Publications prochaines :

La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

mardi 28 mars 2023

Quatre heures, vingt-deux minutes et dix-huit secondes de Lionel Shriver

J’avais entendu dire beaucoup de bien de Quatre heures, vingt-deux minutes et dix-huit secondes de Lionel Shriver. Alors, forcément, je l’avais inscrit dans la (très longue liste des livres à lire).

J’ai démarré, comme on dit, bille en tête, et vaillamment, malgré un sujet qui ne m’affole pas. Sans afficher une mauvaise foi comparable à celle de Winston Churchill qui prétendait être en bonne santé parce qu’il ne pratiquait aucun sport, je sais que, à forte dose, cette activité créé plus de dégâts qu’elle ne procure de bien-être.

En cela je me trouvais plutôt en phase avec le propos de l’auteure, une américaine qui dénonce le refus d’accepter de vieillir, que l’on croit combattre par le culte du corps. Cette posture est sans doute plus visible aux USA que chez nous mais je connais tout de même des français pour qui le triathlon est devenu l’équivalent d’une drogue et qui ont pourri leurs relations familiales en y consacrant tout leur temps libre, sans parler de l’investissement financier qui en découle. Et j’approuve l’idée que le sport d’endurance organisé soit une industrie (p. 169).
Un beau matin, Remington fait une annonce tonitruante à son épouse Serenata : cette année, il courra un marathon. Ce sexagénaire certes encore fringant mais pour qui l'exercice s'est longtemps résumé à faire les quelques pas qui le séparaient de sa voiture mettrait à profit sa retraite anticipée pour se mettre enfin au sport ? Belle ambition ! D'autant plus ironique que dans le couple, le plus sportif des deux a toujours été Serenata jusqu'à ce que des problèmes de genoux ne l'obligent à la sédentarité.
Ce qu’elle a pris pour une passade devient une passion et les week-ends sont désormais consacrés à l'entraînement, sous la houlette de Bambi, la très sexy, très autoritaire (et très coûteuse) coach. Le mari, jadis débonnaire et volontiers empoté, a laissé place à un être arrogant et impitoyable. Remington et Serenata pourront-ils continuer la route ensemble ?
Le lexique employé par Lionel Shriver a beau être riche d’expressions n’appartenant qu’au monde sportif, je n’ai pas appris grand chose. Je savais que si la longueur d’un marathon est de 42, 195 km c’est parce que c’est la distance séparant la ville de Marathon d’Athènes (p. 52) et très franchement peu m’importait d’apprendre que le meilleur temps a été choisi comme titre pour ce roman.

J’ai trouvé Serenata fort sympathique et j’ai admiré toutes ses idées plus ou moins extrêmes pour inventer de nouveaux concepts, qui restent secrets. A titre d’exemple, elle fait remarquer à son beau-père que l’épuisement est devenu une industrie. Imaginez un peu, tout ce bois que vous manipuliez et ces poutres métalliques que vous hissiez autrefois, vous pourriez maintenant demander aux gens de le faire à votre place, et même leur demander de vous payer pour ce privilège. Il suffirait de changer « chantier de construction “ en “salle de sports ». Et elle ajoute qu’on pourrait appeler cette nouvelle discipline Ereksion avec un k pour plus de modernité (p.62).

Ce n’est pas faux. Pas plus que de pointer qu’autrefois, quand on voulait attirer les touristes, on créait un salon du livre alors qu’aujourd’hui il n’y a pas une ville qui ne parraine un marathon (p. 104).

Le style est mordant, vif, à l’humour teinté de noirceur et d’acidité. Les personnages sont très vivants, y compris les enfants du couple, dont les parents ont conscience qu’ils sont de vrais cas sociaux (p. 97).

Mais voilà, 480 pages extrêmement dialoguées ont représenté pour moi un marathon littéraire. Je me suis essoufflée. J’ai lâché à mi-chemin malgré de très grandes qualités qui en feraient une trame formidable pour une adaptation cinématographique.

J’ai déclaré forfait avant de savoir si, au moment de la retraite, le couple était, ou non, soluble dans le sport.

Quatre heures, vingt-deux minutes et dix-huit secondes de Lionel Shriver, traduit de l’anglais par Catherine Gilbert, Belfond, 2021

lundi 27 mars 2023

Millésimes Alsace DigiTasting® 2023 #8 Dégustation Véronique & Thomas Muré avec Véronique Muré

J’avais choisi le domaine de Véronique & Thomas Muré parce que j’avais, l’an dernier, découvert et apprécié ses vins. Vous pouvez d’ailleurs lire l’article que j’ai écrit à leur sujet en suivant ce lien.

Pour cette édition ils avaient retenu les 4 AOC Alsace suivants, tous en biodynamie :
44 A - Alsace Grand Cru Vorbourg Riesling 2020 Clos Saint Landelin 
44 B - Alsace Grand Cru Zinnkoepfle Riesling 2020
44 C - Pinot noir Clos Saint Landelin Millésime 2020 
44 D - Muscat Vendanges Tardives Clos St Landelin Millésime 2017 

Un premier souci provient du Muscat Vendanges Tardives Clos St Landelin  2017 parce que hélas le flacon a refermenté au cours du transport et s’est avéré imbuvable. C’était pourtant une offre très tentante car la demande est forte sur le Muscat qui, contrairement à l’image qu’on en a, peut être un vin sec. C’est un cépage capricieux, confie Véronique Muré, qui n’est pas produit tous les ans. Ce millésime 2017 (à propos duquel je la crois volontiers quand elle le qualifie d’exceptionnel et que les bouteilles de 75 cl n’ont aucun souci de conservation) a été obtenu à partir de raisins pastillés promettant des arômes de fleur d’oranger.

Il se trouve que les échantillons du coffret 2023 comportent deux mêmes Rieslings que ceux du coffret 2022. Bien entendu les millésimes diffèrent mais je ne peux pas rédiger une publication très originale à leur sujet.

 

Il n’empêche que ma préférence se confirme pour le Riesling Alsace Grand Cru Vorbourg, Clos Saint Landelin (bouteille de gauche) découvert l’an dernier millésime 2019, et cette fois-ci 2020. C’est un vin élancé, moins vertical que se révélera l’autre échantillon de Riesling, l’AOC Alsace Grand Cru Zinnkoepfle 2020 (bouteille de droite). Le terroir très caillouteux, mais sans la présence de grès, est composé d’argiles qui apportent de la puissance. Il restera longtemps fruité alors que le coté pétrolé des vieux Rieslings se sentira dans quelques années sur le Zinnkoepfle.

