Portrait de la jeune fille en feu, de Céline Sciamma, est un des grands films de la rentrée.
La réalisatrice revisite en quelque sorte le mythe d'Orphée qui devient celui d'Eurydice.
En effet, l'émotion naît dès le premier regard échangé entre Héloise (Adèle Haenel) et Marianne (Noémie Merlant). Une grande passion se développera entre les deux femmes. Mais Héloise ne sera pas détournée de son destin. Elle épousera celui que sa mère a choisi. Marianne la reverra beaucoup plus tard, fugitivement, lors d'un concert des 4 Saisons de Vivaldi.
Céline Sciamma, que j'ai rencontrée à l'occasion d'une projection particulière au Sélect d'Antony (92) explique que la musique de l'Eté de Vivaldi a été le point de départ du film qu'elle a écrit et fera l'objet d'un très long plan séquence à la toute fin.
On aurait pu s'attendre à ce qu'elle obtienne le Grand Prix au Festival de Cannes parce que la réalisation relève du grand art mais c'est le Prix du scénario que le jury lui décerna.
L'histoire se déroule sur une période de dix ans, de 1770 à 1780, donc juste avant que les femmes acquièrent de nouveaux droits pendant la Révolution, qu'elles perdront au XIX° siècle et sous l’influence de Napoléon. Car, il faut le savoir, il n’y a pas de progrès linéaire du Droit des femmes.
Si l'intimité du cœur des hommes est dans tous les livres, l’intimité du cœur des femmes était jusqu'à maintenant très absent de la littérature comme du cinéma. Céline Sciamma leur redonne de la mémoire, et retransmet leur histoire. Et bien que le scénario ait été imaginé avant l’affaire Weinstein, Céline Sciamma l’ayant écrit après, elle l'a inscrit très consciemment dans ce nouveau contexte en portant bien entendu une parole politique.
On n'a retenu que quelques noms comme Artemisia Gentileschi ou Élisabeth Vigée Le Brun (1755-1842), laquelle est considérée comme une grande portraitiste de son temps, puisqu'on la compare à Quentin de La Tour ou à Jean-Baptiste Greuze. Mais le XVIII° siècle a connu beaucoup de femmes excellentes peintres, rendant tout à fait crédible l'arrivée de Marianne quelque part dans un château breton, pour exécuter le portait d'Héloise, une jeune femme qui vient de quitter le couvent. L'artiste est prévenue qu'Héloïse refuse de poser, espérant ainsi échapper au mariage que sa mère veut organiser avec un riche milanais. Marianne accepte de la peindre en secret en jouant le rôle d'une dame de compagnie.
Le thème interroge bien entendu sur la fonction du portrait. Quand peut-on estimer l'avoir achevé ? Doit-il être exemplaire ou contenir des défauts, correspondre à un moment de gloire ou évoquer le morbide annonçant que le sujet disparaîtra avant l’œuvre, être le reflet d’aujourd’hui ou d’un moment qui n’existera plus ...
Une fois le tableau réalisé, Marianne exige de dire la vérité à son modèle avant de partir. Le film bascule alors.
Ce qui est magistral dans la démonstration que fait Céline Sciamma c'est le fait qu’il n’y ait pas de personnages masculins. Juste un homme au début qu’on revoit à la fin, comme si un cycle s'était accompli.
Son parti-pris permet de filmer des femmes en sujets plutôt que comme des objets. En cela ce quatrième film marque une étape. Peut-être parce qu’il vient combler un manque, et une attente.
On se souvient de Tomboy, récompensé à Berlin en 2011. Mais avec Portrait de la jeune fille en feu, la réalisatrice est encore plus émouvante. L'histoire d’amour qu'elle propose au spectateur est une relation parfaitement égalitaire, sans aucune domination, ni de genre, ni de position sociale, ou même intellectuelle.
Céline Sciamma s'est donc inévitablement posé les questions du peintre : le format, le cadre, et la lumière.... Elle a travaillé avec Claire Mathon qui est sa chef opératrice et qui assure le cadre comme la lumière. Le tournage ayant eu lieu près de Melun dans un château abandonné depuis 40 ans, resté totalement dans son jus, il a fallu tout éclairer depuis l’extérieur, à travers les fenêtres. Le résultat est à la hauteur des efforts.
Les scènes d'extérieur sont elles aussi comparables à des tableaux. Par exemple quand Héloise (Adèle Haenel) contemple la mer depuis la plage dans une posture qui évoque Le Voyageur contemplant une mer de nuages (en allemand : Der Wanderer über dem Nebelmeer) qui est un tableau du peintre romantique allemand Caspar David Friedrich.
On se souviendra longtemps d'une scène pivot qui évoque le quotidien d’une fête entre femmes et qui bascule dans la sorcellerie. Elle est soulignée par une musique, inspirée de chants bretons, composée spécialement pour le film par Jean-Baptiste de Laubier et Arthur Simonini, sur des paroles en latin, écrites par la réalisatrice à partir de la phrase de Nietzsche : Plus nous nous élevons plus nous semblons petits à ceux qui ne savent pas voler. C'est un moment d'émotion intense parce que le chant s'élève a capella, et en canon, soutenu par des frappés de mains. Il vient de sortir sur tous les sites de streaming et va sans doute être un grand succès.
Portrait de la jeune fille en feu, rend visibles les invisibles, y compris les femmes dites ordinaires, comme la servante Sophie (Luàna Bajrami) dont on partage tous les aspects de la vie quotidienne, les repas bien sûr, les distractions aussi (formidable partie de cartes) et les gros soucis comme l'obligation de devoir avorter. On verra combien la solidarité s'exerce entre toutes ces femmes. Et on notera au passage qu'avorter ne signifie pas qu'on n'aime pas les enfants.
En conclusion voici un film féminin et féministe, qui filme davantage le désir que l’amour et qui pourra plaire à tout le monde. Je ne vous donnerai qu'un échange de répliques :
- J’ai un nouveau sentiment, le regret.
- Ne regrette pas. Souviens-toi.
Portrait de la jeune fille en feu est sorti sur les écrans depuis le 18 septembre 2019.
Ecrit et réalisé par Céline Sciamma
Avec notamment Noémie Merlant, Adèle Haenel, Luàna Bajrami
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