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La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

vendredi 26 novembre 2021

Indésirable d'Erwan Lahrer

J'ai découvert le style d'Erwan Lahrer avec Le livre que je ne voulais pas écrire. Beaucoup de mes ami(e)s m’avaient vanté le personnage, sa sympathie et son talent.

Indésirable est une sorte d’ovni littéraire, extrêmement bien conçu, et il faudrait des lignes et des lignes pour en célébrer tous les intérêts.

Sous couvert de concevoir un roman en écriture inclusive parfaitement réussie (et ce n’est pas la moindre de ses qualités), Erwan Larcher est parvenu à me captiver jusqu’au bout.
Quand Sam Zabriski s’installe à Saint-Airy, dans la maison dite «du Disparu», le destin de ce village rural au riche passé historique bascule.

Ici, on se méfie un peu des étrangers. Ici, on décatit très bien entre-soi. Ici, on a des certitudes, dont celle que l’humanité se compose d’hommes et de femmes. Or impossible de deviner à quel genre appartient Sam, par ailleurs énigmatique quant à son passé. L’incertitude et l’inconnu dérangent, les passions s’exaltent, les tensions s’aiguisent. Après quelques escarmouches, la guerre est bientôt déclarée. Personne n’en sortira indemne.

Roman noir, roman politique, étude de mœurs, Indésirable déroule cinq années de la vie d’un microcosme perturbé par l’arrivée d’un corps étranger. Et forge une langue pour exprimer le dissemblable.
Le livre est effectivement difficile à genrer. On se doute bien qu’une fois lancé, Erwan Lahrer aura du mal à clore les aventures de ce personnage qui aurait pu côtoyer James Bond. Et dans lequel il a mis un peu de lui-même puisqu’il s’est aussi lancé -c’est lui qui le dit en interview- dans la déraisonnable aventure de réhabiliter un ancien logis poitevin du XV° siècle pour en faire une résidence d’écriture. 

Tous les ingrédients sont là pour rendre la lecture addictive. Avec profusion de détails humoristiques, un lexique très soutenu, et de multiples sourires. Chaque chapitre pourrait être le point de départ d’une nouvelle indépendante.

On est toujours la mauvaise herbe de quelqu’un écrit-il (p. 179). Sapristi ! L’auteur est en tout cas le poil à gratter qu’il nous fallait.

Indésirable d'Erwan Lahrer, chez Quidam Editeur, en librairie depuis mars 2021
Sélection Prix du roman de Villeneuve-sur-Lot

jeudi 25 novembre 2021

De son vivant, le film d’Emmanuelle Bercot

Emmanuelle Bercot est revenue en 2021 hors compétition au Festival de Cannes avec son film De son vivant. On avait bien cru qu’il ne serait jamais bouclé, notamment à cause de l’AVC de Catherine Deneuve et d’une interruption due au Covid. Ç’aurait été une perte immense. On peut parier que ce sixième film fera date dans l’histoire.

Il raconte, sous une forme inhabituelle, les derniers mois de Benjamin (Benoit Magimel) condamné trop jeune par un cancer du pancréas.

La maladie et la mort imprègnent beaucoup d’œuvres depuis la pandémie, tant au théâtre, qu’en littérature ou au cinéma. A croire que les artistes se sentent plus que jamais une responsabilité à dénoncer ce qui ne va pas.

La réalisatrice aurait pu établir un réquisitoire (comme Catherine Corsini avec La fracture, même si la pulsion de vie y est très forte) ou un drame, le sujet s’y prêtait. Elle a préféré l’angle du mélo pour canaliser les larmes sur autre chose que la maladie. Tous les ingrédients y sont, y compris un fils caché et une histoire d’amour impossible.

L’exagération de la souffrance -pourtant légitime- d’une mère (Catherine Deneuve) face à l’inacceptable est teintée d’humour. Le dévouement d’un médecin (le docteur Gabriel Sara dans son propre rôle) et d’une infirmière (Cécile de France) pour les accompagner sur l’impossible chemin est admirablement filmé au long d’une année de quatre saisons qui commence bien entendu en été, pour accepter quelques pas de tango avec la maladie, faire le ménage sur le bureau de sa vie et comprendre ce que ça signifie : mourir de son vivant.
Emmanuelle Bercot montre un hôpital idéal, non pas parce qu’il guérit les corps mais parce qu’il soigne les âmes, toutes les âmes, celles des patients, de la famille et du personnel soignant. Une telle unité existe, aux USA, financée par des mécènes. Il n’est donc pas irréaliste de rêver un tel cadre. Outre l’argent, car les intervenants ne sont pas des bénévoles, la réussite est conditionnée à un savoir-faire particulier que le docteur Sara a accepté de partager.

Le scénario lui offre l’occasion de témoigner à visage découvert sur ses méthodes et son principe absolu de vérité (même si Emmanuelle Bercot le pousse à faire quelques entorses). Il se refuse à « peindre l’image en rose » pour rassurer le patient ou sa famille. Mais il martèle aussi qu’il ne faut engager « que » la bataille qu’on peut gagner. Je n’en dirai pas davantage car il a abondamment répondu dans la presse aux questions qu’on se pose à son propos, et tout cela est disponible sur Internet.

Le parti-pris du mélo, discutable au demeurant, permet d’éviter l’écueil du documentaire puisque 80% des dialogues sont authentiques. La réalisatrice a en effet entrepris un énorme travail d’enquête préalable en se rendant dans le service hospitalier de son mentor.
Elle est venue avec simplicité répondre sans détour à toutes les questions du public du Sélect d’Antony qu’elle va finir par bien connaître car ce n’est pas la première fois que Christine Beauchemin-Flot (ci-dessous) l’y invite.
Il était aussi intéressant d’attribuer à Benjamin le métier de professeur de théâtre parce que c’est une profession où l’on doit là aussi prendre soin des émotions des élèves. Les scènes de répétition sont des moments très forts qui contrebalancent celles qui sont tournées en milieu hospitalier.
Après La fille de Brest, elle démontre une nouvelle fois son intérêt pour la sociologie de la santé tout en surprenant les spectateurs. Bravo !

