Le moins qu'on puisse dire c'est que Clamser à Tataouine baigne dans la folie douce, enfin pas très douce. Quiconque connait le comédien et l'a entendu en interview, reconnaitra sa façon de parler, abondamment métaphorique et fleurie.Il n'empêche que Raphaël Quenard surprend par l'intelligence de la démonstration qu'il convient de lire au nième degré même s'il ne manque pas d'à-propos. Et comme le compère ne veut en rien être tenu pour responsable il s'autosatisfaisait tout en se dédouanant : La discutable dextérité dont j’ai fait montre pour me dépatouiller de mon existence laisse à penser que je suis tout sauf un exemple à suivre.
C’est le moins qu’on puisse dire. Le narrateur est un jeune marginal qui n’a jamais cherché à s’intégrer. Ce qui ne l’empêche pas de trouver plus commode de rejeter l’entière responsabilité de son ratage sur la société. Et il compte bien, "en joyeux sociopathe", lui faire salement payer l’addition de sa défaite. Son plan ? S’immiscer dans toutes les classes sociales pour dénicher chaque fois une figure représentative de cette société détestée. Et la tuer (ni plus ni moins).
En écrivant le roman de ce psychopathe diaboliquement pervers, provocateur et gouailleur, l’auteur entraîne le lecteur dans le cerveau malade d’un monstre moderne et met en scène toute une galerie de personnages. L'épopée est macabre mais elle ne manque pas d'humour … outrenoir si je suis autorisée à emprunter le qualificatif à Soulages, dont l'exposition présentée en ce moment au Musée du Luxembourg est à visiter en contrepoint de la lecture de ce roman.
Elle ne manque pas non plus d'analyse philosophique et je me suis demandé si Raphaël Quenard n'avait pas cherché à écrire "sa" version de L'étranger qui, avant lui, démontrait l'absurdité de l'existence humaine. Il partage régulièrement ses réflexions sur la vie, la mort, pour aboutir à la conclusion que "le bonheur est une illusion comme une autre" (p. 172).
On est d'accord avec lui : chaque homme se bat pour exister et se donner l’impression d’être important (p. 144). Et il est juste d'avancer que la résignation est la seule arme de ceux contre qui le sort s’acharne (p. 161). Notre ami serait-il un soupçon subversif, voire révolutionnaire ?
Ce n'est pas certain parce qu'il est souvent moralisateur. Parfois en demi-teinte lorsqu'il glisse, mine de rien que le don doit être suffisamment subtil pour que le receveur puisse l'accueillir. Donner n’autorise pas à imposer (p. 175), ce qui est tout à fait pertinent.
Parfois de façon plus évidente comme en témoigne sa démonstration à l'encontre d'un éventuel projet de dépénalisation de l'usage du cannabis qu'il voit comme une erreur monumentale (p. 149), en raison des ravages que ce produit fait sur le cerveau et … sur la dentition, ce qu'il explique par A + B en quelques pages manifestement bien documentées (et dans lesquelles j'ai reconnu les mises en garde de ma dentiste parodontologue). S'il en avait le pouvoir, il interdirait du même coup la cigarette, et il justifie fort bien son point de vue.
L’homme est souvent philosophe, pointant que nous sommes tous les fils d’une suite de "si", une suite infinie d’impondérables. Chaque instant que la vie nous offre est un concours de circonstances (p. 170).
Il est amusant à s’autoféliciter régulièrement de son ouvrage. Mais au fil des pages, je devrais plutôt préciser "de sa confession", on se demande si justice sera rendue, et qui clamsera à Tataouine, justifiant le titre (p. 180).
À vous de juger. Pour ma part je dirai que ce roman est la démonstration éclatante que Pascal avait raison de dire que "tout le malheur des hommes tient à ce qu’ils ne savent pas rester seul dans leur chambre" comme cela nous est rappelé à la toute fin de l'ouvrage.
En toute logique puisque la citation placée en exergue, tirée des Pensées de Blaise Pascal, avertissait (déjà) le lecteur : tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre.
Certains d'entre vous seront probablement agacés, estimant que Raphaël Quenard pousse le bouchon trop loin, en parfait embrouillologue, comme il l'avoue lui-même (p. 117). Avec un style aussi électrique qu’inventif. C'est que le jargon rassure, tout le monde le sait. Le jargon impressionne. (…) le triomphe de l’esbroufe (p. 66).
Et pourtant la prudence le pousse à maquiller les noms des grandes enseignes comme Hippopotanus ou Cafferouf (p. 83) comme ceux des personnalités. On sent la peur du procès d’intention. Qui n’aura malgré tout pas reconnu Sizolas Narkocy ou Dabel Jemmouz (p. 88). Même mon correcteur orthographique n'est pas dupe.
Il n'empêche que c'est un grand plaisir de savourer son manège. Il tournicote à sa mode les expressions histoire, par exemple, de beurrer les épinards et retrouver l’insouciance des vertes années (p. 81).
Le personnage n'exprime jamais le moindre regret. Il ne recule devant aucun projet, enquillant les meurtres comme d'autres enchaineraient les bonnes actions, faisant s'interroger le lecteur qui aimerait lui trouver une motivation solide, à défaut de circonstances atténuantes, pas même l'appât du gain. Aurions-nous loupé un moment crucial ?
Son oscarisable crédibilité n’a laissé aucune place au doute à chaque épisode. Il a le culot de s'affirmer fier, car j’ai le sentiment grisant de gagner en professionnalisme, prétend-il après avoir laissé quatre victimes sur le carreau (p. 138).
Toujours est-il que la lecture est fort plaisante, pour peu qu'on l'entreprenne au quatrième degré à l’instar du visionnage des aventures des tontons flingueurs. On s'accordera alors à estimer qu'il a rudement bien fait de sortir de sa chambre.
Clamser à Tataouine de Raphaël Quenard, Flammarion, en librairie depuis le 14 mai 2025
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