Pour son dixième anniversaire, Hors concours s'affichait dans des couleurs festives : un doré irisé et un bleu scintillant pour célébrer sa durabilité comme la joie d'avoir favorisé la découverte de (nouveaux) talents littéraires.Je ne vais pas vous faire attendre pour donner les noms des deux gagnants : Karim Kattan a reçu la distinction de Lauréat du prix Hors Concours pour son roman L’Éden à l’aube, paru chez Elyzad éditions, salué (déjà) comme l’un des romans les plus remarqué de cette rentrée littéraire.
C'est une histoire d’amour foudroyante entre deux hommes, portée par un narrateur venu d’ailleurs (le ciel). Écrit en 2021, avant les évènements du 7 octobre 2023, le roman dépeint une Palestine autre que celle d’aujourd’hui. Nées à Tunis en 2005, les éditions Elyzad publient des fictions, écritures nomades habitées par l’ailleurs. Elles se veulent un espace de découvertes et d’enrichissement pour un lectorat curieux de textes d’auteurs africains et méditerranéens. Des livres qui donnent à penser le monde autrement.
Justine Arnal a été récompensée de la Mention du public pour Rêve d’une pomme acide, paru chez Quidam Éditeur (mais qui n'est pas son premier roman comme indiqué par erreur sur le site de Hors concours), remarqué comme chef d'oeuvre par plusieurs critiques dès le mois de septembre. Son récit est cru, sans filtre, s’articulant autour d’une disparition qui est citée sans être racontée. Les dynamiques genrées qui régissent le quotidien de la famille où les femmes pleurent, et les hommes comptent, sont vues à travers les yeux d’une enfant, en croisant l'intime et le politique.
Les éditions Quidam ont été créées en 2022 sous le signe du curieux personnage d'Arzach, dessin offert par Mœbius pour devenir le logo de la maison. Elles se consacrent à la littérature contemporaine française et étrangère.
Je me souviens encore de la première cérémonie, dans les locaux de la Société des Gens de Lettres. Depuis trois ans la Maison de la Poésie qui accueille la soirée (le 25 novembre dernier). Le nombre de participants au Comité de lecture est passé de 300 à 400 alors que celui des finalistes s'est réduit de 8 à 5. Et le jury final a beaucoup bougé, composé cette année de 5 femmes (ci-dessous avec Gaëlle Bohé, la fondatrice d'Hors concours). J'ai beau être féministe, je trouve regrettable que la parité n'ait pas été rendue possible.
Le type de cérémonie aussi a évolué, s'orientant de plus en plus dans une voie qui s'apparente au spectacle, accordant une place importante à la chorégraphie.
Ce qui demeure c'est la volonté de valoriser la création indépendante et francophone. Une proportion importante de premiers romans figure toujours dans la bibliothèque mais il me semble que les lauréats sont sensiblement moins "inconnus" qu'aux débuts. Pour preuve, les deux vainqueurs publiaient leur second roman, et avaient donc déjà été remarqués par les critiques, ce qui leur donnait forcément une longueur d’avance. Rêve d'une pomme acide figurait dans la sélection d'au moins 5 prix littéraires.
Bien que son éditeur, Quidam, sans doute un des plus grands des petits éditeurs (c’est une excellente maison, personne ne dira le contraire) soit désolé de n'avoir jamais remporté le Grand Prix c'est tout de même la troisième fois qu'il remporte le prix du public … qui pourrait bien encore l'année prochaine sélectionner son nouveau poulain (car son patron, je le répète, excelle dans la découverte de nouveaux auteurs).
Il est donc probable que les organisateurs vont devoir changer sensiblement le mode d'élection, en particulier pour corriger deux travers :
- Eviter que le Grand Prix revienne à un livre qui est déjà multi-primé (ce qui fait perdre à Hors Concours sa première spécificité d'être le prix de ceux qui n'ont pas de prix).
- Modifier le processus d'attribution de ce Grand Prix qui aujourd'hui ne peut concerner qu'un des 5 ouvrages préférés par les lectrices et lecteurs, qui par ailleurs élisent le prix dit "du public". Ce procédé réduit considérablement le rôle du jury.
On pourrait aussi s'interroger sur la constitution de ce jury, composé de critiques littéraires, donc de personnes qui ne peuvent pas prétendre à une totale indépendance, et qui, cette année a revendiqué un choix politique.
Le(s) prix Hors concours seraient-ils en train de perdre leur capacité d’originalité … ce qui est peut-être un mouvement inévitable au bout de dix ans … ? L'équilibre est un exercice difficile, comme le démontre la danseuse qui a accompagné chaque lecture.La cérémonie s'articule sur une alternance de lectures dansées et d'interviews. Le lecteur, le même pour les 5 nominés, est un comédien de talent, Emmanuel Noblet, Molière 2017 du seul(e) en scène pour Réparer les vivants, d'après Maylis de Kerangal, mise en scène par lui-même.
Nous avons donc écouté un extrait de :
- Trois noyaux d’abricot de Patrice Guirao éditions Au vent des îles
- Rêve d’une pomme acide de Justine Arnal chez Quidam
- Mes pieds nus frappent le sol de Laure Martin éditions Double Ponctuation
- Le jardin de Georges de Guenaelle Daujon éditions Intervalles
- L’eden à l’aube de Karim Kattan chez Elyza éditions
Esthétiquement le résultat est sensible et beau, à chaque fois mais je comprends mal que ce soient précisément les pages qui figurent dans la bibliothèque qui soient reprises … alors que personne dans la salle n'est censé les ignorer. Il n'y a aucun suspens dans cette écoute.