De son vivant d’Emmanuelle Bercot
Avec Benoit Magimel, Catherine Deneuve, le docteur Sara, Cécile de France, Oscar Morgan …
Date de sortie France : 24/11/2021
Distribution France : StudioCanal

Quelques autres films d’Emmanuelle Bercot comme réalisatrice : La Tête HauteElle s’en va où il est davantage question de joie, de légèreté et d’espérance. Comme co-scénariste, Polisse. Et en tant que comédienne exceptionnelle aussi dans Mon roi de Maïwen.

mercredi 24 novembre 2021

Ni russe, ni iranien, le caviar est aquitain à la Galerie Bartoux

Je ne suis pas une néophyte en matière de caviar. Je l'écris sans gloire. J'ai eu l'opportunité de visiter des élevages et de rencontrer des producteurs passionnés qui m'ont appris l'essentiel.

Depuis, tout en étant sensible à la cause animale je suis malgré tout admirative de leur travail et de leur acharnement à établir un cahier des charges qui vont leur permettre de protéger leur savoir-faire par une IGP (Indication Géographique Protégée) pour le caviar d'Aquitaine.

Ils sont quatre à oeuvrer en ce sens depuis 2013 et on espère que l'année 2023 verra la concrétisation de leurs efforts. Ils pratiquent un élevage éthique, avec une faible densité de poissons dans les bassins. Les esturgeons ne sont pas nourris avec des aliments OGM et ne reçoivent jamais d'antibiotiques.

Alors tant qu'à manger du caviar autant opter pour celui qui n'est ni russe, ni iranien, mais aquitain !

C'est ce que nous avons fait ce soir en nous rendant à l'invitation des maisons Perlita, Caviar de France et Sturia que je connais bien, et auquel le groupe Caviar House & Prunier s'est associé pour la conquête de l'IGP. Je vous invite d'ailleurs à lire ou relire ce que j'avais écrit sur le sujet, notamment il y a deux ans, à mon retour du Bassin d'Arcachon.
Il existe une quinzaine de galeries Bartoux dans le monde et c’est dans la galerie parisienne du 5 avenue Matignon que la soirée se déroulait, au coeur des œuvres des artistes. J'ai regretté un peu qu'ils ne soient pas présents (à l'exception du très discret 
Hom Nguyen). Sans prétendre à une visite exhaustive, il me semble logique de vous parler de quelques-uns.

mardi 23 novembre 2021

Le banana bread d'Olivia Potts … revu et amendé

Olivia Potts partage sa recette du gâteau à la banane p. 46 de son livre Une année douce-amère. J’adore ce type de gâteau et son mode opératoire m’a décontenancée. Et surtout je teste toujours avant de recommander un livre de recettes alors j’ai entrepris de vérifier moi-même.

Vous allez me trouver peu indulgente mais comme j’ai vraiment apprécié son témoignage sur la période de deuil (qui est le sujet principal du livre) je m’autorise à critiquer en vertu de l’adage Qui aime bien châtie bien.

Elle annonce une heure de préparation, ce qui est largement surestimé. Une demi-heure suffira à un débutant. Et en tout état de cause si la première chose à faire est de préchauffer le four j’objecterai qu’il n’a pas besoin d’autant de temps et que c’est un gâchis en terme énergétique.

A la croire il faut d’abord chemiser le moule à cake. Soit, mais le beurrer suffira amplement.

Venons-en aux proportions. J’ai respecté la quantité de beurre (125 grammes) mais je n’allais pas les malaxer avec 150 grammes de sucre roux muscovado (+ 85 de sucre blond muscovado) soit un total de 235 grammes. Un tel poids m'a semblé dément, d'autant que les bananes cachent des sucres lents et que l'auteure encourage à ajouter des bonbons (deux tubes de bonbons au caramel ou sinon des Michokos). J'ai donc réduit drastiquement à 150 grammes de sucre roux. Point barre. Et ce fut parfait.

Par contre, ce fut difficile d'incorporer le sucre (car il est en grosses paillettes) avec le beurre pommade. Il a fallu beaucoup d'énergie avant d’obtenir un «mélange léger et velouté, sensiblement plus pâle qu’au début». Toute pâtissière un peu expérimentée sait qu’il faut malaxer jusqu’à ce que le mélange «blanchisse». Et j’ai, à peu de chose près, réussi mais en remplaçant ma traditionnelle fourchette par un batteur électrique.

On ajoute ensuite un à un les deux œufs. Je plaide coupable, je n’ai pas lu attentivement et je les ai versés ensemble sur le mélange. J’en ai d’ailleurs mis trois. Cependant je les casse toujours un par un dans un ramequin avant de transvaser de manière à éliminer un œuf pourri (ça m’est arrivé).

On doit à ce stade écraser trois bananes dans le mélange, mais «pas au point de faire disparaître les morceaux» précise Olivia. J’ai pensé que si on incorporait ensuite le mélange de farine, la levure et le sel les fruits seraient indubitablement réduits en bouillie. J’ai donc opté pour commencer par la farine (250 grammes de T80, pour donner un côté un peu bis), un demi-sachet de levure chimique et une grosse pincée de sel vanillé. Avec l’intention de mettre ensuite les bananes.

Le mélange était si compact que pour absorber toute la farine il était flagrant qu’il était indispensable de le détendre (surtout qu'on me dit de ne pas trop écraser les fruits quand je les ajouterai). J’aurais pu employer du lait, ou de la crème fraîche. J’ai eu envie de tester avec 3 cuillères à soupe de café fort et le résultat m’a convaincue de recommencer. Le café se sent à peine et renforce la saveur du gâteau.
J’ai suivi scrupuleusement le conseil d’avoir fait séjourner les fruits non épluchés 24 heures au congélateur. Olivia a trouvé ce truc pour en accélérer le mûrissement et la sucrosité. On peut les laisser plus d’une journée d’ailleurs. Pour les décongeler, il suffit de les plonger avec la peau (elle prévient qu’elle aura viré au noir, mais j’ai été surprise de les récupérer juste brunes) dans de l’eau chaude entre 10 et 15 minutes. Elles ont dégelé en un temps record une fois plongées dans de l'eau bouillante (hors du feu, cela va de soi). Elles étaient molles quand j’ai retiré la peau, mais leur chair est restée parfaitement claire.

