Ils sont tous les trois sur la couverture. Rigobert, dit Neurone, parce que ce garçon surdoué décrochera le Bac avec la mention Très bien. Issa qui, à l’inverse manque de confiance en lui quand il s’agit d’épreuves intellectuelles, et redoute de louper cet examen car ce jour-là son copain ne pourra pas rédiger deux copies, une pour chacun d’eux. Tibilé, une jeune fille intelligente contrainte à obéir, pour qui l’obtention d’une mention au Bac serait la garantie d’avoir le droit d’étudier en France.
Dans ce roman, qui propulse directement le lecteur au coeur de l’ambiance dakaroise, les choses ne vont pas se dérouler comme chacun le souhaite. Tibi la Blanche ou Tibi la Française devrait-elle renoncer à son souhait le plus cher qui lui vaut ses surnoms ? Issa deviendra-t-il un styliste re21nommé ? Rigobert pourra-t-il faire des études supérieures ?
Ils sont issus de milieux sociaux différents mais leur amitié est ancienne, sincère et solide. Ils entretiennent des rêves d’avenir qui leur sont propres, mais ils ont une interrogation commune : rester au Sénégal ou partir un temps pour la France. Ce qui est particulier dans ce livre c’est que la France serait une étape dans un parcours de vie mais qu’il n’est pas envisagé d’abandonner ou de renier sa terre d’origine. Ces jeunes ne seraient pas des « migrants » voyageant dans l’illégalité et le risque. Par contre, ils sont traversés par les mouvements anti-français qui grandissent dans toutes les couches sociales.
Avec un sens de la formule qui fait mouche à tous les coups, Hadrien Bels excelle à nous immerger dans une réalité méconnue et dont pourtant chaque phrase résonne avec justesse. Il emploie parfois des termes auxquels nous ne sommes pas habitués mais dont on saisit aussitôt le sens. Par exemple taximan pour chauffeur de taxi.
Il emploie parfois des tournures qu’on dirait « africaines » comme l’écorce de la souffrance. Pour parler des bouchons, il écrit que les banlieusards font coaguler les artères qui mènent au coeur de la ville (p. 100). Il a le sens de la métaphore et cette lecture est un vrai voyage.
Tous les quartiers de la banlieue de Dakar se ressemblent, comme on rallonge la sauce d’un plat de la veille. La recette est la même. Mais certains ingrédients peuvent en transformer le goût : une usine pétrochimique, un hôpital, un marché, une gare, une voie rapide. Un même quartier peut être sucré au nord et bien trop salé au sud (p. 21).
L’auteur réussit la performance de se situer à la fois dans le respect des mentalités sénégalaises tout en célébrant la volonté d’émancipation des jeunes gens, et particulièrement de la jeune fille, bridée par une éducation à laquelle elle ne pourrait pas s’opposer, surtout s’il s’agit de mariage. S’il souligne combien Tibilé est une « afropessimiste » qui juge son pays pauvrement beau (p. 111). Elle veut quitter sa maison, sa famille, son pays, il nous fait comprendre que rien n’est simple. Ainsi Tibilé assimile la lecture à un combat (p. 10) : on lit, on lutte, on fait reculer les lignes ennemies. (…) Les mots sont des traitres. Ils créent des désordres et polémiques.
Hadrien Bels, né en 1979, a grandi à Marseille. Il est vidéaste et réalisateur. Tibi la Blanche relève par moments du documentaire. Il est question du maraboutage, de la lutte contre l’excision (n’oublions pas qu’aujourd’hui il y a encore plus de 2000 jeunes filles par jour qui perdent leur clitoris dans des conditions sanitaires dangereuses pour leur santé rappelle-t-il p. 100), des rêves d’une jeunesse qui désire prendre son avenir en main, et bien sûr aussi du grand écart de la double culture difficile à assumer par ceux qui vivent en France lorsqu’ils sont de retour au pays.
Tibi la Blanche de Hadrien Bels, Editions de l'Iconoclaste, en librairie depuis le 18 août 2022
Sélectionné dans le cadre du Prix des Lecteurs d’Antony 2023
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