J’avais reçu le livre avec une dédicace désarmante qui m’a donné envie de l’ouvrir. Après, c’est le traitement du sujet qui m’a persuadée de poursuivre. Entre caricature et déclaration d'amour Marie Lebey évoque sa mère avec une large palette de sentiments.
J’ai très vite été séduite par la liberté de ton avec laquelle elle fait surgir une femme haute en couleurs, dont la personnalité fantasque en faisait un personnage romanesque idéal. Pourquoi aller chercher l’inspiration très loin alors qu’on a un sujet à portée de main ?
Ceux qui pensent que l’auteure se livre à un règlement de comptes se trompent, tout autant que ceux qui s’imaginent qu’elle a trouvé là le moyen de faire une forme de psychothérapie. Cette maman n’est certes pas maternelle, au sens où on l’entend, mais il y a après tout de multiples formes de maternité. Serait-il capital de focaliser sur les anniversaires et les bonnes tartes aux pommes ?
On peut d’ailleurs estimer que cette forme de carence autorise en revanche davantage de liberté, ce qui ferait paradoxalement moins de dégâts que les comportements des mères qu’on dit « abusives » et qui laissent peu de marge à leur progéniture. Certaines femmes sont mères à leur manière et Marie Lebey est reconnaissante à la sienne de lui avoir transmis le goût de l’écriture.
En premier parce que la littérature est une voie idéale pour exorciser le chagrin. Des chagrins elle n’en a pas manqué, perdant son père, puis sa sœur (p. 71 : quand on perd un enfant on n'a plus la force de s'attacher aux survivants). Elle intégra une peur permanente de l’abandon. La guerre est une autre de ses obsessions : c'est le ciment de ce que je suis vraiment. Tout sauf ça !
Les trentenaires ne comprendront peut-être pas mais cette parole de Marie fait écho à mon propre ressenti. Nos familles sont également originaires du Nord de la France où les combats ont été très meurtriers. Combien de fois m'a-t-on jeté à la figure sur un ton à mi-chemein entre reproche et soupir "on voit bien que t'as pas connu la guerre" ... la Seconde, si c'était dans la bouche de ma mère, la Première si c'était dans celle de ma grand-mère, et même celle d'encore avant dans le regard de mon arrière-grand-mère !
Chaque famille traverse différemment ces périodes de trouble, en général sans s'apitoyer sur le moment. Il ne faut pas perdre une miette d'énergie. Mais après ... il me semble qu'on lâche toute l'angoisse sur la descendance. Petite je voyais les photos d'époque en sépia et blanc. Les combats me semblaient aussi lointains que les batailles napoléoniennes ou les boucheries moyenâgeuses.
La diffusion de films du débarquement en Normandie (où vit une autre moitié de ma famille), les reconstitutions d'Un long dimanche de fiançailles par Jean-Pierre Jeunet, une visite du Musée de l'Arc de Triomphe où j'ai vu les aquarelles faites par les Poilus dans les tranchées ... et j'ai soudain réalisé que tout "ça" avait existé de manière aussi palpable que mon quotidien. La couleur fut à ces évènements ce que le son est à un film d'horreur.
Ce sont des images qui font sentir la chair, toutes les odeurs bouleversantes des combats. Marie ne les écartent pas mais elle a beaucoup d'autres images à partager avec ses lecteurs et c'est ce qui rend son livre si vivant, et souvent très drôle. Il faut lire sa narration de la compétition des petits chevaux (p. 94), entendre ses questions d'enfant, comme celle-ci : la petite souris ne passe pas pour les règles ?
Elle s'exprime sans tabou, proposant à un éditeur (qui refuse par frilosité) de se pencher sur le vademecum J'enterre mes parents (p.18) à l'instar de J'élève mes enfants de Laurence Pernoud. Elle n'élude aucune question : J’aurais été incapable d’élever des filles, mais le problème ne s’est pas posé puisque je n’ai eu « que » des garçons. Tout de même trois, et qui lui ont demandé une belle vitalité.
Mouche’ avec une apostrophe, comme un trait d’eye liner ou un grain de beauté sur le visage … voilà un surnom plutôt élégant pour une grand-mère, car il va de soi que, petite, Marie n’appelait pas sa mère ainsi.
Si l’on pointe l’origine belge de Mouche’ c’est parce que les habitants de ce pays font facilement preuve de poésie burlesque très naturalistique. Je le remarque dans l’écriture de Nadine Monfils. Je comprends donc tout à fait comment cela peut se traduire dans la vie courante et familiale.
Cette femme est (elle se porte à merveille) est férue de littérature et la constante comparaison de Marie Lebey avec Mme Verdurin m'a soufflé l'idée de la soumettre à un questionnaire proustien.
Si vous étiez une couleur ? Le rose
Il suffit de la regarder pour mesurer la sincérité de sa réponse. Pull et gilet sont en superpositions d'un camaieu de roses, ses ballerines chanellisantes sont rose dragée ... même les pendants d'oreilles sont assortis. Et on s'amuse de la coïncidence puisque je porte la même couleur.
Une chanson ? un air composée par Michel Legrand
Un film ? Truffaut
Un personnage célèbre ? Zelda Fitzgerald
Un animal ? un chat
Une destination ? les lacs italiens
Un plat cuisiné ? un yaourt grec nature
Les qualités que vous appréciez ? le courage et la fidélité
Le défaut que vous ne supportez pas ? la lourdeur
Pas de doute que le titre de Mouche' convient parfaitement à la personnalité de l'auteure qui prépare déjà un nouvel opus sur le thème du don juanisme ... au féminin bien entendu. On attendra patiemment.
Mouche' de Marie Lebey aux Editions Léo Scheer, 2013
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