Après les bananes, j’ai  tenu à ajouter ensuite 60 grammes de noix fraiches parce que c’est un des éléments incontournables selon moi de ce type de dessert, que ce soit pécan, pistaches, amandes concassées ou noisettes …
Vous vous souvenez qu’elle incorpore à la fin des bonbons anglais. Je n’ai pas eu envie de sortir acheter leur ersatz (des Michoko) et j’ai opté pour 10 caramels que j'ai cassés en deux et posés sur la pâte une fois le moule rempli. Je les ai enfoncés un à un en espérant qu’ils fondraient à la cuisson. Ce ne fut que partiellement réussi (heureusement que je les avais cassés en deux) et j’ai un peu regretté de les avoir ajoutés. Il aurait été plus malin d’enrober les noix d’un caramel maison comme dans cette recette de brownie.
Ne restait plus qu’à enfourner 45 minutes à 180° chaleur tournante. Le temps préconisé était parfait. Le résultat fut satisfaisant. Suffisamment pour que je recommence avec cette recette, mais sans les bonbons.
Reste à décider laquelle des suggestions d’Olivia je vais maintenant tester … 
En attendant je me régale, avec ou sans coulis de mûres.
Je rappelle les références de son livre : Une année douce-amère Olivia Potts, traduit de l'anglais par Stéphane Roques, publié par Les Escales, en librairie depuis le 4 novembre 2021

lundi 22 novembre 2021

On est fait pour s’entendre de Pascal Elbé

Je suis allée voir On est fait pour s’entendre parce que j’avais envie d’un peu de légèreté.

La bande-annonce m’avait convaincue que Pascal Elbé (que je ne connaissais pas comme réalisateur) avait conçu une sorte de feel-good cinématographique. Un peu à l’instar des romans de cette catégorie dont on sait à l’avance que les héros surmonteront leurs problèmes, ce qui est somme toute rassurant et encourageant.

On a besoin de s’identifier à des gens qui pourraient être nous et leur manière de s’en sortir est inspirante.

Antoine (Pascal Elbé) semble n’écouter rien ni personne : ses élèves (qui lui réclament plus d’attention), ses collègues (comme Claudia Tagbo qui n’aiment pas son manque de concentration), ses amours (qui lui reprochent son manque d’empathie), sa soeur (Emmanuelle Devos) et sa mère (Marthe Villalonga) ... Et pour cause : Antoine est encore jeune mais a perdu beaucoup d’audition. Seul son ami (François Berléand) parvient à le supporter. Sa nouvelle voisine Claire (Sandrine Kiberlain), venue s’installer temporairement chez sa sœur (Valérie Donzelli) avec sa fille après la perte de son mari, rêve de calme et tranquillité. Pas d’un voisin aussi bruyant qu’Antoine, avec sa musique à fond et son réveil qui sonne sans fin. Et pourtant, Claire et Antoine sont faits pour s’entendre !

J’ai adoré ce film qui ne se prend pas excessivement au sérieux. C’est une jolie comédie et pourtant le sujet est doublement sérieux puisque la malentendante touche 466 millions de personnes dans le monde (Source OMS) dont 10 millions de français soit 16 % de la population. Après 50 ans, une personne sur trois ont des difficultés auditives, et plus d’une sur deux après 80 ans.

La moitié d'entre eux reconnaissent des répercussions sur leur vie quotidienne. Pourtant seulement 19 % des personnes déclarant présenter des troubles de l’audition ont un appareil auditif. Ce taux est de 25 % chez les 65-84 ans et atteint 34 % chez les plus de 85 ans (Source : DREES).

Pascal Elbé en est lui-même victime. Il était donc très bien placé pour nous en parler. Et à juste titre il fait remarquer que la surdité est propice aux gags alors qu'il ne viendrait pas à l'esprit de se moquer de la vie quotidienne d'une personne qui perd progressivement la vue.

Le terme même de "malentendu" n'est-il pas synonyme d'incompréhension ? En tout cas le réalisateur a conçu un scénario riche en rebondissements mais relativement pauvre en dialogues. Son film est peu bavard, propice à l'introspection, ce qui est reposant et permet de se projeter dans cet homme qui a envie qu'on le laisse tranquille. C'est aussi prétexte à revoir les plages de Cabourg et d'Houlgate. Une sorte de bouffée d'air pur et d'authenticité sous couvert de comédie romantique.

Ceux qui voudraient en savoir plus sur ce fléau pourront lire La vie en sourdine de David Lodge qui, lui aussi, rapporte sa propre expérience depuis le déni jusqu’à l’acceptation.

On est fait pour s’entendre de Pascal Elbé
Avec Pascal Elbé, Sandrine Kiberlain, François Berléand, Valérie Donzelli, Emmanuelle Devos, Claudia Tagbo, Marthe Villalonga …
Réalisé en 2019
En salle depuis le 17 novembre 2021

jeudi 18 novembre 2021

Frida. Viva la Vida, un documentaire de et par Giovanni Troilo

Quand André Breton qualifiait Frida Kahlo de "ruban autour d'une bombe" il faisait allusion à sa peinture. Mais on pourrait en dire autant de sa vie, maintenant qu'on la connait.

Giovanni Troilo a réalisé un documentaire qui présente les deux facettes de cette artiste : d'un côté, la révolutionnaire, pionnière du féminisme contemporain ; de l'autre, la femme, victime d'un corps torturé et d'une relation tourmentée. Ces deux aspects sont révélés au fil de la narration par le biais des paroles de Frida, tirées de ses lettres, journaux intimes et confessions privées.

Le film, que j'ai vu en avant-première au Rex de Châtenay, présente tour à tour entretiens, documents originaux, reconstructions captivantes et tableaux de l'artiste conservés dans certains des plus extraordinaires musées du Mexique, et notamment la Casa Azul (la maison bleue) qui était la maison de famille où elle est née et qu'elle habita avec avec son mari, le peintre Diego Rivera (8 décembre 1886 - 24 novembre 1957) et où je suis allée lors d'un de mes séjours au Mexique.

Frida Kahlo (6 juillet 1907 - 13 juillet 1954) est une véritable icône dans son pays. Son portrait est fréquemment représenté sur les murs de la ville, comme en témoigne la première photo que j'ai prise dans la capitale en août 2017. L'engouement qu'elle commence à provoquer en France est plus récent, même si elle est sans doute la femme et l’artiste mexicaine la plus connue au monde.
Pour ma part j'ai retrouvé dans le documentaire l'émotion que j'avais ressentie au cours de ma découverte de la Casa Azul, aussi bien les jardins, avec cette incroyable pyramide en réduction, qu'en intérieur quand on pénètre dans l'intimité de cette femme dont la vie aura été un champ de douleurs. Qu'elle ait pu clamer Viva la vida quelques semaines avant sa mort en 1954 est très caractéristique de son immense volonté de sublimation.
Le film retrace le chemin de croix de cette femme, souffrant dès l'enfance d'une poliomyélite, handicapée à la fin de son adolescence par un horrible accident de la circulation, qui fera trois fausses couches (à une époque où on n’aidait pas les femmes), sera opérée à de multiples reprises, portera des dizaines de corsets tous les plus contraignants les uns les autres, sera amputée de plusieurs orteils puis d'une jambe et qui mourra d'une pneumonie.

