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jeudi 16 mars 2023

Le musée Jean-Jacques Henner

Comment pouvais-je ignorer l’existence du Musée Jean-Jacques Henner ? Il est situé au 43 avenue de Villiers, dans le XVII° arrondissement de Paris, dans le joli quartier du Parc Monceau et il présente notamment l’intérêt d’avoir été la maison et l’atelier du peintre alsacien.

Je dois de le connaitre à deux personnes, Catherine Sandner, alias Catoch', qui a interprété la centième représentation de son spectacle dans le très intime Jardin d'hiver, et à Mathieu qui est un guide connaissant l'histoire des lieux sur le bout des doigts.

Je vous reparlerai prochainement de AOC (lire ma chronique publiée après le festival d'Avignon 2022) que vous pouvez aller voir les samedis du mois d'avril (et au-delà) à 18 h 30 au café-théâtre, Le Paris de l'Humour, 8 rue Pradier - 75019 Paris.

Ce One Woman Show est vraiment tout public, que vous soyez ou non vous-même d'origine alsacienne.

On découvre le buste du peintre réalisé en 1875 par Paul Dubois (1829-1905) dans le Salon aux colonnes. Jean-Jacques Henner est un peintre français, né à Bernwiller le 5 mars 1829, et mort à Paris le 23 juillet 1905. Auteur d’une œuvre abondante présentée dans de nombreux musées, il a une réputation de portraitiste et de dessinateur apprécié de son vivant.

Il y a beaucoup de chevelures rousses dans son oeuvre de Henner. Et parfois même une tache de couleur rouge au centre du tableau comme j'avais appris  (lors de la visite du musée Daubigny d'Auvers-sur-Oise) que  Jean-Baptiste Camille Corot (1796 - 1875) le préconisait.

L'immeuble est composé en quelque sorte de deux maisons en une. Cet hôtel particulier bâti au XIX° siècle était un atelier mais aussi une maison d'artiste.

Guillaume Dubufe (1853-1909) se détourne de la tradition familiale pour se lancer dans la grande décoration. Il a ainsi réalisé plusieurs décors monumentaux importants comme certains plafonds du buffet de la gare de Lyon, de la bibliothèque de la Sorbonne et du foyer de la Comédie française, ou encore de la salle des fêtes de l’Élysée.

En 1878, alors que sa cote est à un sommet, il achète au peintre Roger Jourdain (1845-1918) "un rez-de-chaussée et deux étages sous comble". Son architecte, Nicolas Félix Escalier (1843-1920), est aussi celui de l’hôtel particulier de l’actrice Sarah Bernhardt, situé rue Fortuny.
Le décor de l'époque est très éclectique avec des céramiques bleues inspirées de Delft et du bleu de la céramique chinoise comme on peut les voir dans ce qu'on appelait "une pièce à feu", qui était l'ancienne salle à manger où l'on pouvait recevoir. Le quartier est alors situé en limite de Paris et c'était un quartier d'artistes. Il se développe à proximité du Parc Monceau dessiné au XVIII° à l'anglaise. Les voisins sont Isadora Duncan, Sarah Bernardht, Claude Debussy, Gabriel Fauré, Camille Saint-Saens, mais aussi Guy de Maupassant, Jean Rostand, Dumas, et même Marcel Proust qui n'habitait pas très loin.

Le jardin obéit à la mode orientaliste. On y met des orangers, du mobilier japonais, pour recréer un ailleurs fantasmé, idéal.
Entre salon bourgeois et serre tropicale, le jardin d'hiver devient l'élément incontournable des belles demeures de la plaine Monceau. C'est en 1889 que le peintre Guillaume Dubufe, premier propriétaire des lieux, transforme la cour de son hôtel particulier en jardin d'hiver.

A l'instar des autres pièces de la maison, le décor y est très chargé : on y trouve notamment une fontaine en pierre, des jardinières en bronze, des meubles japonais, des divans de velours rouge, six lustres et aussi dix-huit peintures (des portraits, paysages, nature morte, et une peinture allégorique attribuée à Tiepolo…). Les appliques et les lustres ont été réalisés par Mathieu Lustrerie d'après des modèles du XIX° siècle. Le piano est un dépôt du Mobilier national.

