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lundi 10 mars 2025

Un bout de chemin avec Claude Ponti à l'Ecole des loisirs

Nous étions jaunes de plaisir ce matin à la perspective de rencontrer Claude Ponti et de faire un bout de chemin avec cet immense auteur jeunesse.

Je l'avais déjà croisé plusieurs fois en dédicace mais la matinée promettait d'être exceptionnelle en allant au plus profond possible de son oeuvre.

Son éditeur avait rassemblé, en présentiel ou en visio-conférence, quelque 600 personnes dispersées en France, Belgique mais aussi La Réunion, et jusqu'en Australie … C'est Dominique Masdieu qui nous offrit, pour commencer, une analyse poussée (poussine) de la production de cet auteur qui n'est pas tant prolifique qu'on pourrait le croire puisqu'il avoue ne pas pouvoir faire plus d'un album par an (ce qui n'est pas tout à fait exact puisqu'on en compte plus de 80, auxquels s'ajoutent 4 romans, 4 pièces de théâtre). Sans oublier le Muz, créé en 2009 à son initiative avec pour ambition de faire une place aux réalisations de l’enfance qui méritent d’être conservées et communiquées en tant qu’elles font œuvre forte, exprimant une sensibilité, une émotion et révélant un autre regard sur le monde.

C'est en 1990 qu'il rejoint cette maison d'édition, où il s'est imposé comme auteur majeur il y a donc près de 35 ans, après 5 albums publiés chez Gallimard. Pétronille et ses 120 petits fut le premier d'une longue série.
Un mot nouveau est entré dans le lexique : le verbe poussiner car ça poussinait fort ce matin. Il suffisait de jeter un oeil sur l'assemblée, toute de jaune vêtue, avec -de plus- le même bandana jaune poussin noué par chacun. Pour ceux qui l'ignoreraient, le poussin est le premier animal a avoir été dessiné par l'artiste, dès son plus jeune âge et il a dû en "croquer" des millions. Qu'il se soit inspiré de Max et les maximonstres (de Maurice Sendak en 1963) pour créer Blaise est sans doute une légende mais elle est jolie et lui-même l'entretient en faisant sortir l'animal de ce livre.
Isée traverse non pas un miroir mais les pages d'un livre pour commencer son aventure (La Venture d’Isée, 2012). Claude parfois résume sur une double-page une histoire en train de se dérouler comme dans Blaise et le kontrôleur de Kastatroffe (2014).
Il existe des adultes qui ont du mal à entrer dans l'univers pontien, et pour cause car il reconnait lui-même que ses histoires sont "une description du réel à sa façon". Les enfants se sentent immédiatement concernés, y compris les non parleurs, pointant du doigt les éléments qui correspondent à l'histoire, et tout autant les autres ce qui n'est pas dit mais qu'ils ont repéré. Le foisonnement est une des caractéristiques majeures de ses albums.

La littérature est un échange. Interpréter un album en le lisant d'une certaine manière fait courir le risque de passer à côté de l'intention de l'auteur mais donner du sens n'exclut pas le plaisir de la lecture. Et s'il ne fallait retenir qu'une conclusion ce serait que ses histoires accompagnent les enfants dans leur métier de grandir.

Claude aurait voulu être peintre, comme Outsoumé-Song, qui est allé voir le Pays-qui-est-Derrière (Ma vallée, 1998). Il l'a été, a exposé dans des galeries, et il l'est encore puisqu'il est devenu un excellent aquarelliste. Avant cela, il a travaillé comme dessinateur de presse, à l'Express, ce qui fut une très bonne formation car on y apprend à être rapide, efficace est synthétique. Il devint ensuite directeur artistique à l'Imagerie d'Épinal.

On sent l'influence de la bande dessinée dans son découpage et dans la charge de ses phylactères. Il explore tous les formats possibles pour ses albums. Il chérit ses instruments de travail qu'il lui arrive de laisser s'exprimer à l'instar de personnages.