Peu d'êtres humains auraient été capables de produire une ouvre picturale aussi belle et aussi riche dans de telles conditions. On sait qu'elle peignait le plus souvent couchée et qu'elle s'est essentiellement représentée. Mais elle le fit avec un art aussi juste que particulier, intégrant des données très intimes et psychiques, en s'appuyant sur l’iconographie pré-colombienne qui était aussi une de ses principales sources d'inspiration
La relation avec son mari, célèbre peintre, de vingt ans son ainé, fut orageuse. Ils se séparèrent, habitèrent à San Angel deux maisons adjacentes (ci-dessus) avant de revenir plus ou moins ensemble à Coyocan. Je me souviens y avoir vu une énorme sculpture de batracien au pied de la haie de cactus. Surnommé le crapaud et la grenouille ce couple atypique a fait couler beaucoup d'encre. Ils se sont trompés mutuellement. Les aventures extra-conjugales de Frida étaient de notoriété publique, auprès d’amants parfois illustres, comme Trotsky, qui fut hébergé dans la Casa Azul.

Il est probable que derrière la violence de leur relation se cachait un immense amour comme en témoignent les images montrant l'urne aztèque en forme de crapaud dans laquelle Diego plaça les cendres de sa femme, sous un huipil et un châle de la défunte soigneusement pliés en guise de bouchon.

Tout ce qu'ils entreprenaient a marqué les milieux artistiques et politiques car leur engagement pour le communisme était très fort. Le couple partageait aussi une passion pour les civilisations pré-hispaniques. Frida portait avec fierté des vêtements et des parures traditionnels, se coiffant avec des bijoux anciens. Il faut d'ailleurs remarquer que beaucoup de femmes revendiquent le droit de les mettre encore aujourd'hui au quotidien, et pas seulement pour exécuter des danses sur les places des villages.

Je recommande à cet égard la visite du très beau musée du textile de Oaxaca.

La position de Frida mettant en scène sa garde-robe n'était pas exceptionnelle mais elle l'est devenue parce qu'elle était un vecteur de revendication dans ses toiles. Elle avait d'ailleurs fait la couverture de Vogue. Schiaparelli créa la robe "Madame Rivera". Christian Lacroix reconnut qu'elle fut une source d'inspiration et Jean-Paul Gautier lui dédia sa collection de l'année 1998.

Ce film retrace admirablement comment la peinture aura pris la place de tout dans la vie de Frida. Il est ponctué d'entretiens, d'images d'archives, et de vues aériennes magnifiques sur la ville de Mexico et au dessus de la Casa azul, et du site des pyramides de Teotihuacan. Les séquences de danses traditionnelles avec d'immenses robes blanches et des hommes sur échasses de la région de Tehuantepec sont très poétiques.

Frida. Viva la Vida, un documentaire de par Giovanni Troilo
Sortie nationale le 24 novembre 2021

mardi 16 novembre 2021

Une année douce-amère de Olivia Potts

Quel livre excellent ! Ce n’est pas une simple affaire que d’écrire un livre sur le deuil. Je ne sais pas si Une année douce-amère est totalement autobiographique comme le laisse supposer l’emploi du nom des personnages mais son à propos est exceptionnel.

Certes Olivia Potts est anglaise et on sent quelques distorsions propres aux différences d’usage avec les us et coutumes français, mais c’est mineur (et au demeurant cela ajoute un intérêt supplémentaire). Ses origines sont d’ailleurs surtout flagrantes dans le choix et les ingrédients des recettes de cuisine qu’elle partage avec nous.

Je n’avais rien lu d’aussi passionnant et d’aussi pertinent depuis J’ai réussi à rester en vie. Par contre, si j’avais ouvert celui-là alors que je me trouvais moi-même en pleine douleur, il n’en est rien en ce moment.

Si bien que je n’ai pas cherché de leçon de vie dans le témoignage de cette auteure, qualifié au demeurant de récit et non de roman. J’ai malgré tout voulu le lire comme un roman, pour mettre un peu de distance avec le sujet j’imagine.

Je ne lui ferais qu'un seul reproche, l’absence d’index des recettes, qui arrivent dans le texte avec un naturel aussi fort que si elle citait des paroles de chansons. Elles ne sont pas faciles à retrouver par la suite, surtout lorsqu'elles sont incluses au milieu d'un chapitre, et je fais profiter les lecteurs d'un récapitulatif en fin d'article.
J’en ai testé, car je ne m’emballe jamais sans avoir vérifié la pertinence de ce que je recommande et de ce point de vue je vous incite à la prudence. Les méthodes anglaises ne sont pas les nôtres. Je le démontrerai avec mon analyse de son Banana Bread dans quelques jours. Je vais donc me concentrer ici uniquement sur l’aspect littéraire et non culinaire.

La couverture est magnifique, avec ce gros plan dans lequel on ne reconnaît pas immédiatement une tasse de thé et où la demi rondelle d’orange semble comme figée sous une gelée. La couleur de la boisson est inhabituelle car on se serait attendu à plus sombre, alors que le liquide doré fait figure de glaçage d’un entremets ou de couche de caramel sur une crème catalane.

Il y a effectivement du sucré et de l’amertume dans les propos d'Olivia Potts. Dévastée par la mort de sa mère, elle remarque que son chagrin baisse en intensité quand elle fait de la cuisine, imitant en cela son nouveau compagnon, Sam, manifestement doué dans ce domaine.

Malgré la fatigue de son métier d'avocate, elle se met aux fourneaux pour préparer notamment des banana breads (p. 45). Petit à petit elle fait le bilan de sa vie professionnelle, ce qui nous donne l'occasion d'en apprendre sur le système judiciaire anglais où le bébé-avocat apprend le métier (p. 33 et 61). Elle détaille ses journées avec un humour très britannique (par exemple p. 76) et va jusqu'à justifier l'intérêt de porter la perruque.

Elle décortique la façon dont on analyse le processus de deuil, à travers des étapes qu'elle remet en cause (p. 98). Elle invoque un code de la tristesse (p. 51), joue à la bataille du deuil (p. 104).

Dans une seconde partie, à partir de la page 108 (alors qu'elle expérimente un Soda Bread) et parce qu'elle constate que son rapport au temps a changé, elle voit dans la pâtisserie le moyen de construire une nouvelle vie, et surtout de donner du sens à son existence sans sa mère. Elle quitte le barreau, s’inscrit au diplôme de pâtisserie du Cordon Bleu à Londres et plonge la tête la première dans le monde de la pâtisserie, de ses défis, ses frustrations et ses récompenses, offrant alors au lecteur des passages homériques dignes des défis auxquels sont soumis les candidats de l'émission française du Meilleur Pâtissier.