Précisément, celui-ci est d’une typicité différente, assez vertical, aérien mais témoignant d’une belle longueur, avec des arômes de verveine, de tilleul et de petites herbes comme tous les millésimes obtenus sur ce terroir (alors que le millésime 2019 était néanmoins davantage sur le zeste).

Ce 2020 est plus ouvert, plus charmeur, avec ce côté fin et élégant qui se retrouve généralement sur un terroir gréseux. Je rappelle que, atteignant 440 mètres d'altitude c'est le grand cru le plus élevé d'Alsace. Les vignes sont installées sur un sous-sol calcaire parcouru de quelques veines de grès rose, le même que celui des pierres de la cathédrale de Strasbourg.

La belle exposition plein sud permet une belle maturité mais tout en conservant la forte acidité du calcaire.


La nouveauté venait du choix de l’échantillon de Pinot noir, Millésime 2020 Clos Saint Landelin (contre le Pinot Noir 2018 Lutzeltal pour la première édition de Digitasting).

L’occupation allemande a orienté les vignobles alsaciens sur les blancs mais il y a un très beau terroir de rouges à Rouffach avec des vignes de 40-45 ans qui se plaisent sur le calcaire. La présence d’un peu d’argile dans le sol piège l’eau et constitue un atout. 

Il demeure essentiel de garder un bon niveau d’acidité et de favoriser les arômes de fruits rouges. Ce millésime 2020 est prometteur. Il est encore « bébé » convient la vigneronne.


dimanche 26 mars 2023

Sur les chemins noirs de Denis Imbert

Il s'appelle Paul mais on sait tous qu'il s'agit de Sylvain Tesson, qui a écrit le récit autobiographique de sa traversée de la France à pieds Sur les Chemins Noirs alors qu’il était convalescent de la chute qu’il avait faite deux ans plus tôt, une chute qui n’était pas un accident au sens propre du terme, ce qu’il reconnaît lui-même en interview avec humilité en mesurant la chance dont il a bénéficié.

Homme de défi tout autant que d’écriture, Sylvain Tesson multiplie les expériences de vie extrêmes. Il a pris l’habitude depuis l’enfance de dormir à la belle étoile et ce qui serait impossible pour le commun des mortels ne l’effraie pas. Il a passé des mois sur le lac Baikal, en Sibérie, le temps d’écrire Dans les forêts de Sibérie, qui a fait l’objet d’une pièce de théâtre qui fut longtemps à l’affiche du Poche Montparnasse après avoir été créée à la Huchette).
Pierre, un célèbre explorateur et écrivain, voyage régulièrement à travers le monde en quête d’aventures. Un soir, il escalade la façade d’un hôtel, ivre, et fait une chute de plusieurs étages. Le choc le plonge dans un coma profond. À son réveil, alors qu’il tient à peine debout et contre l’avis de tous, il décide de parcourir la France à pied en empruntant les chemins oubliés. Un voyage unique et hors du temps à la rencontre de l’hyper-ruralité.
Tel est le synopsis, et c’est là que le bât blesse parce que, hormis une séquence montrant le marcheur en empathie avec un jeune homme (Dylan Robert), on le voit seul, sans grande émotion, sans aucun regret de son geste fou, très auto centré, profitant sans état d’âme de la gentillesse d’une fromagère … On ne peut pas dire que ce film célèbre la ruralité même si plusieurs plans sont d’une beauté magnifique.
L’émotion par contre est visible dans le regard de sa tante (Anny Duperey), ou celui de sa petite soeur (formidable de naturel Izïa Higelin) et bien entendu chez son ex-petite amie (Joséphine Japy) qu’il avait entraînée à escalader des parois abruptes en l’encourageant d’un « tu vas y arriver » encore une fois égoïste. S’agissant soit-disant d’une fiction on aurait pu développer un point de vue écologique, humaniste … et pas limiter seulement le film à nous montrer un homme qui marche dans les pierriers. On se demande d’ailleurs comment il faut pour éviter toutes les villes. A croire que la France est un désert, sur le plan humain.

On sait bien que la marche peut être rédemptrice, mais à condition d’être différent à l’arrivée. Je n’ai pas perçu ce changement. A tel point que l’homme parvient à destination sans avoir usé ses vêtements ni sali sa chemise d’une blancheur que personnellement je n’ai jamais réussi à conserver plus de 48 heures. C’est un des paradoxes du cinéma qui m’agace, à l’instar des valises que les acteurs portent sans que leur bras ne soit tendu par leur poids, en toute logique puisque l’accessoiriste n’a pas songé à lester ces valises et qu’elles sont vides.
Jean Dujardin a volontairement décidé de faire ce film puisqu’il le co-produit. Il interprète le rôle avec finesse mais il a beau pencher la tête sous la casquette, son physique est celui d’un athlète. Il n’a pas le corps de Sylvain Tesson dont la fragilité (apparente) n’est pas rendue malgré un maquillage suggérant à la perfection la cicatrice qui lézarde sa joue.

Les minutes passent, un peu longues, dans une atmosphère artificielle. Et pourtant on sait que l’histoire est vraie, que cette traversée a bien eu lieu. Elle était sans doute nécessaire pour Sylvain Tesson. Moins pour nous.

Sur les chemins noirs de Denis Imbert, avec Jean Dujardin, Izïa Higelin, Josephine Japy, Anny Duperey, Dylan Robert …
Produit par Radar Films
Sur les écrans depuis le 22 mars 2023
Photos © Thomas Goisque ou © 2021-Radar Films-La Production Dujardin-TF1 Studio-Apollo Films Distribution-France 3 Cinéma-Auvergne Rhône Alpe Cinéma

vendredi 24 mars 2023

Millésimes Alsace DigiTasting® 2023 #7 Dégustation du coffret découverte Domaine Frédéric Mochel avec Guillaume Mochel

Voilà une autre découverte du salon, avec le Domaine Frédéric Mochel qui est en conversion biodynamie.

