

Lancé en 1960 par le critique d’art Pierre Restany, le mouvement des Nouveaux Réalistes réunit des artistes tels que Arman (1928-2005), César (1921-1998), Yves Klein (1928-1962), Martial Raysse (1936), Daniel Spoerri (1930-2024), Niki de Saint Phalle (1930- 2002). Leur spécificité est de s'emparer des objets du quotidien de la société de consommation et de l’esthétique de la rue. Leur démarche ne vise pas la représentation du réel mais son appropriation poétique.
Je suis arrivée depuis le jardin du Luxembourg, et j'ai apprécié l'odeur subtilement entêtante des jacinthes.
Le parcours, composé de près de 100 œuvres, aborde, sur un mode ludique, créatif, pragmatique et très pédagogique, différents axes thématiques : le détournement de l’objet, la représentation du corps et des loisirs, ou encore la place de l’art dans l’espace public. Mais surtout, et dans tous les cas, en invitant le spectateur à s'interroger à propos de duos d'artistes, en commençant par les cinq éléments : eau, feu, air, terre et bois auxquels on est tenté d'ajouter … la couleur qui est un point toujours central, ce que soulignait Fernand Léger en 1924 : "Faisons entrer la couleur, nécessité vitale comme l’eau et le feu, dosons-la savamment."
Le 15 août 1955, disparaissait Fernand Léger dans sa maison-atelier de Gif-sur-Yvette où il s’est installé en 1952 et où Robert Doisneau est venu le photographier parmi ses oeuvres l’année précédente. Ce cliché nous accueille et annonce le propos de l'exposition. Une autre, prise par William Klein en 1965 nos fait découvrir un groupe d'artistes rassemblés devant un tableau qui est central dans cette exposition (voir plus loin) et on remarquera que les photographies elle-mêmes sont élevées au rang d'oeuvre d’art dans le musée, notamment par leur format.
Martial Raysse, Bénédicte Pesle, Jean Tinguely, Brooks Jackson, France Raysse, Niki de Saint Phalle, Alexandre Ioalas, Rotraut Klein, André Mourgues, New-York, 1965
L'eau est illustrée par la revisite de la Source d’Ingres par Alain Jacquet et La Baigneuse de Léger (non photographiés). Un autre dialogue, entre Léger et Klein à propos du feu, confronte une vision abstraite avec un regard figuratif sans imiter le réel :
Yves Klein, Peinture de feu sans titre (F71), 1962, carton brûlé sur panneau
Fernand Leger, dessins préparatoires pour la décoration de l'usine de Gaz de France à Alfortville, vers 1955, gouaches sur papier
Yves Klein travaille avec le feu en utilisant la flamme d'un brûleur pour marquer des empreintes sur le papier ou des sculptures. En mars 1961, le Centre d'essais de Gaz de France de la Plaine Saint-Denis, où il développe ses recherches sur les "Peintures de feu", initiées en 1957. Or, peu avant sa mort, Fernand Leger reçoit une commande pour la décoration de la nouvelle usine de Gaz de France d'Alfortville. Il choisit alors le feu, peu représenté dans son oeuvre, et compose une trentaine d'études préliminaires à la gouache avant d'arrêter la maquette définitive, qu'il projette de réaliser en céramique et mosaïque. La flamme, qu'il semble étudier d'abord sur le motif d'après un brûleur à gaz, évolue vers une composition abstraite aux formes colorées et constatées, cernées de noir visant à rendre l'usine accueillante chaque matin aux employés. Léger donne ainsi à la couleur une fonction à la fois utilitaire et psychologique, finalement thérapeutique.
A propos de la couleur bleue, Klein s'en empare parce qu'elle est, selon lui, l'expression d'une sensibilité picturale, immatérielle, indéfinissable. Léger en utilise les qualités curatives afin d'égayer le monde et d'agir sur le bien-être social.
Klein imprégnera de son bleu IKB (pour International Klein Blue) un chef d'oeuvre de l'Humanité, la Vénus d'Alexandrie (dépourvue de membres et de tête pour mettre en évidence le ventre et les seins, symboles de naissance et de vie) conservée au Musée du Louvre à Paris.
