J'ai fait la connaissance de Sabine Wespieser en décembre 2008, lors d'une rencontre organisée par la Médiathèque d'Antony (92). Puis je l'ai revue au Salon du Livre, toujours aussi souriante.
Le présent billet sera consacré à la présentation de son travail en tant qu'éditeur (elle préfère qu'on dise "éditeur") et aux caractéristiques de sa maison. Un second billet sera davantage orienté sur sa politique d'auteurs.
Le présent billet sera consacré à la présentation de son travail en tant qu'éditeur (elle préfère qu'on dise "éditeur") et aux caractéristiques de sa maison. Un second billet sera davantage orienté sur sa politique d'auteurs.
Sabine Wespieser éditeur est une structure littéraire indépendante où paraissent des textes de fiction, française et étrangère, à la cadence d'une dizaine de titres par an. Axant sa politique éditoriale sur la construction d’un catalogue, Sabine Wespieser a à cœur de publier peu et de privilégier une politique d’auteurs : Vincent Borel, André Bucher, Michèle Lesbre, Diane Meur ou Zahia Rahmani pour le domaine français ; Tariq Ali, Duong Thu Huong, Nuala 0’Faolain et quelques autres pour le domaine étranger contribuent à l’élaboration d’un fonds. La maison compte près de soixante titres pour une trentaine d’auteurs. Elle a obtenu de nombreux prix : le Prix Femina étranger en 2006 pour L’Histoire de Chicago May de Nuala O’Faolain et, en 2007, le Grand Prix littéraire des lectrices ELLE pour Terre des oublis de Duong Thu Huong ainsi que le Prix Mac-Orlan et le Prix Millepages pour Le Canapé rouge de Michèle Lesbre.
Un goût indéfectible pour la lecture
Publier, c’est rendre public un texte. Il faut donc consacrer beaucoup de temps à la communication. La gestion du quotidien étant chronophage, Sabine Wespieser ne peut plus guère lire au bureau. Elle lit donc le soir, le week-end, et pendant ses vacances dans le Vaucluse. Elle avoue que quand elle « dépote », la lecture peut être suspendue au bout de deux minutes, parfois même sur la lettre d’intention qui accompagne le manuscrit.
Autrefois elle passait ses jeudis à lire, au grand désespoir de ses parents qui la pensaient asociale.
J’ai fait naturellement des études littéraires et enseigné trois ans les lettres classiques. J’avais envie d’être plus près du texte. Je rentre en 1986 comme stagiaire chez Actes Sud, une maison singulière de par son implantation loin de la capitale et son orientation très marquée sur la littérature étrangère depuis 1978 quand presque aucun éditeur n’en publiait alors en France.
Sabine, devenue plus tard assistante éditoriale, va ouvrir ce qu’elle appelle la « boite noire », et apprendre tout ce qui se passe chez un éditeur depuis l’arrivée du manuscrit, sa prise en charge, l’aspect juridique, les étapes de fabrication et surtout comment on travaille avec un auteur. Une quinzaine d’années s’écoule, riches d’expériences. Elle dirige chez Actes Sud la collection de poche Babel (1987-1999), où elle découvre des auteurs qui, comme Michèle Lesbre, lui promettent de la suivre quand elle créera sa propre maison d’édition.
Mais Sabine ne se sent pas tout à fait prête. Elle devient directrice littéraire de la collection Librio chez Flammarion (2000), une collection de livres à 10 F. Signer des BAT (bons à tirer) de livres à peine lus provoque la frustration mais elle y apprend la dure loi de l’offre et de la demande et se trouve utilement confrontée aux contraintes du métier.
La dialectique culture/économie devient trop lourde : je craque et nous passons à l’acte. Entendez par là qu’elle investit avec son mari, le sociologue Jacques Leenhardt, le produit d’un petit héritage pour créer sa propre maison d’édition. Curieuse pirouette du destin si indirectement ce sont ses parents qui lui permettent maintenant de passer son temps à lire pour gagner sa vie …. Joli lapsus aussi que cette déclaration car j’entends que Sabine Wespieser passe deux fois à l’acte (Actes). Philosophe et sociologue de formation, directeur d’études à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Jacques Leenhardt dirige un centre de recherche sur les fonctions symboliques de l’art et de la littérature. Il est donc passionné de littérature mais n'intervient pas dans la maison d'édition, ou alors de façon détournée comme je vous le raconterai tout à l'heure.