C'est avec Guillaume, le fils de Frédéric, et qui représente la XIV° génération de vignerons depuis 1669, que je découvre les 4 AOC Alsace qui ont été sélectionnés :
43 A - Alsace Grand Cru Altenberg de Bergbieten Millésime 2021 Riesling Cuvée Henriette
43 B - Alsace Grand Cru Altenberg de Bergbieten Millésime 2017 Riesling Cuvée Henriette
43 C - Millésime 2021 Muscat 
43 D - Millésime 2018 Pinot Gris

Commençons avec le Muscat, Millésime 2021, parce que c'est le plus sec mais aussi léger, très aromatique. C'est un vin qui titille la langue, avec une belle acidité en finale. Qui lui aussi, (à l'instar du Pinot blanc 2021 du Clos des Terres Brunes ) se verrait bien servi avec des asperges. Mais aussi à l'apéro et sur des fruits de mer.

Les vignes prospèrent sur des marnes argileuses, dans des sols profonds et riches. Celles de Riesling sont plutôt sur des marnes à gypse, lequel donne des vins fringants avec beaucoup de fraicheur. L'ensemble du domaine comporte peu de sols calcaires.

Ensuite l'Alsace Grand Cru Altenberg de Bergbieten Millésime 2021 Riesling Cuvée Henriette, qui témoigne d'une très franche acidité, bien marquée malgré le gras. Il a davantage de concentration, de complexité aromatique.  Comme on le sait, 2021 est un millésime complexe en raison de l'humidité de cette année-là (alors que 2022 est marquée par al canicule) mais on remarque malgré tout une belle tension en fin de bouche. C'est un vin à garde encore quelques années.

Le même, millésime 2017 est plus classique. C'est un millésime plutôt frais, sur un profil toujours sec et droit, avec une pointe de minéralité. Il a un côté ample, avec une belle trame mais on a encore les arômes floraux.

Guillaume Mochel me fait observer que malgré ses 5 ans d'âge, s'il n'a pas encore de côté pétrolé c'est parce que ces arômes là mettent plus de temps à apparaitre quand les vignes poussent sur des sols marneux, comparativement aux sols calcaires.

Enfin le Pinot Gris dont l'étiquette est une jolie idée.
Il révèle, et c'est logique, davantage de surmaturité qui en ferait presque un vin de dessert et on pense aussitôt à une tarte. On croirait même percevoir une note de litchi.

Le Domaine Mochel est situé au début de la Route des vins, dans le prolongement de la Vallée de la Bruche. Il bénéficie d'un micro-climat favorable et d'un ensoleillement optimal sans ombre portée par les Vosges.

Son terroir de marnes, et de marnes à gypse sur le Grand Cru est un atout pour ses Rieslings qui représentent un tiers de sa production.

jeudi 23 mars 2023

Millésimes Alsace DigiTasting® 2023 #6 Dégustation Cave de Ribeauvillé avec David Jaegle

Quelle chance d’avoir pu discuter avec David Jaegle car c’est un homme très occupé, dont j’avais fait la connaissance à Vinexpo Paris il y a quelques semaines.

Nous avions fixé cet entretien juste à son retour de ProWein (Düsseldorf) qu’il avait enchainé après un séjour de dix jours en Californie. Voilà la preuve que DigisTasting a son intérêt si on veut pouvoir discuter avec certains spécialistes grands voyageurs.

David Jaegle est un enfant du pays. C’est peu dire qu’il connait parfaitement le (les) Rieslings. Il a fait ses études en 1992, est entré à la Cave en 2017 et y est récemment devenu le Directeur général.

La Cave de Ribeauvillé a été créée en 1895 par 44 vignerons pour faire face à la crise qui frappait l’Alsace depuis le rattachement à l’Allemagne en 870. Elle a fait preuve d’une grande stabilité puisque le nombre d’adhérents a peu varié (41 aujourd’hui) et que 20% des noms de famille sont restés les mêmes. C’est une « petite » structure, par sa taille (comptant 21 salariés), d’esprit familial, grande par sa notoriété car on y travaille d’une façon plus proche d’un domaine que d’une cave. Tout le monde y partage une même passion et passe beaucoup de temps ensemble, y compris leur temps « libre ».

Elle n’achète ni raisin, ni vin, et se limite donc aux raisins de ses membres, ce qui lui permet de conserver le statut de récoltant. Qui plus est les vendanges sont exclusivement manuelles, et pour le moment en conversion bio à hauteur de 30%.

Elle produit chaque année 74 vins différents : 15 Rieslings, 7 Pinots Gris, 9 Gewurtztraminers … tous différents, et réalisés en fonction d’une sélection parcellaire très forte, identique d’année en année afin d’assurer une continuité des vins. Elle peut stocker 2 à 4 millions de bouteilles en vieillissement.

Leur œnologue aura été la première femme à exercer ce métier dans une grande structure dans la fin des années 80. EN 2001 tous les apporteurs de raisin ont signé une charte qualitative.

Les quatre vins proposés sont tous HVE ;
AOC ALSACE, Millésime 2018 Riesling Muhlforst
AOC ALSACE Grand Cru Osterberg, Millésime 2019 Riesling
AOC ALSACE, Millésime 2017 Complantation Clos du Zahnacker
AOC ALSACE, Millésime 2019 Pinot noir Rodern


 1- AOC ALSACE, Millésime 2018 Riesling Muhlforst :

Malgré son antériorité d’un an, on déguste en premier ce Riesling parce que la puissance aromatique et la longueur du Grand Cru Osterberg, Millésime 2019 Riesling seront plus puissantes.


J’ai commencé sur son indication par le Riesling Muhlforst Millésime 2018, fruit d’une viticulture durable, pas encore labellisée bio, pas encore un Premier Cru, d’où l’importance des lieux-dits pour désigner les différents vins.


Il provient de vignes qui poussent sur le sommet d’une colline séparant Ribeauvillé de Hunawihr, à 150 mètres du lieu-dit Le Rosacker, sur la commune de Hunawihr, qui donne le réputé Alsace grand Cru Rosacker.


Il présente l’essence même de ce qui caractérise le Riesling, les arômes d’agrumes, en toute logique puisque le vigneron cherche avant tout à révéler les arômes primaires (seul le Pinot noir connait une fermentation malolactique). Il fait preuve d’une acidité bien trempée et d’une minéralité qui le conduit directement sur le registre de la gastronomie.


