Albatros est un film très touchant. C'est le nom d'un bateau mais j'y ai vu aussi une référence au poème de Baudelaire disant en substance que si cet oiseau est majestueux lorsqu'il vole, à l'inverse ses ailes de géant l'empêchent de marcher sur le sol.
Laurent (Jérémie Renier) est commandant de brigade de la gendarmerie d’Étretat. Il est à son aise dans l'univers marin et il a de fortes convictions qui font de lui un excellent gendarme. On le constate tout au long de la première partie qui met en avant ses valeurs professionnelles et morales.
Mais, à l'instar de l'oiseau, sa volonté d'apaiser tous les conflits l'amènera à faire une fatale erreur en croyant pouvoir sauver un agriculteur du suicide. Pourtant, tout commençait bien, par une soirée d'anniversaire qui masque une très jolie déclaration d'amour. Il forme avec celle qui devrait devenir sa femme (Marie-Julie Maille) et sa fille Poulette (Madeleine Beauvois) une famille aimante et paisible.
On sent un couple uni et de fait on assistera avec émotion à leur manière de vivre les épreuves.
Le spectateur est convié aussi à partager le quotidien (difficile) de l'unité de gendarmerie : depuis l’alcoolique (Xavier Beauvois) qu’on essaye de ramener chez lui, les agressions sexuelles, les drames familiaux, les ados qui roulent sans casque (et qu’il faut sermonner), une opération de déminage sous la pluie, ou plus grave encore les suicides. La scène montrant un homme se jetant de la falaise au-dessus d'un couple de jeunes mariés et leur photographe est absolument édifiante. Dire qu'il peut y avoir jusqu'à 5 suicides en une même semaine sur ce bord de mer dont les falaises sont très tentantes pour les malheureux !
La détresse de l'agriculteur (Geoffroy Sery) est plus que plausible. On sait que les producteurs laitiers travaillent à perte et combien mettent fin à leurs jours, particulièrement en Normandie. Et on comprend qu'il soit difficile pour les forces de l'ordre de "garder la carapace". Les paysans accusent les gendarmes qui appuient sur la gâchette de l’Europe qui les tue. Cet extrait est signifiant à plus d’un titre parce que l’usage des armes est hyper réglementé, très codifié comme le montrent plusieurs plans, très rare et c’est pourtant par un pistolet que le drame va se concrétiser.
La volonté de réparation de la société est somme toute logique, surtout dans le contexte des reproches qui sont de plus en plus souvent formulés à l'encontre des policiers (et dont ils discutent pendant les pauses), si bien qu’on sent à plusieurs reprises Laurent proche du burn-out même s’il encourage ses collègues à se blinder, comme il dit et qu’il persiste à penser qu’on "va trouver une solution ". Le spectateur, lui, remarque l’amoncellement des nuages noirs dans le ciel.
Xavier Beauvois a tourné dans le pays de Caux où il habite, auprès de gendarmes qu'il connait bien. Sa femme a travaillé au scénario avec lui. Elle joue avec leur fille dans le film qu'elle a ensuite monté. Cette présence a sans doute renforcé l’humanité qui se dégage du film malgré le drame. On y trouve des caractéristiques communes avec La fracture, témoignant combien les cinéastes s’impliquent dans les problématiques actuelles.
La gendarmerie, parce qu’elle exerce dans des petites villes, est forcément dans la proximité avec les citoyens. Tout le monde se connait, ce qui rend touchant la fonction sociale de ces hommes (et femmes, car le réalisateur le pointe avec la gendarme Carole, interprétée par Iris Bry).
On remarque plusieurs acteurs de son film précédent Les Gardiennes, dans lequel sa femme et sa fille avaient un petit rôle. Comme bien sûr Iris Bry. Mais aussi d’autres comédiens comme Victor Belmondo, le petit-fils de Jean-Paul, qui est le collègue de Laurent et enfin des non professionnels, ce qui apporte un réalisme formidable d'autant qu'ils sont très naturels : l’agriculteur Geoffroy Sery, le capitaine Olivier Pequery, la grand-mère Suzanne Lipinska qui, à 90 ans, n’avait pourtant aucun désir de jouer. C’est la patronne du Moulin d’Andé, fameuse résidence d’artistes, où Georges Perec a écrit La disparition et où François Truffaut avait tourné Jules et Jim et la fin des 400 Coups.
Le film est aussi une ode au pouvoir bienfaisant et réparateur de l'océan après le choc de la sidération. Jérémie Rénier n’avait jamais fait de navigation, pas plus qu'il n'avait jamais été gendarme. Il a donc suivi un entraînement intensif dans les deux disciplines jusqu'à devenir totalement à l'aise.
Albatros est un film très touchant qui interroge le spectateur sur notre société et sur la notion de culpabilité, la justice des hommes tell qu'elle est cadrée par la loi n'étant pas toujours superposable à celle qu'on ressent au fond de soi.
C'est aussi un très beau portait d'homme, de femme et de couple.
Scénario de Xavier Beauvois et Marie-Julie Maille
Avec Jérémie Renie, Marie-Julie Maille, Madeleine Beauvois, Victor Belmondo, Iris Bry, Geoffroy Sery, Olivier Pequery …
En salles depuis le 3 novembre 2021
Photos Les Films du Worso - Pathé Films ou Guy Ferrandis
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