Venus bleue (La Venus d'Alexandrie) d'Yves klein, vers 1962, pigment pur et résine synthétique sur plâtre
La danseuse bleue de Fernand Léger, huile sur toile, 1930
Avec sa Danseuse bleue Fernand Léger se montre peu intéressé par les formes archétypales de la femme qu'il estompe et déforme. Mais il partage avec Klein la volonté de poser un bleu outremer sur une figure féminine pour en souligner la beauté et la pureté des formes.
Dans une critique en acte de la société, l’artiste-accumulateur Arman aborde très tôt la question des déchets, de la surconsommation et de l’obsolescence programmée, dont il fait en 1964 une analyse philosophique : Je crois que dans le désir d'accumuler il y a un besoin de sécurité, et dans la destruction, la coupe, se trouve la volonté d'arrêter le temps.
Arman, The Birds 11, novembre 1981, pinces autobloquantes métalliques
L'année 1981 marque une nouvelle étape dans la série des "Accumulations" (1959-2005). Les "Wall Relief" (1981-84) sont de grandes compositions murales d'outils mécaniques mettant en évidence l'efficacité plastique de l'objet industriel produit en masse. Ici, la puissance évocatrice des pinces métalliques se mue en une nuée d'oiseaux, associant l'outil inerte au vivant, l'artificiel au naturel. Cette fascination pour la mécanique est très présente chez Fernand Léger, qui traite de la même manière "un nuage, une machine, un arbre". Le contraste dynamique entre l'animé et l'inanimé est fréquent dans sa peinture, tout comme le motif de l'oiseau que l'on retrouve dans cette affiche :
Après les cinq éléments nous abordons La vie des objets, puisque "L’objet [...] devait devenir personnage principal et détrôner le sujet." Fernand Léger (1945).
On retrouvera Arman et ses "Accumulations". Dès 1961, il s'engage dans un corps-à-corps avec des objets domestiques ou des instruments de musique, symboles de la bourgeoisie, qu'il casse avec violence avant de les disposer sur un panneau de bois. Ces "Colères" expriment une critique en acte de la société conservatrice; elles révèlent aussi la beauté du geste qui détruit pour reconstruire et montrent des objets usuels sous de nouveaux angles, à la manière des natures mortes cubistes :
Arman, Colère (meuble de style Henri II), 1961, assemblage de morceaux de meuble
L’esthétique du vide-poche et des outils de l’atelier raconte une relation intime aux objets quotidiens, ce que démontre Daniel Spoerri (lui aussi dès 1959) avec la série des "Tableaux-Pièges" :
Daniel Spoerri, Palette Katherine Duwen, 1989, des séries "Tableaux-Pièges et "Palettes d'artistes", objets divers fixés sur une table et une chaise d'écolier
Il fixe sur un support des étals de marchés aux puces, des restes de repas, des établis de travail tels qu'ils se présentent, avant de redresser la composition à la verticale. Par ce basculement, des instants dus au hasard s'élèvent au rang d'oeuvres d'art et créent un point de vue nouveau sur des objets quotidiens.
Les "Palettes d'artistes" (1989-90) révèlent le contexte de création des artistes contemporains qui délaissent la traditionnelle palette du peintre au profit de nouveaux outils extérieurs au domaine de l'art. Ainsi, sur la table de travail de sa compagne, l'artiste Katherine Duwen, on peut observer un ensemble d'objets chinés aux puces de Munich.
Roy Lichtenstein, Interior with chair, 1997, sérigraphie
Fernand Léger, qui a séjourné quatre fois aux Etats-Unis, notamment lors de son exil à New-York de 1940 à 1945, exerce une forte influence sur le Pop Art américain et sur l'oeuvre de Roy Lichtenstein. Fascinés par la publicité, ils partagent une technique picturale impersonnelle, froide et linéaire, l'emploi du cerne noir et de couleurs pures contrastées, la stylisation des formes, l'absence de hiérarchie dans le choix des sujets traités, la composition en strates de couleurs superposées.
Fernand Léger, la Joconde aux clés, 1930, huile sur toile
Oeuvre emblématique de Léger, cette Joconde tourne en dérision une image iconique de la Renaissance en attirant l'attention du spectateur sur des objets ordinaires; grossissant et isolant non sans humour un trousseau de clés.