Au fond, le petit salon, qui se transforme à l'occasion en scène de théâtre, est décoré dans le même goût éclectique, mêlant commode Régence, buste de Marie-Antoinette, dessins et médaillons en cire …

C'est là que les époux Dubufe reçoivent leurs amis lors de brillantes réceptions mondaines. De nombreux artistes s'y retrouvent, parmi lesquels le compositeur Charles Gounod, oncle de Guillaume, dont il est très proche. Le chanteur-compositeur Reynaldo Hahn y aurait présenté pour la première fois sa mélodie "si mes vers avaient des ailes" d'après le poème de Victor Hugo. C'est là que l'alsacienne Catherine Sandner donnait quelques interviews en attendant de monter ce soir sur scène.
Le plafond du salon aux colonnes est décoré de caissons d'inspiration Renaissance sur lesquels sont copiés les chiffres de Henri II, Catherine de Médicis. Les 2 D entrelacés renvoient aux Dubufe.
Issu de la paysannerie alsacienne aisée, Jean-Jacques Henner a été formé en Alsace, aux Beaux-arts de Paris, obtint le Prix de Rome qui lui valut de passer 5 ans à la villa Médicis.
Idylle ou La Fontaine, huile sur toile, 1872
S'il a effectué une carrière académique il demeure néanmoins inclassable en raison de ses particularités. En 1872 l'Idylle marque le début de ce qu'il va faire.
Paysage alsacien dit de Tropmens-King, 1879, huile sur toile
On retrouvera souvent les fonds paysagers avec une forêt assez sombre, des collines qui font penser aux Vosges, un ciel bleu tardif, sur lesquels se détachent des corps idéalisés, en référence à la poésie rêvée d'inspiration antique.
La Femme qui lit dite La Liseuse, 1883, huile sur toile
Au centre de ce mur, ce tableau d'inspiration XVI° siècle, Renaissance, montre une femme presque vaporeuse, à l'instar d'un sfumato qui aurait pu être conçu par Le Caravage, un des maitres du clair-obscur. On remarque la chevelure rousse qui correspond au goût esthétique du coloriste.
A droite, Salomé, dite à tort Hérodiade. Grande étude préparatoire, vers 1886-1887, huile et fusain sur papier collé sur toile
A gauche Religieuse, Portrait de Germaine Dawis, 1903, huile sur toile
Salomé est représentée avant la danse des sept voiles, tant dans sa main le plateau sur lequel repose la tête de Jean-Baptiste. C'est une esquisse mais le tableau est déjà remarquable. En face, une religieuse semble la regarder sévèrement.
A l'étage, des portraits typologiques occupent les murs de la salle bleue dite "salle Alsace". On retrouve aussi les paysages du Sundgau de son enfance, de petites dimensions, souvent sur papier, ultérieurement collés sur toile et qui ont vraisemblablement été peints sur le motif.
On dirait aujourd'hui qu'il n'hésite pas à employer des supports de récupération, comme ce bois dont les veines apparaissent sous la peinture et ombrent le ciel de trainées nuageuses roses.
Portrait de jeune fille, 1859, huile sur toile
Et bien sûr des portraits qu'on pourrait dire inspirés de Manet, ou Vélasquez.
Dans la salle voisine on remarque le tableau qui lui valut le Prix de Rome au-dessus de la cheminée et encore différentes esquisses de typologies.
L'Alsace, elle attend, 1871, huile sur toile
Sur le palier, cette toile est une commande d'épouses d'industriels du Haut-Rhin, à l'initiative de Marguerite Kestner, patron d'une usine de produits chimiques à Thann. L'oeuvre est alors offerte en 1871 à Léon Gambetta (1838-1882), l'un des plus farouches opposants à l'annexion de l'Alsace-Lorraine au nouvel Empire allemand suite à la guerre de 1870. Dans le contexte d'exacerbation du sentiment patriotique consécutif à la défaite française, le tableau de Henner devient rapidement emblématique de la souffrance de l'Alsace, douleur qui est aussi celle d'un peintre très attaché à sa terre natale. Ce n'est pas un portrait mais une personnification de l'Alsace, une allégorie qui appartient au monde réel : une jeune Alsacienne en deuil, simple et digne. La cocarde tricolore piquée sur le noeud air alsacien donne toute sa signification patriotique à la peinture évitant la grandiloquence ou l'anecdote. Devenue l'icône des Provinces perdues, cette oeuvre fut très largement reproduite par la gravure, ce qui contribua grandement à la célébrité de l'artiste.
