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jeudi 2 avril 2009

Calder expose son Cirque au Centre Pompidou

Du 18 mars au 20 juillet 2009, les œuvres dites de jeunesse d'Alexander Calder sont offertes au regard des parisiens. Et je voudrais rappeler que le musée est gratuit chaque premier dimanche du mois (galerie des collections permanentes).

Je ne connaissais de lui que l'énorme araignée rouge qui semble si fluette au pied des tours du parvis de la Défense et quelques Fisbones (arrêtes de poisson) colorés, ou ces Quatre feuilles et trois pétales (conçues plus tard, en 1939) dont la photo est si souvent associée à cet homme (en fin d'article).

J'ai découvert un artiste radicalement différent de l'image que j'avais forgée. Un frère puis un père, constamment imaginatif et inventif, capable de créer une ménagerie réaliste en retournant ses poches, toujours pleines de bouchons, de morceaux récupérés et de bouts de ficelle.

Né en 1898 dans une famille d'artistes (sa mère est peintre, son père et son grand-père sont sculpteurs), le jeune Alexandre est conditionné par les valeurs du hand-made et du home-made. Faire tout soi-même lui est totalement "naturel". Sa sœur lui offre sa première pince et ses parents le laissent investir la cave pour bricoler à loisir. Personne ne réalise alors qu'il est un artiste en devenir. Il n'a que 11 ans quand il modèle ce petit chien et ce canard dans de simples feuilles de cuivre.
Lui-même n'y songe pas et poursuit avec succès des études d'ingénieur et de mécanique. Il enchaîne les boulots (12 en 4 ans) sans trouver sa voie mais en nourrissant son inspiration. Avoir été soutier dans un cargo lui fait découvrir de magnifiques lever de soleil rougeoyant à coté d'un disque de lune éclatant dont il se souviendra lorsqu'il imaginera ses mobiles. La révélation artistique se produit néanmoins avec des cours de dessins en 1922.

Il devient humoriste et dessine des caricatures pour un journal d'actualités en se spécialisant dans les évènements sportifs, les scènes urbaines et le cirque. Il croque des centaines d'animaux observés dans les zoos. Son rêve serait de devenir peintre et il a l'idée, pour financer son projet, de commercialiser les jouets qu'il a inventés. En 1926, il arrive à Paris, une ville dont ses parents avaient beaucoup parlé devant lui.

Dans ses deux valises, Calder apporte un Cirque miniature dont il va assurer les représentations devant les artistes les plus célèbres de l'époque qui deviendront ses amis et conseillers. Le Centre Pompidou consacre aux années 1926-1933 une rétrospective majeure qui révèle combien les germes du talent étaient déjà en place.

Déployé sous une coupole, le Cirque ne provoque de l'émotion que parce qu'on peut le voir animé par Calder lui-même dans les films présentés conjointement. C'est un ensemble fragile, très usé, impossible à restaurer, qu'il est malgré tout intéressant de regarder de près pour comprendre l'essence même de la démarche artistique.
Les matériaux sont d'une simplicité extrême. Calder assurait toutes les représentations en actionnant d'une main les manivelles et les ressorts qui propulsaient les personnages tandis que de l'autre il installait les décors et les accessoires. C'était encore lui qui rugissait pour rendre le lion vivant. Ce qui n'était pas réalisable était suggéré. Ainsi quelques marrons jetés derrière l'animal puis recouverts de sciure symbolisaient parfaitement des crottes. Sa femme se chargeait de la musique.

La performance se déroule devant des marchands d'art, dans des conditions proches d'un vrai cirque avec entracte et cacahuètes offertes aux spectateurs. Les numéros se multiplient. Il faudra cinq valises pour contenir l'œuvre à son retour aux États-Unis. Il y a Monsieur Loyal sur son tapis rouge. Fanni la danseuse du ventre. Les deux clowns, dont un trompettiste capable de fumer et de gonfler un ballon (par un astucieux système de tuyau), les otaries jongleuses, l'homme le plus fort du monde et ses haltères, les trapézistes, leur filet et les brancardiers sollicités en cas d'accident. Car les ratages font partie de l'histoire. Comme dans la vraie vie les numéros ne sont pas garantis.

