Publications prochaines :

La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

lundi 30 octobre 2017

Manège de Daniel Parokia, chez Buchet-Chastel

Très documenté, Manège est un bonheur car il ramène le lecteur "un peu" âgé dans le tourbillon de la seconde moitié du XX° siècle, mais -et c'est ce qui en fait sa force- sans nostalgie aucune.

On reconnait en couverture une photo de Robert Doisneau, quoique moins célèbre que le Baiser de l'Hotel de ville, mais tout de même.

Et pour moi qui avait conçu A bride abattue comme un manège de chevaux de bois sur lequel on pourrait tourner le temps qu'il plairait au lecteur, je ne pouvais qu'adhérer à la définition de Daniel Parokia : le monde est comme ces manèges pour enfants qui tournent incessamment dans les fêtes foraines. (p. 252)

Le microcosme lyonnais qu'il décrit n'est pas pour autant idyllique. La bourgeoisie évolue dans le luxe et Le luxe, ça rend un peu tordu, c'est l'étymologie du mot (p. 44). Forcément les choses seront difficiles mais Matteo est amoureux et ne veut pas être lucide malgré les mises en garde de son père qui tente de lui faire entendre raison (p. 237) : malgré leur manège, toi tu fais comme si rien ne s'était passé !

Le mot revient souvent, lancinant.

(...) Vivre n'était rien d'autre qu'être pris dans un tel manège. Qu'il s'y ajoute ou non une tromperie n'y changeait rien (...) elle le hanterait indéfiniment.

Elle se prénomme Mathilda et elle était particulière (p. 190). Je pourrais dire quelque chose d'approchant à propos de ce roman qui fait l'éloge d'un vin pétillant que j'apprécie (avec modération), le Cerdon, que Matteo découvre rosé (p. 60) et que je préfère rouge (pétillant lui aussi).

La jeune fille demande à son amoureux s'il l'emmènera au Mexique voir Teotihuacan (p. 130), ce que je devais faire quelques jours plus tard. Les coïncidences entre mes lectures et le déroulé de ma vie m'étonneront toujours. Elles m'interpellent et j'aime trouver ces points communs, de la même manière  sans doute que l'auteur pointe la tendance à avoir envie de retrouver un amour d'enfance : les gens préfèrent le passé à l'avenir parce qu'il fait moins peur. (p. 70)

26 ans plus tard, une photo ramène Matteo à ses souvenirs, alors qu'il a eu un peu plus tôt un accident avec une parfaite inconnue, peut-être pas tant que ça puisque c'est Mathilda. Ils restaient deux enfants au soleil et, comme disait la chanson, c'était comme si tout recommençait. (p. 266)

Au lecteur d'imaginer la suite.

On se souviendra en refermant le livre qu'une apparition à une fenêtre peut changer le cours d'une vie.

Manège de Daniel Parokia, chez Buchet-Chastel

dimanche 29 octobre 2017

Marengo japonais

On est souvent influencé malgré nous par des évènements ou des rencontres. Hier soir j'ai assisté au Théâtre de Nesle à Doll is mine, un spectacle qui raconte la dérive de Shiori, une jeune femme qui travaille dans une Maison de sommeil, comme il en existe dans le Tokyo nocturne contemporain.

Le metteur en scène, Arturo Armone Caruso, est un fin cuisinier sicilien. L'interprète, Azuki Hagino, est japonaise et j'avais encore en tête le souhait d'accorder un saké très particulier avec un plat à tendance exotique.

Toutes ces influences ont fait que, sans en avoir conscience, j'ai imaginé un plat qui concilie l'Italie et le Japon, d'où son intitulé de Marengo japonais.

samedi 28 octobre 2017

Doll is mine mis en scène par Arturo Armone Caruso

J’ai été invitée à assister à une représentation probablement spéciale de Doll is mine car il y avait ce soir-là beaucoup de japonais dans la salle, ce qui sans doute a contribué à la qualité d’attention du public.

Le Théâtre de Nesle est déjà en soi un lieu particulier, avec son hall chargé d’histoire, hanté par des statues africaines et une lithographie de Miro. La voute de pierres de la salle est un décor en soi.

Une lumière bleutée inondait la scène, recouverte d’un tapis de pétales de roses blanches. Un bouquet de chrysanthèmes apportait une touche de couleur vive, de même qu’un alignement de flacons de vernis à ongles que je n’ai pas perçu immédiatement.

J’avais le sentiment d’avoir été conviée à une cérémonie du thé. Nous venions de subir le passage à l’heure d’hiver et nous nous accrochions entre veille et sommeil. Le sujet de la pièce semblait avoir été pensé sur mesure. D'ailleurs mes jeunes voisins (ils n'étaient pas trentenaires) se sont endormis au cours de la soirée. Moi pas. J'ai au contraire eu le sentiment de vivre à 200% ce spectacle élégant, exotique et superbement interprété, parfois à la limite de la chorégraphie.

Shiori est une jeune femme candide qui travaille dans une Maison de sommeil, comme il en existe dans le Tokyo nocturne contemporain. Drôle de métier consistant à veiller sur l'endormissement des autres sans avoir le moins du monde le droit de céder aux appels de Morphée. La jeune femme est interprétée brillamment par la comédienne franco-japonaise Azuki Hagino qui assure tous les rôles en modifiant sa voix et sa posture avec un naturel confondant, témoignant de sa maitrise du No comme du Butō.

La traduction que Arturo Armone Caruso a faite du texte de Katia Ippaso a été lauréate de l'aide à la création du Centre National du Théâtre en mai 2014. L'auteure a voulu pointer les troubles du sommeil, liés au stress auquel le travail, la culture de la réussite à tout prix, la solitude des nouveaux modes de travail exposent les japonais, en particulier les hommes. Mais la maison de sommeil dont il est question ici est plus un lieu de l'imaginaire qu'une copie du réel. Elle se situe davantage dans le rêve et le fantasme que dans le monde concret.

Arturo a construit la mise en scène en se souvenant que chez Kawabata (prix Nobel de littérature, qui a écrit Les belles endormies), des hommes âgés ayant perdu leur virilité venaient dans les maisons de sommeil pour admirer des jeunes filles vierges, endormies. Les maisons au Japon où l'on va dormir et chercher un réconfort, pas forcément sexuel..., existent vraiment. Il y a des similitudes entre ces "cafés sieste" et l'établissement de Doll is mine. Mais les règles fixées dans la pièce sont imaginaires. L'intérêt du Japon réside dans sa capacité à trouver pour ces manifestations de malaise, une formulation précise et de proposer des solutions plus ou moins pratiques... Ainsi la maison dont on parle dans la pièce est bel et bien plausible.

L'action démarre un 1er décembre. Les soirées vont s'enchainer, annoncées systématiquement en lettres noires sur le mur de pierres. Certains passages sont par le même procédé, traduits en japonais, ou en français, et c'est une très bonne idée parce que même si les chansons s'écoutent avec grand plaisir il est important d'en saisir le sens.

C'est en effet un spectacle qui est autant visuel que musical. Maria Fausta Rizzo en a créé la musique qu'elle joue et chante en direct, sans être sur la scène, mais en se situant cependant tout près. Ce parti-pris de mise en scène adopté par Arturo Armone Caruso laisse toute la place à la comédienne sans nuire à l'interprète car cette chanteuse-violoniste-pianiste-compositrice a une très forte présence, et une voix enveloppante, aux limites du rock.

Elle est une sorte de trait d'union entre la salle et ses spectateurs, avec la scène et l'actrice. Elle accompagne la dérive de Shiori qui peut-être ne tiendra pas jusqu'à la fin du mois. Doll is mine, le titre de la pièce, reprend celui d’une chanson du groupe de rock italien Blonde Redhead, que l'on entendra au cours du spectacle et que le metteur en scène a eu la bonne idée de traduire afin qu'on n'en perde pas une bribe. De même qu'un poème de Cesare Pavese. (J'ai regretté que la berceuse japonaise Tanako ne le soit pas).

