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La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

dimanche 12 avril 2009

A NOMEXY LES MEUNIERS NE DORMENT PAS SUR LEURS LAURIERS

Depuis le temps que je parle de leurs farines il faudrait peut-être que je vous emmène lui rendre visite. C'était en allant à Plombières-les-Bains, en février dernier, que j'ai eu l'occasion de faire une halte dans la toute petite ville de Nomexy, située à une vingtaine de kilomètres en aval d’Epinal.

Une pancarte minuscule pointe la direction du moulin dont la bâtisse imposante se découpe au bout d'une route discrète, ourlée d'un cours d'eau, second indice de la présence possible d'un moulin.

Les portes de la propriété sont grandes ouvertes pour contredire le proverbe : on entre ici très facilement. Si le meunier est occupé il accroche une ardoise prévenant qu’il est au moulin et demandant de sonner la cloche. L’accueil est doublement chaleureux. Une belle flambée réchauffe la boutique.

La cheminée de l’ancienne salle à manger familiale ronronne depuis plus de 200 ans pour le plaisir de la clientèle qui vient aussi désormais pour le sourire de Guillemette. La clochette de la porte de la boutique tinte régulièrement. Il y a tant de spécialités que les conseils sont appréciables.

C'est avec le mari de Guillemette, Pierre Gentilhomme, que j'ai rendez-vous mais le meunier brique son moulin. C'est peu dire que l'endroit est propre ! Et pourtant les machines ont turbiné toute la nuit.

Pour résumer, un moulin c'est un lieu de transformation où le frottement de deux énormes pierres permet de broyer des graines pour obtenir de la farine (si on prend l'exemple des céréales) ou de l'huile (si on choisit des noix ou des olives). Il faut pour cela disposer d'une force phénoménale pour faire tourner les meules. On savait autrefois utiliser des énergies dites (depuis) renouvelables soit la vigueur d'un cours d'eau entrainant une roue à aubes, soit la puissance du vent gonflant les voiles tendues des pales d'hélice d'avion. Il y a donc toujours dans un moulin une roue et des meules de pierre.

Quelques éléments d'histoire

On trouve trace du Moulin de Nomexy déjà en 1263 dans les archives d’Epinal comme appartenant aux moines du Prieuré d’Aubiey, eux-mêmes sous la suzeraineté des comtes de Vaudémont. Les frères, afin d’exploiter eux-mêmes le produit de leur moisson, avaient acquis un terrain sur les deux rives du cours d’eau de l’Avière et s’étaient empressés de construire ou restaurer un important moulin. C'est au XIX° siècle, que Mathurin Gentilhomme, descendant d’une longue branche de meuniers vendéens, s'installe à Nomexy pour une raison qui n'est toujours pas élucidée. Il fait de ce qu'on désigne alors comme "le moulin du dessus" une minoterie moderne et développe une activité importante.
Chez les Gentilhomme on est meunier depuis dix générations et Pierre est très attaché à son moulin. La crise économique de 1929 avait conduit son grand-père à la faillite et si son père avait pu continuer à y travailler c'était en tant que locataire. Pierre a de quoi être fier. Il serait très heureux de pouvoir ouvrir le moulin à la visite du public dans le cadre d'un projet de tourisme industriel. Les machines anciennes ont été conservées dans la perspective d'animer un petit éco-musée.

Le fonctionnement d'un moulin

Jusqu'en 1996, le moulin de Nomexy a fonctionné 6 à 8 mois de l'année en fabricant sa propre énergie en autonomie avec l'eau de la rivière, petite et vigoureuse, au-dessus de laquelle il est campé. L'axe de la turbine photographiée ici actionnait donc toutes les machines, contre maintenant un seul alternateur.