Le rendement est de l’ordre de 50 hl/ha et la production annuelle d’environ 8000 bouteilles.


2 - AOC ALSACE GRAND CRU OSTERBERG, Millésime 2019 Riesling :

2019 est une très belle année en terme de concentration. Il est un des trois grands crus de la commune. Le vignoble est installé sur une colline où paissaient autrefois des chèvres. Il profite d’une exposition exceptionnelle, plein Est, donc ensoleillé tôt le matin en été et relativement à l’ombre l’après-midi, sans doute le secret de son acidité noble et complexe, et de sa minéralité relativement précise comparativement aux deux autres vins blancs du coffret. De plus, les vignes bénéficient d’une climatisation naturelle produite par les vents vosgiens qui rafraîchissent le village et ses vignes.


Le rendement est de l’ordre de 45-47 hl/ha.


Les notes pétroles caractéristiques d’un vieux Riesling commenceront à apparaître d’ici 6-8 mois. David Jaegle m’a appris à cet égard qu’il n’est pas envisageable de commercialiser de telles bouteilles sur le marché allemand où un vin blanc ne peut pas excéder deux ans d’âge.


3 - AOC ALSACE, Millésime 2017 Complantation Clos du Zahnacker :

J’étais fort intriguée par ce terme de Complantation et j’ai appris que c’est l’art de conduire ensemble différents cépages mêlés dans une parcelle de vigne jusqu’à pouvoir les récolter et vinifier ensemble, à la différence de l’assemblage qui regroupe des raisins vinifiés séparément. C’est une pratique ancienne que l’on rencontre ici ou là en Alsace et qui mérite de subsister puisque la notion de terroir prime sur celle de cépage. Toutefois cette méthode réclame évidemment beaucoup de travail.


Le Clos du Zahnacker est un des plus anciens vignoble d’Alsace, déjà réputé au VIII° siècle. A ce moment là on plantait jusqu’à une vingtaine de cépages sur une même parcelle pour avoir la garantie d’obtenir une récolte. Cette pratique avait aussi cours dans d’autres régions de France. La Cave de Ribeauvillé a acheté ce Clos en 1932 et a retenu Riesling, Pinot Gris et Gewurtztraminer qui correspondent le mieux au sol, avec une majorité de Riesling car il est adapté à cet ensoleillement plein est.


Un morceau d’histoire de France figure sur l’étiquette de la bouteille rappelant la venue de Louis XIV à Ribeauvillé en 1673.


2017 montre moins d’acidité. On profite du velouté du Pinot gris et de la longueur en bouche du Gewurtztraminer. C’est un vin assez unique, susceptible d’enthousiasmer et de provoquer la fidélité par sa complexité et son intérêt gustatif.


La parcelle ne fait que 1,24 ha et la production annuelle n’est que de 4000 bouteilles. Ce millésime 2017 sera à la vente à partir de cet été, à un prix voisin de 30€ la bouteille.


4 - AOC ALSACE, Millésime 2019 Pinot noir Rodern :

Ce Pinot a été sélectionné pour figurer dans le coffret So Trendy où il représente la tendance Rouge, preuve de sa valeur. Je vous renvoie donc à ce que j’ai écrit dans la publication correspondante.


Le terroir est plutôt argilo-calcaire. Les raisins macèrent 11-13 jours en cuves robotisées. Le débourbage est statique; La malo fermentation ne cherche pas le boisé mais le fruit. C’est un des vins dont la Cave peut être la plus fière.


Il y a effectivement une note vanillée en fin de bouche (parfois de muscade) provenant des demi-muids de 3-8 ans dans lequel le vin aura séjourné.


Pour finir le directeur de la Cave a souligné la différence de perception entre marché français et étranger concernant le Riesling. Ainsi, à l’exportation aux USA il est nécessaire de préciser qu’il s’agit d’un vin blanc sec. Le mot Dry figure à l’arrière, sur l’étiquette mais il est envisagé de le mentionner carrément sur l’étiquette principale. Il faut reconnaître que si on remonte en arrière il y a eu des Riesling sucrés, ce qui est un non sens.


Son mot de la fin : le vin est un produit d’égoïste à partager à plusieurs (égoïstes).

lundi 20 mars 2023

Paris-Briançon de Philippe Besson

L’habitude s’est perdue mais nous prenions autrefois régulièrement des trains de nuit pour effectuer de longs trajets. Si bien que, même s’il demeure actuellement seulement six lignes en service, tous au départ de la gare de Paris-Austerlitz, il est plutôt original de retenir pour sujet un voyage Paris-Briançon à bord de l’Intercités n°5789.

Philippe Besson a sobrement choisi Paris-Briançon comme intitulé, sans aucune indication de genre, et nous allons suivre sous son œil le parcours emprunté en avril 2021 pour relier les deux villes. Nous partagerons quelques heures avec une dizaine de personnes, rassemblées par le hasard.

Quiconque aura souvent emprunté la SNCF sera bien d’accord : l’enfermement et la promiscuité (en quasi huis-clos) sont propices aux confidences que l’on ne se ferait habituellement pas entre inconnus. Alors, ces femmes et ces hommes vont, au fil des heures, nouer des liens, laissant l’intimité et la confiance naître, les mots s’échanger, et les secrets aussi. Derrière les apparences, se révèleront des êtres vulnérables, victimes de maux ordinaires ou de la violence de l’époque, des voyageurs tentant d’échapper à leur solitude, leur routine ou leurs mensonges.

Le roman relève presque du documentaire, si bien qu’on apprend (ou qu’on révise) beaucoup de choses, sur l’histoire de France, sur l’évolution socio-économique du pays, et même sur le climat car Philippe Besson a raison de le souligner (p. 124), cette année 2021 fut très pluvieuse et les vendanges n’auront été sauvées que grâce à quelques semaines d’ensoleillement formidable à la fin de l’été. Ils ont été plusieurs vignerons à me le rappeler au cours des entretiens que j’ai menés dans le cadre du Millésimes DigiTasting alors que je poursuivais cette lecture.

L’approche du Creusot rappellera des souvenirs de Lutte ouvrière à la syndicaliste et le site de Cluny parlera à l’étudiante. Nombre de références nous parlent. Nous aurions pu les faire spontanément si nous avions été à bord. Qui n’aurait pas songé à l’intention d’Alain Bashung de sauter à l’élastique du côté de Die (p. 132) ? On a tous en tête la musique de ce chanteur (1998) disant mentir la nuit la nuit à travers la plaine.