La dialectique culture/économie devient trop lourde : je craque et nous passons à l’acte. Entendez par là qu’elle investit avec son mari, le sociologue Jacques Leenhardt, le produit d’un petit héritage pour créer sa propre maison d’édition. Curieuse pirouette du destin si indirectement ce sont ses parents qui lui permettent maintenant de passer son temps à lire pour gagner sa vie …. Joli lapsus aussi que cette déclaration car j’entends que Sabine Wespieser passe deux fois à l’acte (Actes). Philosophe et sociologue de formation, directeur d’études à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Jacques Leenhardt dirige un centre de recherche sur les fonctions symboliques de l’art et de la littérature. Il est donc passionné de littérature mais n'intervient pas dans la maison d'édition, ou alors de façon détournée comme je vous le raconterai tout à l'heure.
La prouesse est de créer une maison indépendante, sans devoir subir l’exigence d’un financier soucieux de retour rapide sur investissement. C’est une énorme liberté que n’ont pas les maisons où des financiers siègent à la table du conseil d’administration. Sabine peut faire sien l’adage de François Mitterrand : donner du temps au temps …
Les statuts sont signés le 11 septembre 2001, une date qui ne s’oublie pas. L’équilibre financier est atteint en 2005 avec la Petite trotteuse de Michèle Lesbre. Aucun banquier n’aurait eu la patience d’attendre si longtemps même si la mise de départ est sans commune mesure avec les investissements d’un producteur de cinéma. Sabine apprécie en pleine conscience une chance qu’elle estime exceptionnelle.
Les statuts sont signés le 11 septembre 2001, une date qui ne s’oublie pas. L’équilibre financier est atteint en 2005 avec la Petite trotteuse de Michèle Lesbre. Aucun banquier n’aurait eu la patience d’attendre si longtemps même si la mise de départ est sans commune mesure avec les investissements d’un producteur de cinéma. Sabine apprécie en pleine conscience une chance qu’elle estime exceptionnelle.
Les auteurs sont arrivés par cercles concentriques d’affinités. L’annonce de la naissance de la maison a été faite avec naturel. Robert Belleret puis Vincent Borel sont les premiers à y être publiés. Diane Meur était traductrice chez Actes Sud. Son manuscrit, la vie de Mardochée, était tellement exceptionnel que Sabine Wespieser n’a pas eu besoin de réfléchir pour s'en saisir. A la foire de Francfort suivante, qui avec celle de Londres est déterminante pour l’achat des droits étrangers, Sabine Wespieser reçoit comme un cadeau la possibilité de publier « On s’est déjà vu quelque part » de Nuala O’Faolain.
L’année suivante, Michèle Lesbre annonce au Seuil sa volonté de changer d’éditeur. Boléro sera publié par Sabine Wespieser en janvier 2003. L’enjeu est alors de garder ces auteurs et de leur offrir un confort éditorial équivalent à celui dont ils bénéficieraient chez les grands.
L’année suivante, Michèle Lesbre annonce au Seuil sa volonté de changer d’éditeur. Boléro sera publié par Sabine Wespieser en janvier 2003. L’enjeu est alors de garder ces auteurs et de leur offrir un confort éditorial équivalent à celui dont ils bénéficieraient chez les grands.
Une petite maison qui fonctionne comme une grande
J’ai voulu ma maison petite, artisanale, mais capable de réagir très vite, avec la puissance d’une grande. De fait, Sabine Wespieser ne publiera jamais plus de 12 titres par an. Une moyenne d’un par mois pour un simple trio de permanents c’est déjà énorme. S’appuyer sur un diffuseur-distributeur est incontournable et le choix est restreint : il sont 5 en France. C’aurait pu être le Seuil, ce fut Gallimard à travers ses filiales : le Centre de Diffusion de l'Édition et la SODIS. Leur équipe de 12 représentants couvre l’ensemble du territoire. Sabine Wespieser a l’ambition de donner à ses auteurs une diffusion médiatique et elle pourra sortir 20 000 à 30 000 exemplaires en cas de prix littéraire.
Pour simplifier on peut dire que le diffuseur est la société qui rémunère la force de vente qui va chez les libraires … avec quelque 200 titres à vendre. Les mises en place sont étudiées avec ces partenaires précieux et indispensables (la vente directe lui est interdite). Sabine Wespieser en parle avec respect : ce sont des gens qui lisent, qui ont lu, et qui liront.
