Le bon plan de dimanche dernier c'était la gratuité des musées nationaux car on était le premier dimanche du mois. Nous avions le choix. Ce fut Orsay.
Il faut y venir régulièrement pour sa muséographie, les œuvres, son histoire(on n’aura qu’un aperçu des collections permanentes en trois heures de temps). L’espace est impressionnant par son cadre. Et on n’est pas à l’abri de grosses surprises avec certains tableaux des années 1890 de peintres inconnus qui sont splendides de modernité.
Quelle bonne idée eut Valéry-Giscard-d'Estaing de faire un musée de cette ancienne gare, devenue théâtre et vouée à la démolition. Il est tout à fait légitime qu’enfin une partie du quai porte son nom (depuis mars 2023) entre le croisement avec la rue du Bac et celui avec la rue de Solférino.
Accueillis par une des statues de la liberté qui se trouvent à Paris, nous avons déambulé au rez-de-chaussée avant de monter directement au 5ème étage, où sont exposés mes peintres préférés.
J’ai été étonnée de la quantité de photos que prennent les visiteurs. Cela doit représenter des millions de clichés qui sont stockés quelque part, et peut-être jamais revus. Mais certains, méconnus méritent d’être gardés en souvenir comme ce pastel, aquarelle et fusain sur papier, intitulé Départ pour la pêche de Pietr Mondrian (1900) dans de subtiles tonalités de bleu, gris et rose pâle, où l’eau, blanche comme du lait, semble dormir.
J’ai donc décidé de ne pas appuyer sur le déclencheur devant chacun des tableaux qui me plaisaient. C’est vrai qu’ils sont nombreux : L’enfant au berceau de Berthe Morisot, de nouvelles oeuvres de Caillebotte, les dindons de Monet et aussi les champs de tulipes qu’il a peints en Hollande.
J’ai essayé de me focaliser sur mon regard en faisant travailler ma mémoire. Tous les peintres ont été inspirés par l’été et l’hiver plus que par les saisons intermédiaires. Beaucoup reprennent les mêmes thèmes. Ainsi Gaugin a lui aussi peint des Meules jaunes comme Monet et, des natures mortes à l’instar de Cézanne.
A ce propos, j’ai admiré une fois de plus, dans la salle qu’il partage avec Renoir, ses Pommes et oranges et Les joueurs de cartes qui dans mon souvenir était un tableau plus grand.
On est surpris par le découpage du Déjeuner sur l’herbe de Claude Monet (1865-66). Ces personnages élégants qui piquent-niquent en forêt de Fontainebleau sont Camille Doncieux, sa compagne, les peintres Bazille (en costume clair) et Courbet.
Il a voulu se mesurer au Déjeuner sur l’herbe de Manet (placé sur le mur d’en face), dit aussi le bain, puis La partie carrée (1863) qui fut présenté au salon des refusés en 1863 où il fit scandale par son sujet, sa technique, la violence des contrastes et son traitement de la perspective. Monet aurait voulu faire grand effet au salon de 1866. Mais il ne parvient pas à terminer la toile qu’il doit abandonner, faute d’argent pour payer d’abord son loyer. Il la laisse en gage. Quand il la rachètera elle est très abimée et il décide de la découper pour sauver ce qu’il peut.
Certaines œuvres ont une valeur de témoignage. La campagne peinte par Pissaro n’existe plus du tout alors que les coquelicots reviennent dans les champs. Je ne me lasserai jamais de contempler ceux de Monet, sur ce tableau dit aussi La promenade, peint en 1873 dans les environs d’Argenteuil, désormais proche de Paris grâce au chemin de fer.
J’aime toujours autant admirer La Petite danseuse de 14 ans, seule sculpture exposée du vivant de Degas. Le premier exemplaire fit scandale à l’exposition impressionniste de 1881 parce qu’elle intègre vrai tulle, chaussons, ruban et cheveux véritables. On voyait aussi dans son regard une forme de consentement à la prostitutuion.
Presque en face je découvre la charmante Julie Manet, dit aussi L’enfant au chat peint par Pierre Auguste Renoir (1887).
Vus avec un certain recul, Madame Hector France (1891) de Henri-Edmond Cross (1856-1910) et L’homme à la barre (1892) de Théo Van Rysselberghe (1862-1926) sont des huiles sur toile qui pourraient être confondues avec des instantanés photographiques.
Je m’étonne de ce Château des Papes de Paul Signac (1900) dans une technique pointillisme plus appuyée que celle de Georges Seurat pour le cirque (1890-1891) inachevée à la mort prématurée de l’artiste. L’œuvre est emblématique du néo-impressionnisme en synthétisant les théories scientifiques de l’époque sur la perception des couleurs et l’effet psychologique des lignes directionnelles.
Plus loin, dans la salle où sont projetés les premiers courts-métrages, dont ceux de Mélies, dont les effets spéciaux sont un bijou de précision, on remarquera qu’en 1900, personne ne sortait sans casquette ou chapeau (scènes filmées dans la rue).
Comme j’aimerais faire mon propre accrochage et placer côte à côte Paul Serusier qui évoque parfois Klimt, également ces panneaux du monde imaginaire d’Odilon Redon (1840-1916) pour décorer un château icaunais en 1901.