Ce témoignage semble très sincère. Il est donc émouvant. Mais il ne faudrait pas pour autant prendre ses recettes pour argent comptant. Outre leur caractéristique très britannique elles me semblent souvent étranges. Il faudrait peut-être connaitre (et apprécier)t le goût d'une tartine de Marmite pour en avoir le coeur net. Pourtant j'ai déjà feuilleté des livres de Jamie Oliver ou de Nigella (dont la salade niçoise est tout de même peu académique) qui sont ses mentors. Et exécuté plusieurs de leurs plats.

J'ai donc un certain recul sur l'aspect culinaire, ce qui ne m'a pas du tout empêché d'apprécier ses aventures en cuisine et le ton de ses confidences.

Je ne peux malgré tout pas faire l’impasse sur une grosse erreur dans la recette du pain irlandais (p. 110). Alors qu’elle vient d’expliquer que la spécificité est de remplacer la levure par du bicarbonate de sodium, d’où son nom de Soda Bread, j’ai la surprise de voir de la levure dans la liste des ingrédients et pas de bicarbonate. J’ai donc aussitôt vérifié. On n’est pas bloggeuse culinaire depuis près de quatorze ans pour rien. Je vous recommande sans réserve la version d’Edda que j’ai trouvée sur Un déjeuner de soleil. Je la connais personnellement et j’ai toute confiance en elle.

Une année douce-amère de Olivia Potts, traduit de l'anglais par Stéphane Roques, publié par Les Escales, en librairie depuis le 4 novembre 2021

Liste des recettes :
P.  21 : La tourte du berger
P.  46 : Gâteaux à la banane et aux Rolo
P.  60 : La tourte au poisson
P.  69 : Lemon Curd
P.  90 : Pizza
P. 110 : Soda Bread
P. 137 : Minestrone
P. 158 : Cantuccini
P. 174 : Pavlova fruit de la passion et chocolat au lait
P. 195 : Crème caramel au safran
P. 214 : Soufflés à la framboise avec une crème anglaise au beurre de cacahuète
P. 237 : Fondant chocolat speculoos
P. 248 : Pithiviers à la queue-de-boeuf et au Marmite
P. 284 : Tarte Tatin aux poires et au chai marsala
P. 300 : Choux au thé Earl Grey
P. 318 : Croustillant praliné chocolat au lait à la pointe de sel
P. 337 : Pain d'épices

samedi 13 novembre 2021

Aline de Valérie Lemercier

Je voulais absolument me faire ma propre opinion au sujet d’Aline de Valérie Lemercier. En sortant de projection je comprends le triomphe qu’elle a eue au festival de Cannes où son film était présenté hors compétition. Il est amplement mérité.

C’était surtout le travail de cette comédienne et réalisatrice que je venais voir. Je n’avais aucune curiosité malsaine à découvrir les dessous de la vie de la chanteuse internationale dont on nous prévient qu’il s’agit d’une fiction « librement inventée » mais je suis certaine cependant que le film est à 80% exact. Et cette inspiration est faite avec respect, ce qui n’exclut pas l’humour.

Le plus touchant c’est d’avoir réussi à en faire avant tout une magnifique histoire d’amour, entre parents et enfants, entre frères et sœurs, entre un homme et une femme.

Le casting y est pour beaucoup. Avec des acteurs québécois qui ne forcent pas sur l’accent, afin de rendre les sous-titrages inutiles. Pour une fois, on comprend leur langue et c’est assez jouissif. Il faut aussi saluer le travail de Brigitte Buc, la co-autrice de Palais Royal, qui signe le scénario avec Valérie.

En fait c’est toute l’équipe qui devrait être mentionnée car je n’ai remarqué aucune fausse note dans les décors, les costumes (même si on se doute qu’ils ont été adaptés, parfois ré-inventés), l’interprétation. La comédienne a eu la très bonne idée de ne pas chercher à imiter mais à incarner. Elle est doublée par Victoria Sio qui a réussi à maintenir sa tessiture entre la sienne et celle de Céline. Le résultat est bluffant.

Ce ne sont pas moins de 35 titres qui sont interprétés. Parmi eux le standard de jazz de 1947 Nature boy que Céline Dion reprit avec succès en 2002. Et puis Going to a town dans laquelle le chanteur canadien Rufus Wainwright, se disant « so tired of you America » annonça son départ de l'Amérique de Bush et prévint de son départ pour Berlin. Elle est placée fort à propos sur les images montrant la chanteuse décidant de laisser sa fabuleuse maison de Las Vegas. Et puis, bien sûr, à la toute fin, la reprise de la chanson de Charlebois alors qu’elle est tout sauf une fille bien ordinaire.

On est bouleversé à plusieurs moments, avec les larmes d’émotion qui débordent de nos yeux et puis, l’instant d’après, on peine tout autant à étouffer un rire.

Le film démarre avec une scène montrant la jeune femme vécue de blanc allongée sur un lit blanc, entre deux enfants, écoutant au casque la chanson Ordinaire de Charlebois, la main sur un paquet de mouchoirs en papier, sans plus d’information. On comprendra ultérieurement.

L’action commence véritablement après. Nous sommes au Québec en 1932. Un jeune garçon est rudoyé par son père qui lui vole son argent, ne lui laissant qu’une pauvre pièce de 50 cents. Au lieu de se décourager il y verra un porte-bonheur. L’enfant est musicien, accordéoniste. Plus tard il tombera en amour avec une jeune violoniste. Ils se marient et … clame aussitôt vouloir « vivre pour nous autres », c’est-à-dire sans enfants. Pourtant ils en auront quatorze et la dernière ne sera vraiment pas désirée. C’est Céline, pardon Aline, dont le prénom est prétexte à un hommage furtif à Christophe, décédé depuis, alors qu’il est de notoriété publique que c’est la chanson d’Hugues Aufray, Céline qui a inspiré la mère de al chanteuse.

