ou les aventures de LOUISE LA MALICE
Je m'étais fait violence pour aller au Centre Pompidou ce soir-là. Il faisait gris. Il faisait froid. Je ne pouvais pas me décommander : la visite commentée de l'exposition d'une artiste (vivante et en activité) française de renommée internationale, cela ne se loupe pas.
Je m'attendais à être choquée. J'ai été bouleversée. Parce qu'on n'a pas besoin d'être grandement compétente en histoire de l'art ou de la psychanalyse, ce que je ne suis pas, pour réaliser qu'on déambule parmi des œuvres majeures. A commencer par cette araignée géante qui donne l'illusion de s'emmêler les pinceaux...
Quelques axes récurrents sont déclinés à l'envie : la maison qui est aussi la famille, la mère qui est aussi le travail, le père qui est aussi la violence.
On accède à l'exposition en empruntant les escalators des coursives (en rouge sur la photo). La vue magnifique sur les toits de Paris est la première récompense. On peut regretter de n'y avoir accès que si on possède le billet d'entrée pour une exposition, ce qui restreint l'accès aux simples touristes.
Le parcours de visite ne respecte pas strictement la chronologie. Il a été conçu pour permettre d'accéder progressivement à l'univers de l'artiste. On découvre d'abord la première maison. C'est celle de Choisy-le-Roi où ses parents tenaient une entreprise de restauration de tapisseries anciennes. Elle est représentée comme la maquette d'un palais, avec finesse, sculptée dans le marbre (dans les années 90) , enclose derrière un grillage qui contraste avec la pureté et la blancheur de la pierre. C'est la maison de l'enfance. L'enseigne métallique "Aux vieilles tapisseries" désigne aussi le lieu de travail. Louise y a fait ses premiers dessins professionnels en remplaçant à 11 ans un ouvrier et dessine les parties manquantes de tapisseries, se spécialisant dans les jambes et les pieds. C'est l'endroit où elle a été confrontée à la trahison (celle de son père trompant sa mère avec sa nurse). C'est aussi une certaine vision de son pays tout entier, la France, dont l'emblème terrible est la guillotine qui ferme un des côtés de l'œuvre.
Louise Bourgeois, on l'aura deviné, affectionne les contrastes et ne recule pas devant les paradoxes. Elle dépasse ses souffrances au moyen d'une production artistique intense qui permet la sublimation. L'art est devenu très vite pour Louise Bourgeois un gage de maintien de la santé mentale. Elle travaille sans cesse, comme une "abeille ouvrière", et note sans relâche dans des carnets ses pensées en expliquant le trajet de son œuvre de création.
Jeune adulte, elle fait des études artistiques. A 25 ans, en 1936, elle quitte ses parents, loue un appartement dans un immeuble où André Breton a sa galerie et où se trouve aussi un atelier de fabrique de prothèses, ce qui la marquera sans aucun doute. Deux ans plus tard elle expose déjà dans la galerie de tapisseries de son père, y rencontre l'historien d'art américain Robert Goldwater, l'épouse, adopte un orphelin français de 3 ans et part s'installer à New-York. Le mal du pays la conduit à sculpter ce qu'elle appelle "personnages", véritables totems sculptés dans des troncs de séquoia à la lame de rasoir, inspirés de l'art primitif .
Parfois une touche de blanc virginal ou de bleu mystique suggèrent le féminin ou le masculin. Certaines œuvres, comme la mère et ses trois fils me font penser à d'énormes aiguilles percées de "chats". On ne peut s'empêcher de faire le lien entre leur forme et l'aiguille à tapisserie, remarquer que l'artiste a eu trois garçons et faire un jeu de mots entre fils et fil.
Je m'étais fait violence pour aller au Centre Pompidou ce soir-là. Il faisait gris. Il faisait froid. Je ne pouvais pas me décommander : la visite commentée de l'exposition d'une artiste (vivante et en activité) française de renommée internationale, cela ne se loupe pas.
