps perdu de Marcel Proust ? Je ne me moque pas, j'étais moi-même dans cette situation. Et pourtant ces artistes ont modifié notre façon de voir le monde.
Mais j'ai été séduite après avoir écouté -en avant-première- le premier podcast de la série L’Odyssée de James Joyce de Laura El Makki, autrice de romans, de biographies, de podcasts et scénariste et David Federmann, ingénieur du son et réalisateur pendant huit ans à France Inter et France Culture.
James Joyce, de son nom de naissance James Augustine Aloysius Joyce (1882 à Dublin – 1941 à Zurich), est un romancier et poète irlandais, considéré comme l'un des écrivains les plus influents du XX° siècle. Ses œuvres majeures sont un recueil de nouvelles, intitulé Les Gens de Dublin (1914), et des romans tels que Portrait de l'artiste en jeune homme (1916), Ulysse (1922), et Finnegans Wake (1939).
Bien qu'il ait passé la majeure partie de sa vie en dehors de son pays natal, l'expérience irlandaise de Joyce est essentielle dans ses écrits. Elle est la base de la plupart de ses œuvres. Son univers fictionnel est ancré à Dublin et reflète sa vie de famille, les événements, les amis (et les ennemis) des jours d'école et de collège. Ainsi, il est devenu à la fois le plus cosmopolite et le plus local des grands écrivains irlandais.
C'était un plaisir d'avoir été informée de la sortie de ce podcast sur le plus français des auteurs irlandais dont le lancement a eu lieu, en toute légitimité, à l'hôtel de Breteuil sous le patronage de Niall Burgess qui est l'Ambassadeur d'Irlande.
Il nous rappela que Joyce était venu en France à l’âge de quarante ans pour une semaine et qu’il y est resté 20 ans. A l’instar de Beckett et malgré un fort accent, il s’exprimait lui aussi en français (et pouvait écrire dans notre langue).
Le lien entre les deux auteurs est manifeste. L’ambassadeur conserve une carte manuscrite du dramaturge et il possède une édition ancienne d’Ulysse reste à portée de main :
Joyce fut accueilli comme une vedette dans son restaurant préféré, le 18 Mai 1922, au Ritz où il rencontra pour la seule et unique fois Marcel Proust (à l’occasion d’un dîner donné en l’honneur de Stravinsky et auquel participèrent également Diaghilev et Pablo Picasso qui comme lui avait trouvé à Paris une ville où s’épanouir). La scène a, depuis, été immortalisée par un peintre et le tableau, prêté pour quelques années, est encore accroché sur le mur de la salle à manger de l’ambassade.
A son arrivée à Paris, Joyce a la chance de rencontrer rue de l’Odéon la libraire Sylvia Beach qui pariera sur lui et mettra tout son argent dans la publication d’Ulysse en anglais. Ce roman d’un millier de pages relate les pérégrinations de Léopold Bloom (Ulysse) et Stephen Dedalus (Télémaque) à travers Dublin tout au long d’une seule journée, le 16 juin 1904, entre 8 heures et 3 heures du matin, le lendemain.
La raison pour laquelle Joyce avait choisi cette date est que, le même jour en 1904, il a rencontré sa muse et future épouse, Nora Barnacle. Voilà aussi pourquoi on célèbre cet auteur chaque 16 juin (depuis 1954). On lui a donné le nom de Bloomsday et cette année elle marquera le lancement de la série de podcasts rassemblés sous le titre de L’Odyssée de James Joyce sur toutes les plateformes d'écoute.
Avant de s’atteler à ce travail, Laura El Makki (ci-dessous à gauche) avait de Joyce l’image d’un grand type à lunettes écrivant des trucs compliqués. Il disait non sans humour : si mon livre Ulysse n’est pas fait pour être lu alors la vie n’est pas faite pour être vécue.