On sourit de voir les premières scènes de la gamine car les fans de Valérie Lemercier ne pourront s’empêcher de faire le rapprochement avec un de ses sketchs parodiant l’école des fans de Jacques Martin. Sauf qu’ici elle est très sérieuse. Et quand elle chante Mamy blue on ne peut que l’écouter bouche bée comme le fait sa famille.
La mère joue un rôle essentiel et rare dans la carrière d’un artiste. Elle n’a pas la formation requise mais elle témoigne d’une compétence hors normes pour lancer sa carrière avec l’appui d’un frère ainé. Elle a une vraie carrure d’imprésario, de « gérant » comme on dit là-bas. La mère contrôle tout et voudrait intervenir dans ses choix amoureux. Elle agit pour le bien de sa fille et s’inclinera donc devant son choix. Cela aussi est remarquable car on sait que c’est aussi vrai que rare.

Valérie Lemercier a repris des expressions connues. Comme la comparaison avec un diamant brut. Mais elle rend autant compte de l’immensité du travail accompli, des leçons d’anglais, des cours de danse, jusqu'aux séances d’orthodontie, qui furent épargnées à Vanessa Paradis, autre jeune prodige auquel on pourrait la comparer et qui fait une petite apparition comme un hommage.

Outre la montagne d’efforts et de sacrifices, on revit certains soucis bien connus comme le problème de cordes vocales exigeant de ne plus parler pendant trois mois. Mais d’autres moments plus intimes ne sont que suggérés, par exemple la difficulté à devenir mère avec une photo de bébé (de la célèbre et géniale photographe Anne Geddes). C’est parfait d’avoir fait une quasi ellipse sur la maladie de son mari. On le comprend par un plan discret, de dos et on devinera plus tard qu’il est décédé. On épargne le pathos.
Les lieux de tournage ont été multiples, aux USA, en Espagne, en France, y compris la salle de l’Allegria du Plessis-Robinson que j’ai reconnue. Il y a bien entendu beaucoup d’effets spéciaux, de trucages à la Méliès, d’astuces pour rendre crédible l’interprétation du personnage par la même personne entre 5 et 48 ans.

Mais tout cela s’oublie au profit d’une très romantique histoire d’amour construite sur une « fidèle invention ».

On ne peut que s’incliner devant le résultat, parodier le dialogue en affirmant que nous aussi on l’aime gros, et retenir comme adage de faire comme tu veux, comme tu peux.

Aline de Valérie Lemercier
Scénario de Brigitte Buc et Valérie Lemercier
Avec Valérie Lemercier (Aline), Sylvain Marcel (Guy-Claude), Danielle Fichaud (Sylvette), Roc Lafortune (Anglomard)
Costumes de Catherine Leterrier
Décors de Emmanuelle Duplay

Photos : Jean-Marie Leroy

vendredi 12 novembre 2021

Joséphine B écrit et mis en scène par Xavier Durringer

On peut dire que l’entrée de Joséphine Baker au Panthéon a de multiples conséquences. La première est de raviver l’intérêt pour cette grande dame dont j’ai surtout connu les vicissitudes. Je me souviens de reportages focalisant sur ses soucis financiers pour entretenir Les Milandes, une propriété acquise en Dordogne pour abriter la douzaine d’enfants de multiples origines qu’elle avait adoptés.

Parfois un bref extrait d’un de ses spectacles ponctuait l’émission mais je n’avais jamais rien vu de très détaillé sur son parcours. Je ne suis pas sûre d’ailleurs que cela existe. Nul doute que la télévision le programmera s’il y en a.

Xavier Durringer a donc eu une excellente idée de s’emparer de sa vie pour en retracer l’essentiel sans tomber dans le travers du biopic. Le spectacle, comme le titre peut d’ailleurs le suggérer, n’a pas pour ambition de viser l’exhaustivité. Il nous épargne par exemple sa fin tragique, et ses déboires avec certains de ses enfants.

Il a volontairement choisi de n’être pas chronologique, ce qui permet de ne pas la voir vieillir et de clore avec un de ses numéros les plus célèbres. Les applaudissements fusent sur un personnage qui est alors au sommet de sa gloire.

Le tragique de son enfance et les problèmes qu’elle a connus ne sont pas occultés (la scèbne de la mort du poulet est bouleversante) mais c’est une force de vie qui domine, grâce à une interprétation enlevée. Il y a beaucoup d’humour, ce qui correspond bien au caractère facétieux de Joséphine qui, sur scène, était un vrai clown.

Le spectacle s’inscrit aussi dans le contexte des premières émeutes raciales de 1917 puis dans le mouvement  des Droits civiques avec des évocations précises sur le rôle de Rosa Park, les marches et la mort de Martin Luther King. L’interprétation de la chanson de Nina Simone, Strange fruit, est particulièrement émouvante.

Il est intéressant d’apprendre que Joséphine Baker se sentait bien mieux acceptée en France que dans son pays. A cette époque, être noire à Paris ne représentait pas un handicap.

Joséphine B est présenté dans une ancienne salle de cinéma qui portait déjà ce nom, Né en 1932 dans l’euphorie du cinéma parlant, Le Passy s’était endormi en 1985. Aujourd’hui, cette salle de spectacles reprend vie pour devenir le Théâtre de Passy après d’importants travaux qui ont permis de retrouver une salle Art Déco de 200 places. De nombreux projets sont dans les cartons pour les mois à venir.

Joséphine B écrit et mis en scène par Xavier Durringer
Avec Clarisse Caplan Thomas Armand
Au Théâtre de Passy - 95, rue de Passy - 75016 Paris
A partir du 28 octobre 2021 
Du jeudi au samedi à 19h00 – matinée le dimanche à 16h00  
Location : 01 82 28 56 40

jeudi 11 novembre 2021

Olga, un film de Elie Grappe

Olga a été présenté à la Semaine Internationale de la Critique au Festival de Cannes 2021 et en compétition Longs Métrages au Festival Paysages de Cinéastes de Châtenay où il a reçu deux Prix, celui du Jury de la Jeunesse et celui du Public (alors que Freda de Gessica Genéus avait celui du Jury des Femmes et du Grand Jury).

Les faits se déroulent en 2013. Olga est une gymnaste de 15 ans tiraillée entre l'Ukraine où sa mère, journaliste, couvre les événements révolutionnaires d'Euromaïdan et le pays de son père, la Suisse, où elle va partir s'entraîner pour le Championnat Européen en vue des JO.

Elie Grappe est un réalisateur français, né à Lyon en 1994, établi en Suisse depuis ses études, qui connait le contexte politique et qui avait déjà filmé des corps en mouvement en 2015. Après ce court-métrage il décide de voir plus long en combinant plusieurs motifs ; la passion d’une adolescente, le corps en action, le face à face entre enjeu individuel et enjeux collectifs, l’exil et le conflit de loyauté.