Quand il fallut accepter d'appliquer les nouvelles normes de sécurité (européennes ?) des cages en grillage ont été fixées autour de la pièce centrale du moulin. Le nettoyage est devenu très compliqué et Pierre Gentihomme avait l'impression de travailler en prison. Du coup les moteurs sont devenus entièrement électriques et on en a profité pour doubler la capacité de production. Elle est de 1 tonne de blé à l'heure, soit environ 750 kg de farine. Auparavant on ne pouvait écraser que 400 à 500 kg de blé dans le même laps de temps.

L'Avière rend malgré tout encore de bons et loyaux services en fournissant l'énergie de la lumière et des mélangeuses.

A l'heure de ma visite, tout est calme et bien rangé. C'est que le moulin "dort" le jour. Tout l'hiver les machines tournent uniquement la nuit car le prix de l'électricité est trop élevé en journée et l'entreprise y serait perdante. Le rythme de travail du meunier est éprouvant. D'autant qu'avec son obsession de la propreté il traque la moindre poussière sans lui accorder le temps de retomber. Il a d'autres soucis comme celui des mites. Une plaie lorsqu'elles élisent domicile dans la farine. Les insecticides en bombe sont interdits. Du coup il faut paradoxalement traiter plus souvent (toutes les trois semaines) avant que les œufs n'éclosent. Il faudrait chercher un moyen plus radical et inoffensif pour le consommateur.

(Le planschister en marche, sorte d'énorme tamis monté sur silent blocks)
Le moment de la mise en route est le plus critique. Lorsque les machines s'ébranlent je réalise combien nous sommes dans un endroit qui tient à la fois de l'usine et de la mine. Les trépidations et le vacarme ne sont pas facilement imaginables mais la taille des machines et le flou de la photographie du planschister en rendent compte.

Le blé arrive toute l'année en camion pour alimenter un stock de 60 à 100 tonnes. En tout premier lieu il est nettoyé, pesé, et ensilé de manière à être toujours repérable en termes de variété et de provenance. C'est ce qu'on appelle ici comme ailleurs la "traçabilité".
(L'enfilade des machines)
Dans le temps, m'explique le meunier, on le passait à la laveuse, aujourd'hui c'est une succession de tamis dans un tuyau aspirant qui se chargent du boulot. Des aimants retiennent judicieusement les clous, petits boulons et pièces métalliques diverses. J'entrevois le nombre d'opérations nécessaires avant d'obtenir une farine de gruau, celle qui est si fine qu'elle en est presque impalpable, qui permet de cuisiner des gâteaux sans levure comme le biscuit de Savoie.

Une des meules actuelles du moulin se cache au cœur de cette machine
(admirez l'épi de blé pour symboliser le sens dans lequel il faut tourner la vis)
Une fois ce premier nettoyage effectué, les grains sont humidifiés et projetés contre un manteau abrasif qui agit comme une brosse. Bien entendu l'aspiration des poussières ne s'arrête jamais.

Ne nous y trompons pas : le blé est coupé sans être écrasé, ce qui l'abimerait. Il passe deux fois dans chacune des quatre machines et la mouture obtenue est de plus en plus fine. Selon le degré de finesse du produit obtenu on parle de semoule ou de farine. Entre chaque passage tout transite encore par le planschister qui fait le tri. La multitude des tuyaux qui s'en échappent témoigne de la nécessité de séparer les différents produits issus de la mouture.
(Sous le planschister ...)
Les remoulages, appelés encore "retraits" sont les refus du convertissage. Ils sont destinés à l'alimentation animale.
Les sons sont les refus de la fin du broyage. Monsieur Gentilhomme se souvient du remède avec lequel ses parents soignaient les dartres que les enfants avaient parfois au visage. Ils faisaient bouillir de l'eau contenant un petit sac rempli de son, qui servait, une fois refroidi, à laver la figure avec. C'était très efficace et rendait la peau toute douce.

Les temps changent ...