Les passagers, eux, en profitent pour arrêter de se fourvoyer alors que le train progresse au pied du Vercors, à moins qu’ils ne reculent, préférant revenir à ce qu’on nomme le droit chemin (p. 128). Car, l’auteur pointe cette observation que le mensonge, parfois, est moins périlleux que la vérité nue. L’aveuglement, parfois, vaut mieux que la lumière crue (p. 126).

C’est presque aussi un thriller puisqu’on ne nous fait pas grâce de croire que tout ira bien. La quatrième de couverture nous a mis en garde : Ils l’ignorent encore, mais à l’aube, certains auront trouvé la mort.

Accident, homicide consécutif à la folie d’un homme…, le lecteur n’a pas d’indice, malgré un nom cité au début de l’histoire et qui resurgit (p. 133) alors qu’on l’avait oublié et quelques interrogations sybillines plutôt opaques comme celle-ci (p. 114) comment deviner qu’elle ne s’y présentera pas … (sous-entendu à l’arrivée) ? Ou encore l’évocation du lac artificiel de Serre-Ponçon, qualifié de magnifique pour les uns, effrayant pour d’autres, qui permet de distiller quelques ondes négatives, sur lesquelles je ne me suis pas attardée parce que j’ai trop de beaux souvenirs associés à Savines-le-Lac.

C’est également un roman sociétal en ce sens que l’auteur y traite les thèmes du combat politique, idéologique, des modes de vie, d’un siècle où pour accepter la fatalité, que d’aucuns nommaient autrefois destin, il est impératif qu’il soit positif. Philippe Besson ne nous épargnera pas (p. 176) les poncifs d’une époque accusatoire, où il faut nommer des coupables, souvent sans preuves, les traîner dans la boue, les offrir à la vindicte populaire, et qu’importe s’il est démontré in fine qu’ils n’y étaient pour rien. Quelqu’un doit payer, quelqu’un doit prendre la colère comme on prend la foudre (…) afin que tous les autres puissent se croire irréprochables.

Quand je lis que l’audace et l’irrévérence ont un prix (p. 145) je pense à Sylvain Tesson et au parallèle que l’on pourrait faire avec une autre traversée de la France, mais en sens inverse et de façon quasi-solitaire que l’on peut voir au cinéma en ce moment. Sur les Chemins noirs fera l’objet d’une prochaine critique.

Ce sont des reproches tout à fait minimes, mais j’aurais apprécié de disposer d’une carte pour mieux me repérer. La liste des personnages aurait également facilité les choses tant ce livre tient parfois du théâtre même s’il n’est pas excessivement dialogué.

Philippe Besson a publié aux éditions Julliard une vingtaine de romans, dont En l’absence des hommes, prix Emmanuel-Roblès, Son frère, adapté au cinéma par Patrice Chéreau, L'Arrière-saison, La Maison atlantique, Un personnage de roman, Arrête avec tes mensonges, prix Maison de la Presse, en cours d’adaptation au cinéma, et Le Dernier Enfant.

Paris-Briançon de Philippe Besson, éditions Julliard, publié le 6 janvier 2022, édité en Pocket le 5 janvier 2023

dimanche 19 mars 2023

Millésimes Alsace DigiTasting® 2023 #5 Dégustation Domaine Weinzaepfel avec Audrey Weinzaepfel

J'avais rencontré Audrey Weinzaepfel à la manifestation Alsace Rocks et j'avais été emballée par sa fougue et sa manière d'expliquer le travail de la vigne. Il était donc évident que je sélectionnerais le domaine qui est totalement en conversion pour Digitasting 2023 (sachant que c'est leur première participation au salon et je leur souhaite sincèrement de trouver un exportateur par cette entremise).

Situé à Soultz, au sud de la route des Vins d'Alsace, le domaine avait cessé toute vinification pendant trente ans. L'activité a repris en famille sous l'impulsion de son frère Loïc qui initia la conversion en bio en 2018.

Père, mère, fille et frère travaillent de concert. Audrey elle aussi est mobilisée par les vendanges à cette période de l'année bien que ce ne soit pas son activité principale sur le domaine.

Le coffret comprenait des échantillons, tous AOC ALSACE et Cuvée W (ce qui explique que les bouteilles se ressemblent en terme d'étiquetage, siglées d'un grand W, fort élégant au demeurant) :
- 70 A - Riesling Millésime 2020
- 70 B - Riesling Mittelbourg Millésime 2021
- 70 C - Pinot gris Mittelbourg Millésime 2020
- 70 D - Gewurtztraminer Millésime 2020

En premier lieu, le Riesling Mittelbourg Millésime 2021 
commercialisé depuis peu parce qu'il restait des bouteilles 2020. Il a toutes les qualités du Riesling.Cette année fut difficile puisque le domaine a connu 95% de pertes.Audrey n'a pas du tout la même opinion qu'Antoine Schutz. pour elle le millésime compte beaucoup même si le but n'est pas de proposer des vins radicalement différents chaque année mais de susciter des émotions différentes.


De fait, le "même" Riesling en 2020 est très solaire, plus sucré, évoquant presque une Vendanges Tardives. Il est très solaire. C'était leur première vendange depuis la reprise des activités. La vinification opérée sans sulfite était déjà une prouesse en soi. Et on sait déjà que la cuvée 2022 sera exceptionnelle.


Les deux vins sont récoltés sur les mêmes parcelles de sols argile-calcaires limoneux où poussent des vignes vieilles de 85 ans, plantées par l'arrière-grand-père, avec un rendement très faible de 38 hl/ha (moins de 10 en 2021).


Place au Pinot Gris 2020 qui provient lui aussi de la parcelle du Mittelbourg, de vignes de 35-45 ans qui poussent sur une pente exposée plein sud, de 30% argilo-calcaire avec un peu de marnes.


Le vin présente beaucoup de tension tout en préservant les arômes de fruit. Je l'ai déjà apprécié et recommandé avec un boudin blanc à la truffe. Et vous pouvez lire ici mon analyse.