Fernand Léger, Blaise Cendrars, La fin du monde filmée par l'Ange N-D, 1919
À l’inverse, la rue, avec ses affiches, ses lettrages, ses vitrines, ses lumières, exerce un pouvoir de fascination et de méfiance critique à l’égard de la société capitaliste. Désormais, les visages sont traités comme des objets, voire des machines.
César, Sans titre, sans date, tôles compressées © SBJ / ADAGP, Paris, 2024
Coutumier des matériaux de récupération et de la soudure, le sculpteur César découvre en 1960 la presse hydraulique destinée à compresser les voitures vouées à la destruction. Il développe alors des "Compresions" (1959-1998) de toutes sortes d'objets. Il choisit des pour leurs propriétés physiques mais aussi plastiques et apprend à se servir de la machine. Il écrase et compile les rebuts de la civilisation industrielle pour en faire des oeuvres d'art. A tel point qu'on lui demande de réaliser le trophée du cinéma français tout en donnant son nom à la cérémonie … des César.
César à la Société française des ferrailles de Gennevilliers, 1961, photo de Harry Shunk et Janos Kender
A droite Jacques Villeglé (1926 - 2022), Métro Arts et Métiers, 1974
Peinture, Collage d'Affiches lacérées sur toile, 99 x 170 cm
L'oeuvre de Jacques Villeglé (dit Jacques Mahé de la Villeglé) s'est d'abord appelée 24 octobre 1974 Métro Arts et Métiers. Dès 1949, cet artiste opte pour le rapt urbain et décolle des affiches dans les rue de Paris, ici à la station de métro Arts et Métiers avant de les ré-agencer sur toile. Ce geste subversif révèle la beauté sauvage de la rue ; il découle d'un travail de composition plastique influencé par les collages dadaïstes, lettristes et cubistes. Avec les arrachages, l'artiste parodie la peinture abstraite, gestuelle et lyrique encore dominante dans les années 1950. Cette volonté de créer un art figuratif, populaire et politique inspiré par l'esthétique de la rue le rapproche de Fernand Léger.
Au printemps 1957, à la galerie Colette Allendy, Raymond Hains et Jacques Villeglé avaient présenté pour la première fois les affiches publicitaires lacérées qu’ils ont collectées dans les rues de Paris, lors d’une exposition intitulée "Loi du 29 juillet 1881, ou Le lyrisme à la sauvette", en référence à la législation du droit de l’affichage public.
Quelques années plus tard Ben (Benjamin Vautier 1935-2024) ira plus loin avec ses écritures mais avec grand humour. L'immense boite de Plexiglas (non photographiée) de 150 x 100 x 102 cm intitulée Si l’art est partout, il est aussi dans cette boîte, 1985 est posée au centre de la salle.
Niki de Saint Phalle en collaboration avec Larry River, Jean III (Méta-Tinguely), 1992, peinture, éléments métalliques et moteurs électriques sur bois
Après la mort du sculpteur Jean Tinguely en 1991, Niki réalise plusieurs portraits de son compagnon de vie et de travail. Ces hommages marquent le début des "Tableaux éclatés" (1992-1994) qui jouent sur le mouvement dynamique. En collaboration avec le peintre américain Larry River qui réalise le portrait, Niki de Saint Phalle emploie des roues et des mécanismes engendrant sons, couleurs et mouvements pour illustrer l'homme et ses machines qui se déclenchent régulièrement alors que nous arpentons l'exposition. Ce vocabulaire plastique rappelle la fascination de Fernand Léger pour les engrenages et l'introduction du mouvement dans l'oeuvre d'art.
Fernand Léger, Nature Morte, A.B.C., 1927, huile sur toile
Dès 1914, dans la continuité des recherches cubistes, Fernand Léger introduit lettres et chiffres dans ses compositions, en écho à la publicité qui envahit les paysages. Le meilleur exemple est le panneau-réclame. En 1927, les lettres ABC deviennent le sujet principal d'une toile intitulée Nature morte, genre que Fernand Léger entend renouveler. Il travaille et joue sur le lettrage en gros plan, dynamique et contrasté, posé sur un fond de bandes colorées et de formes géométriques qui évoquent une enseigne publicitaire.
