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lundi 21 avril 2008

LA PETITE TROTTEUSE VA BON TRAIN

Rencontre avec Michèle Lesbre

La Médiathèque municipale d’Antony inaugure cette année un Prix des lecteurs. Dix livres ont été retenus par les bibliothécaires parmi l’abondante profusion (le pléonasme s’impose) de ce qu’on appelle la rentrée littéraire 2007.

Le Canapé Rouge est l’un de ces titres et son auteur, Michèle Lesbre, était invitée à Antony samedi dernier. Ne travaillant exceptionnellement pas ce matin là j’ai pu participer à cette rencontre.

Je réalise en écrivant ces lignes que depuis la création du blog –il y a deux mois- j’ai la fâcheuse inclinaison à démarrer un article sur deux par un mea culpa. Ce sera encore le cas si je vous confie que je ne savais rien du parcours de cette dame en arrivant et que j’avais « un peu » honte de n’avoir pas réussi à lire son dernier livre.

Si je vous dis cela c’est pour témoigner qu’une rencontre peut être bénéfique, pourvu qu’on s’y présente avec disponibilité, ce qui était mon état d’esprit.

J’ai pris beaucoup de notes, comme à mon habitude : je crois que j’entends mieux ce qui se dit quand je l’écris, même si je ne relis pas systématiquement ensuite. Je dois fonctionner sur un mode audio-visuel. J’ai ainsi acquis un matériau dont j’ai pu vérifier les citations. C’était incontournable pour éviter les erreurs orthographiques des noms propres et les références bibliographiques … et même davantage parce que l’acoustique de la salle transformait l’écoute en exercice difficile.

Il m’est immédiatement apparu que Michèle Lesbre n’était pas une femme ordinaire. Le regard avec lequel elle balayait la salle qui se remplissait m’a immédiatement impressionnée. Le débit de sa voix est mesuré alors qu’elle raconte un parcours d’une densité rare. L’ampleur d’un engagement politique, social et intellectuel est dit sans aucune emphase. Michèle Lesbre répond à toutes les questions sans détour. Une main s’élève parfois comme pour accentuer ses propos en mode mineur ou majeur. Les yeux se perdent sous la frange de ses cheveux. Le buste se tourne alors imperceptiblement autour de l’axe de sa colonne vertébrale.

Michèle Lesbre a l’œil du cinéaste, la main du médecin légiste, un corps de danseuse. Le tout vit en harmonie et dans une cohésion qui donne une densité intense à la personne. On est face à quelqu’un qui ne déviera pas de son chemin à l’instar des aiguilles d’une montre qui ne quitteront jamais leur cadre tout en poursuivant leur progression.

L’explication de texte qu’elle développe prend du coup une dimension supplémentaire que la simple analyse du pourquoi et du comment de son œuvre autour de quelques mots-clés que seraient « cheminement, rencontre, engagement, témoignage … lumière»

Michèle Lesbre, un auteur de vingt ans :

L’écriture s’est d’abord développée dans la sphère intime. Sans tenir un journal, Michèle Lesbre confie qu’elle écrivait beaucoup de bribes inabouties, « des petites choses pour elle ».

L’effervescence de la revendication des droits des femmes et la rencontre avec des personnes très engagées politiquement ont donné à Michèle Lesbre l’envie de participer d’une manière ou d’une autre à la redistribution espérée des cartes de la société.

Elle a été happée dans la mouvance du néo-polar induite par Jean-Patrick Manchette et quelques anciens militants des années 70 pour démarquer le roman noir social du roman policier et du Thriller. Un nouveau type de roman policier, ancré à gauche, à la fois mélange de fiction et d'événements politiques et sociaux. On dit aussi de cette écriture qu’elle est celle de la vigilance, de la résistance, de la transgression … autant de mots qui reviennent dans la bouche de Michèle Lesbre.

Aucune femme parmi les " barons " du roman noir que sont alors Jean Vautrin, Marc Villard, Jean-Bernard Pouy ou Didier Daeninckx… qui revendiquaient d’écrire une vraie littérature, avec un vrai regard sur la société, et pas des livres de quai de gare. Michèle Lesbre est sollicitée pour écrire une nouvelle. Je n’ai pas reposé mon stylo depuis, confie-t-elle avec le sourire.