La clientèle d'une maison de sommeil, comme on peut aisément l'imaginer, n'est pas banale. Les hommes sont plus ou moins insomniaques et passent la porte sans abandonner leurs fantasmes, pulsions et angoisses, quelque soit leur âge. Les adolescents ne sont pas plus rassurant que le vieillard cauchemardeux. Et rien ne ressemble plus au sommeil que la mort.

La musique est parfois hypnotique. Le duo fonctionne à la perfection avec la comédienne jusqu'à la fin, caractéristique de l'esprit japonais puisqu'il sera question de pardon.
On espère que la pièce sera prolongée ou reprise dans un autre théâtre. L'association de trois personnalités dont l'enfance s'est déroulée au pied d'un volcan (le Fuji Yama, l'Etna et le Vésuve) lui garantisse le potentiel pour durer. Arturo, Katia et Maria se sont rencontrés à Paris. Ils sont opposés (ce qui s'illustre sur scène où l'une est en couleur, l'autre en noir et blanc) mais leur entente est sans faille. C'est une belle rencontre.

Elle se prolonge d'une certaine manière avec le concert exceptionnel que Maria Fausta Rizzo donnera à l'occasion de la sortie de son nouvel album solo, le dimanche 10 Décembre 2017, toujours au Théâtre de Nesle, avec le célèbre violoniste Didier Lockwood.

Pour ma part je reverrai sans doute Arturo à une autre occasion car il est aussi fin gourmet et ... excellent cuisinier. Ses spécialités siciliennes ont été une révélation. Comme quoi le culinaire peut fort bien se conjuguer avec le culturel. On le savait depuis longtemps.
Doll is mine de Katia Ippaso
Avec Azuki et Maria Fausta Rizzo
Metteur en scène : Arturo Armone Caruso
Du jeudi 9 novembre 2017 au dimanche 12 novembre 2017
Au Théâtre de Nesle
8 rue de Nesle - 75006 Paris

jeudi 26 octobre 2017

Jusqu'ici, tout va bien de Gary D. Schmidt

Jusqu'ici, tout va bien, c'est ce qu'on se dit lorsqu'on échappe au pire, quand on parvient encore à contrôler une situation qui pourrait être calamiteuse.

En fait, Doug Swieteck a dépassé ce stade depuis longtemps mais il a une telle aptitude à encaisser les coups durs (et autres brutalités ou vexations) qu'il demeure positif en toutes circonstances.

Il raconte presque tout des galères qu'il endure, que ce soit à la maison où son "crétin" de frère lui en fait subir des vertes et des pas mûres, ou dans la classe de quatrième de son collège. Il ne se plaint pas. Il a au contraire l'art de minorer les faits ou de pratiquer l'ellipse pour épargner le lecteur. Il lui cache ce qui se passe les mauvais jours, sauf qu'on a compris qu'une journée ne peut jamais être tout à fait bonne.

Le gamin a de la trempe. Il tient de tous les héros qu’on connaît depuis Dickens en passant par Victor Hugo. Il ficèle ses confidences avec un humour qui relève du second degré, apostrophe régulièrement le lecteur avec lequel il instaure la connivence. Il ne crache jamais le morceau, même quand il est sur le point de faire démasquer le coupable. On l'admire un peu d'un tel courage dont le carburant est la détermination. L'enfant n'est pas un faible mais la vengeance n'est pas inscrite dans son ADN. Il attend le moment propice et on espère que quelque chose de bon finira par se produire en se rappelant qu'à coeur vaillant rien n'est impossible ...

Gary D. Schmidt situe l'histoire aux USA en 1968, dans une Amérique en pleine guerre du Vietnam, au coeur d'une petite ville de l'état de New York, dans une famille subissant le manque d'argent, la violence, les idées toutes faites, quelques mois avant la première marche sur la lune, alors que Joe Pepitone (né en 1940) était un très grand joueur de baseball. Il faut donc se resituer dans le contexte et on peut s'interroger sur la capacité d'un ado d'aujourd'hui à y parvenir. Etre "dans la lune" allait bientôt ne plus être synonyme de décrochage scolaire puisque des hommes s'apprêtaient à s'y rendre. Le grand rêve allait devenir réalité, ce qui fait dire au professeur de sciences que les enfants viennent au Collège Washington Irvin pour apprendre à bâtir les fondations qui rendent leurs rêves possible. (p. 93)

Dough est loin de se projeter dans un tel avenir parce qu'il a une sorte d'infirmité qui nous sera révélée seulement page 95, mais que l'on peut deviner auparavant si on est très attentif.
Chaque chapitre est illustré par une reproduction d'une planche du livre Les oiseaux d'Amérique de John James Audubon. Et on apprendra vite le rôle qu'elles vont jouer dans la vie du garçon.

Le style est vif, sans verser dans le pathétique pour au final nous permettre d'accompagner le jeune garçon sur le chemin qui va le conduire à son destin.

Dough rencontrera sur ce parcours des personnes très positives. Sa mère, dont le sourire semble illuminer ses journées. La seconde est Lil Spicer qui l'attend au bout de la rue sur son vélo et va l'inciter à se rendre à la bibliothèque pour y faire autre chose que lire avant de devenir pour lui une sorte de muse. C'est un lieu magique pour celui qui a besoin de s'évader. M. Powell lui apprendra à "réfléchir en artiste" en scrutant les postures des oiseaux et y voir par exemple autre chose que "deux macareux stupides" (p. 102). Cet adulte lui permet d'analyser une situation au-delà de la première impression. Un petit chevalier (et son nom est très symbolique) lui donne par sa posture, la force de résister à son père quand celui-ci, furieux, s'apprête à le frapper et rate sa cible (p. 188). Il lui faudra une détermination et une patience sans faille pour  remporter d'autres victoires.

Dough se révèle très doué en dessin. Parfois l'art peut vous faire oublier tout ce qui est autour de vous (p. 349) et ce don va lui permettre de se construire. Il est talentueux aussi dans une discipline mathématique, les statistiques, qu'il exprime avec humour, en clin d'oeil avec le lecteur. Mais peut-on systématiquement s'appuyer sur les chiffres ? Il sympathise avec de nombreux adultes qui sont désignés par leur nom s'ils sont positifs, par un surnom (manie héritée de son père) dans les autres cas, même s'il a de l'empathie pour tout un chacun, surtout lorsqu'il découvre une passion commune pour le dessin. Tous les protagonistes sont bien typés.

C'est un garçon volontaire qui ne rechigne pas à faire des livraisons le samedi pour engranger quelques sous. Et qui sait repérer les jolis instants, la puissance du sourire de sa mère, la délicatesse d'une orchidée, la saveur d'un plat, et apprécier les bons moments comme le Pique-Nique Annuel des Salariés de l'usine où travaille son père. La manifestation mérite les majuscules car tout y sera extraordinaire.

Le Soit-Disant-Professeur-de-Gym lui demande de retirer son tee-shirt. Personne n'a rien remarqué. Jusqu'ici tout va bien ... (p. 209) se dit l'enfant pour nous rassurer. Nous avons vu s'enchainer les catastrophes alors si jusqu’ici tout va bien qu’est ce que ça va être bientôt ? Mais Dough pense à l'aigrette neigeuse qui porte la tête haute et a ce bec pointu qui défie le monde. Alors, oui, jusqu'ici tout va (encore) bien.
Le garçon n'aura de cesse de remettre chaque tableau d'oiseau disparu à l'endroit où il est censé être. L'auteur pratique une sorte de métaphore car l'enfant va effectivement consacrer une année scolaire pour réussir le challenge de tout remettre d’aplomb. Il y aura des embuches mais on le voit poursuivre son objectif avec une ténacité exponentielle. Le récit est prenant jusqu'au bout parce que plusieurs histoires se croisent autour de personnages très typés, notamment son frère ainé de retour du Vietnam.