Je m'attendais à être choquée. J'ai été bouleversée. Parce qu'on n'a pas besoin d'être grandement compétente en histoire de l'art ou de la psychanalyse, ce que je ne suis pas, pour réaliser qu'on déambule parmi des œuvres majeures. A commencer par cette araignée géante qui donne l'illusion de s'emmêler les pinceaux...
Quelques axes récurrents sont déclinés à l'envie : la maison qui est aussi la famille, la mère qui est aussi le travail, le père qui est aussi la violence.
On accède à l'exposition en empruntant les escalators des coursives (en rouge sur la photo). La vue magnifique sur les toits de Paris est la première récompense. On peut regretter de n'y avoir accès que si on possède le billet d'entrée pour une exposition, ce qui restreint l'accès aux simples touristes.
Le parcours de visite ne respecte pas strictement la chronologie. Il a été conçu pour permettre d'accéder progressivement à l'univers de l'artiste. On découvre d'abord la première maison. C'est celle de Choisy-le-Roi où ses parents tenaient une entreprise de restauration de tapisseries anciennes. Elle est représentée comme la maquette d'un palais, avec finesse, sculptée dans le marbre (dans les années 90) , enclose derrière un grillage qui contraste avec la pureté et la blancheur de la pierre. C'est la maison de l'enfance. L'enseigne métallique "Aux vieilles tapisseries" désigne aussi le lieu de travail. Louise y a fait ses premiers dessins professionnels en remplaçant à 11 ans un ouvrier et dessine les parties manquantes de tapisseries, se spécialisant dans les jambes et les pieds. C'est l'endroit où elle a été confrontée à la trahison (celle de son père trompant sa mère avec sa nurse). C'est aussi une certaine vision de son pays tout entier, la France, dont l'emblème terrible est la guillotine qui ferme un des côtés de l'œuvre.
Louise Bourgeois, on l'aura deviné, affectionne les contrastes et ne recule pas devant les paradoxes. Elle dépasse ses souffrances au moyen d'une production artistique intense qui permet la sublimation. L'art est devenu très vite pour Louise Bourgeois un gage de maintien de la santé mentale. Elle travaille sans cesse, comme une "abeille ouvrière", et note sans relâche dans des carnets ses pensées en expliquant le trajet de son œuvre de création.
Jeune adulte, elle fait des études artistiques. A 25 ans, en 1936, elle quitte ses parents, loue un appartement dans un immeuble où André Breton a sa galerie et où se trouve aussi un atelier de fabrique de prothèses, ce qui la marquera sans aucun doute. Deux ans plus tard elle expose déjà dans la galerie de tapisseries de son père, y rencontre l'historien d'art américain Robert Goldwater, l'épouse, adopte un orphelin français de 3 ans et part s'installer à New-York. Le mal du pays la conduit à sculpter ce qu'elle appelle "personnages", véritables totems sculptés dans des troncs de séquoia à la lame de rasoir, inspirés de l'art primitif .
Parfois une touche de blanc virginal ou de bleu mystique suggèrent le féminin ou le masculin. Certaines œuvres, comme la mère et ses trois fils me font penser à d'énormes aiguilles percées de "chats". On ne peut s'empêcher de faire le lien entre leur forme et l'aiguille à tapisserie, remarquer que l'artiste a eu trois garçons et faire un jeu de mots entre fils et fil.
Elle apprécie l'action physique de la sculpture. Elle dira : il faut abandonner le passé tous les jours ou bien l'accepter. Et si on n'y arrive pas,on devient sculpteur. Cependant, elle dessine, également, ce qu'elle désigne sous le nom de pensées-plumes.
Son fils, Jean-Louis, nait en 1940. Elle continue de travailler, rencontre Calder, Marcel Duchamp, le Corbusier, Joan Miro, qui exerceront probablement chacun une influence. Dans les années 60, elle a 50 ans et n'a pas encore produit l'essentiel de son oeuvre ... Elle expérimente le plâtre, le latex ... et produit des oeuvres qui incitent à la comparaison avec une artiste plus jeune, qui commence à faire parler d'elle, Niki de Saint-Phalle qui imagine avec son mari Jean Tinguely la fontaine Stravinsky, installée sur le côté du Centre Pompidou, quoique les oeuvres de Niki laissent moins voir la souffrance de leur auteur du fait de l'abondance des couleurs.
