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samedi 13 novembre 2021

Aline de Valérie Lemercier

Je voulais absolument me faire ma propre opinion au sujet d’Aline de Valérie Lemercier. En sortant de projection je comprends le triomphe qu’elle a eue au festival de Cannes où son film était présenté hors compétition. Il est amplement mérité.

C’était surtout le travail de cette comédienne et réalisatrice que je venais voir. Je n’avais aucune curiosité malsaine à découvrir les dessous de la vie de la chanteuse internationale dont on nous prévient qu’il s’agit d’une fiction « librement inventée » mais je suis certaine cependant que le film est à 80% exact. Et cette inspiration est faite avec respect, ce qui n’exclut pas l’humour.

Le plus touchant c’est d’avoir réussi à en faire avant tout une magnifique histoire d’amour, entre parents et enfants, entre frères et sœurs, entre un homme et une femme.

Le casting y est pour beaucoup. Avec des acteurs québécois qui ne forcent pas sur l’accent, afin de rendre les sous-titrages inutiles. Pour une fois, on comprend leur langue et c’est assez jouissif. Il faut aussi saluer le travail de Brigitte Buc, la co-autrice de Palais Royal, qui signe le scénario avec Valérie.

En fait c’est toute l’équipe qui devrait être mentionnée car je n’ai remarqué aucune fausse note dans les décors, les costumes (même si on se doute qu’ils ont été adaptés, parfois ré-inventés), l’interprétation. La comédienne a eu la très bonne idée de ne pas chercher à imiter mais à incarner. Elle est doublée par Victoria Sio qui a réussi à maintenir sa tessiture entre la sienne et celle de Céline. Le résultat est bluffant.

Ce ne sont pas moins de 35 titres qui sont interprétés. Parmi eux le standard de jazz de 1947 Nature boy que Céline Dion reprit avec succès en 2002. Et puis Going to a town dans laquelle le chanteur canadien Rufus Wainwright, se disant « so tired of you America » annonça son départ de l'Amérique de Bush et prévint de son départ pour Berlin. Elle est placée fort à propos sur les images montrant la chanteuse décidant de laisser sa fabuleuse maison de Las Vegas. Et puis, bien sûr, à la toute fin, la reprise de la chanson de Charlebois alors qu’elle est tout sauf une fille bien ordinaire.

On est bouleversé à plusieurs moments, avec les larmes d’émotion qui débordent de nos yeux et puis, l’instant d’après, on peine tout autant à étouffer un rire.

Le film démarre avec une scène montrant la jeune femme vécue de blanc allongée sur un lit blanc, entre deux enfants, écoutant au casque la chanson Ordinaire de Charlebois, la main sur un paquet de mouchoirs en papier, sans plus d’information. On comprendra ultérieurement.

L’action commence véritablement après. Nous sommes au Québec en 1932. Un jeune garçon est rudoyé par son père qui lui vole son argent, ne lui laissant qu’une pauvre pièce de 50 cents. Au lieu de se décourager il y verra un porte-bonheur. L’enfant est musicien, accordéoniste. Plus tard il tombera en amour avec une jeune violoniste. Ils se marient et … clame aussitôt vouloir « vivre pour nous autres », c’est-à-dire sans enfants. Pourtant ils en auront quatorze et la dernière ne sera vraiment pas désirée. C’est Céline, pardon Aline, dont le prénom est prétexte à un hommage furtif à Christophe, décédé depuis, alors qu’il est de notoriété publique que c’est la chanson d’Hugues Aufray, Céline qui a inspiré la mère de al chanteuse.

On sourit de voir les premières scènes de la gamine car les fans de Valérie Lemercier ne pourront s’empêcher de faire le rapprochement avec un de ses sketchs parodiant l’école des fans de Jacques Martin. Sauf qu’ici elle est très sérieuse. Et quand elle chante Mamy blue on ne peut que l’écouter bouche bée comme le fait sa famille.
La mère joue un rôle essentiel et rare dans la carrière d’un artiste. Elle n’a pas la formation requise mais elle témoigne d’une compétence hors normes pour lancer sa carrière avec l’appui d’un frère ainé. Elle a une vraie carrure d’imprésario, de « gérant » comme on dit là-bas. La mère contrôle tout et voudrait intervenir dans ses choix amoureux. Elle agit pour le bien de sa fille et s’inclinera donc devant son choix. Cela aussi est remarquable car on sait que c’est aussi vrai que rare.

Valérie Lemercier a repris des expressions connues. Comme la comparaison avec un diamant brut. Mais elle rend autant compte de l’immensité du travail accompli, des leçons d’anglais, des cours de danse, jusqu'aux séances d’orthodontie, qui furent épargnées à Vanessa Paradis, autre jeune prodige auquel on pourrait la comparer et qui fait une petite apparition comme un hommage.

Outre la montagne d’efforts et de sacrifices, on revit certains soucis bien connus comme le problème de cordes vocales exigeant de ne plus parler pendant trois mois. Mais d’autres moments plus intimes ne sont que suggérés, par exemple la difficulté à devenir mère avec une photo de bébé (de la célèbre et géniale photographe Anne Geddes). C’est parfait d’avoir fait une quasi ellipse sur la maladie de son mari. On le comprend par un plan discret, de dos et on devinera plus tard qu’il est décédé. On épargne le pathos.
Les lieux de tournage ont été multiples, aux USA, en Espagne, en France, y compris la salle de l’Allegria du Plessis-Robinson que j’ai reconnue. Il y a bien entendu beaucoup d’effets spéciaux, de trucages à la Méliès, d’astuces pour rendre crédible l’interprétation du personnage par la même personne entre 5 et 48 ans.

Mais tout cela s’oublie au profit d’une très romantique histoire d’amour construite sur une « fidèle invention ».

On ne peut que s’incliner devant le résultat, parodier le dialogue en affirmant que nous aussi on l’aime gros, et retenir comme adage de faire comme tu veux, comme tu peux.

Aline de Valérie Lemercier
Scénario de Brigitte Buc et Valérie Lemercier
Avec Valérie Lemercier (Aline), Sylvain Marcel (Guy-Claude), Danielle Fichaud (Sylvette), Roc Lafortune (Anglomard)
Costumes de Catherine Leterrier
Décors de Emmanuelle Duplay

Photos : Jean-Marie Leroy

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