L'éléphant (ci contre) a été modelé en 1928. Outre sa capacité à suggérer la silhouette (Picasso avait le même génie, capable de sculpter de la mie de pain ou un ticket de métro) Calder a le don de matérialiser l'équilibre et le mouvement. Ses funambules glissent sans tomber sur leur fil. Miro, Mondrian, Arp, Fernand Léger sont admiratifs et l'invitent dans leurs ateliers.

Il fera le portrait d'une foule de personnalités et d'artistes, comme Kiki de Monparnasse ou Joséphine Baker, tous extrêmement reconnaissables et animés au moindre courant d'air, si bien que leur visage semble comme par magie changer d'expression.
Dans l'atelier de Mondrian, la juxtaposition des toiles colorées provoque la révélation que la peinture devrait être en mouvement, ce qui horrifie le peintre. Calder va très vite exécuter l'idée pour son propre compte. Ses compétences en mécanique, alliées à ses désirs d'artiste, feront de lui un sculpteur de l'espace. Car l'air est en quelque sorte son matériau de prédilection, le fil de fer n'étant que son enveloppe extérieure. Sa technique est sans limite : animaux, personnages, objets ... tout peut s'animer selon le même principe. Calder sculpte comme un dessinateur croque : sans lever la main.
La photo de cet aquarium (1929) laisse entrevoir le mécanisme qui permet de faire tourner les poissons dans le bas du "bocal".

Parallèlement, il ne cesse d'utiliser des morceaux trouvés. Il "fabrique" avec deux pièces de bois à peine retouchées, l'une reposant en équilibre sur l'autre et pouvant osciller, Requin et Baleine, vers 1933. On pourrait voir le contraire mais c'est le requin qui gigote en l'air sur le nez de la baleine.
Marcel Duchamp baptisera "mobiles" les compositions activées par un mécanisme et Jean Arp donnera à celles qui sont posées au sol le nom de "stabiles". Jacques Prévert associera les deux dans ce poème rendant gloire à la Tour Eiffel.
Mobile en haut
Stabile en bas

Telle est la Tour Eiffel

Calder est comme elle.

Ciseleur de fer

Horloger du vent

Dresseur de fauves noirs

Ingénieur Hilare

Architecte inquiétant

Sculpteur du temps

Tel est Calder.

L'influence de Calder a été énorme sur Jean Tinguely dont la fontaine Stravinsky (réalisée avec Nicky de Saint-Phalle) séduit toujours le regard sur le parvis adjacent au musée.

Difficile néanmoins de démêler les inspirations des uns et des autres. Cette huile sur bois de Jean Arp (Tänzerin, 1925) n'est-elle pas une danseuse proche de l'univers de Calder ?
On peut aussi découvrir Calder en tant peintre, avec des gouaches sur papier plutôt surprenantes. Comme celle-ci de 1932, intitulée Monde étrange :
La couleur rouge était la teinte qu'il préférait. S'il n'avait tenu qu'à lui il n'aurait employé qu'elle. Avec plus de 300 sculptures, peintures, dessins, jouets, photographies et films, souvent inédits, l'exposition, écartelée entre les niveaux 4 et 6 du Musée, est la première manifestation entièrement dévolue à la période dite parisienne. Le Centre Pompidou possède par ailleurs des mobiles plus récents, plus connus aussi, visibles dans la collection permanente.

On pourrait aussi aller en Touraine où Calder a vécu longuement, près de Saché, non loin de l'usine où il surveillait la reproduction de ses sculptures monumentales. Mais l'homme est toujours resté un bricoleur de génie, faisant lui-même les poignées de ses portes et les ustensiles de cuisine qu'il employait dans sa maison (grille-pain, couverts, passoires etc ...), les bijoux portés par sa femme, les jouets de ses enfants et petits-enfants. C'est le premier à avoir eu l'idée de récupérer de vieux moules à gâteaux pour en faire des abats-jour. Le développement durable s'est beaucoup inspiré de lui.

Pour terminer ce petit film pour partager son univers du Cirque, et qui témoigne que cette réalisation ne fut pas qu'œuvre de jeunesse car toute sa vie il resta fidèle à la simplicité de cette création.

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