Cet artiste fait l’objet d’une exposition temporaire, au rez-de-chaussée mais plusieurs de ses oeuvres subsistent dans les étages et il serait dommage de ne pas s’y attarder.
Bien que placés à des étages différents on reconnaît « la patte » de l’artiste. A gauche, la Jeune fille au bonnet bleu, pastel sur papier de 1890, à droite une huile sur toile peinte après la mort de Paul Gaugin entre 1903 et 1905.
Celle-ci est placée dans une des salles consacrées à Paul Gaugin qui fut aussi sculpteur évidemment, peintre sur verre et décorateur. Ne manquez pas La belle Angèle peinte sur un médaillon à l’intérieur de la toile.
Il est amusant de régulièrement jeter un œil à travers les fenêtres pour apercevoir Montmartre ou la Tour Eiffel.
Et puis il ne faut pas oublier les Nabis qui, je crois étaient autrefois au 5ème (comme Le Douanier Rousseau, originaire de Laval, autodidacte qui n’a commencé à peindre qu’après 40 ans, et dont j’aime toujours autant La charmeuse de serpents) et qui sont dans des alcôves du second étage, pas très loin du si bel ours blanc sculpté par François Pompon.
De Van Gogh tout est admirable, à commencer par la si bien connue La fameuse chambre d’Arles que je croyais exposée à Amsterdam. Point de tournesols, mais des Fritillaires dans un vase de cuivre, une Guinguette à Montmartre dans un style qui ne fait pas immédiatement penser à lui. Et puis La nuit étoilée qui, bien que peinte en Arles qu’il nous montre éclairée par les becs de gaz et la Grande ourse, évoque immédiatement l’affiche du film de Woody Allen Midnight in Paris. Quelques mois plus tard il en fera une autre version intégrant l’église entouré d’étoiles tourbillonnantes.
Par contre il faudra faire un détour au niveau médian salle 67 pour voir, parce qu’ils appartenaient à la collection particulière de Philippe Meyer qui en fit donation, L’hôpital Saint Paul de Van Gogh, un modeste (mais si beau) vase de fleurs de Manet, Le pont de Charing Cross d’André Derain et l’incroyable beau saule pleureur de Monet, dans les tons orangés correspondant à la période de sa cataracte (1920-22).
On aura vu auparavant toutes les harmonies de la cathédrale de Rouen, un tableau représentant des meules à la fin de l’été, un des nombreux Nymphéas (il en a peint une centaine) et Le parlement de Londres au soleil couchant.
Je salue le travail des éclairagistes parce qu’on ne remarque pas immédiatement que la plupart des tableaux sont protégés par une vitre qui, en général, ne brille pas sur les clichés que l’on prend. L’arlésienne de Van Gogh en semble dépourvue. C’est si rare ! Le confort du public est pris en compte, y compris avec ces Water Blocks qui sont à eux seuls des oeuvres d’art, que l’on doit àTokujin Yoshioka, designer né au Japon en 1967. Réalisés en 2002, ils sont en verre coulé dans un moule de platine, piètement en acier inoxydable. Ce modèle de banc est conçu comme un bloc d’eau, véritable sculpture puisant sa forme dans la nature pour produire une atmosphère poétique similaire à l’eau qui renvoie la lumière.
Au rez-de-chaussée, on s’attardera devant la vitrine abritant les caricatures de Daumier, puis L’angélus et Les glaneuses de Millet, non loin de ses tableaux monumentaux. Par contre si vous voulez jeter un œil à la scandaleuse Origine du monde, il faudra aller au musée des Arts décoratifs.
La porte de la peinture de Claude Rutault est placée au centre du rez-de-chaussée en hommage à cet artiste, qui n’est ni un impressionniste, ni un post-impressionniste, et qui nous a quitté le 27 mai 2022. Il a souvent travaillé d’après les maîtres, imaginant des définitions-méthodes en hommage à Poussin, Watteau, Manet, Seurat, Matisse… Cette fois on reconnaît la filiation avec la Porte de l’Enfer d’Auguste Rodin qui le fascinait.
J’avais découvert plusieurs de ses « définitions-méthodes », car tel était le nom qu’il donnait à ses oeuvres qui relèvent autant de la peinture que de la sculpture, au Silo de Marines dont la visite demeure un grand moment. Il fournissait pour chacune un texte écrit sans majuscules, spécifiant les modalités de réalisation, déléguée à un « preneur en charge ». Par exemple : « une toile tendue sur châssis peinte de la même couleur que le mur sur lequel elle est accrochée. sont utilisables tous les formats standards disponibles, qu’ils soient rectangulaires, carrés, ronds ou ovales. l’accrochage est traditionnel ».
Également au rez-de-chaussée, au fond du bâtiment, on découvre une immense maquette de l’Opéra Garnier, en coupe, qui permet de comprendre le fonctionnement des décors.
Nous partons avec le regret de n’avoir pas vu les salles de mobilier Art Nouveau (fermées) mais nous sommes malgré tout restés plus de trois heures. On peut dire que nous avons pleinement rentabilisé le billet.
Le premier dimanche du mois, le musée d’Orsay est gratuit pour tous. Une bonne opportunité pour découvrir les collections et les expositions temporaires. Cependant la réservation est en ligne est obligatoire : moins de temps d’attente, plus de temps de visite. L’entrée en 30 min est garantie.
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