Laura est productrice de séries littéraires, dont la populaire « Un été avec » (Proust en 2013, Hugo en 2015), qui est devenue depuis une collection éditoriale à succès. Sa connaissance approfondie de Proust la rendait légitime pour entreprendre cette nouvelle série radiophonique pour dire quelque chose d’attractif sur ce personnage très déterminé qui a consacré sa vie à son art en nous faisant entendre quelque chose pour susciter le désir à un public francophone de le découvrir à nouveau. J’ajouterai que rien ne nous oblige à lire Ulysse dans son intégralité, ni même dans la continuité chronologique. Pour ma part, j’ai l’intention, après avoir suivi les cinq podcasts, d’en « goûter » quelques morceaux avant de décider de la suite à donner à cette lecture.
Parce qu’à la radio tout doit être mis en scène, David Federmann (ci-dessus à droite) a suivi un parti-pris artistique très fort pour créer une ambiance très feutrée sans avoir recours à la si classique musique irlandaise. Notre oreille reconnaîtra cependant les mouettes caractéristiques des bords de mer et l’atmosphère des rues de Dublin dans le dernier épisode enregistré in situ.
Plusieurs extraits ont été interprétés au cours de la soirée organisée à l’ambassade. Dans le premier, Mathieu Buscatto (ci-dessus) nous a fait lecture d’une lettre de James Joyce, adressée le du 24 juin 1921 à Harriet Shaw Weaver qui fut sa mécène londonienne et première éditrice des premiers chapitres d’Ulysse.
Il se moque des légendes qui ont été construites autour de lui, à propos d’une prétendue fortune qui justifierait que sa famille le croit espion richissime en Suisse, mais aussi cocaïnomane, presque aveugle, n’écrivant plus, propriétaire de cinémas, ou tout petit bourgeois parisien, … alors qu’en vérité derrière ces avis contradictoires, je suis un homme très ordinaire écrit-il à Hariett.
Ordinaire, soit. Il n’empêche que les premiers extraits publics ont provoqué le scandale, surtout le 13 ème chapitre, intitulé Nausicaa, et qui a entrainé le rejet du livre aux USA et à Londres et la condamnation des éditrices à des amendes. Il relate comment, après être passé par la charcuterie, Léopold Bloom regarde le soleil se coucher alors qu’il aperçoit Molly et ce passage est sur l’escalade du désir.
Trois grandes parties rassemblant dix-huit chapitres au total, qui chacun ont été conçu selon un style narratif différent. Le fil de la série se déploie sur le modèle du “stream of consciousness" ou flux de conscience, qui ressemble à un prologue intérieur.
Nous en avons eu un aperçu avec la voix de Molly (extrait du podcast #4). Ce personnage, brièvement entrevu au début, réapparaîtra dans Pénélope, très active et très libre en donnant accès à ses pensées les plus intimes dans la scène finale du roman. Dans l’extrait du chapitre 17 que nous a lu Pauline Chantoiseau (ci-dessus à droite) son oui final résonne comme celui de la vie et de la jouissance.
Nous avons pu également apprécier d’entendre des morceaux de musique interprétés par le pianiste Adam Heron et le guitariste Yoann Kempst.
Des témoignages viennent entourer les voix de James Joyce (Mathieu Buscatto), de Sylvia Beach (Carine Montag) et de Molly Bloom (Pauline Chantoiseau). Ce sont celles des plus grands spécialistes de l’oeuvre de Joyce - l’écrivain Philippe Forest, la traductrice Tiphaine Samoyault, la professeure de littérature irlandaise Clíona Ní Ríordáin, les professeurs de littérature française Max McGuinness et Mary Gallagher, le directeur artistique de l’Abbey Theater à Dublin, Jesse Weaver, ainsi que l’ambassadeur d’Irlande en France Niall Burgess.
La narration permet de naviguer entre documentaire et fiction en 5 épisodes d’une vingtaine de minutes (37 pour le dernier) réalisée en son binaural, qu’il est conseillé d’écouter au casque ou aux écouteurs, pour vivre idéalement l'expérience auditive.