Si ce tableau dégage une forme de pessimisme, Léger reste plus que tout foncièrement optimiste, voyant dans la peinture un moyen de rendre hommage à la vie tout en témoignant des profondes mutations sociales de son époque. Les femmes au perroquet sont à cet égard d'une beauté saisissante.
Fernand Léger, Roland Brice, céramiste, Les Femmes au perroquet couleurs en dehors, vers 1952, bas-relief en terre cuite émaillée composée de quatre éléments
Dans ce bas-relief en céramique, où il exploite le creux là où d'habitude on utilise le relief, Léger entremêle deux figures humaines, un perroquet et des éléments végétaux. Délimités par un cerne noir qui supprime les détails superflus, les motifs se fondent dans les plages de couleur pure qui flottent à la surface du relief. La technique de la "couleur en dehors", inventée par Léger lors de son exil américain, accentue l'impression d'une figure désincarnée, presque abstraite.
Martial Raysse, Nissa Bella, 1964, Report photographique
sur feutrine marouflée sur contreplaqué, acrylique et néon sur toile, 180 x 120 x 15 cm
Fernand Léger, Roland Brice, céramiste, Visage à la main sur fond rouge, vers 1954, bas-relief en terre cuite émaillée 50,6 x 45,3 x 7,6 cm
Le visage humain est-il un objet comme les autres ? Alors que, dans les années 1960, les villes se couvrent de publicités aux couleurs criardes vantant des modes de vie stéréotypés fondés sur la consommation, les œuvres des Nouveaux Réalistes rendent compte de la perplexité de leurs auteurs face à la société moderne.
Cette sérigraphie (procédé de reproduction d’une image utilisée notamment par la publicité) est originellement un portrait de France Cristini (1936 – 2017), la compagne de Martial Raysse (né en 1936), qui est également artiste et que l'on a remarqué sur la grande photo de la première salle.
Après leur séparation, Raysse renomme la toile "Nissa Bella" en hommage à la ville de Nice à laquelle il est très attaché. Avec ses aplats de couleurs et cette beauté féminine à la mode de son temps, l’œuvre renvoie d'ailleurs à l’imaginaire balnéaire de la Côte d’Azur. Le petit cœur bleu, posé au coin de la bouche de la figure comme un baiser, est également un geste notable : c’est la première utilisation du néon dans une œuvre d’art !
Daniel Spoerri, Agg i Hatten, 1965, Assemblage, Technique mixte, bois, verre, plâtre
Fernand Léger, L'homme au chapeau bleu,1937, huile sur toile
Nouveau dialogue, entre Léger et Spoerri dont la sculpture traduit en image une expression suédoise peu usitée relevant le caractère impoli d'une personne qui n'ôterait pas son couvre-chef parce qu'elle y cache les fruits d'un vol. "Avoir des oeufs dans son chapeau" est un clin d'oeil aux petits larcins que l'artiste a commis pendant sa jeunesse et à ses premiers pas dans le monde du spectacle, de la danse et du théâtre. Composée d'objets chinés dans des marchés aux puces, cette oeuvre apparait comme un portrait de l'artiste, qui évoque son attrait pour les objets trouvés, le surréalisme mais aussi son goût pour les jeux de mots, les farces et l'ambivalence entre le vrai et le faux.
La toile de Léger représente un personnage dans un univers de contrastes et de couleurs où les fleurs coupées sont traitées comme des objets inertes. Malgré la dimension relativement impersonnelle du tableau, on pourrait voir dans cet homme un portrait déguisé du peintre qui compose, sans distinction, avec le vivant et le non-vivant et propose une nouvelle manière de peindre le réel.