Beaucoup de choses ont changé. Auparavant c'est à la main qu'on effectuait un grand nombre d'opérations. D'abord séparer le grain de la balle, tout de suite après le battage de la gerbe, avec une sorte de ventilateur intégré. En Afrique on fait encore avec les moyens du bord et on vanne le blé en le faisant sautiller sur un "van", sorte de grande passoire plate, espérant que le souffle du vent (s'il y en a) fera voler la poussière au-dessus des bons grains. Il faut être agile pour qu'elle ne retombe pas dessus. Vous imaginez le travail des poignets ... C'était autrement plus économique, toutes proportions gardées, avec un tarare comme celui-ci :

Pour le blutage, on utilisait la "bluterie" tout de suite après avoir moulu le grain, pour séparer cette fois la farine du son. Elle fonctionnait elle aussi à la main, avec une manivelle. Beaucoup de fermes disposaient de ces engins car dans nos campagnes, les agriculteurs étaient nombreux à se débrouiller en autarcie, jusqu'à évidemment cuire leur pain dans leur propre four. Les enfants constituaient une main d'œuvre appréciable ...
Le meunier a conservé la bluterie centrifuge avec laquelle ses ancêtres tamisaient la farine. Il envisage de la restaurer comme il l'a fait pour le tarare. Quel contraste avec le planschister qui se charge de tout le blutage en presque un clin d'oeil !

Le poids des sacs de farine (et de blé) était auparavant de 100 kg. Les sacs de farine sont passés à 50 kg, puis 40 ou 25 actuellement.
Quant à l'usage des sacs de blé en toile, il a disparu depuis 40 ans mais Pierre Gentilhomme conserve la machine à coudre ancestrale. Une anecdote est volontiers racontée dans la famille.
Un jour, le grand-père se promenant dans la campagne voisine surprend un paysan avec des sacs de farine recyclés en sacs à pommes de terre. Il le soupçonne de les avoir volés. L'homme se défend en prétendant qu'il y a prescription et que donc ils lui appartiennent désormais. Rendez-vous compte : il a voulu faire croire que c'était des sacs d'avant Bousey (en 1894, la digue de retenue alimentant le canal de l'Est a rompu à Bousey, provoquant une catastrophe mémorable. "Avant Bousey" est devenu une expression courante pour signifier "très vieux"). Le patriarche s'énerve, sort son couteau et coupe les ficelles des coutures en le traitant de menteur et de voleur. Parce qu'avant Bousey, la machine à repriser n'existait pas et que donc des sacs comme ceux là étaient forcément récents.
Pierre Gentihomme prend quelques instants de repos en s'accoudant au pupitre sur lequel Ferdinand, le frère de son arrière grand-père, faisait les comptes de l'entreprise, debout, pour ne pas perdre de temps s'il fallait régler une machine en urgence.

Les gens ont perdu l'habitude d'acheter leur farine chez le boulanger. Ils s'approvisionnent en boutiques. Par contre, la mode actuelle à relancer les ventes aux particuliers, incités à faire du pain eux-mêmes (ou en tout cas quelque chose qui y ressemble parce ce que ce qu'on sort d'une machine à pain n'est pas comparable à ce qui se cuit dans un four de boulanger).

Des farines pour tous les goûts

A Nomexy on suit les tendances et parfois même on les devance. Guillemette a mis au point en 2003 une préparation pour pain d'épices dont on a déjà parlé sur le blog. C'est encore elle qui a eu l'idée d'une préparation pour pâte à beignets. Celle-ci remporte un vif succès bien au-delà de la période du Carême, pour la plus grande fierté de son mari qui confesse : je n'y croyais pas mais je l'ai laissé faire, et il n'y a rien à regretter.

Guillemette a aussi conçu une recette de brownies mais elle a déjà un autre projet auquel elle travaille avec des ingénieurs de l'ENSAIA, l'Ecole nationale Supérieure d'Agronomie et des Industries Alimentaires de Nancy. Celui de recréer le Schneiderzee, comme on dit dans la famille, un délicieux biscuit très croquant mais à la croute légère que Joséphine, la grand-mère de son mari, réussissait à merveille. Quand elle aura trouvé la composition idoine elle lui donnera le prénom de cette femme qui a d'ailleurs vécu ici à Nomexy. Et bientôt nous pourrons nous en régaler à notre tour.

