
Quelle différence entre l’amour et l’attachement ? Je t’enverrai ma copie double par la poste, entend-on dans le film. Je ne vais pas faire une étude comparée du livre et du film. Il est logique que le premier développe certaines idées bien davantage, car Alice Ferney disposait de davantage d'espace pour commenter les changements de société (le roman en version Babel compte presque 500 pages).
Lire le livre après avoir vu le film équivaut à effectuer des arrêts sur image. des sortes de pauses explicatives dans lesquelles on approfondit chaque aspect de l'attachement, et ce mot revient souvent. C'est un grand plaisir car Alice Ferney est orfèvre littéraire : Les enfants apportent dans nos vies le sentiment du temps et de la perte; ils nous mettent sous le nez l'évidence des transformations que sans leur présence, entre adultes, nous ne remarquerions pas (p. 28).
Elle pointe par exemple (p. 24) voilà où nous en sommes, à annoncer aux gens des choses qu’ils constatent eux-mêmes et à leur refuser l’information qui les intéresserait. Et elle fustige la neutralité administrative pour donner (sans la livrer réellement) une information.
Le livre est profondément féministe : Les femmes se remettent en couple moins rapidement et moins souvent (p. 93). Les hommes s’octroient une liberté que les femmes ne prennent pas (…) C'est fou le mal que se donnent les femmes pour être aimées (…) elles se plient et deviennent des objets (p. 128).
En philosophe, elle rappelle que donner la vie c'est aussi donner la mort (p. 14). Mais ce sont surtout les changements sociétaux qui sont creusés dans le roman qui frôle parfois le documentaire. Ces modifications lui tiennent énormément à coeur et il est essentiel à mes yeux de lire son roman qui est une véritable étude de mœurs, interrogeant la maternité, sous toutes ses formes, depuis le refus de devenir mère (Je crois que c'est au-dessus de mes forces dira Sandra dans le film, comme dans le livre -p. 23) jusqu’au désir d’enfant par toutes les méthodes de procréation, y compris artificielles comme la GPA, et aussi par voie de conséquence la parentalité, le couple …
Alice Ferney lance le débat autour de la GPA, à laquelle elle est connue pour son opposition, sans pour autant se faire juge. Elle s’est manifestement beaucoup documentée et son analyse fait réfléchir. Elle a totalement raison de pointer que si #Me Too a fait avancer le combat contre les violences sexuelles il n'empêche qu'aujourd'hui la prédation procréation succède à la prédation sexuelle. Les mêmes erreurs conduisent aux mêmes folies (p. 124).
L'autrice s'insurge qu'on puisse tolérer et même promouvoir l'inacceptable, comme si les femmes étaient des ventres interchangeables. Elle peut en parler crument : baiser une gamine à l'hotel après le lycée ou lui stimuler les ovaires pour pomper leurs production c'est pareillement indigne. Elle dénonce les médecins complices du business de la procréation. Les désirs des parents aussi : Autrefois ils espéraient un enfant en bonne santé. Aujourd'hui ils le veulent de qualité (p. 461).

Si on veut résumer le propos, c'est l'histoire de Sandra, (Valeria Bruni-Tedeschi), une quinquagénaire (qui n'a que 40 ans dans le roman) farouchement indépendante, qui partage soudainement et malgré elle l’intimité de son voisin de palier (Pio Marmaï) et de ses deux enfants (César Botti est incroyable de naturel dans la peau de ce petit garçon qui comprend tout). Contre toute attente, elle s’attache peu à peu à cette famille d’adoption.
La réalisatrice a conservé l'essentiel des propos féministes tout en les remettant à leur juste place : Y a pas de féministes, que des ordures ou des gens dignes. Elle a gardé ce qui sous-tend le processus d'attachement (justifiant pleinement le changement de titre de l'oeuvre), aussi bien entre adultes et enfants qu'entres les grandes personnes : Tu fais ton deuil sur moi comme on se fait les dents sur un os. Le résultat est profondément juste et émouvant. Servi par de magnifiques interprétations.
J'ai retrouvé quasi intacte Sandra, la libraire. Elle a changé de nom de famille (je le sais car j’avais repéré sur la sonnette le nom de Ferney, hommage à l’autrice) et le petit garçon ne s’appelle plus Eliott mais Nicolas. J’avoue que je préfère parce que j’étais dérangée par ce prénom qui est celui de mon fils. Je plaisante. La relation entre les deux est bien celle que le film restitue.
J'ai reconnu quelques répliques, des scènes, des bouts de dialogue et c'est jouissif. On se sent en pleine connivence et je ne suis pas dérangée par de minuscules écarts. Ainsi l’appartement de Sandra est-il situé sous celui du couple et non pas derrière la porte en face et elle ne cuisine pas la même chose pour l’enfant. Ce qui est très agréable c’est de s’attarder dans les pensées de cette femme … si attachante derrière sa soit-disante difficulté à nouer des relations avec les enfants. Cela vient du fait qu’elle n’avait pas encore rencontré d’enfant comme ce petit garçon.
Je me retrouve en elle. Il est probable que si je n’avais pas côtoyé des petites prodiges je ne me serais pas autorisée à en avoir un moi-même. Et la réciproque est vraie. Ce sont mes enfants qui m’ont donné envie de creuser la question de la pédagogie.
J'ai beaucoup aimé ces plans de ciels traversés d'oiseaux qui se répètent à intervalles réguliers.
Les dialogues sont ciselés : Ta mission (dit Sandra à Alex) c’est d’être heureux pour donner à Lucille un exemple à se mettre sous la dent sinon elle est fichue. Y a que de l'amour dans ta vie Alex, une petite fille magnifique, ton lien avec Eliott, Emilia et même l'ex de ta femme qui ne ressemble à personne. Et puis … il y a elle aussi.
bValeria Bruni-Tedeschi et Pio Marmaï se connaissaient. Ils avaient tous les deux joué dans La fracture de Catherine Corsini. L'acteur avait déjà travaillé avec Vimala Pons (Emilia) dans Comment je suis devenu un super héros de Douglas Attal et sont amis dans la vie. Enfin il avait connu Raphaël Quenard (méconnaissable, si ce n’est la voix, et qu'on apprécie de voir dans un style différent de ses précédentes interprétations) sur Yannick de Quentin Dupieux.
La bande-son est elle aussi très réussie, démarrant avec la version portugaise de "Fais comme l'oiseau" Você Abusou (par Maria Creuza) et se terminant avec quelques morceaux du groupe de musique des Balkans (Les yeux noirs) du compositeur de la bande originale, Eric Slabiak dont j'avais assisté au concert Josef Josef au festival d'Avignon.
L’intimité d’Alice Ferney, Actes Sud, publié en août 2020, collection Babel, en février 2025
L'attachement de Carine Tardieu, en salles depuis le 19 février 2025
Avec Pio Marmaï (Alex), Valeria Bruni-Tedeschi (Sandra),Vimala Pons (Emillia), Raphaël Quenard (David), César Botti (Elliott), Catherine Mouchet (Mère de Cécile), Marie-Christine Barrault (Mère de Sandra) …
En salles depuis le 19 février 2025
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