Ce sont les entretiens entre les auteurs et les membres du jury qui apportent un éclairage nouveau, sans pouvoir influer sur les votes, qui ont déjà eu lieu. Evidemment aucun ne laisse filtrer sa ou ses préférences et bien malin celui qui devinera le résultat final.
- Claire Darfeuille, éditrice a été interrogée par Marianne Payot, critique littéraire pour le magazine LIRE
- Justine Arnal par Anne-Marie Revol, chroniqueuse littéraire pour FranceInfo (en photo ci-dessus) qui a connu à une filiation avec le nouveau roman, en particulier avec Marguerite Duras. Il est ressorti de ce roman manifestement autobiographique que la Lorraine et l'Alsace étaient deux territoires très marqués par leurs différences, ce que savent très bien ceux qui y ont vécu. Le roman est ponctué de citations en alsacien, à commencer par le titre qui est la traduction d’une expression alsacienne que l’ont dit aux enfants le soir, pour leur souhaiter bonne nuit, Gued Nacht min Maïdele, un draïm vum e süüre Äpfel !
- Laure Martin par Cristina Soler, blogeuse littéraire. J'en ai retenu que retenu que la littérature permet de sussurer à nos oreilles tout en gardant une distance de sécurité, qu'en matière d'inceste ce n’est pas (ou plus) la parole qu’il faut libérer mais l’écoute, ce qui lui donne envie de mettre aujourd'hui ce texte en scène. Que l'autrice a besoin de parler une langue accessible qui touche le corps du lecteur presque comme un tam-tam, et que selon elle il faut de la radicalité mais aussi de la distance.
- Guenaelle Daujon par Clémentine Goldszal, journaliste littéraire à ELLE et M. le magazine du Monde. Ce roman est une exofiction botanique racontant la création d'un jardinconçu comme une preuve d'amour.
- Karim Kattan par Inès de la Motte Saint Pierre, Rédactrice en chef de La Grande Librairie
A ce propos s'il est plus que probable que chaque jury a fait l'effort de lire les 5 finalistes rien ne prouve que le vote du public a été effectué avec la même rigueur. On peut choisir de favoriser l'un ou l'autre pour des raisons plus personnelles que littéraires. Pour avoir été membre de plusieurs jurys, notamment le Grand Prix des Lectrices de ELLE, je sais combien cet aspect est particulièrement crucial, et difficilement contrôlable, en particulier quand les votants sont libres d'acheter ou non ces livres là.
Est-ce une des raisons pour lesquelles il m'a semblé que la salle réagissait beaucoup pendant les interviews (ce qui par ailleurs était sympathique) comme si beaucoup découvraient le propos de l'ouvrage ?
Je lis la totalité des extraits avant d’établir trois catégories, les OUI, les NON et les ? En fonction de ce que je ressens et surtout de mon désir de lire la suite, car ce me semble être la meilleure façon de faire un choix puisqu’à ce stade il sera subjectif. Il faudrait lire les 40 livres dans leur intégralité pour prétendre établir un palmarès plus "juste".
Arrive la seconde étape consistant à relire les extraits que j'ai sélectionnés. En général je parviens à resserrer à 8 et la difficulté est de n’en conserver que 5. Depuis le changement de règle je me pose la même question de la pertinence de ce nombre, mais je suis peut-être la seule.
Arrive la seconde étape consistant à relire les extraits que j'ai sélectionnés. En général je parviens à resserrer à 8 et la difficulté est de n’en conserver que 5. Depuis le changement de règle je me pose la même question de la pertinence de ce nombre, mais je suis peut-être la seule.
Cette année, et sans l'avoir cherché, je me suis aperçue avoir retenu 4 premiers romans sur les 5 et autant d’auteurs que d’autrices.Je peux le dire aujourd'hui, j’ai placé en numéro un Mes pieds nus frappent le sol, un premier roman qui résonne comme un cri et dont l’écriture (du moins dans l’extrait proposé) est faite à hauteur d’enfant, ce qui est assez rare dans ce thème de l’inceste, pourtant de plus en plus traité, en littérature comme au cinéma. Malgré un sujet lourd j’ai apprécié la dérision et la distance que Laure Martin (ci-contre) est parvenue à partager avec le lecteur qui a envie de la suivre jusqu’au bout en pariant sur sa capacité de résilience.
Evidemment, la découvrir parmi les 5 finalistes m'avait réjouie de même que la présence de Trois noyaux d’abricot de Patrice Guirao … qui se trouvait dans ma liste de 8, mais plus dans celle de 5.
Je ne vous dirai pas à qui j'ai donné ma voix pour le Prix du public mais pensez-vous qu'il soit envisageable que les votants se dédisent de leur choix initial ? Cela plaiderait pour que les 5 finalistes soient également distingués, ce qui pose par contre par voie de conséquence le rôle du jury final.
Une autre piste pourrait être de valoriser davantage le Prix des lecteurs si l'idée demeure de se démarquer des autres prix qui fonctionnent sur des avis de spécialistes littéraires. En tout cas il importerait de réfléchir à ce qui pourrait permettre d'éviter une perte d'originalité et de spécificité.
Vous aurez sans doute d'autres idées et/ou suggestions à formuler après avoir vu ou revu la cérémonie qui peut être visionnée ici (attention elle ne commence qu'après 3 minutes 35 d'attente). Et surtout guettez l'ouverture des inscriptions de l'édition 2026 pour peu que vous soyez amoureux de la lecture en suivant les publications de l'Académie Hors concours.



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