On fait quatre sélections et on enlève les doublons. On vendange en vert pour contrôler tous les pieds, n'hésitant pas à jeter du raisin par terre s'il y en a trop, ce qui est une des clés pour obtenir de bonnes maturités plus tôt qu'ailleurs. On devine combien le métier est stressant, mais Loïc a l'appui de son père pour obtenir des résultats pointilleux.


A tel point que lorsqu'il faut remplacer les ceps ils font leurs greffons eux-mêmes à partir de sélection massales et pas clonales.


Le domaine fut un des premiers en 2022 à vendanger le Crémant (le 22 août), sept jours avant l'ouverture officielle et sur dérogation.



Si certains Gewurtztraminer sont trop sucrés ce n'est pas du tout le reproche qu'on ferait à celui-ci qui est le premier commercialisé par le domaine depuis sa relance.


La première bouche est très gourmande mais son acidité est présente et la longueur est remarquable. Il provient de vignes de plus de 70 ans. Avec 46g de sucre par litre il aurait pu être revendiqué Vendanges Tardives mais ils ont préféré le déclasser parce qu'il a été vendangé le 24 septembre et qu'il n'y avait pas de présence de pourriture noble.


On le voit bien entendu sur un dessert, comme une petite tartelette de chocolat et de mûres. A signaler qu'Audrey développe des activités oenotouristiques originales et conviviales autour par exemple d'apéros gourmands.

samedi 18 mars 2023

Centième représentation de Alsacienne d'origine contrôlée au Musée Jean-Jacques Henner

J'avais terminé le festival d'Avignon l'été dernier, par le stand-up d'une artiste comme il y en a peu. Ultra douée en tout, mais pas nécessairement victorieuse dans tout ce qu'elle a entrepris, Catherine Sandner a décidé d'utiliser ses expériences comme matériau pour en faire un spectacle qui célèbre son Alsace natale.

Intitulé judicieusement Alsacienne d'Origine Contrôlée, le spectacle rencontre partout un franc succès auprès d'un public vite convaincu que l'Alsace n'est pas si difficile à comprendre qu'ils l'auraient cru.

L'artiste a choisi le cadre "alsacien", quoique parisien, du Musée Jean-Jacques Henner pour y jouer la 100 ème représentation dans le jardin d'hiver de cette maison atelier d'artiste dont la visite, en première partie de soirée, fut très enrichissante.

Les photos qui ont été prises de Catherine par la photographe de rue Monoursguimauve rendent hommage au cadre exceptionnel comme en témoigne celle que j'ai choisie pour illustrer ce billet, inspirée du tableau L'Alsace, elle attend, peint par Jean-Jacques Henner en 1871.
C'est Cécile Cayol, responsable du service des publics et de la programmation culturelle du musée, qui a lancé cette centième représentation, devant un public chaleureux, … avec une Catherine un peu tendue. C'est que la dame, qui a connu beaucoup de situations insolites (qu'elle raconte sans rien cacher) a tout de même un coeur "gros comme ça" et est obnubilée par le souci de (très) bien faire.
Sa personnalité exubérante est à l'aise dans une tenue traditionnelle, dont elle n'hésite pas à se dépouiller de la coiffe et du tablier pour redevenir une alsacienne, toujours authentique, mais plus abordable.

Elle a réussi à emporter l'adhésion de chacun, par son charme, son charisme, sa logique alsacienne, et son humour. Son état d'esprit est si positif qu'elle répugne à être mordante pour faire rire à tout prix. Et pourtant Gott sait combien elle est désopilante quand elle est méchante. Et peu nous importe que ce qu'elle dit soit vrai, pour qu'on partage son ironie. Toujours est-il qu'elle nous le certifie : aucun alsacien n'a été maltraité pour réussir la soirée.
Je ne raconterai pas les vannes qu'elle enchaine à un rythme d'enfer, ce serait au détriment de l'effet de surprise. Mais si vous y tenez absolument, allez lire ce que j'écrivais en sortant du Théâtre des Etoiles en juillet dernier.

Elle y sera de nouveau l'été prochain, à 13 h 45, un horaire idéal pour couper agréablement les journées marathon des festivaliers. Et puis elle est aussi le samedi soir à 18 h 30 au Paris de l'humour, 8 rue Pradier, dans le 19 ème arrondissement.

Je connais beaucoup de personnes qui sont allés l'applaudir plusieurs fois. Ils n'ont pas vu exactement la même chose car l'artiste peaufine ses sketchs sans relâche. 

Elle est aussi la générosité même. Faire sa connaissance vous mettra l'alsattitude à portée de main et -kirsch sur la soirée- vous mettra de bonne humeur pour plusieurs jours. Une telle promesse ne se refuse pas !

La photo qui n'est pas logotypée A bride abattue est de ©Monoursguimauve

vendredi 17 mars 2023

Millésimes Alsace DigiTasting® 2023 #4 Dégustation du coffret découverte Ruhlmann-Schutz avec Antoine Schutz

DigiTasting® permet de conforter des avis sur des producteurs mais aussi de faire des découvertes, parfois indépendantes de notre volonté comme c'est le cas avec ce coffret découverte du domaine Ruhlmann-Schutz

Ayant eu l'opportunité de faire connaissance avec Antoine Schutz à Vinexpo qui a exprimé d'emblée sa frustration de n'avoir pas pu faire un coffret plus grand.

En effet, il existe une multitude de terroirs sur Dambach (à 40 km au sud de Strasbourg, aux environs de Sélestat), permettant de faire :
+ des vins de tradition, pour chacun des 7 cépages alsaciens fondamentaux
+ des vins de terroir, avec une étiquette un peu plus haut de gamme
+ les grands crus, élaborés sur des terroirs plus noble qui mettent en avant le granit.

J'ai pu faire une photo des bouteilles retenues qui traduisent une unité iconique mais j'ai joué le jeu et n'ai dégusté les échantillons qu'au moment de notre conversation téléphonique.

Il y avait donc dans le coffret les 4 AOC Alsace suivants :
- 52 A - Riesling Cuvée Jean-Charles Millésime 2021 
- 52 B - Riesling Alsace grand Cru Frankstein Millésime 2019 
- 52 C - Pinot noir Millésime 2018 
- 52 D - Pinot noir Etoile de Rose Millésime 2021 

Nous commençons par le Riesling Cuvée Jean-Charles Millésime 2021. C'est le plus traditionnel, un vin de cépage correspondant à ce qu'on attend d'un Riesling, dans toute sa simplicité et qui ne décevra pas si on le commande en restauration. C'est-à-dire un vin sec, tout en fraicheur, bien équilibré en termes d'acidité, avec un joli nez parfumé et une belle longueur.

