Quand André Breton qualifiait Frida Kahlo de "ruban autour d'une bombe" il faisait allusion à sa peinture. Mais on pourrait en dire autant de sa vie, maintenant qu'on la connait.
Giovanni Troilo a réalisé un documentaire qui présente les deux facettes de cette artiste : d'un côté, la révolutionnaire, pionnière du féminisme contemporain ; de l'autre, la femme, victime d'un corps torturé et d'une relation tourmentée. Ces deux aspects sont révélés au fil de la narration par le biais des paroles de Frida, tirées de ses lettres, journaux intimes et confessions privées.
Le film, que j'ai vu en avant-première au Rex de Châtenay, présente tour à tour entretiens, documents originaux, reconstructions captivantes et tableaux de l'artiste conservés dans certains des plus extraordinaires musées du Mexique, et notamment la Casa Azul (la maison bleue) qui était la maison de famille où elle est née et qu'elle habita avec avec son mari, le peintre Diego Rivera (8 décembre 1886 - 24 novembre 1957) et où je suis allée lors d'un de mes séjours au Mexique.
Frida Kahlo (6 juillet 1907 - 13 juillet 1954) est une véritable icône dans son pays. Son portrait est fréquemment représenté sur les murs de la ville, comme en témoigne la première photo que j'ai prise dans la capitale en août 2017. L'engouement qu'elle commence à provoquer en France est plus récent, même si elle est sans doute la femme et l’artiste mexicaine la plus connue au monde.
Pour ma part j'ai retrouvé dans le documentaire l'émotion que j'avais ressentie au cours de ma découverte de la Casa Azul, aussi bien les jardins, avec cette incroyable pyramide en réduction, qu'en intérieur quand on pénètre dans l'intimité de cette femme dont la vie aura été un champ de douleurs. Qu'elle ait pu clamer Viva la vida quelques semaines avant sa mort en 1954 est très caractéristique de son immense volonté de sublimation.
Le film retrace le chemin de croix de cette femme, souffrant dès l'enfance d'une poliomyélite, handicapée à la fin de son adolescence par un horrible accident de la circulation, qui fera trois fausses couches (à une époque où on n’aidait pas les femmes), sera opérée à de multiples reprises, portera des dizaines de corsets tous les plus contraignants les uns les autres, sera amputée de plusieurs orteils puis d'une jambe et qui mourra d'une pneumonie.
Peu d'êtres humains auraient été capables de produire une ouvre picturale aussi belle et aussi riche dans de telles conditions. On sait qu'elle peignait le plus souvent couchée et qu'elle s'est essentiellement représentée. Mais elle le fit avec un art aussi juste que particulier, intégrant des données très intimes et psychiques, en s'appuyant sur l’iconographie pré-colombienne qui était aussi une de ses principales sources d'inspiration
La relation avec son mari, célèbre peintre, de vingt ans son ainé, fut orageuse. Ils se séparèrent, habitèrent à San Angel deux maisons adjacentes (ci-dessus) avant de revenir plus ou moins ensemble à Coyocan. Je me souviens y avoir vu une énorme sculpture de batracien au pied de la haie de cactus. Surnommé le crapaud et la grenouille ce couple atypique a fait couler beaucoup d'encre. Ils se sont trompés mutuellement. Les aventures extra-conjugales de Frida étaient de notoriété publique, auprès d’amants parfois illustres, comme Trotsky, qui fut hébergé dans la Casa Azul.
Il est probable que derrière la violence de leur relation se cachait un immense amour comme en témoignent les images montrant l'urne aztèque en forme de crapaud dans laquelle Diego plaça les cendres de sa femme, sous un huipil et un châle de la défunte soigneusement pliés en guise de bouchon.
Tout ce qu'ils entreprenaient a marqué les milieux artistiques et politiques car leur engagement pour le communisme était très fort. Le couple partageait aussi une passion pour les civilisations pré-hispaniques. Frida portait avec fierté des vêtements et des parures traditionnels, se coiffant avec des bijoux anciens. Il faut d'ailleurs remarquer que beaucoup de femmes revendiquent le droit de les mettre encore aujourd'hui au quotidien, et pas seulement pour exécuter des danses sur les places des villages.
Je recommande à cet égard la visite du très beau musée du textile de Oaxaca.
La position de Frida mettant en scène sa garde-robe n'était pas exceptionnelle mais elle l'est devenue parce qu'elle était un vecteur de revendication dans ses toiles. Elle avait d'ailleurs fait la couverture de Vogue. Schiaparelli créa la robe "Madame Rivera". Christian Lacroix reconnut qu'elle fut une source d'inspiration et Jean-Paul Gautier lui dédia sa collection de l'année 1998.
Ce film retrace admirablement comment la peinture aura pris la place de tout dans la vie de Frida. Il est ponctué d'entretiens, d'images d'archives, et de vues aériennes magnifiques sur la ville de Mexico et au dessus de la Casa azul, et du site des pyramides de Teotihuacan. Les séquences de danses traditionnelles avec d'immenses robes blanches et des hommes sur échasses de la région de Tehuantepec sont très poétiques.
Frida. Viva la Vida, un documentaire de par Giovanni Troilo
Sortie nationale le 24 novembre 2021
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