Un an déjà que Une vie possible a été publié, et il ne faudrait pas oublier ce livre qui, certes, n'est pas un roman et hésite entre la forme d'un journal, un essai et un récit mais qui, étant très bien documenté est parfois ahurissant. Les confidences qui nous sont faites sont courageuses (elles heurteront certaines personnes qui n'y verront que l'étalement au grand jour d'une vie qui devrait rester privée).
Elle met toujours beaucoup d'elle-même dans ses écrits. L'anorexie était le thème central des Os des filles. Aucun sujet n'est tabou pour elle.
Line a vingt-quatre ans, et pour la première fois de sa vie, elle tombe enceinte. Quelle joie, se dit-elle, et quelle surprise : dans son ventre, il y a deux poches, des jumeaux. Tandis que la pandémie plonge le monde dans la crainte et dans la mort, Line observe son corps se transformer pour créer deux avenirs. À ses yeux, tout est un rêve : elle découvre le territoire inconnu de la maternité. Pourtant, à la clinique, on lui apprend bientôt que les fœtus n’ont pas tenu. Il faut les retirer.
Cette interruption de grossesse bouscule tout : son esprit, son corps, son couple. Elle prend conscience de la fragilité de nos vies, du hasard de nos naissances et du silence qui entoure les femmes.
De retour à Paris, un an plus tard, elle est de nouveau enceinte. Au fond d’elle, Line sent qu’elle a changé. L’allégresse et la candeur de la première fois sont remplacées par une grande détresse. Elle se sent incapable de porter la vie et de donner naissance à un être dans une telle angoisse. Elle décide d’avorter.
Il n'empêche que ce que dit Line Papin autour de la grossesse, en éclairant le lexique communément employé me semble nécessaire à entendre.
Ainsi, elle attire l’attention sur ce terme de "fausse couche" en insistant qu’il n’y a rien de faux. C'est disons plutôt une couche interrompue mais qui a bel et bien existé et qui donc n’est pas fausse. Elle poursuit sur la règle des trois mois voulant qu'on attende pour annoncer qu'on est enceinte au prétexte que si la grossesse échoue il ne faudrait pas en parler, alors que le besoin de parler est si fort (p. 41).
Ces couches interrompues existent. Elles ne sont pas fausses et le silence crée la surprise leur arrivée, accroît la déception et empêche la résilience, après leur survenue. Et quand on sait que 15% des grossesses se solde par une fausse couche, et que ce une femme sur dix connait ce drame, on mesure l'importance du phénomène.
Si nous avons en France la "chance" de pouvoir avorter, … c'est un choix qui est toujours responsable. Elle rappelle les mots de Simone Veil dans son discours de présentation du projet de loi sur la dépénalisation de l’IVG à l’assemblée nationale le 26 novembre 74 : aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l’avortement. (…). C’est toujours un drame et cela restera toujours un drame (p. 176).
Elle nous fait comprendre que le ventre des femmes est politique (p. 48). Selon les pays, on condamne ou encourage l’avortement et cela davantage pour des raisons politiques (besoin de chair à canon, ou au contraire forme de génocide) que morales et encore moins de santé.
Un récent documentaire sur les femmes afghanes confirme hélas cette analyse dans un pays où attendre une petite fille est une calamité. Il existe des pays, comme le Salvador aujourd’hui où l’avortement est interdit et où une fausse couche entraîne la prison faute de savoir si la femme l'a fait exprès ou non. Elle est condamnée pour le principe (p. 48).
Mais n'allez pas croire que le livre entier est profondément pessimiste. Il est également porteur d'espérance comme lorsqu'elle donne l'exemple de son grand-père qui s'est remarié à 80 ans, avec une femme du même âge que lui et avec qui il a de nombreux projets. Il a notamment réalisé un documentaire sur un cimetière pour embryons au Vietnam (p. 180). Quand je disais que ce livre avait quelque chose d'ahurissant …
Le titre de l'ouvrage s'éclaire avec cette phrase : une vie possible se dessine de manière imprécise devant moi- celle de la femme que je ne suis pas encore, que je vais peut-être devenir (p. 196). Cette vie n'est donc pas celle qu'on donne mais celle qu'on se forge (p. 196). Et voilà pourquoi c'est son visage qui apparait sur la photo déchirée de la couverture.
C'est un livre qui invite à réfléchir. On peut y puiser de multiples indications. J'ai par exemple appris qu'en équitation l’une des choses les plus importantes est le regard car le cheval obéit davantage à nos yeux qu'au mouvement que nous effectuons avec nos mains. Le cheval prend la direction de notre regard (p. 85).
Line Papin développe aussi une réflexion approfondie sur la question de genre et plus loin sur la poursuite du bonheur (p. 208). J'ai apprécié qu'elle nous donne un extrait de King Kong Théorie de Virginie Despentes : l’idéal de la femme blanche, séduisante mais pas pute, bien mariée mais pas effacée, travaillant mais sans trop réussir, pour ne pas écraser son homme, mince mais pas névrosée par la nourriture, restant indéfiniment jeune sans se faire défigurer par la chirurgie esthétique, maman épanouie mais pas accaparée par les couches et les devoirs d’école … Et Line ajoute : elle se tient debout, sur le fil de ce savant équilibre (p. 209).
On sent souvent combien elle a l'esprit de répartie. Ainsi, elle concède que la sagesse populaire a raison de prévenir que la vie n’est pas un conte de fées. Elle ajoute cependant : mais il faut y croire (p. 223).
Née à Hanoï en 1995, Line Papin y a grandi jusqu’à l’âge de dix ans, avant de s’installer en France. Elle se consacre à l’écriture, au théâtre et au cinéma …
Elle partage avec le lecteur ses interrogations sur l'écriture et sur le féminisme dont elle rend hommage aux grandes figures (p. 59). On comprend mieux pourquoi il lui sera tant nécessaire d'avoir elle aussi, comme Virginia Woolf "une chambre à soi".
Malgré la décision d'avorter elle prend sur elle pour donner à toute femme enceinte le plus beau conseil qui soit : dresser la liste de ce que vous aimeriez transmettre à votre enfant. Pour elle il y a le bruit des pas sur les coquillages, les jardins suspendus de Babylone, les étés à danser sur la plage, la poésie de vivre … (p. 221-222).
Une vie possible de Line Papin, Stock, collection La Bleue, en librairie depuis le 2 mars 2022
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