Marie Lebey réussit brillamment à nous offrir un roman qui soit autant divertissant que sérieux, admirablement documenté sur les pratiques du monde de l’art.
Elle connait manifestement tout de la manière de travailler d’un commissaire-priseur et sait parfaitement que, si la valeur augmente avec le nombre des années, il est cependant essentiel de pouvoir garantir l’origine de ce qui, sans cela, ne serait qu’un assemblage de ferraille.
Elle s'est inspirée d'une histoire vraie, la vente en juillet 2020 d'une oeuvre d'Alexander Calder (1898-1976), datant de 1963, lourde de 800 kilos et haute de trois mètres et demie, estimée entre 2, 5 et 3, 5 millions d'euros et qui finalement a été adjugée plus de 4,9 millions d’euros à un collectionneur européen après avoir décoré pendant 57 ans une résidence VVF (Village Vacances Famille) dédiée au tourisme social, à La Colle-sur-Loup (Alpes-Maritimes), près de Cannes, reprise par une filiale du fonds d'investissement Groupe Caravelle, le groupe Belambra Clubs, lequel fut l'heureux bénéficiaire de la vente. L'opération fut réalisée par la célèbre maison de ventes Artcurial qui exposa la sculpture quelques jours en bas des Champs-Elysées dans la cour de l'hôtel particulier qui abrite son siège.
L'événement était considérable puisque c'était la première fois qu’un stabile monumental de Calder de cette envergure était présenté aux enchères en France. Apparemment on avait oublié la valeur de l'objet puisqu'il servait à faire sécher les maillots de bain au bord de la piscine où il avait été installé.
Ces seuls éléments sont en eux-mêmes suffisamment extraordinaires pour donner matière à un roman. Mais qu'on ne s'y trompe pas, l'argent n'est pas le thème principal de ce livre, subtilement intitulé La valeur des rêves.
Marie Lebey va plus loin en restituant la genèse de l'arrivée du stabile et en redonnant vie à cet immense artiste que fut Calder et dont j'ai eu la chance de découvrir le mode opératoire à travers une exposition passionnante, organisée en 2009 au Centre Pompidou intitulée Le cirque de Calder.
J'avais alors appris que c’était Jean Arp qui avait trouvé le nom de Stabile pour désigner un certain type de sculptures de l'artiste, ce que Marie Lebey ne manque bien entendu pas de signaler.
A une autre occasion j'avais pu admirer un stabile mobile en forme de spirale à l’Unesco. Sans être spécialiste, l'univers de Calder m'était familier et j'ai beaucoup aimé la manière dont l'auteure redonne vie au géant américain mais aussi à son proche entourage et à ceux qui ont permis que ses sculptures deviennent des œuvres monumentales comme les artisans fondeurs de l'usine Biémont, chaudronnerie, tôlerie et tuyauterie tourangelle à Tours. Calder leur apportera ses maquettes en aluminium pour qu'elles y soient reproduites agrandies.
Je savais que l'homme s'était installé avec Louisa son épouse en 1953 dans l'Indre, à Saché, 1 200 habitants, une petite bourgade tourangelle située tout près d'Azay-le Rideau, qui avait abrité Balzac un siècle plus tôt et où vit encore aujourd'hui la fille d'André Breton, artiste elle aussi. Il eut plusieurs maisons dont l'une d'elle fut baptisée "François 1er" et plusieurs ateliers. Il avait lui-même dessiné le plus grand au début des années 60, à côté de la plus grande maison, avec une verrière, pour vivre immergé au coeur de la nature, en haut d'un coteau. Il utilisa un appentis pour peindre. Ce fut la Gouacherie qui, elle aussi est présente dans le roman.
Les différents bâtiments (François Ier, la Gouacherie) ont été rachetés par des propriétaires privés. Ils ne se visitent pas. L'atelier et la maison sur la colline non plus. Mais depuis 1989 l'atelier principal est dédié à la création contemporaine et a pour vocation d’accueillir des artistes de toutes nationalités pour trois mois en résidence à la fin de laquelle une visite d'atelier est proposée présentant les projets réalisés. Voilà, en dehors des journées du Patrimoine, une occasion supplémentaire de visiter cet atelier situé 12 Route du Carroi à Saché (37190), sans oublier de jeter un oeil à l'énorme Totem dont le pied évoque le clocher du village et dont les disques bleu et orange fixés à chaque bout d'une perche tournent au gré du vent qui souffle sur la place principale.
Loin de moi l'envie de vérifier chacun des faits avancés par Marie Lebey mais savoir que tout est rigoureusement exact (hormis peut-être ce nom de Moustipic qu'elle emploie pour désigner le chef d'oeuvre) donne un charme supplémentaire à son septième roman qui peut fort bien se lire sans rien savoir des arcanes du monde de l'art contemporain. Les personnages inventés sont autant pittoresques que le sculpteur qui est finalement le héros principal. Et surtout - à l’instar d’un autre ouvrage que j’avais précédemment beaucoup aimé, Mouche’ , c'est formidablement bien écrit, d'une plume vive qui compose des chapitres courts qui se dévorent facilement. Nul besoin d'être érudit pour apprécier cette histoire qui se termine sur une jolie pirouette.
La valeur des rêves de Marie Lebey, Editions Leo Scheer, en librairie le 1er février 2023