Avec notamment un magnifique très grand tableau, Le campeur, peint en 1954 (non photographié) dans le même esprit que L'homme au chapeau bleu voici un hommage à l’essor des loisirs et de l’esprit festif du spectacle (danse, musique, cirque). Les sujets sportifs (cyclistes, plongeurs) sont pour Fernand Léger l’occasion de célébrer le dynamisme du monde moderne, la plénitude des classes populaires qui se ressourcent au plus près de la nature, ou encore la souplesse des corps en mouvement des athlètes et acrobates. Ce que fait aussi, Karel Appel, dans des dimensions spectaculaires et en volumes :
Karel Appel, Le Cycliste, 1969. Huile sur toile et bois peint en relief, 250 x 200 cm
… Et Niki de Saint Phalle avec sa lithographie Volley-ball, évoquant la série des Nanas, dans une étonnante proximité avec celles de Léger. Elle crée ses premières Nanas en 1965. d’abord en laine, parfois rehaussées d’objets en plastique sur une armature grillagée, puis ensuite en polyester peint. Monumentales, colorées, elles affirment leur présence, leur émancipation et leur pouvoir.
Fernand Léger (Paris 1950) “Sans titre” (“Je ne te demande pas si ta grand-mère fait du vélo”), 1950, lithographie, 61 x 42 cm. Planche illustrée extraite du "Cirque", ouvrage gravé de Fernand Léger comprenant un ensemble de 34 lithographies en couleurs et 29 en noir (éd. 300 exemplaires).
Niki De Saint Phalle (Inspired By) "Volleyball"
Niki de Saint Phalle, Le soleil, 1937, Mosaïque de miroir et de céramique
Autre point commun avec Léger, la mosaïque que Niki de Saint Phalle travaille dans ses réalisations monumentales, notamment au Jardin des Tarots. Cette pratique décorative, artisanale et populaire, lui permet des déploiements merveilleux et fantastiques jouant sur les rapports d'échelles de l'infiniment petit à l'infiniment grand. Ce bas-relief du soleil reprend son iconographie fétiche (la nana-déesse de la création, la tête de mort, la main, le coeur, la fleur, le soleil …) et s'articule ici dans une composition ésotérique qui révèle l'influence des cultures et traditions ancestrales et populaires, notamment amérindienne, mexicaine et égyptienne.
Niki de Saint Phalle, Miles Davis, 1999, Mousse de polyuréthane, résine, armature
Fernand Léger, Projet pour une peinture murale «Vulcania», 1951
L’émancipation des femmes en particulier est au cœur de ses œuvres mais ayant grandi en partie aux États-Unis alors que la ségrégation raciale était encore en œuvre, Niki de Saint Phalle est très tôt sensible à la cause des Afro-Américains. Elle exprime son soutien aux mouvements civiques en particulier dans sa série de sculptures consacrées aux Black Heroes, les héros noirs, dont fait partie ce portrait monumental du célèbre trompettiste Miles Davis. Avec son vêtement scintillant, fait de mosaïques de couleurs vives et dorées, et sa stature de colosse, le musicien accroche le regard sur la Promenade des Anglais, ce lieu emblématique de Nice où il est habituellement installé, depuis que l’hôtel Le Negresco l’a acquis en 2002.
Dans le contexte de la reconstruction d’après-guerre, Fernand Léger a répondu à des commandes publiques pour accomplir son rêve d’insérer sa peinture dans les paysages urbains ou naturels. En 1946, sa première réalisation, la façade en mosaïque de l’église Notre Dame de Toute Grâce du plateau d’Assy, est suivie d’autres commandes, tels que les décors de l’Hôpital- mémorial de Saint-Lô, manifeste le plus frappant de sa foi dans le pouvoir thérapeutique de la couleur.
Le Jardin des Tarots leur fait écho. J’ai un rêve très fort, que j’ai financé moi-même avec l’aide de quelques personnes qui m’aimaient, l'entend-on dire dans des extraits vidéo de l'INA et d'Un rêve d’architecte, de Louise Faure et Anne Julien (2014).
Après plusieurs œuvres installées dans l’espace public, Niki de Saint Phalle en commence la construction en 1979 en Italie. Œuvre de toute une vie, ce vaste parc de sculptures ludiques, monumentales, praticables, voire habitables, puise son inspiration dans les vingt-deux arcanes du tarot divinatoire. Situé en Toscane, il ouvrira au public en 1998.