Madame règne sur les desserts. Monsieur concocte les mélanges pour les pains.

Le choix est énorme et on comprend que la clientèle soit heureuse de venir discuter avec la patronne pour grappiller de bons conseils et pour bénéficier de l'éventail complet. Parce que les distributeurs sont encore frileux et se contentent des bases. Toutes les farines ont des qualités comparables de fluidité, nervosité, blancheur, goût, équilibre, générosité, longue conservation …

Parmi les spécialités je retiens cependant :
->la Garrimande, sur une base de tomates séchées, d'huile d'olive et de thym, pour importer dans sa cuisine les arômes méditerranéens;
->le Pain des fées, avec ses olives, son paprika et ses graines de courge;
->le Croustichâtaigne, pain sucré idéal pour le thé ou le petit-déjeuner.

Tous ces mélanges sont un peu secrets. Leur mise au point est longue et minutieuse pour un résultat comparables aux grands crus de vignobles réputés. L'explosion des ventes des MAP a offert ainsi de belles perspectives de développement, lesquelles étaient absolument vitales puisque le moulin s'est tourné vers les particuliers depuis qu'il a cédé sa clientèle de boulangers.

Avec un paquet d'un kilo on obtient deux pains de 700 grammes en résultat. Le 14 céréales caracole en tête des ventes même s'il serait plus raisonnable de préférer le 6 céréales, plus facile à digérer. Le goût torréfié du pain d'Orgie (orge et avoine) est très apprécié et le Moissoné (orge/blé/avoine) est idéal pour les débutants parce que la proportion farines-graines offre
(photo)Emballage de la farine la Pellerine, photo Moulin de Nomexy un bon compromis. On pourrait aussi être tenté par le pain au maïs. Mais le "nec plus ultra" demeure La Pellerine, une farine artisanale de froment pâtissière T45, d'une blancheur et d'une finesse sans égales (primée au SIAL). Idéale pour les pâtes feuilletées, pâtes à brioche, à tresses, à gâteau. Pour en assurer le conditionnement, en boîte cartonnée quadrichromie vernie de 500g ou en sac de 1kg, le Moulin s’est associé à l’Imagerie d’Epinal, qui a fourni une gravure ancienne.

Vous aurez compris que quel que soit votre souhait la famille Gentilhomme saura trouver la farine qui conviendra. Même si vous cherchez à faire du challah, ce pain traditionnel qui est mangé le jour du shabbat et les jours fériés (dans la religion juive). On vous recommandera la farine à brioche (la farine blanche de froment, petit Diable rouge très précisément) qui convient à merveille parce qu'elle contient très peu de gluten. Ce type de farine était introuvable sur le marché américain : les moulins n'en fabriquent pas outre-atlantique. Fairway, une épicerie fine de Broadway la commercialise depuis quelque temps, ce qui a valu au moulin de Nomexy un bel article en page deux du New York Times du 27 janvier dernier, rien de moins.

La région Lorraine peut s'enorgueillir que cette famille originaire de Loire-Atlantique soit arrivée à Nomexy en 1861. On ignore pourquoi elle a quitté la Vendée mais on espère qu'elle n'aura jamais envie de repartir.
(Le moulin de Nomexy, entrée principale)
Dans l'Est de la France, quelques spécialités sont distribuées dans les boutiques Clair de Lorraine et les grandes surfaces Atac et Champion. En région parisienne Lafayette Gourmet présente plusieurs références mais le Bon Marché ne propose que la préparation pour pain d'épices. Pour commander en ligne ou en savoir plus sur le Moulin : http://www.moulindenomexy.fr/

Pour suivre des expérimentations de recettes de pain en machine :
A bride abattue depuis le 3 avril dernier, rubrique "bon petit plat"

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