On croit deviner ce qui va se passer  mais l’auteur a une forte capacité à surprendre. Ce livre prend souvent une tournure philosophique, enseignant à l'enfant que quand on a perdu quelque chose (ou quelqu'un) il reste le souvenir et c'est déjà ça.

La fin est ouverte. On ne jurera pas que ça se termine bien mais au plus près.

Jusqu'ici, tout va bien de Gary D. Schmidt, traduction de l'anglais (E.U.) par Caroline Guilleminot, illustration de couverture d'Antoine Doré, École des Loisirs, Collection Médium, pour des lecteurs de 14 ans et +, en librairie le 4 octobre 2017

mercredi 25 octobre 2017

Ramsès II de Sébastien Thiery

Je sais que les avis sont partagés mais j'aime Ramsès II sans limite. C'est pourtant tout le contraire du livre dont je publierai la chronique demain (Jusqu'ici tout va bien) parce que même si l'on va de rebondissement en rebondissement jusqu'à une fin terrible l'art des acteurs est de parvenir à nous faire rire de leurs déboires.

Jean (François Berléand) et Elisabeth (Evelyne Buyle) s’apprêtent à recevoir à diner leur fille Bénédicte et son mari  dans leur maison de campagne. Mais Matthieu (Eric Elmosnino), le gendre, arrive seul. Pourquoi ? C'est tout le sujet de la pièce et le spectateur aura autant de mal que les protagonistes à démêler le vrai du faux.

Le spectateur est entrainé dans un crescendo magistralement élaboré par Sébastien Thiery et finit par perdre sa capacité d'analyse.

Tout est symbolique, à commencer par le cadeau ramené de vacances et offert par Mathieu à son beau-père : une reproduction du masque mortuaire trouvé dans le sarcophage de Ramsès II. On devine la folie poindre dès les premiers échanges. Une folie en fin de compte autant contagieuse qu'un fou rire. Certains n'y verront que du tragique mais je veux y voir malgré tout une comédie parce qu'il vaut mieux en rire, et que ça fait du bien (de rire) même de ça.

Le gendre ne se souvient pas de l'essentiel et on le sent à coté de la plaque. Il prend les interrogations pour des affirmations. Le ton monte de part et d'autre. La tension devient perceptible. On perçoit le désarroi des parents. Et on veut croire que Matthieu n'est pour rien dans ce qui semble se tramer.

Tout fonctionne à la perfection. Le décor lui-même, imaginé par Jacques Gabel, se métamorphose au fil des actes, suggérant que la demeure va devenir semblable au tombeau d'un pharaon sous les éclairages de Dominique Borrini.

De multiples rites étaient entrepris pour protéger les pharaons des mauvais esprit après leur mort. Le pauvre Jean aurait besoin d'attention ... de son vivant. A quoi sert-il d'avoir raison si on est seul à le croire ? 

On a le sentiment que le pire n'est pas encore arrivé mais qu'il se profile. Alors on guette l'indice, le faux pas. On espère et on frissonne. C'est délicieux.

Mention spéciale à Elise Diamant dont le rôle n'est pas aisé, mais je ne peux en dire davantage. Allez-y ... en famille si possible, ce sera encore plus jouissif.

Le spectacle est programmé aux Bouffes parisiens, qui est un très joli théâtre, encore imprégné du souvenir de grandes tragédiennes comme Arletty dont le portrait est accroché dans un couloir.
RAMSES II de Sébastien Thiery
Mis en scène par Stéphane Hillel
Avec François Berléand, Eric Elmosnino, Evelyne Buyle et Elise Diamant
Du 19 septembre au 31 décembre 2017
Reprise pour 30 représentations exceptionnelles à partir du 2 mai 2018
Du mardi au samedi à 21h
Matinées le samedi à 17h30 et dimanche à 15h
Aux Bouffes parisiens
4 rue Monsigny - 75002 Paris

lundi 23 octobre 2017

PÂTISSERIE de Ferrandi chez Flammarion

J'ai passé le week-end à le déguster. Et je n'ai pas pris un gramme. J'ai malgré tout brûlé des calories rien qu'en soulevant le livre. PÂTISSERIE envoie du lourd, comme on l'entend dire à la télévision. Le titre, en énormes lettres dorées sur un macaron rose (qui devient en quelque sorte l'emblème de l'école) ne tient pas en un seul morceau sur la couverture.

Je connais bien l'univers des livres de recettes. Je n'en chronique jamais un sans avoir auparavant testé quelques plats. Les ouvrages publiés sous l'égide des grands chefs sont dans leur majorité truffés d'erreurs ou d'oublis (on comprend que Mercotte s'en soit inspirée pour écrire celles qu'elle soumet aux candidats de son émission). Les photos sont magnifiques mais personne ne peut refaire le même à la maison. Alors souvent je préfère les ouvrages conçus par de petites équipes de passionnés.
Cette fois c'est différent. Ferrandi est une grande équipe, bien entendu passionnée, et surtout ultra soucieuse de pédagogie qui depuis sa création en 1920 a formé des générations de professionnels, avec des résultats impressionnants de réussite aux examens. 26 chefs se sont mobilisés pour réaliser l'ouvrage. Quant à Flammarion, cet éditeur avait déjà publié en 1921 le Guide culinaire d'Escoffier qui a fait référence en cuisine.

Le résultat est magnifique. L'anecdote veut que le chef cuisinier de Ferrandi aurait dit que ce livre lui donne envie d'oser ... se lancer en pâtisserie.

Les quelque 1500 photos des desserts sont toutes superbes, dans une mise en scène sobre qui anoblit le produit fini. Et celles qui illustrent les pas-à-pas sont précises, avec des légendes ultra didactiques. Comme vous pourrez le constater avec les quelques exemples que j'ai repris pour cet article.

L'univers de la pâtisserie a considérablement évolué. Il est rare que je retrouve les gâteaux qui ont marqué mon enfance. On ne se satisfait plus d'une "simple" tarte, d'un gâteau de Savoie ou d'un "miaspateux" ... Ce dernier était une spécialité de ma mère : de la crème pâtissière entre des couches de biscuits boudoir imbibés de sirop, sorte de tiramisu en quelque sorte. Il faut aujourd'hui combiner émulsion, crémeux, mousse et réfléchir à une présentation digne de figurer en boutique.

Le vocabulaire aussi a changé et je m'interroge sur ce que penserait ma grand-mère en regardant leurs créations ... en deux heures chrono. Il n'empêche qu'elle était la reine du feuilletage dont je ne saurais dire s'il était ou non "inversé".

On trouve dans Pâtisserie, avec les clés pour y parvenir, ces gateaux d'exception qu'on hésite parfois à acheter en raison de leur prix. On aura aussi la marche à suivre pour réaliser les basiques historiques dans les règles de l'art.

Lorsque le dessert s'y prête, il est décliné en 3 niveaux de difficulté : pour débutant, pour initiés et une version conçue par un grand chef. Le Savarin (p. 424) sera ainsi proposé traditionnel aux fruits (niveau 1), au chocolat (niveau 2) et en version Ispahan de Pierre Hermé (niveau 3).

dimanche 22 octobre 2017

Tchikan, un témoignage de Kumi Sasaki et Emmanuel Arnaud

Tchikan porte sur un sujet qui ne semble pas concerner les jeunes françaises autant que les japonaises ... à moins que le silence soit également une chape de plomb dans notre pays.