Épisode 1 - L'Irlande et l'exil
De sa naissance à Dublin à son installation à Paris en 1920, Joyce cherche à échapper à l’histoire de son pays natal et à se faire une place dans le milieu littéraire. Son rêve : conquérir la capitale française, ville de toutes les libertés.
Épisode 2 - Le refuge parisien
Après un exil de dix ans à travers l’Europe, Joyce découvre le Paris des années folles et met un point final à son roman Ulysse. Des extraits font déjà scandale et le livre est censuré dans les pays anglo-saxons. Dans le quartier de l'Odéon, la libraire Sylvia Beach risque son argent et sa réputation pour le publier.
Épisode 3 - Le roman d’un siècle
Livre phénomène, classique réputé difficile d’accès, le roman Ulysse a failli ne jamais être publié. Personnages, structure, style : les spécialistes de Joyce donnent leur point de vue sur Ulysse, un livre hors du commun qui a bouleversé à jamais l’histoire littéraire.
Épisode 4 - La voix de Molly
Joyce n’aurait rien accompli sans les femmes : elles l’ont soutenu, financé, aimé. L’un des personnages inoubliables d’Ulysse est Molly Bloom. Une femme libre qui se déploie à la fin du roman, au cours d’un monologue tout puissant.
Épisode 5 - Dublin is calling
Joyce, s’il fut exilé toute sa vie, est avant tout un « Dubliner » qui n’a cessé d’écrire sur sa ville natale. Ce dernier épisode enregistré à Dublin part à la recherche de ses traces, réelles et fictives. De la tour Martello à l’Abbey Theatre : itinéraire du plus grand écrivain irlandais.
Espérons que ce travail radiophonique lèvera les freins à la lecture d’une œuvre dont on craint qu’elle ne nous déboussole. La série a pour objectif de plonger dans le tumulte d’un style et de déjouer les idées reçues, pour révéler la folle liberté d’un auteur qui a bouleversé la littérature du 20ème siècle.
Le voyage littéraire et onirique dans l'imaginaire de James Joyce sera complet si l’écoute est savourée en même temps qu’une bière irlandaise, en toute modération, cela va de soi.
J’ai ainsi découvert la O'Hara’s Irish Pale Ale qui fut élue bière de l’année en 2010 par les membres de l’association Irish Craft Brewers. Cette bière offre un excellent équilibre entre la traditionnelle "pale ale" irlandaise et le houblonnage à cru de la pale ale américaine. Elle est bien entendu plus houblonnée qu’une bière classique mais celle-ci ne titre pas un haut degré d’alcool (5,2°).
Au nez, elle dégage des arômes combinés de malt et de houblon, des parfums herbacés et citronnés. En bouche, ces parfums deviennent des saveurs du même ordre sans que l’une domine par rapport à une autre. Malt, houblon, fruits, agrumes, herbes, pin et caramel sont très agréables.
J’ai jeté un œil dans le jardin avant de quitter l’ambassade. Son architecte se serait inspiré du pavillon de Hanovre construit au XVII°siècle, situé sur les grands boulevards, puis déplacé dans le parc du château de Sceaux (et qui est actuellement en rénovation). J’ai remarqué dans la verdure la statue de la célèbre architecte et designer irlandaise Eileen Gray réalisée par Vera Klute. On lui doit notamment le fauteuil iconique aux rouleaux superposés surnommé "Bibendum", 1926-28. Plusieurs de ses oeuvres sont présentes au Centre Pompidou et au Musée des Arts Décoratifs de Paris.
Texte original : Laura El Makki - Réalisation et mixage : David Federmann
Une série documentaire réalisée pour l’Ambassade d’Irlande en France, en partenariat avec Toursim Ireland, le Centre Culturel Irlandais à Paris et le Ministère des Affaires Étrangères Irlandais.
Disponible en podcasts à partir du 16 juin 2023 sur toutes les plateformes d’écoute.
Pour mémoire, le Centre Culturel Irlandais se trouve :
5, rue des Irlandais
75005 Paris
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