
Son travail est de toute beauté, émouvant, minutieux, poétique, absolument pas pédagogique, et c'est ce qui en fait tout l'intérêt. Le visiteur, parce que c'est le mot qui convient pour définir la position dans laquelle se place celui et celle qui viennent rendre "visite" à ces héros sans qui, aujourd'hui, nous ne pourrions pas aller si facilement au bout du monde (même si ce n'est pas sans conséquence sur l'écologie) passera environ une heure, répartie entre 7 escales avant d'embarquer dans un véritable avion pour retourner sur les traces de Saint-Exupéry,
J'écrivais il y a moins d'un mois qu'il y avait en ce moment une vague Saint-Exupéry (1900-1944) propice à redécouvrir ce grand homme, à la fois aventurier et écrivain, peut-être pour mieux le comprendre et ne pas le réduire à l’auteur du Petit Prince, même si cet ouvrage est totalement remarquable.
Après le très joli film de Pablo Agüero, intitulé sobrement Saint-Ex, autant consacré d’ailleurs à l’aviateur qu’à son mentor et meilleur ami Henri Guillaumet (1902-1940), et après l'interprétation de Pierre Devaux du roman Terre des Hommes, au théâtre de La Flèche (spectacle en prolongation), voici donc un format différent, avec cet ensemble d'installations qui sont autant d'évocations merveilleuses des sept principales escales de l'Aéropostale, proposant chacune un regard spécifique sur cette grande aventure. Une cabine est dédiée à chacune : Toulouse, Casablanca, Cap Juby, Saint-Louis du Sénégal, Natal, Mendoza et Santiago du Chili.
Elles sont conçues sous la forme de boîtes d’un mètre cube, chacune installée dans un isoloir recouvert de miroir et sont disposées dans le hall du théâtre en fonction de la place disponible. Dans l'idéal, il faudrait pouvoir les aligner de manière à passer de l'une à l'autre dans l'ordre du voyage, même si ce n'est pas essentiel. Un compteur, placé sous le numéro, permet au spectateur de savoir dans combien de temps le rideau laissera sortir le visiteur qui le précède. Je vous conseille de vous installer confortablement (à bonne hauteur de la scène miniature) et de vous laisser porter jusqu'au bout, générique inclus, par les voix qui vous murmureront, pendant un peu plus de 4 minutes, l'histoire dans votre casque audio et par la beauté époustouflante des images. On sait toujours où l'on se trouve car la bienvenue nous est souhaitée en mentionnant le nom du lieu.
Le résultat est à la hauteur des deux ans de travail effectués par Cécile Léna avec une équipe de plus de 40 personnes.
1 ère étape : Toulouse
Un carrousel romantique tourne au centre d'une place entourée d'immeuble de briques rose. On ne s'assiéra pas sur des chevaux mais on y prendra place à l'intérieur d'avions miniatures. Un voix s'extasie des coups de griffe des étoiles filantes. Le rêve est lancé. Rien n'était alors gagné. L'idée de remplacer le train par l'avion pour permettre au courrier d'atteindre plus vite ses destinataires était tout à fait folle. Certes les sacs postaux étaient précieux mais on peut regretté que beaucoup aient sacrifié leur vie à cette mission.
La légende veut que le créateur de la ligne reliant sur 12 000 km Toulouse à Santiago du Chili, Pierre-Georges Latécoère, ramena à sa femme un bouquet de violettes, la fleur emblématique de la ville, pour lui prouver qu'il venait bien de Toulouse.
2 - Pour illustrer l'étape Casablanca il était naturel de procéder par association d'idées avec le si beau film éponyme et de nous placer dans les gradins d'une salle de cinéma.
Un film y est projeté (dans lequel je reconnais la voix de Thibault de Montalembert) que nous regardons comme on regarderait l'avenir dans une boule de cristal.
3 - Bienvenue à Cap Juby
Saint-Exupéry avait l'habitude de commencer ses courriers à sa mère toujours de la même manière : Ma petite maman, je voudrais tellement vous rassurer sur moi et que vous receviez ma lettre. Je vais très bien. Tout à fait. Il reconnait avoir vécu dans ce désert minéral placé sur la côte sud du Maroc trois jours de silence entre deux avions. On le sent furieusement nostalgique de la maison, du parc et des sapins mais il s'émeut malgré tout d'un délicat coucher de soleil (que le spectateur découvre en sa compagnie).
4 - Saint-Louis du Sénégal
Nous sommes à l'Hôtel de la Poste où Mermoz occupait la chambre 7. Cette maquette fut peut-être la plus complexe pour rendre perceptibles jusqu'à son patio et un fauteuil de rotin au lointain. Nous surprenons un téléphone miniature au premier plan, laissant présager qu'il va sonner.
Effectivement nous suivons une conversation au cours de laquelle il est question d'un aviateur essuyant un orage qui n'est ni son premier, ni son dernier, et de 95 kilos de vin chargés à bord d'une carlingue. les deux compères rient de leurs facéties.