Comme au rez-de-chaussée, la cage d'escalier et les paliers évoquent le voyage. Ce que l'on voit de loin comme une mosaïque bleue est un trompe l'oeil peint par Dubufe.
On accède à la salle des dessins par un nouvel escalier. Celle-ci est dissimulée derrière des moucharabiehs  et offre une vue plongeante sur le salon rouge où est exposé Saint Sébastien, acheté par l'Etat au Salon de 1888 pour être exposé au musée du Luxembourg alors consacré aux artistes vivants.
Le sujet est pue original mais la manière dont Jean-Jacques Henner le traite montre une certaine singularité. Ainsi, le tableau met avant tout en valeur le corps du saint martyrisé au III° siècle, exprimant sa souffrance mais sans véritablement montrer les flèches, peu visibles dans un coin du tableau (ci-dessous à droite)ou le sang de son martyre. Une caricature parle dans le Journal amusant le représente comme "Saint Sébastien mangé par les chauves-souris", à moins qu'on ne voit le visage de deux femmes venues soigner le martyre (ci-dessous à gauche).
Saint Sébastien, Salon de 1888, huile sur toile
Encore un étage et nous voici dans l'atelier de Guillaume Dubuffe puis de Jean-Jacques Henner où se trouve une profusion de tableaux qui sont des esquisses ou des oeuvres inachevées …
…mais aussi sa palette et son matériel, et au mur, le masque mortuaire de Géricault qu'il avait acheté, sans doute par fascination pour les christs noirs de Hans Holbein et des oeuvres de Philippe de Champaigne. Il semble obsédé par la mort, même si le tableau ci-dessous représente seulement le sommeil d'une de ses élèves.
Seule exception, avec Les Naiades qui étaient une oeuvre monumentale commandée pour une salle à manger et pour laquelle nous pouvons comparer l'esquisse (ci-dessous) avec le tableau achevé (non photographié).
Les Naiades, 1877 (esquisse)
La visite est terminée. Redescendons pour déguster un des vins d'Alsace que je préfère, le Gewurztraminer, en l'occurrence celui de Gustave Lorentz, installé à Bergheim, et qui n'a pas besoin d'être vinifié en Vendanges tardives pour révéler son arôme caractéristique de litchi. Les spiritueux Nussbaumer ont fait découvrir un étonnant cocktail gin-basilic qui a beaucoup plu à certains.
Catherine Sandner nous a fait découvrir des sablés alsaciens, fabriqués avec passion par Charly et Barbara Hamm, restaurateurs à Waltenheim sur Zorn, au bord du canal de la Marne au Rhin, près de Mommenheim.
Appelés Luschtige, ils sont nés pendant le deuxième confinement, en novembre 2020, et seront prochainement disponible en région parisienne, à la gare de l'Est chez le traiteur Schmid. Si la forme rappelle les petits beurre, les inscriptions évoquent les gaufrettes porteuses de messages.

Façonnés à la main, sans colorants, sans additifs, sans conservateurs, sans arômes artificiels et conçus en deux déclinaisons, une salée, façon tarte à oignon ou choucroute, une sucrée chocolat-orange ou cannelle-épices. Avant de les croquer, on peut s'exercer à prononcer ou traduire les expressions locales inscrites dessus. Il y a des mots doux, mais aussi des jurons en alsacien.
Nous voilà dans l'ambiance pour suivre le spectacle de Catoch qui salue le public … et la Comtesse Kessler, huile sur toile, vers 1886.

Musée Jean-Jacques Henner
43 avenue de Villiers - 75017 Paris
La photo qui n'est pas logotypée A bride abattue est de ©Tony Meyer, que je remercie

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