D’autres périodes, d’autres mouvements, y compris à l’échelle internationale, comme le Pop Art américain avec Robert Indiana, Roy Lichtenstein, May Wilson, mais aussi des artistes qui émergent dans les années 1970 et 1980 comme Gilbert & George à Londres et Keith Haring à New York sont représentées dans les collections du MAMAC. Voilà pourquoi (aussi) on peut en admirer le travail qui de plus sont en interaction avec l’œuvre de Fernand Léger.
Gilbert & George, Flower Worship, 1982, technique mixte
Ce duo de performeurs-photographes, formant une entité artistique, dépeint avec humour la société londonienne des années 1970-1980. Parodiant le conformisme, figeant les clichés, il se représente dans des situations ordinaires avec impertinence. Cet attachement à la banalité prône un art populaire comme chez Fernand Léger. Le cerne noir, les teintes de couleurs vives et contrastées du photomontage, la monumentalité rappellent aussi l'art de Léger.
Les inventeurs du Street Art dans les années 1980 font des murs de New-York le support de leur expressivité. Ainsi, l’Américain Keith Haring (1958-1990) rend hommage à Léger en affirmant que "l’art n’est pas une activité élitiste réservée à l’appréciation d’un nombre réduit d’amateurs, il s’adresse à tout le monde".
Il couvre les murs de graffitis mettant en scène de petits personnages très mobiles et colorés, cernés de noir. Ses interventions sont aussi des actes politiques contre toutes les formes de discrimination et d'oppression. L'emploi d'aplats de couleurs vives et contrastées, l'utilisation du cerne noir ainsi que la stylisation des silhouettes humaines le rapprochent de Fernand Léger, dont il admirait l'oeuvre et dont il possédait un dessin. Témoins de la modernité, ils sont chacun à leur manière les acteurs incontournables d'une culture populaire et urbaine accessible à toutes et à tous et je rappelle à ce titre qu'on lui doit par exemple la fresque de l'hôpital Necker-Enfants malades, Paris, 1987.
Keith Haring, Untitled (2557), 1986, acrylique et huile sur toile
Sur cette toile, les silhouettes stylisées participent à une scène dont l’interprétation n’est pas certaine. Elles communiquent néanmoins au spectateur l’idée d’une énergie collective libératrice qui arrive à soulever un couvercle pesant. Toute la peinture de Keith Haring, mort du SIDA à l’âge de 31 ans, est une expression de sa lutte contre les différentes formes d’oppression et de discrimination.
Si le positionnement de Fernand Léger comme précurseur du Pop Art a déjà été évoqué dans plusieurs expositions, le rapport avec la scène artistique française des années 1960, notamment avec le groupe des Nouveaux Réalistes, est en revanche inédit. Ainsi, au-delà du dialogue fécond qui peut exister entre les formes et les idées, cette exposition vise à illustrer, encore une fois, la modernité, la pluridisciplinarité et la portée visionnaire de l’œuvre de Fernand Léger.
Il faut préciser que cette splendide exposition a été imaginée essentiellement à partir des collections du musée national Fernand Léger, Biot et de celles du Musée d’Art Moderne et d’Art contemporain de Nice (MAMAC) qui a fermé ses portes début 2024 pour un projet de rénovation de quatre ans, rendant possible le prêt d'autant de tableaux.
Au Musée du Luxembourg, 19 rue de Vaugirard 75006 Paris
Du 19 mars au 20 juillet 2025 sauf le 1er mai
Tous les jours de 10 h 30 à 19 h et nocturne les lundis jusque 22 h
Accès gratuit pour les moins de 26 ans
Commissariat :Anne Dopffer, Conservateur général du patrimoine, directrice des musées nationaux du XXe siècle des Alpes-Maritimes
Julie Guttierez, Conservatrice en chef du patrimoine au musée national Fernand Léger
Rébecca François, Attachée de conservation au MAMAC
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Quelques éléments signifiants de la biographie de Fernand Léger (Argentan, 1881 - Gif-sur-Yvette, 1955)
1900 : Fernand Léger quitte sa Normandie natale pour s’installer à Paris et poursuivre une carrière artistique. Il se lie notamment avec Robert Delaunay, Blaise Cendrars et Guillaume Apollinaire.
