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dimanche 10 octobre 2021

Téléphoner … dans les années 1960

Quand je repense à mes distractions de petite fille, je revois cet objet de bakélite noir, énorme et lourd, au bout d’un long cordon, tout aussi noir, posé sur le bureau de mon père.

Une sorte de molette barrait le cadran dépourvu de chiffres. Il fallait l’actionner trois à quatre fois puis attendre. Plus tard, une sonnerie retentissante emplissait la pièce. On décrochait pour entendre, à l’autre bout du fil, une opératrice noter le numéro demandé, estimer le temps d’attente, enregistrer notre confirmation, puis réclamer notre patience avant de «mettre en relation» selon l’expression alors usitée.

C’était une époque où la dame appartenait encore à l’Administration des Postes. Quelle humanité dans les conversations qui accompagnaient parfois la commande !

Evelyne, la fille de la voisine, appartenait à cette cohorte et quand elle était de service au bout du fil elle prévenait souvent que la communication ne serait pas taxée, ce que maman notait «pour mémoire» sur le cahier d’appels. Nous avions alors ce petit privilège inattendu.

Notre maison était la seule du quartier à disposer de ce luxueux équipement. Cela nous valait l’intérêt de tout le voisinage, d’autant que maman était disponible 24 heures sur 24, toujours prête à rendre service, à écouter et accompagner les confidences, car bien sûr on téléphonait pour traiter de sujets graves, et non pour commenter la pluie ou le beau temps.

En fin de mois, les PTT envoyaient leur facture accompagnée de petits cartons bruns, un par communication, où figuraient, écrits à la main, le numéro appelé, la durée, et le prix, lequel dépendait du jour (plus onéreux en semaine) et de l’heure (moins cher en soirée).

J’adorais les trier, mettre de coté les nôtres, pointer les numéros sur le cahier. J’allais ensuite glisser ceux des voisins et amis dans leurs boites aux lettres en jouant au facteur. Pouvait commencer alors le défilé à la maison pour le règlement des notes, jumelé souvent à de nouveaux appels. Cela créait des liens …

Les vacances m’éloignaient du modernisme. Ma grand-mère habitait à Auxerre, dans un quartier dépourvu de cabine et sa maison n’était pas reliée au réseau téléphonique. Elle n’appelait que pour annoncer les grandes nouvelles, bonnes ou mauvaises, ou convenir du jour de reprise de la gosse, en l’occurrence moi, à la fin de l’été.

Nous profitions alors du jour de marché pour monter jusqu’à la «Grand Poste». Queue au guichet, ticket, attente parfois longue dans un hall bruyant et encombré avant d’entendre à la cantonade : Sens –cabine 3 !

Mémère se précipitait dans la cabine exigüe pour décrocher et parler à ma mère. Je saisissais l’écouteur, qui pendait au bout d’un second fil, et j’y collais l’oreille. J’apprenais qu’il me resterait encore 4 jours, parfois 5, à continuer à vivre en toute liberté avant de réintégrer les pénates. Ce qui était dit était dit. On ne reviendrait pas là-dessus : il aurait fallu retourner en ville pour espérer modifier la donne.

Les heures d’arrivée et de départ étaient approximatives. Nous étions philosophes. Nous n’avions que les contraintes que nous nous fixions. Nous passions les soirées assis sur une chaise sur le trottoir, à regarder les gens marcher dans la rue, et à commérer avec l’entourage. Je ne me souviens pas de ces conversations. Mais une chose est certaine, il n’était question ni de mode, ni d’actu-people, et nous n’échangions pas de SMS pour répercuter l’information dans l’urgence.

C’était il y a à peine plus d’un demi-siècle. Nous n’étions pas riches mais nous avions le temps …

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L’appareil photographié est un modèle 1960 muni d’un cadran dit à clapet qui était exactement celui qui était installé dans le bureau de mon père.

J’ai retrouvé ce texte que je publie parce que le sujet fait l’objet d’une pièce que je vais prochainement découvrir au Lucernaire, Le fil rose.

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