Kumi Sasaki nous fait, avec sincérité, le récit des angoisses qu'elle a supporté pendant des années.

On comprend mal qu'elle n'ait pu recevoir aucun soutien de sa mère ni des autorités qui administrent le métro, pas plus que celui de la police. Le Japon est un pays où la parole n'est pas libre. Mais c'est tout de même un comble : avoir inventé un terme (tchikan) pour désigner un phénomène (le harcèlement sexuel dans les transports) tout en prétendant que cela n'existe pas, ou de façon très minoritaire.

Le témoignage de la jeune femme est très fort parce qu'il est écrit au présent, avec toutefois un recul suffisant pour lui permettre d'insister sur les racines du processus. Les codes de la vie en société, tels qu'ils sont en vigueur dans ce pays, sont finement décryptés. On espère que, au-delà d'un effet positif de libération pour l'auteure, ce livre fera évoluer les mentalités en provoquant une prise de conscience face à l'absurde anomalie que constitue l'impunité dont jouissent toujours les tchikan (p. 125).

Kumi Sasaki y révèle non seulement une compétence narrative (partagée avec Emmanuel Arnaud) mais aussi un talent de dessinatrice.

Elle compare la vie à Hong-Kong où les enfant sont étroitement surveillés (p.11) avec le laxisme qui règne au Japon sous prétexte que le taux de criminalité y est le plus bas du monde. Les enfants sont totalement livrés à eux-mêmes pour leur déplacement par des parents inconscients du danger, ne serait-ce que celui de traverser une rue encombrée de voitures.

La jeune femme a attendu d'avoir dépassé la trentaine pour oser raconter ce qu'elle a subi sur la Yamanote-sen, qui est la ligne de train la plus fréquentée de tout le Japon. Elle situe à l'âge de 12 ans sa première confrontation avec un tchikan (p. 20), se souvenant parfaitement des 7 minutes qui l'ont marquée à jamais. Son martyre a duré des années. Le terme n'est pas excessif quand on sait qu'elle a songé au suicide.
Réaliser si jeune qu'on est une cible sexuelle est une expérience très éprouvante à laquelle rien ne la préparait. Les parents ne mettent pas leurs enfants en garde et c'est à peine si, depuis, elle a constaté qu'on évoquait parfois le sujet à la télévision.

De ce fait Kumi ne peut pas compter sur la moindre solidarité féminine, à l'exception de sa meilleure amie, Yuri, mais celle-ci n'est pas plus forte qu'elle pour régler le problème.

Aujourd'hui elle a la capacité d'analyser ce qui attire ces prédateurs de tous âges, dont l'apparence soignée en par ailleurs en costume cravate leur permet d'exercer leur vice en toute tranquillité dans la foule des heures de pointe. Pas vu, pas pris... Toute jeune fille portant une jupe longue, les socquettes de l'uniforme traditionnel qui lui donne l'apparence d'un ange fragile (p. 61), une sorte de poupée telle qu'on en trouve dans les mangas.
Kumi réfléchit désormais en adulte mais elle réussit à partager ses émotions en conservant un regard d'enfant, dans la formulation de certains souvenirs, et par les illustrations qu'elle a elle-même réalisées et toutes légendées à la main.

Les avances que ces hommes lui adressent sont surréalistes mais sans doute fascinantes car un jour elle accepte de suivre l'un d'entre eux, sans prévoir qu'elle bascule dans le plus pur cauchemar. Ce qu'elle raconte arrive à des milliers de jeunes filles. Les tarifs sont connus. Elle les donne dans le détail p. 72.

Ce n'est qu'en devenant étudiante à l'université que Kumi sera épargnée, parce qu'elle voyage désormais sur une autre ligne ferroviaire et surtout parce qu'elle ne porte plus l'uniforme. Elle aura pris de l'assurance et aura la capacité de dénoncer les pratiques ... mais sans davantage être prise au sérieux.

On se souvient du film égyptien Les Femmes du bus 678, réalisé par Mohamed Diab en 2012 sur un sujet semblable, ce qui signifie que le harcèlement sexuel dans les transports n'est pas spécifique du Japon. Kumi préfère vivre dans notre pays. Mais est-il réellement plus sûr ? On a vu récemment les étudiants être pris pour cible par des publicités tapageuses les incitant à la prostitution. Et les toutes récentes campagnes de dénonciation sur les harcèlements dont les femmes sont victimes sont aussi la triste preuve que l'on peut se taire pendant des années.

Tchikan d'Emmanuel Arnaud & Kumi Sasaki, Préface de Ghada Hatem​, éditions Thierry Marchaisse, en librairie depuis le 5 octobre 2017

samedi 21 octobre 2017

Picasso devant la nature au Château de Sceaux (92)

Le domaine départemental de Sceaux propose jusqu’au 31 décembre une exposition d’oeuvres de Picasso qu’il ne faut pas manquer. Parce qu’elle est très bien conçue et parce que vous ne pourrez pas revoir certaines pièces, en particulier les dessins, avant plusieurs années. En effet les plus fragiles retourneront "au noir" au moins trois ans avant de pouvoir de nouveau être ressortis des réserves.

Picasso devant la nature est un intitulé qui interroge. On connaît surtout l’artiste comme portraitiste et s’il appréciait les paysages c’était surtout lorsqu’ils étaient peints par d’autres que lui. Sa collection personnelle en a témoigné. Et pourtant la patiente recherche de Coline Zellal et Dominique Brême, qui sont les co-commissaires de l’exposition témoigne de l’importance des éléments naturels dans son œuvre.

Ils se sont interrogés sur cette et ont décliné quelques réponses, composant un parcours original avec les œuvres prêtées pour trois mois par le musée Picasso. 

vendredi 20 octobre 2017

E-passeurs.com, texte et mise en scène Sedef Ecer

C'est le troisième spectacle écrit par Sedef Ecer auquel j'ai la chance d'assister.  Cette auteure d'origine turque, qui écrit en français, a l'art de nous interroger sur l'interaction des réseaux sociaux avec la politique. C'était le sujet de Lady First, que j'avais découvert l'an dernier au Théâtre du peuple de Bussang.

C'est encore plus prégnant avec E-passeurs.com dont le titre en lui même est signifiant. L'auteure situe la pièce à un moment de l'histoire où les Nations-Unies, comme les pays,  n'existent plus. Subsistent les frontières en se redessinant chaque jour en fonction des catastrophes de toutes natures. Les richesses et logements appartiennent à seulement 1% de la population. Les 99% autres sont devenus des réfugiés qui errent en fonction des conflits et des catastrophes écologiques, politiques, climatiques, et des conflits armés...

Sedef Ecer est très sensible à ce qu'on désigne sous le nom de "crise des migrants". Elle estime que nous sommes allés très loin dans l'indifférence et a essayé d’imaginer une histoire qui va encore plus loin ... pour mieux nous sensibiliser.

Elle nous fait entrer dans l'intimité de trois femmes, trois errantes parmi ces milliards d’apatrides numériques, Anaba la Guatemaltèque, Hoa Mi la Vietnamienne et Zeynab la Syrienne à travers leur cyber-identité. Nous les suivons à travers les traces qu'elles ont laissées sur le net. Elles sont magistralement interprétées par une seule et même actrice, Estelle Meyer, et finiront par se rencontrer un jour enfin, dans un train, dans la vraie vie.
Une exposition permettait d'ailleurs aux spectateurs (avant ou après le spectacle) d'accéder eux aussi à leur intimité par le biais de leurs téléphones portables.

