Après Eiffel (de Martin Bourboulon) et avant Illusions perdues (de Xavier Giannoli), voici, avec Eugénie Grandet, le film de Mac Dugain, un drame historique de plus, et qui laisse supposer du grand spectacle.
On sera surpris par la sobriété, on pourrait même dire l’ascétisme, qui va imprégner la plupart des plans. La réalisation est ultra soignée, au service de la démonstration d’une relation familiale toxique sur fond de montée de la logique capitaliste.
On connait le sujet du roman d’Honoré de Balzac publié en 1857 : l’avarice du père pousse doucement mais sûrement ses proches sur une pente terrible. La moindre décision est subordonnée a minima à la sauvegarde de son magot, le plus souvent à son accroissement. Aucun sentiment, et pourtant il en a, n’aura le moindre effet contraire.
Balzac avait des dettes et a passé sa vie à être poursuivi par des créanciers, ce qui imprègne toute son œuvre. Le réalisateur a librement adapté l’histoire (comme il le souligne dans le générique). Il n’a pas ajouté de circonstances atténuantes ou explicatives de la psychologie de Félix Grandet, dont le prénom est loin d’être anonciateur de son bonheur. Par contre il a modifié la fin en lui donnant une portée féministe qui peut déranger les puristes mais que j’ai trouvée très intéressante.
Le film commence sur les mains jointes d’Eugénie (Joséphine Japy), protégée du froid par des mitaines, prête à confesser son souhait : est-ce pécher que d’espérer un grand amour ? La réponse du curé s’inscrit dans l’air du temps, marqué par le poids des conventions et de la bienséance religieuse.
Nous sortons de l’église pour rejoindre le second personnage principal, Félix (Olivier Gourmet) qui se prétend « modeste tonnelier », furieux d’avoir failli attendre un vendeur potentiel en plein bois dans les environs de Saumur, et qui fait une magistrale démonstration de sa réputation d’être âpre en affaires. La mise en scène est habile, le jeu du comédien subtil car cet homme profondément odieux dégage une bonhommie qui pourrait le rendre sympathique, ce qui leurre le spectateur.
Quand te décideras-tu pour Eugénie ? questionne sa femme (Valérie Bonneton) à son retour, ce à quoi il modère son impatience en exprimant sa volonté d’attendre pour viser mieux, une stratégie qui en fait masque sa décision de ne jamais la marier, par un sordide calcul d’intérêt financier, et peut-être aussi par jalousie. C’est ce que perçoit sa femme qui renonce elle-même à Eugénie avant de mourir : il te veut pour lui tout seul.
Le moindre sou est difficile à sortir. Le pain est cadenassé dans une panière. Il est question de manger du potage au corbeau, la viande étant trop onéreuse. On souffle la bougie tôt le soir, pour l’économiser. Les scènes d’intérieur dominent, dans une ambiance crépusculaire, accentuant le sentiment d’enfermement des femmes qui se consacrent surtout à des taches matérielles. La palette est essentiellement dans des coloris sépia, inspirés des peintures flamandes.
Sans s’attarder sur le portrait psychologique de cet homme et sans aller jusqu’à porter sur lui un regard compatissant, on le devine malheureux. Sa rigidité témoigne clairement de son vice : Qui ne respecte pas l’argent ne peut pas aspirer au bonheur, dit-il.
Dans ce drame dont la morale est calquée sur la fable de La Fontaine, la cigale est le frère de Félix (François Marthouret) criblé de dettes, qui ne trouvera pas d’autre solution que de se suicider après avoir envoyé son fils chez son oncle. Evidemment les deux jeunes gens vont s’éprendre l’un de l’autre. Mais, si la mère pourrait être compréhensive, le père sera inflexible. Il manigancera le moyen d’éloigner son neveu, comme il parviendra à écarter tous les autres prétendants. Cet homme qui sait à peine lire est un redoutable négociateur, d’une habileté quasi machiavélique pour faire prospérer ses affaires, avec la bienveillante complicité d’un notaire (Bruno Rafaelli) qui aimerait caser son fils en reconnaissance des services rendus.
Pauvre Eugénie qui se trouve au centre d’une toile d’araignée, dont la vie s’adoucit parfois de l’affection solide et touchante que lui témoigne sa mère, hélas impuissante à faire fléchir son époux, pourtant manifestement amoureux. Elle en mourra et Eugénie laissera son père administrer l’héritage. La perte de sa femme ne change rien à sa détermination. Il finira par avouer à son notaire qu’il entend mourir en paix sans les souffrances des dépenses d’un mariage.
De son coté, Eugénie ne souhaite pas un autre parti que son cousin. Tu ne veux pas d’un mari. Nous nous accordons, conclut son père, soulagé de cette attitude. Quand il mourra, la jeune femme stupéfaite apprendra l’immensité de sa fortune. Loin d’être rageuse, elle en usera comme bon lui semblera (je vous laisse le découvrir).
Les circonstances ont fait de moi une femme libre, dira-t-elle, annonçant en quelque sorte une fin heureuse. Interrogée sur ce qu’elle fera, elle affirme son désir de voyager, d’ouvrir son horizon puis de revenir vivre là en harmonie avant que la nature ne la reprenne.
Avec cette nouvelle adaptation, Marc Dugain propose une vision moins négative, et en tout cas le magnifique portrait d’une femme qui ne s’avouera jamais battue. Sa rébellion est peut être muette, mais elle est déterminée à conquérir son émancipation et à ne pas suivre le même chemin que sa mère. Elle est en outre d’une générosité qui contraste avec l’avarice de son père, témoignant que l’argent peut faire le bonheur, notamment celui de la fidèle Nanon (Nathalie Becue).
Eugénie Grandet de Mac Dugain
Avec Joséphine Japy, Olivier Gourmet, Valérie Bonneton, César Domboy, Bruno Rafaelli, François Marthouret …
En salles depuis le 6 octobre
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