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jeudi 6 mars 2025

On purge bébé, un Feydeau mis en scène par Karelle Prugnaud

Le décor de On purge bébé est relativement imposant, d’apparence classique même si les rayures font davantage penser à un papier peint composé par Daniel Buren qu’à celui qui couvrait les murs des salles à manger bourgeoises du début du XX°.

Des photos noir et blanc, ultra grand format, sont accrochées sur chaque panneau sans qu’on puisse à ce stade reconnaître qu’il s’agit du fils de la maison. D’ailleurs où est-il donc ?

Occupé à jouer sans doute, à moins que ce soit lui qui fasse le singe dans les gradins, cherchant à dompter les spectatrices. Le voilà qui carambole et s’accroche au lustre, dégainant son portable pour photographier des papiers qui traînent sur le bureau de son père. Ne vous étonnez pas si les images naviguent ensuite sur les réseaux sociaux …

Les pampilles s’entrechoquent. Ce môme cherche de toute évidence à se faire remarquer. Des messages défilent sur une bande lumineuse à jardin. Le décor est un mix de Las Vegas, d’ambiance western et de Belle époque. Serions nous dans un ersatz de casino ? L’issue est annoncée. Il suffit de savoir lire : you loose

Les portes vont bientôt claquer de toutes les manières possibles y compris comme dans un saloon. L’endroit va vite devenir un capharnaüm.
Les talons frappent. La diction appuyée de la bonne fait ressortir des allitérations intentionnelles de l’auteur en annonçant les personnages. Madame Folle …… Avoine en fait les frais. Elle joue cartes sur table, nous apprenant que les photographies sont celles de P’tit BB.

Mais voilà Monsieur, endimanché tout à fait dans le ton du décor. Le bonhomme est sur les dents et cherche à maîtriser ses émotions. Une séance de relaxation s'impose d'urgence. Brève mais efficace.

Le bureau est bancal. Très vite, on rit. Tout va vite de mal en pis. Ses affaires s’éparpillent, préfigurant l’écroulement de son projet et sans doute de son industrie.

Nouvel appel au zen et la situation redevient quasi normale un instant.

Follavoine est fabricant de pots de chambre en porcelaine, ce qui en soit est déjà comique pour nous qui n'en utilisons pas. Replaçons-nous un instant dans le contexte de la création de la pièce par Feydeau, lequel soit dit en passant avait bien des soucis avec son propre divorce. Nous sommes en 1910, à l'avant-veille d'une grande guerre, et l'homme s'apprête à recevoir chez lui un représentant du Ministère des Armées dans l’espoir de signer un juteux contrat devant lui assurer 300 000 livres de rente, ce qui est un montant si conséquent que nous l'entendrons en écho. Il a un atout de taille : ses pots sont incassables.

Pour rester dans le sujet, l'auteur a placé tous les projecteurs sur Toto, le fils de Madame, et de Monsieur, qui n'ayant pas "été" ce matin. On aura tout de même attendu 40 minutes pour apprendre cette nouvelle cruciale car ce sera l'élément déclencheur d'une suite de catastrophes. L'enfant doit maintenant d'urgence être purgé. Sauf que le gredin -qui n'a plus sept ans- ne le veut pas. Et ce que "BB" ne veut pas … va mettre littéralement la maison sens dessus-dessous.

Forte de son expérience déployée avec Mister Tambourine Man, au festival d'Avignon il y a quatre ans, Karelle Prugnaud a eu l'idée de pousser le bouchon de ce vaudeville jusqu'au bout en faisant appel à une bande d’artistes rompus aux arts du cirque et de la clownerie. Elle réunit cinq interprètes à qui elle propose d'oeuvrer sur l’apologie de la catastrophe.

Le premier est Nikolaus Holz, qui était de sa susnommée aventure et que le public antonien connait très bien depuis la programmation de Raté Rattrapé Raté (2007) au festival Solstice. Jongleur et clown, arguant que le cassé ne se décassera pasMonsieur Chouilloux va devoir revoir son principe militaire.