Claude Ponti parle de tout, mais jamais n'importe comment. Ses démonstrations sont sans faille, y compris pour démontrer qu'une règle de grammaire n'est pas immuable, nous rappelant que jusqu'au XVIII° l'accord de proximité de l'adjectif permettait d'éviter la prégnance du masculin comme ici Le Roua et la Rouenne sont heureuses (in La venture d'Isée, 2012). Aucun doute que le langage est une convention qu'il est possible de bousculer.
Dominique avait sélectionné quelques (bonnes) pages pour appuyer ses dires et démontrer combien Ponti peut être prosaïque mais poétique, rigolo mais chagrin, en plaçant toujours les enfants au centre de son propos.

S'il y a une spécificité totalement pontiesque c'est bien l'attribution des noms. Pétronille (un prénom qui existe réellement) pense en chemin à ses 120 petits dont les noms de déploient sur autant de pétales d'une fleur et le lecteur comprend qu'elle les aime tous d'un même amour. Okilélé (1993) a longtemps cru qu'il s'appelait ainsi avant de comprendre que c'était autre chose. Souvent les héros sont hybrides, mi-humains, mi-animaux, relativement asexués, enveloppés dans une fourrure qui évoque le koala, ou l'ours. Leurs défauts sont clairement représentés car il faut se hisser à hauteur d'enfant.
Avant de se multiplier les poussins ont toujours figuré dans ses albums. Blaise occupe une place à part mais il existe déjà -masqué de rouge-, perché sur une branche de l'arbre aux histoires, regardant Adèle (ci-dessus). Il est transgressif et devient le super-héros dès qu'il enfile le masque, comme Max lorsqu'il enfilait son costume de loup (Max et les maximonstres). Etymologiquement, le monstre cherche à attirer l'attention sur quelque chose. Il a une fonction d'avertissement. Je fabrique le monstre qu'il faut à l'histoire dit l'auteur.
Claude Ponti a encore une actualité riche avec la sortie de l'album A l'aise Blaise, un coffret magique intitulé Le chemin, un jeu des 7 familles, une série de trois petits Olie-Boulie (dédiés à sa petite fille, Olympe), celle dont le câlin le détristifie. Trois autres sont en préparation.
Dans un second temps, nous avons répété quelques mouvements inspirés des acrobaties du célèbre poussin. C'est avec quelques figures de ce "yoga des poussins" que nous avons accueilli Claude Ponti parmi nous.

Interrogé sur son exercice sportif préféré il a reconnu être "anti-sport", ne faire que dormir, travailler, manger et recommencer hormis quelques rares sorties pour aller faire les courses.

Blaise c'est moi a-t-il convenu et c'est un miracle de survive quand on a eu des parents comme les miens, ajoutant aussitôt avec beaucoup d'honnêteté, on n'est jamais des bons parents.

Claude Ponti a été très touchant au cours de cette rencontre, s'exprimant avec une sincérité (et une lucidité) sans égal. J'ignore si c'est d'avoir pris de l'âge qui libère ainsi la parole et autorise les confidences ou si c'est d'entendre les horreurs commises à notre époque qui le pousse à dénoncer les agissements intolérables et longtemps tus.

J'ai fait dix fois plus grâce à ceux qui m'ont empêché de faire. Merci à eux d'avoir décuplé ma rage. Cette confidence est une leçon de résilience que nous prenons de plein fouet. Tout comme la surprise de constater qu'il puisse ressentir le syndrome de l'imposteur. J'ai du mal à me faire payer donc c'est très bien que je me sois orienté vers des livres pour enfants car la légitimité n'a aucune importance avec eux. Je suis plutôt de plein pied avec eux … jusqu'à ce qu'ils deviennent pré-ados.