La musique du piano et le travail sur les lumières -donnant l'illusion de véritables éclairs- participent à l'enchantement.
5 - Natal
C'est parce qu'elle a été fondée le 25 décembre 1599, le jour de Noël, que la ville porte un nom tiré du latin Natale.
Après avoir bénéficié de l'industrie du sel au XIX°, elle est aujourd'hui portée par l'industrie du tourisme, dont le principal attrait est incontestablement la Forteresse des Rois Mages, construite par les Portugais au XVI°. Mais ce qui nous est montré c'est le hangar de l’atelier de réparation et nous attendons nous aussi le le Croix-du-Sud, cet hydravion quadrimoteur Latécoère 300 que pilotait Jean Mermoz.
La suggestion auditive décuple les émotions. Comme nous aimerions nous aussi, à l'instar de Columbia, venir danser sur les ailes des avions !
6 - Mendoza
La ville est au cœur de la région viticole de l'Argentine, célèbre pour ses malbecs et autres vins rouges, qui étaient peut-être ceux que les aviateurs transportaient.
Cette fois c'est la radio qui va nous raconter l'histoire absolument extraordinaire d'Adrienne Bolland (1895-1975), aviatrice et résistante française, première jeune fille française à avoir obtenu son brevet de pilotage en 1920, aussitôt première femme pilote engagée comme convoyeur d'avions, première au monde à réussir un looping, première femme pilote à traverser en solitaire la Manche depuis la France en avion, 8 ans après Harriet Quimby qui avait fait le voyage en sens inverse, et première femme encore à effectuer la traversée par avion de la cordillère des Andes.
Ses prédécesseurs, uniquement des hommes, des militaires, dotés de meilleurs avions étaient tous passés par le sud, là où la montagne atteint seulement 3 500 mètres. Mais le 1er avril, elle décolle en choisissant la route la plus directe, mais aussi la plus dangereuse, la faisant passer à proximité de l'Aconcagua, qui culmine à 6 962 mètres d'altitude. Et cela sans compas et au pifomètre, sachant que si elle virait à droite elle allait se casser la gueule comme nous le raconte avec gouaille la comédienne qui l'interprète.
C'est en m'égarant que je me suis trouvée. Elle suit son intuition, qui fut d'écouter les conseils d'une sorte de diseuse de bonne aventure (ce qu'elle ne révéla qu'en 1946, par peur du discrédit). Et voilà que son avion apparait (vision de pure magie) dans le ciel.
Où j'ai peur je vais et je suis plus forte que ma peur. Il fallait si peu de choses. L'aviation m'a fait découvrir ce royaume intérieur qu'on ne peut pas vous prendre. Et la radio s'éteint.
J'ajouterai qu'elle créa au Brésil une école de pilotage pour les femmes et y réalisa d'autres raids aériens. Elle y vécu ses pires échecs et ses accidents les plus traumatisants, dont un naufrage sur une plage déserte. À son retour en France, elle se rend à Nice, pour aider son ami Auguste Maïcon à promouvoir son "industrie aérienne" et s'engagera dans le réaménagement de l'aérodrome de La Californie, qui deviendra plus tard l'aéroport de Nice-Côte d'Azur.
Le 27 mai 1924 à Orly, elle bat le record féminin de looping en réalisant 212 boucles en un peu plus de 72 minutes. Elle devient la pilote voltigeuse la plus célèbre des meetings en Europe, la plus active et la plus populaire. Elle aidera de nombreuses femmes à devenir pilote comme Maryse Bastié et Hélène Boucher.
Elle s'engage en faveur du vote des femmes. Elle mobilisera ses forces pour aider au recrutement des pilotes de l'escadrille España dirigée par André Malraux, à partir de 1936. Ses choix et ses positions politiques ouvertement à gauche, tout comme la force de son caractère lui vaudront souvent de voir ses avions sabotés et elle connaîtra sept accidents qui auraient pu être mortels.
Pourtant elle meurt en 1975. Elle a quatre-vingts an. C'est la seule gloire des "ailes françaises" à ne pas avoir de vrai monument à son nom en France ou à l'étranger. Néanmoins, depuis 2019, son visage orne une fresque à Arcueil (94), sa ville de naissance, à l'angle de l'Allée Andrée Chedid et l'Avenue du Chaperon Vert.
7 - Santiago du Chili
Saint-Ex deviendra journaliste après le rachat de l'Aérospatiale, le 31 mai 1933, par Air France. Nous l'entendons pester qu'au large de Dakar, le Croix du Sud ne répond plus. Jean Mermoz disparaîtra à bord de l'hydravion quadrimoteur Latécoère 300, le Croix-du-Sud, le 7 décembre 1936 à la suite d'un problème de réducteur. Et Saint-Ex ne reverra pas son insupportable ami.
