C'est un des spectacles qui aura été stoppé net par la pandémie. La fuite devait se jouer plusieurs semaines au Théâtre 13 (Glacière) et n'a pu bénéficier l'an dernier que de deux représentations réservées aux professionnels. On peut donc imaginer la joie de l'équipe artistique de pouvoir enfin accueillir le public, même si celui-ci n'est pas aussi nombreux qu'ils l'avaient espéré.
La faute à l'offre pléthorique aussi bien théâtrale que cinématographique … et partout ailleurs. Ajoutez à cela la décision des lieux de spectacle de diminuer les durées d'exploitation pour caser le maximum de représentations différentes et du coup le bouche à oreille n'a guère le temps de remplir sa fonction d'accélérateur.
La pression est donc forte aussi pour les critiques qui n'arrivent pas à suivre et qui font des choix douloureux, et lourds de conséquences s'ils affirment qu'ils n'ont pas aimé tel ou tel.
La fuite présente beaucoup de qualités : un décor (de Claude Pierson) impressionnant et adéquat, un texte (de Ciro Cesarano et Fabio Gorgolini) dont les dialogues se répondent en ping pong, des comédiens qui incarnent complètement leur personnage, une atmosphère proche des comédies du cinéma italien des années soixante d'Ettore Scola ou de Dino Risi …
J'attache une importance capitale à la mise en scène. Sans la particularité du point de vue du metteur en scène tous les Hamlet seraient équivalents, même avec d'autres scénographie et distribution. C'est elle qui fait la différence. Ici elle est supportée par Fabio Gorgolini qui a co-écrit le texte et qui joue également. Si tout est cohérent, il manque à mon avis le grain de folie qui en ferait un spectacle d'exception. Et qui ne peut être apporté que par un regard extérieur.
J'attendais aussi des changements de lumières supplémentaires à celui qui focalise la révélation du drame principal et une bande-son plus élaborée. C'est que le décor laisse espérer un très haut niveau d'exigence.
Revenons au spectacle. Nous sommes dans la (presque) vraie cuisine d'un restaurant, italien cela va de soi. J’aurais raccordé la gazinière pour que les odeurs de mijotage attisent nos papilles. Ne m'objectez pas les conventions théâtrales : j'ai souvent assisté à des pièces où le réalisme était de règle.
Notre œil est attiré à jardin par le bureau submergé de paperasse, la poubelle débordante, le téléphone mal raccroché. Autant l’espace de préparation est nickel, autant tout le reste témoigne que le patron (Ciro Cesarano) est dépassé. De fait, il est au bord de la faillite. Il voit dans la réussite du repas de mariage qui lui est commandé sa dernière chance de se refaire. Et c'est là la première fuite, en l'occurrence de ses responsabilités. Parce qu'on devine que les enchainements de soucis ne vont pas lui permettre d'être prêt. Il manque de chaises, d'assiettes, d'argent pour en acquérir et aussi de temps pour tout faire. Mais il veut faire croire à tout le monde qu'avec un effort supplémentaire le miracle est possible.
Avec lui, deux femmes, qui vont se dévouer pour que ça fonctionne, deux cuisinières, Ginevra (Laetitia Poulalion) et Béatrice (en alternance Audrey Saad ou Amélie Manet). Elles sont les solides piliers de l'histoire. Et puis leurs conjoints, Giorgio (Boris Ravaine ou Gaetano Festinese) qui est le mari de Ginevra, et Romeo (Fabio Gorgolini) celui de Beatrice. Tous les quatre se connaissent depuis longtemps et sont amis. Je me demande si c'est intentionnel mais la pièce est joliment féministe car les hommes en sont les maillons faibles.
La question mérite d'être posée puisque la pièce se réclame de On ne sait comment de Luigi Pirandello, un drame philosophique qui porte une réflexion sur le rôle de l'inconscient. L'auteur sicilien part du constat que l'on peut commettre des actes indépendants de notre propre volonté : "Ça arrive! On ne sait pas comment mais ça arrive!"
Il est logique alors de tricoter autour de la notion de bonne ou mauvaise conscience. Et sur l'intérêt de révéler ce qu'on a sur la conscience alors qu'on ne s'en estime pas responsable. Au risque de désorganiser la marche du restaurant dont le patron peine à ramener son petit monde face aux contingences matérielles qui s'aggravent avec l'apparition d'une fuite dans les toilettes, laquelle mériterait l'intervention d'un plombier, si ce n'était pas si onéreux.
Le drame alterne avec la comédie. Les acteurs réussissent à jouer sur tous les registres de l'émotion et c'est le point fort du spectacle. J'allais oublier … la méthode toute personnelle de Nicola pour gagner du temps quand on a une montagne de pommes à éplucher. La scène est inoubliable !
La fuite
Texte de Ciro Cesarano et Fabio Gorgolini d'après On ne sait comment de Luigi Pirandello, édité aux Éditions Les Cygnes
Texte de Ciro Cesarano et Fabio Gorgolini d'après On ne sait comment de Luigi Pirandello, édité aux Éditions Les Cygnes
Mise en scène Fabio Gorgolini
Avec Ciro Cesarano (Nicola, patron du restaurant), Fabio Gorgolini (Romeo), Laetitia Poulalion (Ginevra, cuisinière), Boris Ravaine ou Gaetano Festinese (Giorgio) et en alternance Audrey Saad ou Amélie Manet (Beatrice, cuisinière)
Du 3 au 19 novembre 2021
Du mardi au samedi à 20h, les dimanches à 16h
Relâche les lundis
Au Théâtre 13/ Glacière - 103A boulevard Auguste Blanqui - 75013 Paris
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