Il nous est difficile de le croire quand il affirme : Personne me m'inspire. Tous ceux qui ont fait mieux que moi m'énervent. Et ses propos nous démontrent qu'il est totalement capable d'admiration.
A la question de savoir pourquoi ce poussin s'appelle Blaise, Dominique a avancé deux références, celle de Blaise Pascal (mégaennuyeux pour Claude) et Blaise Cendrars (qui invente, triche, rigole tout le temps). Ce poète imposa le verbe bourlinguer qu'il fit rentrer dans le dictionnaire. C'est donc en toute logique que Mouha se balade sur un Bourlingue-Œil … (Mouha, 2019).
Claude Ponti multiplie les références aux artistes du monde de la peinture. On le remarque dans cette couverture qui bien entendu est un hommage à Salvador Dali.
Il a été interrogé sur sa méthode de travail en prenant comme exemple cette image de Isée avec les singes. Par quoi tu commences à dessiner ? L'important est d'abord de chercher de la doc, avant de dessiner quoi que ce soit, au crayon, pour pouvoir gommer. Ce que cherche Claude Ponti c'est que les enfants lecteurs en aient plein la tête, le cerveau, plein partout.

Au départ mes albums n'avaient pas de texte, jusqu'à ce que je comprenne qu'il était important que les histoires soient immuables, donc écrites de mots qui les fixent. Ma fille grandissant (et sachant lire), je me suis mis à écrire.

Il rappelle que la lecture est, et doit rester, une expérience personnelle. Il a été gêné dans ses premières années par la manie de sa mère, institutrice, de mettre le ton au moindre mot comme elle le faisait à l'école, imposant ainsi sa vision du monde. Est-ce pour cela qu'il déteste lire, ajoutant qu'il lit très mal, effectuant une lecture mentale. L'enfant, qui est entouré d'adultes très puissants et très capables, est une personne en train d'essayer de s'inclure dans le monde et réciproquement. Il faut le laisser se construire par lui-même, et la tâche n'est jamais achevée. 

Questionné sur son mode de vie, il dit qu'entre 25 et 65 ans il a dessiné tous les jours, faisant le repas du midi et sa compagne celui du soir, ce qui permettait de ne pas rompre le rythme. Ecrire a un côté sportif de haut niveau et je suis alors moi-même à 2 millions de %. C'est ma forteresse totalement inatteignable. Il ajoute avec humour : Vers 76 ans, il y a des matins où je ne fais rien.

Dominique Masdieu, qui décidément n'avait pas l'intention de le laisser esquiver la moindre de ses questions, le soumit au portrait chinois. S'il était un personnage de fiction ce serait  Hulul, le hibou solitaire, à la fois sage et naïf d'Arnold Lobel (1976). Il se pose des questions sur tout et ses aventures sont poétiques.

S'il était un arbre ce serait un chêne, un gâteau ce serait des tuiles aux amandes (en voie de disparition), et s'il s'incarnait en femme, Olympe de Gouges, et pas seulement parce que c'est le prénom de sa petite-fille.

Quant aux dérives d'hommes politiques, il fait remarquer avec sagesse (et désespoir) que face aux personnes qui ont recours à la pensée magique l'argumentation ne sert à rein.
Nous avons quitté cet immense auteur, jaunes de plaisir. Et nous avons terminé la matinée en découvrant (pour certains) ou en retrouvant (pour d'autres) cette Maison des histoires qui est si précieuse depuis déjà deux ans. Elle sera bientôt dédoublée par une autre (probablement dans le quartier Bastille). Voilà ce que j'en écrivais à sa création.
Blaise le poussin masqué est exceptionnel. Il peut faire toutes sortes de bêtises sans craindre de se faire disputer, puisqu'il suffit qu'il ôte son masque pour qu'on ne sache pas qui il est. Pratique, non ? Il peut ainsi être roi des sports, poète, dresseur de monstres, accomplir des exploits uniques au monde, et même critiquer Claude Ponti (qui, comme vous le savez, ne peut pas s'empêcher de le mettre dans tous ses livres).
Nous avons oublié que nous étions des adultes et nous avons avec délice … plongé dans la piscine pleine de coussins à son effigie.

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