1914-1918 : Mobilisé en août 1914, Léger est profondément marqué par les atrocités de la Première Guerre mondiale et par le pouvoir de la machine. Au front jusqu’en 1917, il continue à dessiner sur des supports de fortune, avant d’être hospitalisé le 10 août et réformé en 1918.
1918-1924 : En 1918, Léger entre dans sa période dite "mécanique". Il célèbre la vie moderne, sa vitesse, son rythme. En 1924, avec la collaboration du cinéaste américain Dudley Murphy, Léger réalise Ballet mécanique, premier film sans scénario, composé à partir de contrastes d’images, de variations de rythmes, de gros plans, de fragments qu’il isole, met en valeur, juxtapose, oppose. C’est à propos de ce film que, pour la première fois, Léger emploie l’expression "nouveau réalisme" pour définir la révolution technique du gros plan.
Dans les années 1920, Léger fait de l’objet sa préoccupation principale et cherche à renouveler le genre de la nature morte. À partir de 1927, il commence sa série des "Objets dans l’espace", avec comme point d’orgue La Joconde aux clés, en 1930.
1931-1935 : Léger voyage pour la première fois aux États-Unis et découvre New York en 1931, qui produit sur l’artiste un choc esthétique. Le Museum of Modern Art de New York lui consacre sa première grande rétrospective en 1935.
1940-1945 : Léger fuit la guerre en octobre 1940 vers les États-Unis, où il reste en exil jusqu’à la fin de l’année 1945. Inspiré par les lumières de Broadway, il invente la technique dite de la "couleur en dehors". Peu avant son retour en France, il adhère au parti communiste français.
À partir de 1948 et jusqu’à sa mort, Léger développe le thème du divertissement et du cirque. Dès 1950, il expérimente la céramique à Biot, dans l’atelier de son élève Roland Brice. Il développe cette technique afin d’introduire le relief et la troisième dimension dans ses œuvres et vise la réalisation de projets monumentaux dans l’espace public.
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La maison à laquelle je faisais allusion en début d'article est située au 31 rue Paul Couderc à Sceaux (92) et, malgré son classement, est habitée par une famille. Elle a été construite en 1954 par français d’origine américaine Paul Nelson pour le banquier Badin, tous deux amis intimes de Georges Braque. Fernand Léger est intervenu pour la mise en couleur audacieuses des vitrages de façade.
Formée d’un seul volume, elle s’inscrit dans le concept de "la maison suspendue" que Nelson avait présentée avant guerre. Des murs latéraux en pierre supportent de grands portiques métalliques auxquels est suspendu l'étage, libérant les volumes intérieurs de tout support.
J'ai eu la chance d'en visiter l'intérieur, admirablement conçu. Tout y a été conservé en l'état. Seuls les murs ont été repeints en blanc. Les séparations de verre ondulé et métallique entre l'entrée et l'étage sont remarquablement pensées. Les sols en carreaux de linoléum noir et blanc semblent encore neufs. L'office double agréablement la cuisine. Les volumes sont parfaitement équilibrés et en font une maison facile à vivre, à l'exception toutefois d'un souci de taille en hiver car les vitrages laissent perdre énormément d'énergie. Etant classé au patrimoine, leur remplacement "à l'identique" n'est pas une mince affaire.
Côté parc on observe les mêmes façades vitrées colorées. Le salon, protégé par un balcon qui court sur toute la largeur de la maison, s'ouvre directement sur la verdure.
J'ai eu la chance d'en visiter l'intérieur, admirablement conçu. Tout y a été conservé en l'état. Seuls les murs ont été repeints en blanc. Les séparations de verre ondulé et métallique entre l'entrée et l'étage sont remarquablement pensées. Les sols en carreaux de linoléum noir et blanc semblent encore neufs. L'office double agréablement la cuisine. Les volumes sont parfaitement équilibrés et en font une maison facile à vivre, à l'exception toutefois d'un souci de taille en hiver car les vitrages laissent perdre énormément d'énergie. Etant classé au patrimoine, leur remplacement "à l'identique" n'est pas une mince affaire.
Côté parc on observe les mêmes façades vitrées colorées. Le salon, protégé par un balcon qui court sur toute la largeur de la maison, s'ouvre directement sur la verdure.
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