Le rouge de la couverture sur laquelle se détache un loup dévorant des fleurs m’avait mise en garde. Cette lecture serait un choc. Le doute n’était pas envisageable.
S’il m’était resté un doute infime la dédicace aurait achevé de le lever : … aux fêlées, aux cassées, aux déchues, aux maudites, aux damnées …
Effectivement, l’écriture de Sarah Koskievic est de l’ordre du tatouage : incisive, elle marque, impressionne définitivement.
Hazel est une trentenaire désabusée en proie à des idées sombres qui traîne son autodestruction et morcelle son intégrité dans ses relations amoureuses. Elle s’automutile, boit et fume plus que de raison, mange très peu, danse beaucoup et se donne à des hommes le temps d’une nuit, comme de petits abandons volontaires qui la dépossèdent d’elle un peu plus à chaque fois.
Jusqu’au jour où elle rencontre Ian. L’attraction est immédiate, irrépressible. Pourtant cette histoire d’amour est vouée à l’échec. Jusqu’à sa fin… inattendue.
Le roman donne la parole à plusieurs personnages et cet aspect choral confère une dimension supplémentaire à ce livre en relançant constamment l’attention du lecteur et en permettant de suivre les scènes sous des angles différents, à la manière d’un kaléidoscope.
Une playlist (décidément cela devient banal) est donnée mais cette fois elle figure intelligemment au début du roman.
Sarah Koskievic est journaliste. Après plusieurs années à travailler pour la presse écrite, elle est partie en Israël pour occuper le poste de rédactrice en chef d’une émission d’information. De retour en France, elle collabore notamment avec Les Inrocks, Vice, Causette, Uzbek&Rica. Elle est aujourd’hui la productrice éditoriale du podcast « Transfert » (Slate), l’un des podcasts les plus écoutés en France.
Avec ce nouveau roman, qui fait suite à La meute, elle affirme son style. On est tenté de la comparer à Virginie Despentes mais sa puissance est toute personnelle. On pourrait tout autant dire qu’il y a du Luc Besson et du Jean-Jacques Benneix derrière de nombreuses scènes.
Je ne me suis ni reconnue, ni projetée dans le personnage féminin principal qui donne son nom au roman. Comme quoi ce n’est pas une condition indispensable pour dévorer et apprécier un livre. C’est l’art de la romancière de nous placer en empathie à son propos. Hazel nous parle sans détour et quand elle exprime (p. 48) j’aurais voulu changer ce monde qui me consume, ce monde qui ne me comprend pas et que je comprends encore moins, comment ne pas compatir ?
Le titre choisi pour accompagner ce moment, La nuit je mens de Bashung est particulièrement à propos.
Hazel est excessive mais touchante, et jamais plaintive, reconnaissant à la fois qu’elle ne supporte plus les gens heureux (p. 126) et qu’elle s’est créé son propre mythe de Sisyphe (p. 149). Son petit ami, Romain, est en phase avec elle, estimant qu’elle est victime d’un vide que rien ne peut combler et son féminisme vengeur et assassin (p. 91).
A certains moments l’écriture de l’auteure a presque des accents poétiques. Ainsi par exemple p. 152 :
Aujourd’hui, j’ai du mal à me souvenir si tout cela s’est vraiment produit.
Peut-être que c’est seulement le fruit de mon imagination.
Acta fabula est.
Peut-être que c’est seulement le fruit de mon imagination.
Acta fabula est.
Aucun doute que Sarah Koskievic aura réussi à maintenir la tension narrative jusqu’au bout et qu’elle saura encore nous surprendre dans ses prochains romans.
Hazel de Sarah Koskievic Editions de la Martinière, à paraître le 25 août 2023
Lu en version numérique de 181 pages
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