Patrice Thibaud, dont j'ai encore le souvenir de l'intermède musical fort délicieux qu'il offrit à la soirée des Molières en 2010 à Créteil en nous offrant un extrait de Cocorico, à l'affiche du théâtre de Chaillot l'hiver précédent, accompagné au piano par Philippe Leygnac. Il est Monsieur Follavoine.

Anne Girouard, l'inoubliable employée de L'augmentation dans la mise en scène d'Anne-Laure Liégeois, venue l'interpréter presque ici-même (le théâtre a été reconstruit, depuis, à quelques centaines de mètres) se glissera dans le déshabillé de Madame Folleavoine.

Cécile Chatignoux, l'hypocondriaque de la série Hippocrate, que la violence tient en éveil face à La voisine (de Sophie Mourais), qui est la Chatignolle dans la famille du cabaret Le secret de Jérôme Marin et qui fut aussi la Fée sous la direction de Karelle dans Une poupée nommée Lola (2016). Autant dire que Rose, la servante, sera "dépotante". Et ça commence par la présentation du décor qui dans la pièce est écrit en didascalie. Mention spéciale à son concepteur Pierre-André Weitz qu'on devrait logiquement retrouver l'an prochain parmi les candidats au Molière de la création visuelle et sonore.

Enfin l'acrobate-cascadeur, fidèle associé de Nikolaus, Martin Hesse pour être Toto, mais qui, hélas blessé en répétition, sera remplacé par Dali Debabeche.

Ces cinq là sont suffisamment "fous" pour qu'on n'en rajoute pas. La metteuse en scène a donc eu bien raison d'alléger la distribution en n'invitant pas Clémence Chouilloux, l'épouse d'Adhéaume Chouilloux, pas plus que son amant Horace Truchet, dont on entendra malgré tout parler.

Le ton montera, crescendo, à mesure que les pots casseront (et ce ne sera pas un effet d'optique comme nous le confirmera Nikolaus) et que le décor explosera. La partition est réglée comme du papier à musique. Le seul bémol est qu'on finit par perdre le fil de cette histoire qui n'est … que d'alerter sur les risques à élever un enfant comme un roi, ce qui devait être tout à fait révolutionnaire au début du XX° siècle alors que la condition féminine tentait de se faire entendre.

Certains spectateurs en ont été abasourdis. Peut-être avaient-ils en mémoire une version tout à fait différente de la pièce, par Emeline Bayart, dont la tournée fit halte au théâtre Firmin Gémier La Piscine, qui est le deuxième établissement de l'Azimut.

Le spectacle est programmé à bon escient dans le cadre d'un Week-end Tous Azimuts Humour, démontrant qu'on peut rire aussi des familles dysfonctionnelles en appliquant le proverbe tibétain qui révèle le secret pour bien vivre : manger la moitié, marcher le double, rire le triple et aimer sans mesure.
On purge bébé, d'après George Feydeau
Mise en scène de Karelle Prugnaud, en co-direction artistique avec Nikolaus Holz
Scénographie et costumes de Pierre-André Weitz 
Chorégraphie Raphael Cottin
Avec Nikolaus Holz, Patrice Thibaud, Anne Girouard, Cécile Chatignoux, et Martin Hesse (en alternance avec Dali Debabeche)
Les 6 et 7 mars 2025
Au Théâtre Firmin Gémier / Patrick Devedjian
13 rue Maurice Labrousse - 92160 Antony
A partir de 12 ans
Tournée à Bayonne les 18 et 19 mars, aux scènes du Jura à Lons-le-Saunier les 25 et 26 mars, au théâtre du Bois de l’Aune d’Aix-en-Provence les 28 et 29 mars, le 17 avril à l’Arc du Creusot, le 25 avril à la maison des arts de Thonon, du 14 au 16 mai à Châteauvallon et du 20 au 22 mai au TAP de Poitiers.

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