Les objets connectés ont pris la place des humains, annonce le porte-parole de l'ONU. Car il est devenu l'outil essentiel parce que c'est le sésame pour être en connexion en toutes circonstances. Les gens l'utilisent pour trouver leur route par Google map, solliciter leur passeur par WhatsApp, prendre des nouvelles de leur famille par Skype, suivre l'actualité politique avec Twitter,  regarder les photos sur Instagram et surtout liker régulièrement tous leurs "amis" sur Facebook !

Le personnage du passeur (Fehmi Karaaslan), mi-dieu, mi-diable, vêtu de noir, maquillé de rouge, est le seul homme réellement puissant, de par le contrôle qu'il exerce sur les connections des exilés-réfugiés, en prétendant offrir davantage de sécurité que les (anciens) passeurs malhonnêtes.

Il n'y a plus de "chez nous" ni de "chez eux". Nous sommes tous entremêlés annonce-t-il comme une prédiction. Rentrer chez soi ne voudra plus rien dire et pourtant on verra plus tard combien c'est le souhait de Hoa Mi de rentrer ... à condition de parvenir à récupérer son passeport.
L'e-passeur semble prédestiné pour exercer ce métier puisque, enfant, il a passé sa jeunesse sur la ligne d’une frontière. Il est machiavélique en appliquant le principe que ce qu'offre l'imagination est toujours pus beau que la vie. Alors il fait rêver ...

Un musicien percussionniste, lui aussi en noir, sera successivement musicien, comédien, coryphée, proxénète (il endosse le rôle de Léo) et même un temps l’archéologue Djihad, victime du conflit syrien.
Les trois femmes se succèdent et les dialogues entre elles et leur passeur sont terrifiants, et cependant en dessous de certaines réalités. La frontière mexicaine avec les Etats-Unis est connue pour être une des plus mortelles. Quand on est six à se partager une même carte de séjour, forcément chacune sort très peu. Les asiates de Belleville seraient les prostituées les moins chères de toute la France.

Tout cela fait froid dans le dos malgré quelques lueurs d'humour quand on devine que le premier passeur de l’histoire, auquel Sedef Ecer fait allusion est .... Moise ou qu'on apprend que le plus grand nom de l’histoire du numérique, Steve Jobs, est le fils d’un émigré syrien. L'espoir conduit malheureusement trop systématiquement à la violence. On est dans une dystopie mais cela pourrait devenir réalité. Le texte a été publié (à la suite de Lady first) par l'Avant-Scène Théâtre et il faut le lire, avant ou après avoir vu la pièce, pour ne pas céder à l'indifférence.
E-passeurs.com
Texte et mise en scène Sedef Ecer
Texte édité à L’Avant-Scène Théâtre, 2016
Avec Richard Dubelski (percussions et voix), Fehmi Karaaslan, Estelle Meyer et l’aimable participation de Mathilda May à l’écran.
Musique originale et percussions : Richard Dubelski
Vidéos : François Roman et Mümin Güve
Scénographie : Sedef Ecer et Leyla Okan
Costumes : Leyla Okan, Lumières : Yüksel Aymaz
Jeudi 19 et vendredi 20 Octobre à 20 heures
Musée National de l'Immigration - Auditorium Philippe Dewitte
Palais de la Porte Dorée - 293, avenue Daumesnil - 75012 Paris
Le spectacle reviendra en région parisienne le 9 mars à Suresnes, au Théâtre Jean Vilar - 01 46 97 98 10

mercredi 18 octobre 2017

Vin et fromage chez Milan et demi

Milan est un éditeur qui compte dans le secteur de la jeunesse et qui a eu la riche idée de penser aux omnivores culturels pour leur proposer des encyclopédies d'un nouveau genre sous le nom de Milan et demi.

J'ai dégusté celles qui sont consacrées au vin et au fromage. Les titres figurent au singulier sur les couvertures dans une approche très conceptuelle.

Le label publie simultanément ces deux livres tout à fait complémentaires sur deux produits que l’on croit connaître et au sujet desquels on a beaucoup encore à apprendre.
Parlons du Fromage
C'est un domaine que je connais bien. J'ai eu la chance de pouvoir faire des reportages sur plusieurs spécialités, comme le Sainte-Maure, Pont-l'Evêque ou Livarot. J'ai imaginé plusieurs recettes avec le fromage comme ingrédient principal, dont la Météorite d'Ambert avec la fourme du même nom.
Je savais que l’emmental a des trous, à l’inverse du gruyère. Par contre  je n'avais jamais entendu parler de la Rigotte de Condrieu (p. 64). J’ignorais que, pour le protéger des attaques d'insectes, le banon était à l’origine enveloppé dans une feuille de vigne, remplacée maintenant par du châtaignier, lequel emballe aussi le Mothais (p. 132).

L'éditeur a donné carte blanche aux Nouveaux fromagers pour mettre en avant une soixantaine de produits. Ces jeunes gens passionnés ont été les premiers, en 2013, a imaginer une box de 4 spécialités pour réjouir les papilles de leurs abonnés. Chaque description est concise mais précise sur l’essentiel. Sachant que le mot fromage est dérivé de forme c'est sans surprise que leur nom soit en rapport avec leur allure. L'origine du mot crottin (p.126 ) est tout de même très étonnante, sans aucun lien avec une crotte. Le Lavort (p. 20) était autrefois moulé dans des moules à boulets de canon. Et qui l’eût cru ... chabichou (p. 134) est une déformation de cheblis qui signifie chèvre en arabe.

Le roquefort est la plus vieille appellation française (1925) tandis que le Brillat-Savarin (p. 36) n'a été créé que dans les années 30.

J'en sais davantage sur les croutes lavées qui m'ont toujours fascinée. Les auteurs m’ont donné envie de découvrir le Niolo (p.94) une brebis à croûte lavée, ... comme l'Echourgnac (p.104) lavé à la liqueur de noix.

Je dois bientôt participer à une dégustation de Selles-sur-Cher (p. 130) et je retiens l’idée de demander une version confite. 
Et je saurai désormais reconnaître un Ossau-Iraty fermier d’un laitier selon que la tête de brebis est poinçonnée de face ou de profil.

De nombreuses anecdotes, toutes fondées, ajoutent une pointe de sel à l'ouvrage dont on peut s'inspirer pour agrémenter d'un quizz un moment convivial de dégustation autour d'un plateau de fromages. Par exemple la période de production du Mont d’Or, uniquement du 15 septembre au 15 avril, ou la forme du Neufchâtel (p. 146) destiné à séduire les anglais pendant la guerre de cent ans. Manger du fromage plutôt que faire la guerre, tel pourrait être sa devise.
Talleyrand était un fin connaisseur et son art de la diplomatie a eu des conséquences. Il a popularisé le Brie de Meaux (p. 166) et on lui doit d'avoir sabré la pyramide du Valençay pour ne pas irriter Napoléon. 

On apprend aussi comment composer le plateau presque parfait, en tenant compte de la meilleure saison, découper les fromages dans les règles de l’art selon un principe de justice (p. 101) et avec quels pains les servir. Les accords vins-fromages (p.136) sont expliqués avec simplicité. Je n'ai pas été surprise de lire la recommandation de proposer un vin blanc moelleux ou  un porto sur une pâte persillée. Par contre je n’aurais pas parié sur un champagne avec un Brillat-Savarin.

Comme vous le constatez les illustrations de Thomas Baas sont modernes et évocatrices de la spécificité de chaque fromage, avec une tendresse et un humour digne de la plus pure tradition affichiste.

Et le Vin ...
Pour traiter ce sujet l'éditeur s'est tourné vers un autre le site Internet e-commerce, celui des Grappes qui a choisi de mettre en avant des producteurs plus que des crus.
Malgré une couverture semblable le volume sur les vins n’obéit donc pas au même principe même s'il suit lui aussi une logique régionale.