Michèle Lesbre, un auteur sur une trajectoire :


Les nombres ont leur place dans les réponses de Michèle Lesbre aux questions de son lectorat : j’écris depuis presque 20 ans ; le Canapé rouge est le 10ème livre, et le 4 ème chez Sabine Wespieser ; j’ai fait ce voyage il a 8 ans. Elle révèle l’âge auquel Sabine Wespieser est devenue éditrice.

Elle émaille la conversation de dates. Je pense que cela témoigne de son honnêteté à rendre compte des jalons de son cheminement dont elle ignore le point d’arrivée tout en sachant qu’il est « inscrit », d’où cette abondance de ce qui peut sembler des détails, à moins que ce ne soient des indices.

« J’ai un certain nombre de livres à écrire. Je n’en écrirai pas plus. »
Elle a publié :

Michèle Lesbre n’écrit pas pour écrire. Son écriture répond à une urgence, s’inscrivant dans une évidence, comme tout geste artistique. Elle revendique un certain militantisme. On peut voir en elle un témoin de notre temps qui avancerait sur un chemin de spiritualité athée. En l’occurrence un chemin ascendant qui conduirait à faire la paix avec soi-même. Parce qu’il n’y a pas d’âge pour être heureux, rencontrer des gens, l‘amour … je ne crois pas au saucissonnage de la vie, au compartimentage (j’entends compartiment-âges)

Michèle Lesbre, un auteur fidèle à un éditeur :

Elle raconte comment elle a suivi Sabine Wespieser lorsque celle-ci a créé sa propre maison d’édition. Parce que Sabine Wespieser n’est pas seulement un éditeur indépendant qui assure la publication mais surtout quelqu’un qui partage des exigences communes, pour qui l’engagement est total, qui lui accorde une confiance absolue et réciproque.

Elle décrit avec admiration le travail pointu de l‘éditrice qui n’hésite pas à se lever à 5 heures pour aller vérifier chez son imprimeur normand que tout va bien. Qui ne délègue rien. Qui soigne chaque détail, y compris la couleur du titre. Qui met un point d’honneur à lire elle-même tous les manuscrits. Qui publie peu mais bon. Des objets beaux : 9 livres par an, cousus, avec une page de garde.

Michèle Lesbre ne peut pas envisager la fin du livre-papier. Elle se déclare « rétive » aux nouvelles formes de communication, dit n’aller jamais « sur Internet », sauf pour lire son courrier électronique. Elle écrit d’abord à la main, aime raturer, amender, recommencer. Elle confesse ne pas savoir lire un texte sur un écran. Bien entendu, quand le projet a pris forme, j’utilise le traitement de texte mais je dois imprimer les pages pour pouvoir les retravailler. Je n’aime pas le clavier. Il va plus vite que ma pensée. Elle invoque Cioran qui comme elle estimait que « Le progrès n’est rien d’autre qu’un élan vers le pire. » Elle conclut que de toutes façons elle n’aime aucune machine. Que l’idée même de devoir acheter un billet de RER dans un engin automatique lui donne envie de faire demi-tour.

Michèle Lesbre, un auteur de rencontres :

Michèle Lesbre apparaît paradoxalement comme un être solitaire qui fait des rencontres. Avec des hommes politiques. Avec des écrivains. Avec son éditrice. Avec l’écriture. Le mot rencontre est le leitmotiv de l’entretien. Sans galvauder ce mot. Une vraie rencontre, c’est quelque chose de très fort, qui va orienter la trajectoire de la vie, comme celle qu'elle a faite avec le roman noir, ou qui va sublimer des choses.

Elle dit à juste titre que notre société fuit la solitude. Alors que c’est la capacité qu’on a à vivre notre solitude qui rend disponible pour des rencontres. Tant qu’on n’a pas pris conscience que quoiqu’on fasse on est seul, on va s’agiter peut-être mais sans plus. Alors qu’il faut apprivoiser le doute. Et de citer Joseph Conrad : on vit comme on rêve, seul !

La plus importante des rencontres serait celle avec Victor Dojlida dont la vie a été broyée par l’histoire et qui lui a inspiré un récit biographique qui a été publié après sa mort et qui a influencé tous les livres que Michèle Lesbre a écrit ensuite.