Il est le résultat d'un assemblage de plusieurs parcelles, choisies de manière à garantir une grande régularité pour cette cuvée Jean-Claude tout en laissant au millésime une petite part d'expression, mais minoritaire, car la philosophie de Ruhlmann-Schutz (à l'inverse de Weinzaepfel qui est la prochaine dégustation) est de préférer assurer le profil aromatique pour satisfaire une clientèle régulière qui achètera chaque année, et cela malgré les aléas climatiques éventuels.

Pour preuve, le millésime n'est mentionné que sur la contre étiquette, ce qui permet d'épurer la face avant de la bouteille. Il présente en outre un excellent rapport qualité/prix, vendu sur le site à 10,10 € la bouteille.

Il s'appelle Jean-Claude, du prénom d'un grand-père décédé prématurément.


Ensuite le Riesling Alsace grand Cru Frankstein Millésime 2019 qui, malheureusement a subi un souci au reconditionnement. Dommage mais c'est le risque en petit flaconnage. Les vignes s'enracinent très profondément dans le granit sur 2, 5 ha installés sur des pentes abruptes, en amphithéâtre composant un joli jardin de Riesling, Pinot, Gewurztraminer et Muscat, orienté sud/sud-est, entièrement vendangé à la main. La fraicheur est emmagasinée la nuit et restituée à la vigne en journée chaude.

Les vignes se plaisent sur ce sol et on retrouve la minéralisé typique du Riesling, avec des notes d'agrumes, mais aussi de poire, et une petite sucrosité qui en fait un vin d'exception.

A propos du réchauffement climatique, s'il entraine parfois des maturités plus précoces, le risque el plus grand concerne la sécheresse. Il faut cependant reconnaitre que les vignes sont bien adaptées au climat et qu'il n'est pas regrettable de laisser un peu de sucrosité aux vins (même si on ne peut pas aller jusqu'à 14° pour un Pinot gris). Les vignerons se trouvent donc obligés de récolter et de vinifier différemment pour maintenir l'équilibre entre sucre et alcool.

Mais il ne fait pas de doute qu'on plantera à moyen terme des cépages plus résistants, peut-être la Syrah … Pour le moment le réchauffement profite au Pinot noir.

C'est précisément un Pinot noir Etoile de Rose Millésime 2021 qui est ensuite dégusté. Ce noir, vinifié en blanc, est d'une couleur rosée unique. On est surpris par la sucrosité puis arrive une superbe acidité qui contrebalance cette douceur. Le bouquet est fin et minéral, mêlé aux arômes délicats de fruits rouges, typiques du cépage Pinot Noir. A servir très frais.

L'Etoile de Rose existe depuis 25 ans et c'est un des grands vins de création de la maison. Il a été créé de manière fortuite, une année d'abondance en Pinot noir alors que le domaine ne disposait pas suffisamment de cuves pour la macération. Il aurait fallu se résigner à récolter une parcelle plus tard. Mais c'était sans compter les oiseaux qui menaçaient de tout grignoter. Les grains ont alors directement été pressés et laissés dans la cuve. la fermentation s'est arrêtée toute seule. Le résultat était excellent. Le nom d'Etoile de Rose s'es imposé. Tout a été vendu en trois mois. Il n'empêche qu'il fut nécessaire de travailler beaucoup les deux années suivantes pour retrouver un résultat comparable.

Cette cuvée best-seller aujourd'hui produite en 60 000 bouteilles par an n'est vendue que 11€.

Enfin, un Pinot noir Millésime 2018, élevé à l'ancienne, très riche et boisé, avec des tannins présents mais assez bien structurés, prouvant qu'on peut faire en Alsace de beaux Pinots.

Les vignes poussent sur un terroir d'argiles et de granit. Après un premier élevage en cuve inox, un second a lieu 12 mois en barrique bordelaise. Ce vin évoque étonnament ses cousins bourguignons.

Le domaine alsacien a été repris par Antoine et son frère, mais aussi leurs cousin-cousine. Leur travail est représentatif de la nouvelle génération de vignerons. Mais avant de travailler les vignes alsaciennes ils s'étaient implantés dans le Languedoc-Roussillon, près de Chateauvallon, en Portel-des-Corbières, tout près du Château de Lastours où je me suis rendue à l'automne dernier.

De superbes belles vignes poussent sur ce terroir maritime qui jusqu'à présent n'est touché ni par les orages, ni par la sécheresse et qui est totalement exploité en bio. Ils ont replanté, construit une cave de toutes pièces et vont lancer prochainement des vins de mono-cépages que la clientèle veut boire jeunes, pour bénéficier pleinement des arômes de fruits.

Les grands-parents alsaciens d'Antoine étaient polycultivateurs, élevant des animaux et faisant pousser du blé, de la vigne, vivant en autarcie avant la guerre. En 1960 ils décident de se concentrer sur la vigne et d'arrêter d'envoyer leurs raisins à la coopérative. Ils sortiront leurs premières bouteilles en 70-71 qu'ils commercialiseront eux-mêmes, en sillonnant le Nord de la France à bord d'une camionnette.

Ce grand-père (dont le prénom sera donné à la première cuvée dégustée aujourd'hui) travaille la main dans la main avec sa femme. Ils construiront leur propre cave mais son décès bouleverse la situation. C'est alors que le père d'Antoine, jusque là banquier, va rejoindre l'entreprise en 1994. Si son nom figure sur l'intitulé du domaine il n'est cependant pas mentionné sur les étiquettes.

jeudi 16 mars 2023

Le musée Jean-Jacques Henner

Comment pouvais-je ignorer l’existence du Musée Jean-Jacques Henner ? Il est situé au 43 avenue de Villiers, dans le XVII° arrondissement de Paris, dans le joli quartier du Parc Monceau et il présente notamment l’intérêt d’avoir été la maison et l’atelier du peintre alsacien.

