La fracture avait été présentée en compétition dans la Sélection officielle du Festival de Cannes 2021. Le film vient de sortir au cinéma et j’espère que la profusion des propositions ne lui nuira pas car c’est une grande réussite.
Pour l’histoire, mais aussi pour ses dialogues et son interprétation. J’ai plusieurs fois oublié qu’il s’agissait d’une fiction tant la justesse de la situation évoquait le documentaire. Le fait que Catherine Corsini ait beaucoup tourné avec la caméra à l’épaule y est sans doute pour quelque chose.
Raf (Valéria Bruni Tedeschi) et Julie (Marina Foïs), sont un couple au bord de la rupture. Suite à la chute de Raf, elles se retrouvent dans un service d’Urgences où Kim (Aissatou Diallo Sagna) s’apprête à enchaîner sa sixième nuit de garde alors qu’elle est en grève. L’hôpital est débordé et bientôt proche de l'asphyxie en raison d'une manifestation parisienne des Gilets Jaunes. L’arrivée de Yann (Pio Marmaï), un manifestant blessé et en colère, va faire voler en éclats les certitudes et les préjugés de chacun. À l'extérieur, la tension monte. L’hôpital, sous pression, doit fermer ses portes. Le personnel fait tout ce qu’il peut. La nuit va être longue…
Le film commence par une dispute entre les deux femmes. Unilatérale, puisque si la première s’énerve sur son téléphone, l’autre roupille. Les dialogues sont d’emblée cocasses :
- Comment tu fais pour si bien dormir ?- Et toi pour envoyer 36 textos en une nuit ?
- Ça part tout seul.
La musique est forte, choquante, annonçant le capharnaüm dans lequel les trois héros vont plonger, surtout deux. Tu crois vraiment qu’il n’y a plus rien à sauver entre nous ? implore Raf qui tente de se raccrocher à sa compagne et qui tombe … Il y a beaucoup de double sens dans ce film. À commencer par le titre qui fait référence à l’accident comme à ce qu’on appelle la "fracture sociale".
La manifestation des Gilets Jaunes est filmée au plus près. Yann semble pacifique. Mais ça dérape. L'homme est transféré aux urgences où il se trouve près du brancard de Raf. En attendant d’être pris en charge, les protagonistes vont faire connaissance. La promiscuité autorise un rapprochement physique, puis social, qui tranche avec la violence palpable, de part et d’autre, qui les dépasse.
La jeune femme qui endosse le rôle de l’infirmière, Aïssatou Diallo, semble plus vraie que nature, excellente comédienne, mais avec des gestes d’une telle sûreté qu’on pense qu’elle a été doublée sur certaines prises. Pas du tout. S’il y a un domaine dans lequel elle débute c’est la comédie. Et elle est épatante de naturel et impressionnante par sa capacité de jeu et à transmettre des émotions. On se souviendra de ce plan où elle répond Très bien (avec les yeux pleins de larmes) à la question anodine Est-ce que ça va ? alors qu’elle pense à son bébé à laquelle elle ne peut même pas accorder quelques minutes pour la soigner.
Plusieurs mondes s’opposent, ou dirons-nous, se rencontrent. Celui, très bourgeois et aisé de Raf et sa compagne, que l'on pourrait dire privilégiées. Celui de Yann qu'un rien pourrait faire basculer dans la précarité. Celui des soignants qui font face avec une détermination inouïe. L’hôpital se casse la gueule, au sens propre, avec un plafond qui s’écroule.
Catherine Corsini rend parfaitement l'ambiance, l'angoisse, l'humanité qui subsiste malgré les problèmes, et le courage aussi.
Le public rit souvent, comment faire autrement ? Comme aux enterrements, nos fous rires (induits volontairement par les situations, visuellement ou par les dialogues) est presque nerveux. Il n'empêche que le message passe. Nous ne sommes pas dans l'univers de la comédie. Un panneau sur lequel la caméra ne s’attarde même pas, informe que l’attente est de 8 à 10 heures pour voir un médecin et remercie les patients de leur compréhension. C'est un élément de décor mais si on est passé par les urgences on sait qu'il existe presque partout. Drôle à pleurer …
Plusieurs scènes semblent surréalistes mais tristement plausibles. Comme l'accouchement surprise auquel Raf fait face. L'aide que Julie apporte à d'autres blessés. C’est un peu "la démerde".
On voit combien l'hôpital et la société dysfonctionnent. Les comparaisons sont toujours délicates mais j'ai trouvé une puissance comparable à Polisse de Maiwen sorti il y a dix ans (dans lequel d'ailleurs jouait Marina Foïs), avec l'humour en plus. C'est implacable, bouleversant de justesse mais aussi de drôlerie. Valéria Bruni Tedeschi est totalement bluffante et je ne serais pas surprise que le film soit plusieurs fois nominé aux César.
La fracture, réalisé par Catherine Corsini
Avec Valeria Bruni-Tedeschi, Marina Foïs et Pio Marmaï, Aissatou Diallo Sagna
En salles depuis le 27 octobre
Photos Le Pacte © Carole Bethuel
2 commentaires:
Bonsoir, celle que j'ai trouvé très bien et qui m'a émue, c'est Aissatou Diallo Sagna. On a l'impression qu'elle a été infirmière toute sa vie. Un bon film. Bonne soirée.
Bien sûr Dasola, et pour cause puisqu’elle est réellement aide-soignante dans la vie. La réalisatrice l’a vraiment mise à l’honneur (et c’est mérité) en lui confiant ce rôle d’infirmière.
Enregistrer un commentaire