Michèle Lesbre, un auteur qui s’épanouit sous l’aile de quelques anges gardiens :

C’est ce terme qu’elle emploie pour désigner des auteurs contemporains qu’elle affectionne, des écrivains dont Fabienne Serris, responsable de la Médiathèque, rassure qu’ils sont présents dans les rayons tout en regrettant qu’ils sortent si peu :

  • Henri Calet, Emmanuel Bove, André Hardellet….
  • Luc Dietrich (1913 – 1944), qui laisse une œuvre brève, lumineuse et fulgurante comme son existence torturée de détresse et de désir.
  • Paul Gadenne (1917-1956) qui a écrit des poèmes (réunis dans La petite ourse), et des nouvelles (rassemblées dans Scènes dans le château), et des chefs d’oeuvre comme Baleine qui est le premier texte littéraire français que publia Actes Sud en 1982.
  • Jean-Claude Pirotte, né à Namur, en Belgique en 1939. Avocat de 1964 à 1975, il est rayé du barreau pour avoir favorisé la tentative d'évasion d'un de ses clients (acte qu'il a toujours nié), et condamné à un emprisonnement auquel il se soustrait en vivant clandestinement jusqu'à la péremption de sa peine en 1981. Il a écrit tard (lui aussi précise Michèle Lesbre) en commençant par une chronique du vin. Il partage avec elle le goût des bistros et du vin. Il est autant poète et romancier que peintre.
  • Pierre Michon, né en 1945 dans la Creuse, qu’elle a connu dans une troupe de théâtre amateur à Riom., et dont elle découvre un jour que « tiens, il s’était mis à écrire d’une manière très troublante, émouvante » des textes que les critiques qualifient d'une densité exceptionnelle, d'un style profond et remarquable, que le grand public ne connaît que trop peu. Michèle Lesbre invite à lire La Grande Beune.
  • Giorgio Bassani (1916-2000), le Tchékov italien dont l’existence est liée à la ville de Ferrare. Victime des lois raciales de 1938 et militant antifasciste, il sera incarcéré en 1943. Un personnage d’une de ses nouvelles " Une nuit de 43 ", inspirera à Michèle Lesbre l’écriture de Un Certain Felloni.

Michèle Lesbre s’excuse de citer des noms peu ou mal connus. Elle dit se méfier des sorties trop médiatiques. On ne peut pas lire tout, ni tout lire. Alors elle se focalise sur quelques-uns comme Patrick Modiano dont elle a tout lu. Elle consent parfois des entorses. Comme la découverte d’Olivia Rosenthal (On n’est pas là pour disparaître), d’Annie Ernaux (les Années) qu’elle a lues parce qu’elles étaient elles aussi sélectionnées pour le Livre Inter 2008. Son opinion a d’ailleurs changé à propos d’Annie Ernaux, une femme de sa génération, dont elle apprécierait sans doute dans les Armoires vides. Elle hésite à propos de Muriel Barberey (l’Elégance du hérisson) : je vais la lire, oui, je crois (elles ont toutes deux au moins une passion en commun, celle de Dostovievsky). Mais Nothomb, non.

On sent Michèle Lesbre sur la réserve, presque sur la défensive. Comme si on courrait un risque à ouvrir un livre. Voilà un trait que nous n’avons pas en commun, elle et moi. Je me sens suffisamment forte pour me faire ma propre opinion et je ne condamne pas un livre parce que les médias cherchent à me faire croire qu’il est bon. Au risque de choquer c’est cette disposition qui me permet d’apprécier Amélie Nothomb et Marguerite Duras, sans chercher à les comparer. C’est probablement du aussi à mon histoire personnelle, à ce que je qualifierai de « manque de culture » qui m’évite quelques a priori et surtout à la fréquentation des bibliothèques auxquelles je dois d’immenses découvertes. La proximité avec les livres, tous les livres, est une chance formidable. Il n’y a qu’à tendre la main.

Mais il est vrai qu’on ne peut pas lire tout, ni tout lire. Et que je risque peut-être à me disperser à vouloir ne pas sélectionner. Michèle Lesbre a une lecture économe et relit volontiers pour se faire du bien et parce qu’on ne relit pas de la même manière.

Je me promets de rouvrir le Canapé rouge.


Michèle Lesbre, un auteur qui n’a pas écrit pour gagner sa vie :

Michèle Lesbre force l’admiration parce que c’est quelqu’un d’exigeant. Avec les autres mais en premier lieu avec elle-même.