A cet égard la gymnastique est une discipline très cinégénique, sonore et en mouvement perpétuel qu’il est intéressant de montrer d’autant plus qu’il est à la fois individuel et collectif, ce qui résonne avec le dilemme d’Olga. La caméra est si précise qu’à de nombreux moments on oublie qu’on est dans une œuvre de fiction et on jurerait assister à un documentaire. Surtout lorsque les figures sont tournées en long plan séquence, manifestement sans doublage ni effets spéciaux. La fiction s’est en effet insérée dans des situations quasi-documentaires, et cela donne des accents de vérité au résultat.

Pour cela il a fallu engager avant tout des adolescentes qui soient des sportives de haut niveau et capables de jouer la comédie. Les interprètes d’Olga (Anastasia Budiashkinaet Sasha (Sabrina Rubtsovafont partie de l’équipe nationale de réserve en Ukraine. Les coachs et plusieurs athlètes – notamment Steffi et Zoé – sont issues de l’équipe nationale suisse. Leurs témoignages ont permis d’enrichir et de préciser le scénario, même si les personnages sont restés fictifs.

Le tournage a eu lieu à Macolin, véritable lieu d’entraînement des athlètes olympiques suisses, dans les hauteurs de Bienne, un petit plateau de montagne très fermé, huis-clos à ciel ouvert, où l’hiver est magnifiquement filmé et dont le calme contraste avec les images d’actualité d’Euromaïdan.

Elie Grappe a réalisé un premier long métrage très construit qui méritait la double distinction reçue au cours de Paysages de cinéastes.

Olga, un film de Elie Grappe
D’après un scénario de Elie Grappe et Raphaëlle Desplechin 
Avec Thea Brogli, Nastya Budiashkina, Sabrina Rubtsova, Caterina Barloggio, Tanya Mikhina
En salles à partir du 17 novembre 2021

mercredi 10 novembre 2021

Les Olympiades de Jacques Audiard

Encore un film qui fut en sélection officielle à Cannes si bien qu’on a le sentiment en cette fin d’automne de rattraper un certain retard … Les Olympiades surprennent. Surtout parce que le tournage a été fait en noir et blanc. Nous en avons perdu l’habitude. Il a un côté post nouvelle vague. Et une poésie certaine.

Les acteurs sont peu connus, à l’exception de Noémie Merlant (La Jeune fille en feu réalisé par Céline Sciamma qui, cela ne peut pas être un hasard, à co-écrit le scénario avec Léa Mysius et Jacques Audiard). Il ne fait aucun doute qu’on va beaucoup entendre parler de cette comédienne dans les semaines à venir car elle est à l’affiche de plusieurs longs métrages.

Ce choix de comédiens aiguise l’attention du spectateur qui comprend d’emblée qu’il est devant un film hors normes ; Paris 13e, quartier des Olympiades. Emilie rencontre Camille qui est attiré par Nora qui elle-même croise le chemin de Amber. Trois filles et un garçon. Ils sont amis, parfois amants, souvent les deux. Les trois protagonistes vont nous entraîner dans leur recherche amoureuse qui est un peu une course de fonds, ce qui donne envie de faire un jeu de mots avec le titre du film. Celui-ci fait malgré tout d’abord référence au quartier où ils habitent et qui est filmé comme un personnage, même si l’essentiel du film aura été tourné en intérieur.

La dalle est malgré tout régulièrement arpentée et les tours profilent leur majesté dès que la caméra balaie la perspective.

On surnomme l’arrondissement Chinatown parisien et on s’attend à voir des asiatiques. On connait leur penchant pour les soirées karaoké. C’est donc assez logique que le film commence avec une telle séquence, quoiqu’elle ait lieu chez un particulier. Emilie (Lucie Zhang) nue, allongée sur son canapé, fredonne une chanson en mandarin. La soirée perd brutalement son romantisme quand on entend la voix de Camille (Makita Samba) lui proposant un yaourt. On a compris qu’on allait osciller entre poésie et prosaïsme.

Et ça continue sur cette voie avec la scène suivante où Emilie est filmée dans le centre d’appels téléphoniques où elle tente de vendre n’importe quoi à quelqu’un qui n’en a pas besoin. La situation nous est familière en tant que particulier, agacé par le démarchage qui commence à contaminer même nos portables.

Si le noir et blanc connote les années soixante (comme d’ailleurs le mobilier vieillot des appartements) apparaissent régulièrement à l’écran les textes des SMS que les protagonistes s’envoient. Le film a aussi pour objectif de dénoncer la violence des réseaux sociaux et la platitude des applications de rencontre.

Le scénario s’inspire de trois nouvelles graphiques d’Adrian Tomine :  "Amber Sweet""Tuer et mourir""Escapade hawaïenne"Il faudrait sans doute connaître l’œuvre de cet artiste pour mieux comprendre le message que Jacques Audiard a vraiment voulu transmettre. Son choix de comédiens (une asiatique, un noir et une provinciale) est-il intentionnel et a-t-il voulu démontrer leurs points communs et leurs divergences en terme de recherche de l’âme soeur ?

l’exception de la chanson créée par Lucie Zhang la musique est composée par Rone. Elle apporte une superbe coloration au film.

Le réalisateur a déjà annoncé son intention de tourner le prochain à Mexico. C’est un pays que je connais bien et on comprendra combien je suis impatiente de le découvrir.

Les Olympiades de Jacques Audiard 
Scénario : Jacques Audiard, Céline Sciamma, Léa Mysius d'après Les Intrus de Adrian Tomine
Avec Lucie Zhang (Émilie), Makita Samba (Camille), Noémie Merlant (Nora), Jehnny Beth (Amber Sweet), Océane Caïraty (Stéphanie)...
Musique : Rone
En salles depuis le 3 novembre 2021

mardi 9 novembre 2021

Je chemine avec Angélique Kidjo

On va dire que je suis accro à ces balades. Me voici embarquée pour suivre cette fois le parcours d'Angélique Kidjo, qui est une voix majeure de la world music.

Honnêtement je l'ai appris en découvrant cet ouvrage et j'ose à peine avouer que je ne connaissais pas cette artiste qui figure parmi les dix femmes les plus influentes en Afrique.

J'ai découvert, depuis, l'originalité de ses clips et l'immensité de sa palette musicale.

Elle raconte son enfance avec ses parents qui lui transmettent la passion de la musique ainsi qu'un esprit de tolérance et d'indépendance, si bien qu'elle découvre tardivement que la couleur de la peau peut être un handicap. Bien entendu elle va lutter contre cet a priori et s'investir corps et âme dans l'humanitaire et dans l'éducation à travers la fondation qu'elle a créé, sans jamais renier sa position d'artiste.