Louise dessine aussi. Comme par exemple des tourbillons au pastel blanc sur du papier rouge en 1968, une œuvre sans titre sur laquelle nous pouvons projeter nos souvenirs de cette année-là, ou la rage de tout enfant submergé par la colère, à moins que l'on pense à la sensation du vent ébouriffant ses cheveux alors qu'elle travaille en plein air dans son atelier new-yorkais, installé sur le toit d'un gratte-ciel.
Dans les années 90, Louise Bourgeois va exorciser un travail de mémoire en enfermant des objets dans des chambres demi-closes, sorte de lieux où se conjuguent magie et tragédie. Ses installations deviennent de plus en plus théâtrales.
Avec même l'emploi de véritables portes de théâtre new-yorkais. Je devrais dire "le recyclage", parce que Louise Bourgeois utilise divers objets comme l'ont fait bien des artistes de l'art brut. Mais avec elle, les objets détournés ont tous un lien avec sa propre histoire, et singulièrement son enfance. Elle va régler ses comptes avec le père, puis la mère. Il est amusant de remarquer à ce propos qu'elle se situe vraiment entre les deux en commençant systématiquement toute interview par : je m'appelle Louise Joséphine Bourgeois, ce qui prend un sens particulier si on observe que Louis est le prénom de son père (qu'elle transmettra pour partie son fils ...), Joséphine celui de sa mère, et qu'elle n'a jamais pris le nom de son mari.
Elle utilise beaucoup la couleur rouge qui renvoie au festin cannibale. Mais qui est aussi la couleur du théâtre. Elle écrivait : "la couleur est plus forte que le langage (...) La couleur rouge est une affirmation à n'importe quel prix -sans se soucier des dangers du combat, de contradiction, d'agression. Elle est représentative de l'intensité de l'émotion éprouvée".
Son œuvre oscille en permanence entre horreur et humour. Comment interpréter autrement cette installation de 1996 ? A la fois légère (la soie des vêtements bouge au moindre souffle) et macabre (ce sont de véritables clavicules de bœuf qui servent de porte-manteaux). La structure est un porte-bobines comme ceux d'un atelier de tapisseries. Au pied du socle on peut lire, en lettres capitales une suite d'indices qui résume toute son enfance :
couturiere
maitresse
detresse
stress
A la fin des années 90 surgissent des araignées de plus en plus monumentales. La plus grande, de 9 mètres d'envergure, campera dans le jardin des Tuileries jusqu'au 2 juin.
Cette fois c'est clairement la figure maternelle qui nous est montrée, qui tisse, qui emprisonne ... C'est un animal qui ne cesse jamais de sécréter son fil, une protéine de soie au demeurant si solide (plus résistante que l'acier) que la recherche médicale s'en empare pour la fabrication de valves cardiaques et que l'armée s'y intéresse pour concevoir de nouveaux gilets pare-balles.
Cette fois c'est clairement la figure maternelle qui nous est montrée, qui tisse, qui emprisonne ... C'est un animal qui ne cesse jamais de sécréter son fil, une protéine de soie au demeurant si solide (plus résistante que l'acier) que la recherche médicale s'en empare pour la fabrication de valves cardiaques et que l'armée s'y intéresse pour concevoir de nouveaux gilets pare-balles.
Louise Bourgeois va aussi créer des poupées, toutes sortes de têtes et de figures rembourrées, composant des personnages plus ou moins hystériques et abimés, rappelant encore la lutte de l'artiste pour conjurer les traumatismes et lutter contre la dépression.