La lumière éclaire le mur du fond. La durée du vol Toulouse-Santiago est aujourd'hui de 15 h 43 et il est sans escale. Nous entendons la liste des héros pour ce voyage mémorial. Moi j'étais fait pour être jardinier, nous rappelle Saint-Ex qui toute sa vie aura cherché sa vérité dans les étoiles.
Rien d'étonnant à remarquer ce symbole sur le tee-shirt porté par Cécile Léna.
Il nous reste une étape, et nous nous installons sur les 4 places passager dans le véritable cockpit d'un mythique avion Max Holste MH.1521 Broussard, toujours équipé de ses instruments de vol que nous verrons s'allumer et dont les flèches s'agiteront.
Conçu dans les années 1950, cet avion utilitaire français était robuste et pouvait décoller et atterrir sur des pistes courtes et sommaires. Utilisé par l’armée française et pour des missions civiles, il excellait dans le transport léger, l’observation et les interventions en zones isolées. Il n’en existe que 396 exemplaires.
Le final est plutôt impressionnant pour qui serait claustrophobe ou pire, aviophobe car l'engin vibrera et nous seront secoués. Physiquement, et psychologiquement puisque la vois d'un comédien nous rapportera la confession de Horst Rippert, un chasseur de l'aviation allemande qui ignorait tout de l'identité du pilote qu'il pourchassait dans les airs et qui n'était autre qu'Antoine de Saint-Exupéry, abattu brutalement en juillet 1944 alors qu'il en était un grand admirateur.
Cécile Léna est une scénographe plasticienne, directrice artistique de la Compagnie Léna d’Azy. Formée au Lycée de Sèvres (baccalauréat Arts Appliqués), aux ateliers Leconte (ATEP) - Paris, à l’École Supérieure des Arts Décoratifs de Strasbourg, elle a été par la suite diplômée en scénographie à l’École Supérieure d’Art Dramatique du Théâtre National de Strasbourg - TNS (groupe 30 - année de sortie 1998) où elle a rencontré l’objet maquette (qui était alors un outil de travail).
Elle a conçu des décors et/ou costumes pour le théâtre et oeuvré dans le design intérieur
et l'illustration. Depuis 2008, elle crée des scénographies immersives, véritables architectures miniatures animées, traversées de son, de lumière et de voix. Le spectateur est immergé dans un univers infiniment petit le transportant vers un infiniment grand. Cécile questionne la réalité et l’imaginaire, la pérennité et l’éphémère. Après ses Jazzbox en 2023, elle choisit cette fois de nous raconter des récits inspirés de l’Aéropostale, première ligne aérienne transatlantique consacrée au service postal.
En mémoire à ces héros célèbres mais aussi en référence à son propre père, astrophysicien, en perpétuel déplacement, le regard tourné lui aussi vers les étoiles. petite fille, elle guettait avec impatience l’atterrissage de son 707 derrière les baies vitrées d’Orly, l’arrivée de sa Caravelle-observatoire au Centre d’essais en vol de Brétigny.
Poste restante - Escales sur la Ligne installations immersives de Cécile Léna pour la Cie Léna d'Az
Un texte de Cécile Léna avec des extraits d’Antoine de Saint-Exupéry éd. Gallimard, et les voix de : Diego Asensio, Philippe Bozo, Françoise Cadol, Enrique Fiestas, Marjorie Frantz, Jacques Gamblin, Kevin Goffette, Cécile Léna, Thibault de Montalembert, Charles Morillo, Stéphanie Moussu, Mayte Perea López, Jean-Philippe Pertuis, Pierre Tissot, Célestine Valladon.
Création sonore Xavier Jolly, création lumière Jean-Pascal Pracht, création vidéo Carl Carniato, électronique
Du samedi 8 au samedi 22 mars, du mardi au samedi de 16 à 19 h (jusqu'à 22 h les soirs de spectacle) en accès libre (mais sur réservation) dans le cadre du Festival Marto dans les halls du Théâtre des Gémeaux de Sceaux - 46 avenue Georges Clemenceau.
Puis au Théâtre du Rond-Point, du 28 mars au 13 avril
Ensuite, au Théâtre Tandem Arras Douai du 22 avril au 18 mai, au Musée de l’hydraviation de Biscarosse du 29 mai au 30 juin, dans la salle d'embarquement de l'Aéroport de Toulouse du 7 au 27 juillet, au ChapitO de Bègles (33) du 22 septembre au 5 octobre, au Théâtre de la Passerelle de Saint-Brieuc du 13 au 31 octobre, au Théâtre des Quinconces du Mans du 6 au 30 novembre, à la Scène nationale du Sud Aquitain d'Anglet du 21 mars au 12 avril, au Théâtre Le Manège de Maubeuge du 12 au 31 mai, au Théâtre de l’Agora de Boulazac (24) du 18 septembre au 12 octobre 2026. Mais aussi dans le lobby rénové du Théâtre National de Saint-Quentin-en-Yvelines (TNSQY) lorsque sa rénovation sera achevée.
A partir de 8 ans
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