A la question : Vivez-vous de l’écriture ? elle répond qu’elle n’aurait jamais décidé de vouloir vivre de sa plume. Elle ne peut pas envisager cela comme un métier. Non pas qu’elle n’en avait pas l’aptitude (ses deux derniers livres attestent du contraire et même du fait qu’elle peut gagner de l’argent avec l’écriture), mais parce qu’elle tient par-dessus tout à pouvoir écrire ce qu’elle veut, comme elle veut, et à son rythme. Quand on sait qu’un auteur touche 5 à 10% de la vente d’un livre on devine qu’il faut produire pour en vivre correctement. Ce qui peut impliquer des concessions, situation inacceptable pour Michèle Lesbre qui ne sacrifiera jamais une once de liberté : çà créé une pression dont j’aurais horreur. Rien ne m’autorise à penser que j’aurais assez à dire, dit-elle avec beaucoup d’humilité.

Elle avait un métier qui lui permettait d’en vivre (institutrice, puis directrice d’école maternelle) et l’écriture s’est petit à petit fait une place, jusqu’à devenir en quelque sorte une activité « principale » maintenant qu’elle est retraitée. La question d’en vivre ne se pose d’ailleurs plus en ces termes. Si écrire est devenue pour elle une obligation ce n'est pas pour des raisons pécuniaires mais parce que c'est "simplement" vital.

Il n’y a que les nouvelles qu’elle peut écrire sur commande, sur des sujets qui la touchent, pour soutenir des idées, et en général bénévolement, ce qui rend à l’exercice de la commande toute sa liberté, le bénévole étant celui « qui veut bien ».

Toutes les bibliothécaires avaient retenu le livre de Michèle Lesbre dans leur sélection pour la poésie et la musicalité qui s’en dégageaient. Un compliment que l’auteur apprécie tout en se défendant d’être capable d’écrire de la poésie : Je n’en suis pas spécialiste mais il y a peut-être des fulgurances pouvant se nicher dans la prose. Je n’en suis pas lectrice non plus, quoique j’apprécie beaucoup Claude Roy.

Michèle Lesbre, un auteur qui s’appuie sur la fiction pour revisiter sa propre vie :

Elle explique que le rôle de toutes les créations est d’aider à vivre, en nous accompagnant au quotidien, en permettant de renvoyer un miroir, de se maîtriser et de trouver par là sa propre place. C’est aussi un moyen de résister. Elle s’accorde avec Pessoa pour confier : « J'écris parce que la vie ne suffit pas. »

Elle se retranche aussi derrière François Mauriac « nos romans expriment l’essentiel de nous-mêmes. Seule la fiction ne ment pas ; elle entrouvre sur la vie de l’homme une porte dérobée, par où se glisse, en dehors de tout contrôle, son âme inconnue. ».

Ainsi, même si Michèle Lesbre écrit toujours à la première personne, elle revendique d’écrire des fictions, quitte à ce que celles-ci deviennent aussi vraies que la réalité. J’aime ce qui renvoie subtilement à l’universel. Michèle Lesbre affirme ne pas être attirée par l’autobiographie. Mais elle reconnaît qu’elle se cherche dans l’écriture. Parce qu’écrire permet de mettre sa vie en perspective.

L’écriture, c’est le temps que je m’approprie (le luxe de prendre le temps de chercher, trouver et organiser les mots justes) et le silence nécessaire de la solitude. L’écriture permet de trouver son rapport au temps, ce que n’autorise pas la vraie vie. Le temps qui nous ramène … à la petite Trotteuse.

Michèle Lesbre a été très marquée par la guerre. Ses romans sont des récits dans lesquels l'Histoire et les événements traversent la vie d'un personnage. En cela la littérature a encore un rôle à jouer dans le monde d’aujourd’hui. En réveillant la mémoire.

C’est ce qu’elle entreprend avec Victor Dojlida, une vie dans l’ombre sur la vie et le combat de cet homme, fils d'immigrés polonais qu'elle a rencontré en 1989 à sa sortie de prison et qu’elle a suivi jusqu’à son décès en 1997. Les entretiens qu’ils ont eu ensemble conduiront Michèle Lesbre à lui rendre cette forme d’hommage. Une rencontre capitale dans le parcours d’écrivain de Michèle Lesbre

On connaît tous le Boléro de Ravel, un morceau que le musicien avait voulu expérimental. Un long crescendo envoûtant qui se termine sur accord dissonant. Michèle Lesbre ne nie pas la référence, pour le côté litanique du roman et surtout la chute brutale, le « cut terrible » dit-elle.