Il se démarque des livres-photos et guides pratiques en s'inscrivant dans la démarche de l’agriculture raisonnée et des circuits-courts. Le tour de France qui est proposé au lecteur s'appuie sur les coups de cœur de la plateforme de vente en ligne qui met en relation les vignerons et les consommateurs. Ce qui importe en premier lieu c'est la personnalité et le savoir-faire du vigneron.
Les Grappes en connaissent plus de 700 parmi lesquels ils en ont sélectionné 80. En nous conduisant de domaine en domaine, les auteurs justifient chaque choix avec des arguments précis. Ça fait envie.

Sam Brewster a conçu des illustrations qui sont une invitation au voyage dans les vignes et les terroirs.

Un glossaire des nouvelles pratiques en viticulture et un index des différentes appellations présentées dans le livre figurent en complément à la fin de l'ouvrage. Par contre aucune adresse n'est mentionnée. rendez-vous est donc donné sur le site des Grappes.

Vin, un tour de France des vignerons, présenté par Les Grappes
Fromage, une sélection du meilleur de nos régions, par Les nouveaux fromagers
Tous deux publiés chez Milan et demi, en librairie depuis le 4 octobre 2017

mardi 17 octobre 2017

Strada Zambila de Fanny Chartres

Strada Zambila, c'est le nom de la rue où vit Ilinca, qui souffre de l'absence de ses parents partis travailler en France pour quelques mois afin de pouvoir offrir une vie meilleure à leur famille.

C'est une logique qui n'est pas du goût de la jeune collégienne qui estime que rien ne vaut la peine de quitter ceux qu'on aime. La perspective de passer Noël loin de ses parents la met en colère et elle ne cache pas la violence de ses émotions quand elle a l'occasion de discuter sur Skype avec sa mère.

Elle est pourtant entourée d'amour par ses grands-parents Bunicu et Bunica venus s’installer dans le petit appartement avec leurs huit chats pour que les enfants puissent conserver leurs habitudes, leurs repères, leur école et leurs amis. (p. 18)

Cette histoire, qui est un premier roman, a été écrit par Fanny Chartres qui est française. Elle nous fait découvrir les motivations qui poussent les roumains à s'expatrier tout autant que les a priori qui résistent en Roumanie à propos de la réputation des Roms, démontrant combien le racisme est malheureusement universel et que l'exil est une médaille à deux revers.

Car c'est un fait de société. En Roumanie, un nombre important d'enfants vivent définitivement ou ponctuellement sans leurs parents. Dans le premier cas, il s'agit très souvent d'abandons. Dans le second, les parents partent à l'étranger plusieurs fois dans l'année pour travailler et faire vivre leur famille. Une expression désigne ce type d'émigrés. Ce sont les cueilleurs de fraises parce qu'à l'origine ils étaient recrutés pour effectuer des travaux agricoles.

Avant 1989, la motivation pour émigrer (quand on y parvenait) était d'échapper au communisme et à la dictature de Ceausescu. Aujourd'hui c'est pour fuir la pauvreté et la corruption. (p. 51)

Nous voyageons dans Bucarest à travers les yeux et la sensibilité de la jeune adolescente et ce roman, destiné à des lecteurs d'une douzaine d'années, a tous les ingrédients pour toucher aussi les adultes. On sent qu'il repose sur du vécu. La poésie qui se dégage des descriptions des différents quartiers ne peut pas sortir uniquement de l'imagination de l'auteure. On la sent bien palpable. C'est même une véritable ode à cette ville qu'on peut lire p. 131.

On aimerait nous perdre dans le dédale des rues, traverser le marché aux fleurs George Coșbuc, plonger dans la piscine du Parc Floreasca, glisser sur la piste de la patinoire de la promenade, grimper les cent marches de la rue Xenofon, apprécier l'immensité de la Maison du peuple, découvrir la Poste de la rue de la fabrique d'allumettes, s'étonner des bulles rouges du kilomètre zéro (p.71), se laisser secouer par le tramway, ou bavarder avec un chauffeur de taxi, et puis nous régaler d'un des nombreux plats dont elle parle avec gourmandise au fil des pages.

Alors qu'on commence en France à employer communément le terme de "hygge" par lequel les danois désignent une atmosphère intime et sensible pour apprécier les choses simples de la vie avec les personnes qui nous sont chères, on découvre son pendant roumain avec Fanny Chartres. C'est le "dor", qui désigne en roumain à la fois l'attente, le manque et le regret (p. 67). Quelque chose qui ressemble à une forme de dépression qui grandit dans le coeur de l'adolescente : à force de voir s'en aller les gens auxquels on est attachés, on finit par ne plus s'attacher à quiconque.

Chaque enfant réagit à sa façon. Zoé, la plus jeune, continue de s'émerveiller de tout mais Ilinca s'approche de la dépression. C'est l'art qui va la maintenir à flots. Elle se passionne pour la photographie et immortalise les vestiges de leur ancienne vie de famille. La jeune hypersensible tient aussi grâce aux petits mots à visée philosophique que sa grand-mère glisse dans des endroits incongrus, comme celui-ci (p. 41) : Ton coeur est un accordéon, il faut respirer pour que la musique s'en échappe.

Et puis il y a Florin, avec qui se lie Ilinca sans remarquer la particularité de ses cheveux noirs et sa peau sombre. Elle ne voit que son coté joyeux et apaisant ... et ses yeux bleus. Le garçon est Rom, ce qui à Bucarest peut attirer bien des ennuis. C'est ensemble qu'ils vont se soutenir en s'associant pour remporter un concours national de création en poésie, prose, dramaturgie, photographie ou arts plastiques dans le cadre scolaire.

Les choses ne sont pas si mal faites qu'il n'y parait puisque les deux ados ont des talents complémentaires.

Fanny Chartres, qui est née en 1980, connait bien l'univers des livres puisqu'elle a été bibliothécaire en France avant d'intégrer l'Institut français de Bucarest en tant que responsable du Bureau du livre pour quelques mois. Elle a ensuite été recrutée au service de presse de l'Ambassade de France, puis au Lycée français en tant que documentaliste. Elle est restée finalement presque dix ans dans ce pays dont elle a saisi toute la dimension poétique, autant dans la langue (dont elle est devenue traductrice) que dans la manière des habitants de considérer les rapports humains.

Elle a repris son métier de bibliothécaire mais sans perdre le virus de l'écriture. On attend son second roman pour le printemps 2018. Je n'ai qu'un minuscule reproche à lui faire, en me situant à la place des normands, dont je connais la susceptibilité à propos de la manière de réduire le Calvados à du calva (p. 130). A son corps défendant, Fanny Chartres n'est pas originaire de cette région mais d'une ville de Loire-Atlantique.

Profitez des vacances pour entreprendre ce voyage en Roumanie en compagnie de belles âmes. Le roman est tendre, et au final lui aussi joyeux et apaisant car l'humour n'en est pas absent.

Strada Zambila, de Fanny Chartres, illustration de couverture d'Iris de Moüy, École des Loisirs, collection Neuf, en librairie depuis le 11 janvier 2017, sélectionné pour le Prix Gulli 2017

lundi 16 octobre 2017

Les liens invisibles de Viktor Vincent

Je ne m'attendais à rien de particulier en me rendant ce soir là à la Comédie des Champs Elysées et j'aime bien aller au spectacle sans m'être documentée à l'avance (même si je reconnais que mon comportement est à l'opposé de ce que font les lecteurs du blog, mais il faut accepter nos paradoxes). 

Je me suis amplement rattrapée ensuite parce que j'ai été subjuguée par Les liens invisibles dont la mise en scène est ultra soignée, je dirais au poil près.

Curieusement je ne connaissais pas Viktor Vincent malgré sa forte présence sur de nombreux plateaux télévisés. Et j'avais du mentalisme une image parasitée par le charlatanisme.