Dans le monde de l’édition les risques sont partagés par les libraires. Ils bénéficient donc de services de presse supérieurs à ceux des journalistes. Sabine Wespieser rend hommage à une libraire de Bourg-en-Bresse capable d’écouler en un temps record 300 livres d’un auteur méconnu « parce qu’elle y a cru ». Ou à Joël Getfossé, « célèbre » libraire dans la vallée perdue du Banon (Vaucluse) qui, dans sa bourgade de 800 habitants, propose la Pléiade à côté des savonnettes. Il a vendu 1000 exemplaires d’André Bucher à lui seul.
Dans le monde de l’édition les risques sont partagés par les libraires. Ils bénéficient donc de services de presse supérieurs à ceux des journalistes. Sabine Wespieser rend hommage à une libraire de Bourg-en-Bresse capable d’écouler en un temps record 300 livres d’un auteur méconnu « parce qu’elle y a cru ». Ou à Joël Getfossé, « célèbre » libraire dans la vallée perdue du Banon (Vaucluse) qui, dans sa bourgade de 800 habitants, propose la Pléiade à côté des savonnettes. Il a vendu 1000 exemplaires d’André Bucher à lui seul.
Le développement est induit par le désir de construire du long terme. Le recrutement de Christophe Grossi était incontournable pour assurer la sur-diffusion auprès des 1000 libraires les plus influents. Le secteur des droits étrangers et dérivés a suivi avec le succès. Les propositions d’éditeurs étrangers et les demandes d’impression en format de poche sont désormais elles aussi très nombreuses.
La sous-traitance de la distribution est nécessaire mais elle a un coût qui pèse lourd : 55% du prix du livre assurent la rémunération du diffuseur-distributeur et du libraire. Restent 45% pour couvrir les frais fixes, l’auteur … et l‘éditeur. Un auteur touche 10% selon le contrat de base. Mais il est coutume de prévoir des paliers. Entre 5000 et 15000 exemplaires on peut espérer 12%, puis 14% au-delà. Quelques-uns ont réussi à imposer plus, comme Jean d’Ormesson (18%).
Sabine Wespieser n’a pas le droit de faire de la vente directe mais c’est elle qui entretient les contacts directement avec les prescripteurs : la presse, les représentants et les libraires. Elle n’a pas un accès habituel au monde des bibliothécaires. Alors forcément, l’invitation de la médiathèque d’Antony fut pour elle l’occasion de rencontrer un public différent, qu’elle est surprise de découvrir si nombreux un samedi matin (de marché de Noël).
C’est la forme qui produit du sens
Dès 1905, les éditions Jules Tallandier commercialisaient, sous l'appellation Livre de poche, des romans populaires à petit prix. Hachette devra d'ailleurs leur racheter le nom pour sortir la collection du même nom en 1953 autour de l’idée que le livre peut être un produit de consommation pas cher et jetable.
Sabine Wespieser fait tout le contraire : des beaux livres qui pourront vivre sur le long terme, avec un beau papier, des pages de garde, des coutures. La mise en page est très travaillée pour que le lecteur entre pas à pas dans le livre. On y respire. Le moindre détail est pensé. Le recours au nombre d’or des graphistes permet de construire des marges inégales autour du texte. Il est très bien interligné, imprimé avec une encre marron (et non noire) pour assurer une lecture plus « douce ». Le papier est de bonne qualité, proche du papier couché, d’un ton naturel, parce que le blanc serait plus agressif pour l’œil.
Alors que les photographies éclatent sur les tables des libraires, la couverture d’un livre de Sabine Wespieser n’est jamais imagée. Néanmoins la référence aux grandes maisons (Fayard, Grasset …) est évidente. La typographie est très forte, ce qui assure une belle lisibilité. Ses cartouches sont désormais bien repérés, tout comme les tranches marron se remarquent sur les rayonnages des bibliothèques.
Avec son mari, qui est cofondateur, ils ont cherché des noms, en vain. Ses auteurs l’ont convaincue de ne pas en imaginer un autre que le sien pour nommer la maison. Au final cela fait gagner du temps, en la dispensant de se présenter. Cela correspond bien aussi à son tempérament autocrate, qu’elle assume avec un large sourire. J'ai appris mon métier avec quelqu'un qui m'a toujours dit que quand on était plusieurs à dessiner un cheval ça devenait un dromadaire … ou une licorne … C’est cet animal, inspiré des armoiries de famille de son mari, qui a été utilisé pour animer le logo de la maison d'édition.
