Quel livre excellent ! Ce n’est pas une simple affaire que d’écrire un livre sur le deuil. Je ne sais pas si Une année douce-amère est totalement autobiographique comme le laisse supposer l’emploi du nom des personnages mais son à propos est exceptionnel.
Certes Olivia Potts est anglaise et on sent quelques distorsions propres aux différences d’usage avec les us et coutumes français, mais c’est mineur (et au demeurant cela ajoute un intérêt supplémentaire). Ses origines sont d’ailleurs surtout flagrantes dans le choix et les ingrédients des recettes de cuisine qu’elle partage avec nous.
Je n’avais rien lu d’aussi passionnant et d’aussi pertinent depuis J’ai réussi à rester en vie. Par contre, si j’avais ouvert celui-là alors que je me trouvais moi-même en pleine douleur, il n’en est rien en ce moment.
Si bien que je n’ai pas cherché de leçon de vie dans le témoignage de cette auteure, qualifié au demeurant de récit et non de roman. J’ai malgré tout voulu le lire comme un roman, pour mettre un peu de distance avec le sujet j’imagine.
Je ne lui ferais qu'un seul reproche, l’absence d’index des recettes, qui arrivent dans le texte avec un naturel aussi fort que si elle citait des paroles de chansons. Elles ne sont pas faciles à retrouver par la suite, surtout lorsqu'elles sont incluses au milieu d'un chapitre, et je fais profiter les lecteurs d'un récapitulatif en fin d'article.
J’en ai testé, car je ne m’emballe jamais sans avoir vérifié la pertinence de ce que je recommande et de ce point de vue je vous incite à la prudence. Les méthodes anglaises ne sont pas les nôtres. Je le démontrerai avec mon analyse de son Banana Bread dans quelques jours. Je vais donc me concentrer ici uniquement sur l’aspect littéraire et non culinaire.
La couverture est magnifique, avec ce gros plan dans lequel on ne reconnaît pas immédiatement une tasse de thé et où la demi rondelle d’orange semble comme figée sous une gelée. La couleur de la boisson est inhabituelle car on se serait attendu à plus sombre, alors que le liquide doré fait figure de glaçage d’un entremets ou de couche de caramel sur une crème catalane.
Il y a effectivement du sucré et de l’amertume dans les propos d'Olivia Potts. Dévastée par la mort de sa mère, elle remarque que son chagrin baisse en intensité quand elle fait de la cuisine, imitant en cela son nouveau compagnon, Sam, manifestement doué dans ce domaine.
Malgré la fatigue de son métier d'avocate, elle se met aux fourneaux pour préparer notamment des banana breads (p. 45). Petit à petit elle fait le bilan de sa vie professionnelle, ce qui nous donne l'occasion d'en apprendre sur le système judiciaire anglais où le bébé-avocat apprend le métier (p. 33 et 61). Elle détaille ses journées avec un humour très britannique (par exemple p. 76) et va jusqu'à justifier l'intérêt de porter la perruque.
Elle décortique la façon dont on analyse le processus de deuil, à travers des étapes qu'elle remet en cause (p. 98). Elle invoque un code de la tristesse (p. 51), joue à la bataille du deuil (p. 104).
Dans une seconde partie, à partir de la page 108 (alors qu'elle expérimente un Soda Bread) et parce qu'elle constate que son rapport au temps a changé, elle voit dans la pâtisserie le moyen de construire une nouvelle vie, et surtout de donner du sens à son existence sans sa mère. Elle quitte le barreau, s’inscrit au diplôme de pâtisserie du Cordon Bleu à Londres et plonge la tête la première dans le monde de la pâtisserie, de ses défis, ses frustrations et ses récompenses, offrant alors au lecteur des passages homériques dignes des défis auxquels sont soumis les candidats de l'émission française du Meilleur Pâtissier.
Ce témoignage semble très sincère. Il est donc émouvant. Mais il ne faudrait pas pour autant prendre ses recettes pour argent comptant. Outre leur caractéristique très britannique elles me semblent souvent étranges. Il faudrait peut-être connaitre (et apprécier)t le goût d'une tartine de Marmite pour en avoir le coeur net. Pourtant j'ai déjà feuilleté des livres de Jamie Oliver ou de Nigella (dont la salade niçoise est tout de même peu académique) qui sont ses mentors. Et exécuté plusieurs de leurs plats.
J'ai donc un certain recul sur l'aspect culinaire, ce qui ne m'a pas du tout empêché d'apprécier ses aventures en cuisine et le ton de ses confidences.
Je ne peux malgré tout pas faire l’impasse sur une grosse erreur dans la recette du pain irlandais (p. 110). Alors qu’elle vient d’expliquer que la spécificité est de remplacer la levure par du bicarbonate de sodium, d’où son nom de Soda Bread, j’ai la surprise de voir de la levure dans la liste des ingrédients et pas de bicarbonate. J’ai donc aussitôt vérifié. On n’est pas bloggeuse culinaire depuis près de quatorze ans pour rien. Je vous recommande sans réserve la version d’Edda que j’ai trouvée sur Un déjeuner de soleil. Je la connais personnellement et j’ai toute confiance en elle.
Une année douce-amère de Olivia Potts, traduit de l'anglais par Stéphane Roques, publié par Les Escales, en librairie depuis le 4 novembre 2021
Liste des recettes :
P. 21 : La tourte du berger
P. 46 : Gâteaux à la banane et aux Rolo
P. 60 : La tourte au poisson
P. 69 : Lemon Curd
P. 90 : Pizza
P. 110 : Soda Bread
P. 137 : Minestrone
P. 158 : Cantuccini
P. 174 : Pavlova fruit de la passion et chocolat au lait
P. 195 : Crème caramel au safran
P. 214 : Soufflés à la framboise avec une crème anglaise au beurre de cacahuète
P. 237 : Fondant chocolat speculoos
P. 248 : Pithiviers à la queue-de-boeuf et au Marmite
P. 284 : Tarte Tatin aux poires et au chai marsala
P. 300 : Choux au thé Earl Grey
P. 318 : Croustillant praliné chocolat au lait à la pointe de sel
P. 337 : Pain d'épices
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