Cet artiste a l'art d'impliquer le public, ce qui est une des clés du succès lorsqu'on exerce dans son domaine. La salle doit régulièrement exécuter certains gestes, dans un ordre rigoureux, prononcer des phrases en choeur ... et chacun joue le jeu parce qu'on se sent en sécurité, ce qui est là aussi une autre raison du succès de son mode opératoire.

On a le sentiment qu'il a la capacité à se connecter à notre cerveau pour deviner ce qu'on pense. Et quand une salle entière a en tête le même prénom cela relève de la magie.

Ce n’est pas parce que c’est invisible que ça n’existe pas. Viktor Vincent nous le démontre plusieurs fois et j’ai retenu la leçon ... que j’appliquerai à son spectacle, en traduisant : ce n’est pas parce qu’on ne voit pas le truc qu’il n’y a pas de truc.

En tout état de cause le talent seul ne suffit pas et il y a énormément de travail même s'il ne se voit pas. Je suis sortie conquise et sans grande envie de découvrir les ficelles, même si, et c'est là une troisième force du mentaliste, il nous indique comment faire pour comprendre si on le souhaite.

Il suffirait de lire les livres qu'il a publiés pour savoir comment entraîner notre mémoire, jouer avec les statistiques, décrypter le comportement de nos interlocuteurs, définir comment notre cerveau fonctionne et comment parfois il nous trahit en faisant surgir des émotions visuelles, mais aussi dans quelle mesure ce que nous voyons n'est pas forcément la vérité parce que, il faut l'admettre, les choses n'existent que par la perception qu'on en a.

Les spectateurs qui ont été invités à monter sur scène se souviendront longtemps de la confrontation entre leur perception et ce que Viktor Vincent leur aura révélé d'eux-mêmes. Il n'y a aucun malaise à craindre parce que le spectacle est conçu comme une pièce de théâtre, dans une atmosphère historique qui s'inscrit dans la lignée de maitres comme Robert Houdin. L'artiste a l'art de mettre à l'aise avec beaucoup de respect, si bien qu'avec lui le paranormal est, disons, apprivoisé, et rendu accessible à tous les publics, y compris les enfants (à partir de 12 ans).

Les liens invisibles de Viktor Vincent
Jusqu'au 31 décembre 2017
Du mardi au samedi à 20 h 30
Le dimanche à 16 heures
A la Comédie des Champs-Elysées
15 Avenue Montaigne 75008 Paris
01.53.23.99.19

dimanche 15 octobre 2017

Le Grand Livre Du Vin : Déguster, Connaître, Choisir de Andrew Jefford, chez Eyrolles

Andrew Jefford est un expert mondialement reconnu. Nous avons la chance qu'il réside en France, précisément dans le Languedoc, témoignant de son amour pour les vignes de notre pays. Il consacre donc de très belles pages à nos terroirs dans son dernier Grand Livre Du Vin. C'est l'objet du chapitre 10. Et s'il écrit dans sa langue natale la traduction est à la hauteur du propos.

Cet ouvrage est une vraie invitation aux voyages, olfactivement d'abord car l'oenologue nous donne les clés pour apprendre à déguster ... et à boire, avec modération, comme il le précise d'emblée (p. 22). On sait qu'il faut être attentif à la robe, au parfum et au goût mais l'auteur explique précisément comment procéder.

Géographiquement aussi, à travers plusieurs pays producteurs, que nous connaissons plus ou moins ... comme le Mexique où j'étais cet été et où j'ai pu goûter un Nébiollo parce que je me souvenais qu'il analysait ce cépage, le jugeant aussi complexe que le Pinot noir (p. 56) qui jusque là était mon préféré en terme de rouges, alors que c'est le Chardonnay vers lequel je me tourne parmi les blancs.

Même si j'estime en connaitre un rayon sur le sujet j'ai bien entendu appris encore, et c'est une grande satisfaction. A l'instar des breuvages, cet ouvrage est à consommer avec modération. Je veux dire par là qu'il est utile de l'avoir à portée de main pour approfondir régulièrement ses connaissances. On y trouve tout, depuis le choix du verre jusqu'à un glossaire qui reprend l'essentiel des définitions à connaitre. Ce livre est utile pour oser prendre des risques chez le caviste ou orienter nos choix dans les restaurants car on y observe une tendance à la montée en force des vins d'origine étrangère.

Cet ouvrage est une prouesse car il reste en dessous de 200 pages. Il faut saluer Andrew Jefford, qui mérite d'avoir été lauréat à six reprises des Louis Roederer International Wine Writer's Awards. L'iconographie est recherchée, précise, et souvent onirique. Un livre de garde ... à offrir à tous les amateurs ... dans un style radicalement différent du livre de Jacques Dupont qui m'avait franchement bien amusé ... tout en étant très sérieux sur le fond. Comme quoi le vin est un sujet très vaste qui peut être traité de diverses manières.

Le Grand Livre Du Vin : Déguster, Connaître, Choisir de Andrew Jefford, chez Eyrolles, en librairie depuis le 7 septembre 2017

samedi 14 octobre 2017

Les noeuds au mouchoir de Denis Cherer

Le public robinsonnais n’allait pas manquer la pièce écrite par un enfant du pays et interprétée par les deux frères Cherer. La mention "complet" barre l’affiche des Noeuds au mouchoir depuis plusieurs jours. Et c'est une chance pour moi d'être parvenue à avoir une place au Théâtre de l'Allegria sans aller sur Paris où le spectacle se joue au Palais des Glaces depuis le 4 octobre.

Deux frères fâchés que tout oppose s'évitent soigneusement depuis longtemps. Daniel est banquier, pressé, marié et infidèle ; Jean est artiste, rêveur, divorcé et fauché. Une erreur d'emploi du temps les fait se retrouver face à face, le même soir, chez leur mère Augustine, qui commence sérieusement à perdre la boule. Jean est aux petits soins pour elle. Daniel, lui, veut la placer en maison de retraite. Chacun vide son sac, mais l'inquiétude qu'ils nourrissent l'un et l'autre pour leur maman les conduit à reléguer au second plan leur dérisoire règlement de comptes

Anémone a à peine le temps d'entrer en scène, et de s’asseoir dans son fauteuil, qu’elle est déjà bruyamment applaudie. La popularité de l'actrice est immense. Elle décroche le téléphone, prononce un allo tremblotant qui donne envie de rire. Pourtant on sait que le sujet n’est pas drôle.

Le décor est typique de l'intérieur d'une maison où vit une personne âgée, encombré d'objets et hors du temps, où le temps s'est arrêté. Le sapin de Noël y trône du 1er janvier au 31 décembre. La vieille femme n’est pas que Alzheimer, elle est également sourde, ce qui double le handicap. Elle joue au professeur Tournesol sans qu'on perçoive si elle ne le fait pas un peu exprès. Elle devrait tout de même savoir que le petit gâteau qu'elle force son fils à manger est dur comme du chien : une Madeleine en béton dit-il, qu’est-ce qui est embêtant ? demande-t-elle.

En tout cas, les deux frères n'ont pas la même vision des choses. L'un d'eux (Pierre-Jean Cherer, photographié en haut de l'article) n’ose reconnaître l’importance de la maladie alors que le second (Denis Cherer) n'y va pas par quatre chemins, ce qui fait ressurgir les querelles d'enfance et les jalousies jusque là contenues.

Les dialogues sonnent justes. Quiconque a dans sa famille un(e) aïeule atteint de démence ou de la maladie d’Alzheimer a entendu ces plaintes : Je ne comprends plus rien, ça ne va pas du tout, c’était pas comme ça avant. (...) Pourquoi c’est plus comme avant ?

