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lundi 6 avril 2009

De A à X et la Route, deux romans d'amour

Je les ai lus dans la foulée.
La route, histoire d’amour entre un père et son fils. De A à X, histoire d’amour entre une femme et son homme. Evasion garantie. Langage codé dans les deux livres, comme toujours en matière de sentiments.

Pour rendre sa lecture supportable j’ai choisi de croire que la Route était un roman de science fiction. J’ai pensé au Petit Prince, autre conte philosophique. Car la question essentielle n’est pas de chercher à savoir si notre monde est éternel mais d’accepter que nous autres, humains, ne le soyons pas. Finalement notre désir de survie est tel qu’il nous pousse à transmettre à notre descendance. Nous ne pouvons guère faire mieux. Si ce n’est écrire, peut-être …

La route se déroule comme le ruban de la vie ou le fil d’une pensée. Les protagonistes ont peu de choses à faire : marcher, s’arrêter de temps en temps, et puis parler. Des trois types d’action c’est la parole qui est la plus risquée. Les dialogues sont économes de mots et pourtant profonds : Si tu manques aux petites promesses tu manqueras aux grandes.

La parole peut provoquer des questions sans fin dont les réponses n’existent même pas. Qu’est ce que le père peut répondre à la question du fils (page 139) lui demandant : c’est quoi nos objectifs à long terme ?

- Il vaut mieux savoir ce que c’est que de ne pas le savoir.
- Pourquoi ?
- Parce qu’on n’aime pas les surprises. Çà fait peur les surprises.
- Et on n’aime pas avoir peur.
- D’accord.
- Çà va aller.

Çà va aller ponctue les échanges à intervalles réguliers alors que rien ne va plus. Pourtant le livre est d’un pessimisme relatif. Le message d’espoir est constant : tu vas avoir de la chance, je le sais, peut s’entendre comme un cri d’amour.

De A à X est aussi un roman, ne nous y trompons pas, nous qui aimerions avoir entre les mains une histoire authentique. Ce qui est raconté c’est que l’amour est le seul capable de gagner tous les combats et d’écrouler les murs des prisons. Le livre compose une sorte de métaphore d’un manuel de survie. Les choses sont dites autrement qu’avec des dialogues classiques. La poésie vient suppléer l’atrocité. Les histoires vivent en cachette, mais elles ont quand même besoin d’oxygène (page 154), ce qui signifie que si elles ont besoin d ‘être racontées les livres, eux, ont besoin d’être lus. C’est une ode magnifique qui nous est offerte et on se surprend à regretter de ne pas mériter soi-même de si belles missives. Paul Eluard écrivait liberté sur ses cahiers d’écolier, sur son pupitre et sur les arbres, sur le sable et sur la neige, sur toutes les pages lues et sur toutes les pages blanches .... C’est l’amour que John Berger glisse partout : dans la formule chimique du lapis-lazuli qui aurait du être une bague de fiançailles, dans le récit du baptême de l’air qui emmène les héros plus haut que le septième ciel, dans la redite d’une rencontre parce que toute forme d’amour adore la répétition, parce que cela défie le temps.

John Berger décline avec talent toutes les facettes du célèbre adage « flight or fight » (combattre ou fuir) préconisant qu’au lieu de calculer la distance du bond qui permet de se sauver d’un risque il vaut mieux estimer la dose de volonté nécessaire à rester sur place, pour affronter le danger.

Aïda, en écrivant le mot cellule (de peau), pense à celle, numéro 73, dans laquelle Xavier est enfermé, s’étonnant que les mots n’arrêtent pas de mettre en rapport des choses improbables. Pour moi 73 évoque le numéro du wagon qui emmena Max Jacob en déportation.

Les pages se savourent comme des chroniques qui nous seraient personnellement envoyées par une bonne copine. L’humour se glisse à bon escient, comme la juste dose de sel dans un plat. On apprend une foule de détails pratiques qui, à défaut d’apporter la liberté, permettent de s’évader au moins en pensée. Qui sait si un jour ou l’autre nous ne serons pas heureux de savoir comment sauver un ami d’une crise d’hypoglycémie, apprécier la gravité d’une brûlure, ou plus prosaïquement que la température idéale pour réussir la gelée de cassis se situe à 200°.

Aïda, la pharmacienne, a tous les remèdes imaginables à portée de main pour soulager tous les maux sauf le sien. Alors, comme le grand malade se tourne vers les médecines dites parallèles rien d’étonnant à ce qu’elle prenne des chemins de traverse. A défaut de changer l’ordre du monde la jeune femme déménage celui de son officine. Le rangement galénique est abandonné pour un classement thérapeutique. Aucune lettre n’est datée et il n’est pas certain qu’elles se suivent dans le « bon » ordre, lequel n’est ni alphabétique, ni chronologique, ni thématique, mais en tout cas romantique.

Les images se suivent comme des perles sur le fil de la vie, à moins que ce ne soit le fil d’Ariane. Il y a quelques instant de désespoir, inévitables, mais l’élan vital est très fort. C’est qu’il faut envoyer beaucoup pour espérer que le message parvienne au destinataire. Comme les colis : j’ai envoyé quatre paquets de café jamaïcain. Trois pour eux. Un pour toi. Et ce sera toujours la proportion de 3 pour 1. Comme si les mots ne suffisaient pas il y a des croquis de main qui se faufilent entre les missives. De A à X ne se termine-t-il pas avec un plan d’évasion ?

La Route, de Cormac Mc Carthy, et De A à X de John Berger ont tous deux été publiés en France en 2008 par les Editions de l'Olivier.
Information de novembre 2009 : La Route a été adaptée pour le cinéma par John Hillcoat. La sortie du film en salles est annoncée pour le 2 décembre 2009.

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