Après s'être rendue à Ferrare, Michèle Lesbre imagine le parcours d'un jeune homme dont la vie se serait arrêtée stupidement un petit matin. Un certain Felloni est l'apparente biographie d'un homme qui n’a jamais existé en réalité puisque le personnage est emprunté à Giorgio Bassani mais qui devient l'histoire aussi vrai que possible d'un homme ordinaire qui part à vélo et se fait prendre dans une embuscade fasciste.

Michèle Lesbre a fait un autre voyage, plus long, dans un train russe, style train des années 50, sans être le mythique transsibérien, il y a presque 8 ans, sans l’intention d’écrire un livre (évidemment puisqu’à ce moment là Michèle Lesbre ne se serait sans doute pas définie comme écrivain). Le projet était d’entreprendre un voyage en train le plus long possible dans ce pays qui m’avait fait fantasmer depuis si longtemps, à la fois cimetière des utopies et des usines abandonnées, mais qui demeure fabuleux. Un pays où l’on perd la notion du temps puisque toutes les gares affichent la même heure, celle de Moscou. On doit abandonner l’idée de savoir l’heure qu’il est et on mesure autrement le temps qui passe.

J’arrivais pas à en revenir. Un an après les souvenirs de ce voyage demeuraient obsédants. Elle écrit alors 3 livres dans la foulée : Boléro, un Certain Felloni et la Petite Trotteuse. C’est à la fin de ce dernier que le début du Canapé rouge s’est profilé.

Interrogée sur le recours aux citations elle explique qu’elle a donné au personnage de la narratrice ces deux mêmes livres qu’elle avait emmenés avec elle en Sibérie : le livre d'entretiens de Vladimir Jankélévitch et une nouvelle traduction de Crimes et châtiments de Dostoïevski.

Comment Michèle Lesbre écrit :

Je ne fais pas de plan. Du tout. Jamais. J’aurais l’impression de devoir ensuite remplir des cases. Je ne supporterais pas.Je prends beaucoup de notes, pendant plusieurs mois, 5 ou 6, quasiment le temps d’une grossesse. Michèle Lesbre accumule les idées. Ce peut être une image, une photo. Elle fait ce qu’elle appelle des brouillons. Jusqu’à ce que la tonalité du futur livre commence à s’élever, un peu comme une musique. Tout cela s’apparente à la gestation qui précède l’accouchement, on pourrait même pousser la métaphore en invoquant la délivrance. Elle est dans la conception d’un livre en devenir qui pourrait lui échapper, comme l’enfant qu’on ne connaît pas encore et qui pourtant existe déjà dans son intégralité dans le ventre de sa mère.

Michèle Lesbre aime le trac, l’aventure de l’écriture, la mise en danger dont un plan la mettrait à l’abri en lui offrant le filet qu’elle se refuse. Tout est davantage de l’ordre du désir.

Elle n’a aucune discipline de travail (entendez par là qu’elle ne se soumet pas à des horaires ou à des rituels). On sent que l’écriture l’habite. Totalement. Elle écrit à la main, longtemps, avant de passer au traitement de texte. Elle reprend alors ses notes, qu’elle n’utilise pas forcément dans leur exhaustivité. Elle imprime et réimprime, se relisant sans répit, jusqu’à connaître son texte par cœur. Jusqu’à être arrivée là où elle voulait aboutir. Après avoir accompagné le personnage principal là où elle devait l’amener, mais sans savoir par quel chemin. Jusqu’à être « vidée », épuisée et mélancolique. Jusqu’à ce que le point final s’impose « naturellement ».

Elle ne donne à lire son manuscrit à personne de son entourage. Sabine Wespieser est l’unique première lectrice. Et jusqu’à présent cette « méthode » lui a plutôt réussi puisqu’elle n’a jamais abandonné un manuscrit en cour de route et que son éditrice n’a jamais eu à lui demander de retravailler un texte, en dehors de corrections mineures.

Une fois le livre publié elle ne se relira jamais plus. Parce que ce serait sans fin…

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