Elle fait une analyse passionnante de la musique africaine et il est amusant de l'entendre faire référence aux années dites "Salut les copains" (car cet opus est davantage dialogué que les deux autres que j'ai déjà lus, celui de Nancy Huston et celui de Gilles Clément).

Cheminer avec elle est absolument passionnant et ô combien utile pour des adolescents en quête de trouver leur voie ! Je vais désormais surveiller ses apparitions car elle est de tous les grands événements, comme la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques de Tokyo 2020 le 23 juillet 2021, pour ne citer qu'un exemple.

J'ai maintenant envie de lire ce qu'ont à transmettre des personnalités que je crois connaitre (mais je suis certaine qu'il me reste beaucoup à découvrir) : Susan George (livre paru le 10 septembre 2020), Hubert Reeves (le 3 octobre 2019), et la non moins formidable Agnès B (le 17 octobre 2019). 

Je chemine avec Angélique Kidjo, Entretiens menés par Sophie Lhuillier, au Seuil, en librairie depuis le 8 avril 2021

lundi 8 novembre 2021

Albatros de Xavier Beauvois

Albatros est un film très touchant. C'est le nom d'un bateau mais j'y ai vu aussi une référence au poème de Baudelaire disant en substance que si cet oiseau est majestueux lorsqu'il vole, à l'inverse ses ailes de géant l'empêchent de marcher sur le sol.

Laurent (Jérémie Renierest commandant de brigade de la gendarmerie d’Étretat. Il est à son aise dans l'univers marin et il a de fortes convictions qui font de lui un excellent gendarme. On le constate tout au long de la première partie qui met en avant ses valeurs professionnelles et morales.

Mais, à l'instar de l'oiseau, sa volonté d'apaiser tous les conflits l'amènera à faire une fatale erreur en croyant pouvoir sauver un agriculteur du suicide. Pourtant, tout commençait bien, par une soirée d'anniversaire qui masque une très jolie déclaration d'amour. Il forme avec celle qui devrait devenir sa femme (Marie-Julie Maille) et sa fille Poulette (Madeleine Beauvois) une famille aimante et paisible.
On sent un couple uni et de fait on assistera avec émotion à leur manière de vivre les épreuves.

Le spectateur est convié aussi à partager le quotidien (difficile) de l'unité de gendarmerie : depuis l’alcoolique (Xavier Beauvois) qu’on essaye de ramener chez lui, les agressions sexuelles, les drames familiaux, les ados qui roulent sans casque (et qu’il faut sermonner), une opération de déminage sous la pluie, ou plus grave encore les suicides. La scène montrant un homme se jetant de la falaise au-dessus d'un couple de jeunes mariés et leur photographe est absolument édifiante. Dire qu'il peut y avoir jusqu'à 5 suicides en une même semaine sur ce bord de mer dont les falaises sont très tentantes pour les malheureux !
La détresse de l'agriculteur (Geoffroy Sery) est plus que plausible. On sait que les producteurs laitiers travaillent à perte et combien mettent fin à leurs jours, particulièrement en Normandie. Et on comprend qu'il soit difficile pour les forces de l'ordre de "garder la carapace". Les paysans accusent les gendarmes qui appuient sur la gâchette de l’Europe qui les tue. Cet extrait est signifiant à plus d’un titre parce que l’usage des armes est hyper réglementé, très codifié comme le montrent plusieurs plans, très rare et c’est pourtant par un pistolet que le drame va se concrétiser.

La volonté de réparation de la société est somme toute logique, surtout dans le contexte des reproches qui sont de plus en plus souvent formulés à l'encontre des policiers (et dont ils discutent pendant les pauses), si bien qu’on sent à plusieurs reprises Laurent proche du burn-out même s’il encourage ses collègues à se blinder, comme il dit et qu’il persiste à penser qu’on "va trouver une solution ". Le spectateur, lui, remarque l’amoncellement des nuages noirs dans le ciel.
Xavier Beauvois a tourné dans le pays de Caux où il habite, auprès de gendarmes qu'il connait bien. Sa femme a travaillé au scénario avec lui. Elle joue avec leur fille dans le film qu'elle a ensuite monté. Cette présence a sans doute renforcé l’humanité qui se dégage du film malgré le drame. On y trouve des caractéristiques communes avec La fracture, témoignant combien les cinéastes s’impliquent dans les problématiques actuelles.
La gendarmerie, parce qu’elle exerce dans des petites villes, est forcément dans la proximité avec les citoyens. Tout le monde se connait, ce qui rend touchant la fonction sociale de ces hommes (et femmes, car le réalisateur le pointe avec la gendarme Carole, interprétée par Iris Bry).

On remarque plusieurs acteurs de son film précédent Les Gardiennes, dans lequel sa femme et sa fille avaient un petit rôle. Comme bien sûr Iris Bry. Mais aussi d’autres comédiens comme Victor Belmondo, le petit-fils de Jean-Paul, qui est le collègue de Laurent et enfin des non professionnels, ce qui apporte un réalisme formidable d'autant qu'ils sont très naturels : l’agriculteur Geoffroy Sery, le capitaine Olivier Pequery, la grand-mère Suzanne Lipinska qui, à 90 ans, n’avait pourtant aucun désir de jouer. C’est la patronne du Moulin d’Andé, fameuse résidence d’artistes, où Georges Perec a écrit La disparition et où François Truffaut avait tourné Jules et Jim et la fin des 400 Coups.

Le film est aussi une ode au pouvoir bienfaisant et réparateur de l'océan après le choc de la sidération. Jérémie Rénier n’avait jamais fait de navigation, pas plus qu'il n'avait jamais été gendarme. Il a donc suivi un entraînement intensif dans les deux disciplines jusqu'à devenir totalement à l'aise.

Albatros est un film très touchant qui interroge le spectateur sur notre société et sur la notion de culpabilité, la justice des hommes tell qu'elle est cadrée par la loi n'étant pas toujours superposable à celle qu'on ressent au fond de soi.

C'est aussi un très beau portait d'homme, de femme et de couple.

Albatros de Xavier Beauvois
Scénario de Xavier Beauvois et Marie-Julie Maille
Avec Jérémie Renie, Marie-Julie Maille, Madeleine Beauvois, Victor Belmondo, Iris Bry, Geoffroy Sery, Olivier Pequery … 

En salles depuis le 3 novembre 2021
Photos Les Films du Worso - Pathé Films ou Guy Ferrandis

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