Je dois de le connaitre à deux personnes, Catherine Sandner, alias Catoch', qui a interprété la centième représentation de son spectacle dans le très intime Jardin d'hiver, et à Mathieu qui est un guide connaissant l'histoire des lieux sur le bout des doigts.

Je vous reparlerai prochainement de AOC (lire ma chronique publiée après le festival d'Avignon 2022) que vous pouvez aller voir les samedis du mois d'avril (et au-delà) à 18 h 30 au café-théâtre, Le Paris de l'Humour, 8 rue Pradier - 75019 Paris.

Ce One Woman Show est vraiment tout public, que vous soyez ou non vous-même d'origine alsacienne.

On découvre le buste du peintre réalisé en 1875 par Paul Dubois (1829-1905) dans le Salon aux colonnes. Jean-Jacques Henner est un peintre français, né à Bernwiller le 5 mars 1829, et mort à Paris le 23 juillet 1905. Auteur d’une œuvre abondante présentée dans de nombreux musées, il a une réputation de portraitiste et de dessinateur apprécié de son vivant.

Il y a beaucoup de chevelures rousses dans son oeuvre de Henner. Et parfois même une tache de couleur rouge au centre du tableau comme j'avais appris  (lors de la visite du musée Daubigny d'Auvers-sur-Oise) que  Jean-Baptiste Camille Corot (1796 - 1875) le préconisait.

L'immeuble est composé en quelque sorte de deux maisons en une. Cet hôtel particulier bâti au XIX° siècle était un atelier mais aussi une maison d'artiste.

Guillaume Dubufe (1853-1909) se détourne de la tradition familiale pour se lancer dans la grande décoration. Il a ainsi réalisé plusieurs décors monumentaux importants comme certains plafonds du buffet de la gare de Lyon, de la bibliothèque de la Sorbonne et du foyer de la Comédie française, ou encore de la salle des fêtes de l’Élysée.

En 1878, alors que sa cote est à un sommet, il achète au peintre Roger Jourdain (1845-1918) "un rez-de-chaussée et deux étages sous comble". Son architecte, Nicolas Félix Escalier (1843-1920), est aussi celui de l’hôtel particulier de l’actrice Sarah Bernhardt, situé rue Fortuny.
Le décor de l'époque est très éclectique avec des céramiques bleues inspirées de Delft et du bleu de la céramique chinoise comme on peut les voir dans ce qu'on appelait "une pièce à feu", qui était l'ancienne salle à manger où l'on pouvait recevoir. Le quartier est alors situé en limite de Paris et c'était un quartier d'artistes. Il se développe à proximité du Parc Monceau dessiné au XVIII° à l'anglaise. Les voisins sont Isadora Duncan, Sarah Bernardht, Claude Debussy, Gabriel Fauré, Camille Saint-Saens, mais aussi Guy de Maupassant, Jean Rostand, Dumas, et même Marcel Proust qui n'habitait pas très loin.

Le jardin obéit à la mode orientaliste. On y met des orangers, du mobilier japonais, pour recréer un ailleurs fantasmé, idéal.
Entre salon bourgeois et serre tropicale, le jardin d'hiver devient l'élément incontournable des belles demeures de la plaine Monceau. C'est en 1889 que le peintre Guillaume Dubufe, premier propriétaire des lieux, transforme la cour de son hôtel particulier en jardin d'hiver.

A l'instar des autres pièces de la maison, le décor y est très chargé : on y trouve notamment une fontaine en pierre, des jardinières en bronze, des meubles japonais, des divans de velours rouge, six lustres et aussi dix-huit peintures (des portraits, paysages, nature morte, et une peinture allégorique attribuée à Tiepolo…). Les appliques et les lustres ont été réalisés par Mathieu Lustrerie d'après des modèles du XIX° siècle. Le piano est un dépôt du Mobilier national.

Au fond, le petit salon, qui se transforme à l'occasion en scène de théâtre, est décoré dans le même goût éclectique, mêlant commode Régence, buste de Marie-Antoinette, dessins et médaillons en cire …

C'est là que les époux Dubufe reçoivent leurs amis lors de brillantes réceptions mondaines. De nombreux artistes s'y retrouvent, parmi lesquels le compositeur Charles Gounod, oncle de Guillaume, dont il est très proche. Le chanteur-compositeur Reynaldo Hahn y aurait présenté pour la première fois sa mélodie "si mes vers avaient des ailes" d'après le poème de Victor Hugo. C'est là que l'alsacienne Catherine Sandner donnait quelques interviews en attendant de monter ce soir sur scène.
Le plafond du salon aux colonnes est décoré de caissons d'inspiration Renaissance sur lesquels sont copiés les chiffres de Henri II, Catherine de Médicis. Les 2 D entrelacés renvoient aux Dubufe.
Issu de la paysannerie alsacienne aisée, Jean-Jacques Henner a été formé en Alsace, aux Beaux-arts de Paris, obtint le Prix de Rome qui lui valut de passer 5 ans à la villa Médicis.
Idylle ou La Fontaine, huile sur toile, 1872
S'il a effectué une carrière académique il demeure néanmoins inclassable en raison de ses particularités. En 1872 l'Idylle marque le début de ce qu'il va faire.
Paysage alsacien dit de Tropmens-King, 1879, huile sur toile
On retrouvera souvent les fonds paysagers avec une forêt assez sombre, des collines qui font penser aux Vosges, un ciel bleu tardif, sur lesquels se détachent des corps idéalisés, en référence à la poésie rêvée d'inspiration antique.
La Femme qui lit dite La Liseuse, 1883, huile sur toile
Au centre de ce mur, ce tableau d'inspiration XVI° siècle, Renaissance, montre une femme presque vaporeuse, à l'instar d'un sfumato qui aurait pu être conçu par Le Caravage, un des maitres du clair-obscur. On remarque la chevelure rousse qui correspond au goût esthétique du coloriste.
A droite, Salomé, dite à tort Hérodiade. Grande étude préparatoire, vers 1886-1887, huile et fusain sur papier collé sur toile
A gauche Religieuse, Portrait de Germaine Dawis, 1903, huile sur toile
Salomé est représentée avant la danse des sept voiles, tant dans sa main le plateau sur lequel repose la tête de Jean-Baptiste. C'est une esquisse mais le tableau est déjà remarquable. En face, une religieuse semble la regarder sévèrement.

Articles les plus consultés (au cours des 7 derniers jours)