Un livre n’est pas éternel
Ce n’est pas parce que la forme est soignée que la durée de vie d’un livre peut raisonnablement dépasser une moyenne de 3 mois chez un libraire. (On le constate soi-même quand on cherche à acheter un titre en particulier. Finalement il n’y a que les bibliothèques à travailler sur le long terme). L’exercice du droit de retour (le libraire renvoie les invendus) s’exerce de plus en plus vite.
Un exemple : un libraire commande 40 bouquins pour une mise en place le 15 septembre, jour de signature d’un auteur. Il en vend 20. Il retourne les 20 autres aussitôt. Théoriquement ils devraient même partir au pilon (être détruits) mais ils peuvent aussi être réintégrés au stock ... sauf s’ils sont déclarés défectueux. Tout dépend alors de l’humeur de la personne chargée du tri. Imaginons qu’ils soient détruits. Quelques jours plus tard un journaliste sort un article dithyrambique. Le public s’adresse au libraire … qui passe une nouvelle commande. Le stock est insuffisant. Il faut réimprimer.
Un exemple : un libraire commande 40 bouquins pour une mise en place le 15 septembre, jour de signature d’un auteur. Il en vend 20. Il retourne les 20 autres aussitôt. Théoriquement ils devraient même partir au pilon (être détruits) mais ils peuvent aussi être réintégrés au stock ... sauf s’ils sont déclarés défectueux. Tout dépend alors de l’humeur de la personne chargée du tri. Imaginons qu’ils soient détruits. Quelques jours plus tard un journaliste sort un article dithyrambique. Le public s’adresse au libraire … qui passe une nouvelle commande. Le stock est insuffisant. Il faut réimprimer.
Alors Sabine Wespieser dans un double élan d’économie et d’écologie (pitié pour les forêts dont on fait les livres !) se rend régulièrement au chevet du stock avec son mari, la gomme à la main. Grâce à cette technique elle estime avoir économisé une dizaine de réimpressions. Le gain d’argent et de temps est considérable. N’hésitez pas à lui demander quelques exemplaires d’un titre soit- disant épuisé. On peut parier qu’elle a sauvegardé quelques réserves.
Il est impropre d’évoquer la fin de vie d’un livre puisqu’on peut réimprimer régulièrement. Mais le déclin commercial est incontournable, sauf exception. Quant au livre électronique, elle ne sait pas encore s’il s’agit d’une menace ou d’une opportunité. Le marché n’existe pas encore et on peut craindre de se retrouver dans la même galère que l’industrie du disque. Avec tous les risque de piratage possible. Néanmoins elle commence à numériser le fonds. Elle espère que le livre électronique sera une forme de dérivé, comme Gallimard le préfigure. Pour que l’éditeur garde la main mise sur le contenu afin de protéger l’auteur.
Une date de sortie déterminante
On l’aura deviné. On est obligé de choisir la meilleure période avant de lancer un nouveau titre sur le marché. Un livre sur trois arrive en septembre. On se plaindrait presque de ce quasi « trop-plein » mais la rentrée demeure une période bénie parce qu’il y a un fort désir du texte. Les journalistes lisent pendant les vacances. Le poids des critiques littéraires est moins déterminant qu’à l’époque de la mythique émission d’Apostrophes. Les influences sont plus diffuses mais le rôle de la presse demeure important.
En janvier on observe une espèce de petite nouvelle rentrée. En mars, c’est le Salon du Livre. Juin et novembre sont des mois moins favorables. Pourtant la poignante histoire d’Angélique et de Joyeuse, écrite par Yanick Lahens dans la Couleur de l’aube est sortie ce mois-là. Et il existe des auteurs qui n’ont pas envie qu’on les publie en septembre et d’être comme le chien qui attend son sucre. Ainsi Michèle Lesbre préfère-t-elle le mois de mai. Sur le sable est attendu pour mai 2009.
Prochain article : l’écurie de Sabine Wespieser
NB : un portrait de Michèle Lesbre a été publié sur le blog il y a presque un an, le 21 avril 2008
1 commentaire:
Je ne connaissais absolument pas cette maison d'édition et puis ce matin dans la librairie de ma ville j'ai remarqué une étagère avec trois livres de poche de chez Sabine Wespieser éditions. J'ai emporté avec moi Dans la maison du père de Yanick Lahens et la qualité du livre me fait prédire une agréable lecture future ! Merci en tout cas pour ce portrait complet de l'éditeur.
Enregistrer un commentaire