Ces dernières années Louise Bourgeois a surtout dessiné. L'exposition s'achève avec 47 dessins encadrés sur le thème inaltérable du tissage, tous sobrement signés LB, disposés alternativement à la verticale ou à l'horizontale, composant une métaphore supplémentaire à la toile composée de fils de chaine et de trame. A-t-elle pu se tromper en écrivant le titre "tous les cinque", traduit tous les cinq (elle, son mari, ses trois garçons) ou a-t-elle fait une référence peu lisible à l'italien ? Un regard attentif repère des coulures blanches de typex sur quelques traits de couleur, ce produit utilisé par les correcteurs d'erreurs typographiques ...
Et ce qui émane de l'exposition c'est l'incroyable vitalité de Louise Bourgeois. Une femme qui, à 96 ans, produit toujours et qui tient salon chaque dimanche, prodiguant des conseils éclairés à de jeunes artistes, est quelqu'un qui force le respect. Les immenses portraits photographiques sont étonnants parce que son visage, marqué naturellement par les années, est resté souriant et beau., sans aucun recours à la chirurgie esthétique.
C'est une artiste qui a autant été animée par la souffrance de l'enfance qu'elle a été propulsée par le bonheur de l'âge adulte. Tout demeure double en elle : elle sculpte comme un homme, elle coud comme une femme, elle est à cheval entre les deux cultures française et américaine. Elle offre une œuvre en noir et rouge. Le terme anglais exhibition conviendrait mieux au mot français exposition.
Inaltérable, surprenante, inclassable. Tous les adjectifs qu'on convoque pour la qualifier sont impropres. parce qu'elle est inqualifiable, radicalement différente. C'est pourquoi on a raison de la considérer comme une artiste majeure. Et surtout de l'apprécier ... en l'approchant avec simplicité, les mains tendues.
Ces dernières années les mains prennent une symbolique à plusieurs titres, nettement décryptable au quatrième étage du Centre Pompidou où se tient une petite exposition complémentaire. Les mains sont les premiers outils de travail de l'artiste. Celles qui tissent, qui cousent, qui dessinent, qui tiennent les ciseaux (même nom pour l'outil du sculpteur et celui de la couturière ...), qui caressent l'enfant et qui se tendent chaque matin vers Jerry Gorovoy, l'assistant et l'ami qui apparait chaque matin vers 10 heures. Une venue qu'elle célèbre en imprimant sur du papier à musique ses bras recouverts de peinture rouge et en réalisant une série de gravures rehaussées à la gouache rouge : 10 AM WHEN YOU COME.
Mes yeux s'écarquillent sur un poème :
I had gone back to
Antony with my children
to see the house where I had grown up
and where the river Bièvre flowed
through the backyard.
But the river was gone.
Only the trees that my father had planted
along its edge
remained as witness.
to see the house where I had grown up
and where the river Bièvre flowed
through the backyard.
But the river was gone.
Only the trees that my father had planted
along its edge
remained as witness.
Je découvre avec stupéfaction cette Ode à la Bièvre, composée en 2002, accompagnée d'une sorte de série de "dessins textiles", à partir de tissus découpés puis brodés qui pourraient être reliés en un livre étant donné les 4 anneaux apparents sur le côté. La surprise ne tient pas tant à ce patchwork délicat aux motifs abstraits qu'au fait que je connais la Bièvre, qui coule à côté de chez moi, et dont je savais la réputation historique (le fort taux de tanin de la Bièvre était bon pour les travaux sur la laine et aidait à fixer les colorants).
Je suis revenue à Antony avec mes enfants pour revoir la maison où j’ai grandie et la rivière qui traversait le jardin. Mais la rivière avait disparu. Ne restaient que les arbres que mon père avait plantés sur ses rives, demeurant là comme uniques témoins.
On ne peut que souhaiter le prolongement de cette action sur Antony, avec le réaménagement des abords de ses affluents, permettant à la maison de la famille Bourgeois, 11 avenue de la Division Leclerc, (en plein centre ville, face au cinéma le Sélect) de retrouver les bords de sa rivière.
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