C’est un truc de fou! J’arrive pas à y croire! (p. 103) Delphine de Vigan auteure de polar, c’est une surprise.
Pourtant il y avait déjà quelque chose de cet ordre dans D’après une histoire vraie. D’ailleurs Delphine adore jongler avec des moments de vérité pour nourrir des intrigues. Dans un autre de ses livres je m’étais étonnée de lire mon nom. Un hasard, m’avait-elle assuré lorsque nous en avions parlé. Cette fois, c’est mon cadre de vie qui est exposé. Le domaine du Poisson bleu (p. 52) est la résidence voisine de la mienne à Châtenay-Malabry.
Elle n’est pas la première à s’intéresser à la question de l’exploitation des enfants par des parents qui les surexposent à un âge où ils devraient plutôt jouer à la poupée qu’en être une. Florida explorait ce sujet en montrant sans complaisance les ravages sur une jeune femme qui avait été top-model dès l’enfance. Mais en situant l’action aux Etats-Unis, Olivier Bourdeaut nous permettait de mettre le phénomène à distance. Ceci, malgré des prénoms américains, on est « chez nous » et même chez moi.
Alors qu’on alerte quotidiennement les éducateurs sur la nécessaire maitrise des écrans, Mélanie est elle-même à l’origine du processus. Depuis des années, elle poste quotidiennement des vidéos mettant en scène ses deux enfants Sam 8 ans et Kim 6 ans qui sont devenus des acteurs publicitaires lui faisant gagner des millions d’euros Est-ce alors un hasard si Kimmy, surexposée, disparaît le 10 novembre 2019 dans une partie de cache-cache qui la soustrait à la domination parentale ?
Le lecteur est perturbé, ne parvenant pas à mesurer l’ampleur du drame (n’ayant pas un polar annoncé comme tel entre les mains je n’ai pas pu croire à une issue fatale), cherchant des circonstances atténuantes à la mère (dépressive, suite à son premier accouchement et qui aurait bien eu besoin d’un soutien psychologique) et se demandant comment va évoluer la confrontation entre elle (archétype de la famille heureuse) et Clara, la policière chargée de l’enquête, précisément procédurière (ses missions sont décrites p. 53), orpheline, ayant renoncé « par sécurité » à avoir un enfant pour éviter le risque d’une perte prématurée.
L’auteure multiplie les points de vue, opposant sans cesse les choix de vie des deux femmes. « La première fois que Mélanie Claux et Clara Roussel se rencontrèrent, Mélanie s’étonna de l’autorité qui émanait d’une femme aussi petite et Clara remarqua les ongles de Mélanie, leur vernis rose à paillettes qui luisait dans l’obscurité. “ On dirait une enfant ”, pensa la première, “elle ressemble à une poupée”, songea la seconde.
Même dans les drames les plus terribles, les apparences ont leur mot à dire (p. 63). »Ce qui fait l’intérêt de ce roman c’est de démonter l’affirmation candide de la mère certifiant que chez elle les enfants sont rois (p. 249), pour prétendre leur bonheur à faire ce qu’on leur demande alors qu’en réalité ils sont des esclaves. D’habitude cette phrase dénonce au contraire la soumission des parents aux exigences de leur progéniture. En ce sens le lecteur non averti sera surpris par la démonstration.
Delphine de Vigan s’est manifestement documentée précisément sur l’univers de l’influence, le fonctionnement et la logique économique du placement de produits, autant que sur l’addiction aux réseaux. Elle souligne aussi combien Facebook ou Instagram peuvent tout autant sauver de la dépression du fait de la restauration narcissique du média qu’entretenir la jalousie de la part de l’entourage.
On referme le livre avec angoisse. La télé-réalité filmée dans le Loft il y a vingt ans, l’affaire Grégory, le meurtre sauvage d’Alexia Daval (cité p. 135 sans la moindre note de bas de page) semblent croiser la disparition de la petite fille en la banalisant. On préférerait que ce soit de la science-fiction. Pourtant même si l’histoire se poursuit en 2031, elle n’en est pas moins effrayante car la progression des addictions numériques et la souffrance des enfants sont totalement plausibles. N’en déplaise au législateur qui pense avoir réglé le problème en encadrant le travail de ces influenceurs d’un nouveau genre.
Il suffit, pour en être convaincu, d’écouter la plainte d’un bambin de quatre ans supplier sa mère dans le métro alors qu’elle a les yeux rivés sur l’écran de son téléphone : Maman, s’il-te-plaît, parle-moi.
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