On reconnait cette façon de dire "si tu veux" par quelqu'un à qui la réalité n'a plus le même sens. Ou encore ce reproche face à des évidences : J'aimerais bien être mise au courant de temps en temps !

Ça aurait pu être triste. C'est furieusement drôle. Parce qu'il n’y a pas que les malades qui ont du mal avec les applications téléphoniques et on s'amuse de voir Danny s'énerver contre la musique d'attente de Vivaldi et taper 1, 2 ou # sans parvenir à obtenir le correspondant souhaité.

Son frère fait le clown et danse sur la musique de Let's groove Tonight du groupe Darty Wind and Fire, ce qui nous ramène nous aussi quelques années en arrière.
On est habitué à la vieillesse du corps. Elle se voit, elle est palpable. Mais la dégénérescence du cerveau est plus insidieuse et elle est douloureuse pour celui qui la subit comme pour l'entourage, surtout quand le malade a des moments de lucidité.

C’est plus du tout pareil là-dedans (elle désigne sa tête). Je crois que je me prépare des lendemains qui déchantent. Quand on sait qu'on a perdu un quart de notre capacité à nous concentrer en raison du piratage de nos cerveaux par l'emploi des objets connectés on peut se demander avec effroi comment nous vieillirons ... et si nous aussi nous serons autant effrayés à l'idée d'aller en maison (de retraite).

A quoi ferons-nous des noeuds pour nous rappeler les fondamentaux puisque nous n'employons plus que du papier ? On sait mais on veut pas savoir. L'émotion est à son comble à la fin du spectacle quand la mère murmure Y a trop de noeuds à mon mouchoir. Comme Augustine on dira sans doute : Je sais plus, alors je pleure.

Il y a dans la pièce des moments joyeux, intenses, des disputes, et des instants de bonheur car la mère n'est pas tant que ça à côté de la plaque. Elle n'a de cesse que ses deux enfants se réconcilient. D’ailleurs elle y parvient. Et quelle joie de les voir se rappeler ce qu'ils chantaient quand ils étaient petits garçons.
Le public est conquis. Denis Cherer estime nécessaire au moment des saluts de remercier le public pour sa qualité d'écoute. Il cherche ses mots pour expliquer qu'Augustine s'appelait Rose-Marie, que beaucoup de personnes dans la salle ont bien connue. Anémone est venue à son secours en disant avec simplicité qu'il s'agissait de sa maman, alors que Pierre-Jean ajoutait en écho, c'est la mienne aussi, et la comédienne de conclure bref cette histoire c’est la leur.

Il n'y a rien à ajouter à propos de cette pièce, drôle et poignante, bel équilibre d'humour et d'émotion, qui place les trois comédiens sur un pied d'égalité.

Les noeuds au mouchoir de Denis Cherer
Mise en scène de Anne Bourgeois
Avec Anémone, Denis Cherer, Pierre-Jean Cherer
Du 4 octobre au 31 décembre 2017 (sauf les 14 et 22 octobre)
Tous les mercredis, jeudis, vendredis et samedis à 19h15.
Matinée les dimanches à 15h30 à partir du 29/10
Palais des Glaces
37 rue du Faubourg du Temple 75010 Paris
01 42 02 27 17

PS : Je vous invite à jeter plus qu'un oeil sur les court-métrages conçus par Pierre-Jean Cherer, alias Mr Piji sur YouTube qui sont des petits bijoux d'humour.

La photo qui n'est pas logotypée A bride abattue est de Claire Ratzki

vendredi 13 octobre 2017

Souffles coupés de Nataly Breda

Nataly Breda a longtemps laissé trotter dans sa tête une histoire d’amour qu'elle voulait placer sous les auspices de la liberté alors qu'une menace mortelle pèserait sur les deux principaux protagonistes.

Il était fondamental que cette liberté s’appuie sur ses convictions féministes mais il était tout autant hors de question d’écrire un pamphlet.  Comme il était exclu de publier quelque chose qui fasse penser à Love story (formidable film réalisé par Arthur Hiller en 1970, que je conseille de voir ou revoir, pour le scénario super ficelé Erich Segal, pour les notes cristallines de Francis Lai, pour les lumineux sourires d'Ali McGraw et de Ryan O'Neal ...).

Elle a brillamment réussi cet audacieux pari. Comme souvent d’ailleurs pour un premier roman car on y met le meilleur de soi. Et pas que, parce que l'auteure a effectué en amont un gros travail de documentation.

Pour résumer, David Anderson, acteur irlandais mondialement célèbre, et Nina, pro de la communication en France, féministe engagée (très), n’ont d’autres raisons de s’entendre et de se revoir que leur beauté… et leur appétit de vivre. Car ils partagent un territoire commun : tous deux se savent atteints par une grave maladie qui menace leur avenir. Dans ces conditions, comment s’attacher l’un à l’autre ? Pourtant, dans leur quête de liberté, de Toulouse à New York, à Londres ou en Irlande, les deux héros vont se battre contre leur destin

On pourra voir David et Nina sur la couverture de Souffles coupés sans trop désigner qui sont l’un et l’autre.  Et si une main osseuse et prédatrice s’apprête à étrangler l’un d’entre eux il n’est pas certain que l’autre ne soit pas autant la proie de la grande faucheuse. 

Cette couverture est très belle, évoquant autant la mort que la vie, symbolisée par la couleur rouge. Et surtout personne ne ferme les yeux, témoignant d’une volonté farouche de vivre intensément jusqu’à l’extrême limite. 

Il y a tant de manières d’avoir le souffle coupé ! Par l’émotion, la grande, bouleversante, qui peut conduire à réviser complètement ses convictions les plus tenaces. Par la maladie, insidieuse, qui diminue les capacités respiratoires et qui, elle aussi, contraint à envisager les choses autrement.  Par la mort enfin, et sans retour en arrière possible.

Les souffles coupés seront ainsi récurrents au début de la rencontre comme à la fin de l’histoire.

On peut être militante et respectueuse de l’autre sexe et exercer son féminisme sans nuire à quiconque. Nataly n’a attribué de "mauvais rôle" à personne, homme ou femme. On peut aussi envisager la mort sans écrire un roman d’une absolue tristesse. C’est au contraire un hymne à la vie, et le nombre de scènes érotiques (Nataly les juge plutôt sensuelles) en témoigne avec force. Parce que, selon l'auteure, voir la mort se profiler n'empêche pas l'appétit de vivre. On pourrait en dire autant de la vieillesse. Savourer pleinement ses sensations devient alors naturel.

Ils ne sont pas à égalité sur le plan social : il est beau, riche et célèbre, séducteur dans l'âme, elle est affirmée et décalée, rebelle aux codes vestimentaires (Nina sublime son handicap par des dessous chics) comme aux conventions sociales. Mais ils sont réunis par la maladie qui les place sur un même plan. On s'attend à ce qu'e la femme soit davantage en position de faiblesse que l'homme parce que son état est plus grave au début du roman mais c'est le contraire qui se produira.

Sa pathologie cardiaque est très grave. L'auteur l'en a rendu victime sans intention particulière et puis  au fil des chapitres la maladie de coeur a pris une tournure symbolique.

L'écriture est "osée", dans le fond comme dans la forme, sans racolage. Avec des touches de romantisme qui adoucissent le féminisme viscéral de Nina. mais en faisant éclater les codes pour que l'un ne soit pas le Prince charmant qu'on s'attend à croiser, ni l'autre une Cendrillon revancharde.

Nataly Breda nous pose aussi des questions éternelles quant à la fidélité, au sein d'un mariage blanc pas si blanc qu'il n'y parait.

Souffles coupés de Nataly Bréda, French Pulp, en librairie depuis le 9 juin 2017

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