Le titre de ce spectacle, Merteuil, claque comme le patronyme d'un homme qui répondrait à l'appel. C'est que la dame est connue pour son fort caractère. Elle a le tempérament d'un mec mais qui sait si elle ne deviendra pas femme en ce soir symbolique puisque le 8 mars est la Journée internationale des droits des femmes et que les paroles de la marquise sont profondément féministes : Une femme peut devenir l’égale d’un homme avec la connaissance.
On a tant vu de versions des Liaisons dangereuses qu'on a fini par croire en l'existence des personnages de Pierre Choderlos de Laclos. Mais il ne faut pas s'y tromper, Merteuil n’est pas une pièce historique et il est juste de la qualifier de théâtre contemporain même si la scène se déroule en 1799.
Imaginez un relais de chasse, dans une forêt, entre chien et loup. Une jeune femme blonde (Chloé Berthier), confortablement installée dans une méridienne posée à jardin, est en train de feuilleter un livre dont Arnaud Denis nous lit un extrait en voix off. Il s’agit (on peut le deviner, d’un morceau des Liaisons dangereuses).
Les lumières s'éteignent. Coup de théâtre en quelque sorte avec la chanson créée par Billie Eilish, Bad Guy réorchestrée intelligemment façon XVIII° par Adrien Biry Vicente. Ceux qui connaissent les paroles savent que la chanteuse reproche à son amant d'être un méchant tout en suggérant avec cynisme qu'elle est plus dure que lui. Les paroles abordent également des sujets tels que la misandrie et le sarcasme. Et je me permets une digression pour signaler la superbe reprise en français de cette chanson par Pomme, accompagnée à la harpe celtique électronique, dans un style bien entendu radicalement différent.
L'avertissement s'adresse-t-il à cette femme, plus âgée, rousse, (Marjorie Frantz) qui s'avance à cour, serrant contre son coeur une pochette de cuir, et qui occupera bientôt le second canapé ? Un mystérieux billet l’a conviée alors qu’elle s’est retirée du monde depuis plus de 15 ans, après la mort du Vicomte de Valmont.
Elle semble ignorer qui est son hôtesse. Et pourtant celle-ci la connait parfaitement. Ses intentions sont-elles bienveillantes ou s'agit-il d'un piège ? Vous devrez attendre la toute fin de leurs échanges pour savoir qui remportera le duel et si une réconciliation sera ensuite possible. Ne pensez pas que j'ai spolié l'issue avec une photo des deux femmes se tenant la main en toute amitié. Je l'ai prise aux saluts. Il vous faudra venir pour avoir la réponse. Je vous donnerai malgré tout deux indices : Le mot vainqueur n’a pas de féminin dira une des deux femmes, Imposteur non plus, répliquera l’autre.
Il est difficile de parler de ce spectacle sans déflorer les propos et vous priver du plaisir d'en goûter vous-même tous les rebondissements et retournements de situation. Il est tellement riche qu’il y aurait mille choses à dire et je suis ravie de n’avoir que des compliments à en faire. Allez-y sans attendre, il affichera très vite complet et vous regretterez de n’avoir pas écouté ce conseil.
Si je ne devais retenir qu'un mot ce serait excellentissime !!!!
Le décor (qui a été pensé par Marjorie Frantz), simplissime mais dont la symbolique est efficace, les accessoires, peu nombreux mais essentiels pour suggérer les voyages, la présence d’un enfant par deux chevaux de bois et un bilboquet, et surtout le jeu auquel les deux femmes vont se livrer jusqu’à faire tomber la tête de l’une d’elles, les costumes, évoquant le XVIII° avec modernité, le texte qu’on jurerait avoir été écrit il y a deux cent trente ans et qui comprend quelques pépites et répliques dont on aimerait se souvenir (Le regret est paraît-il une composante du bonheur ; Je ne suis pas perverse, je suis désobéissante). C’est une chance de savoir qu’il est disponible au Lucernaire.
Et puis aussi le jeu des deux comédiennes (ah comme Marjorie Frantz fait régulièrement penser à Simone Signoret quand celle-ci interprétait des rôles diaboliques !), la mise en scène tout en finesse, la musique (jusqu'à celle des saluts avec Rainbow bridge d'Electraluminous), les lumières de Denis Koransky qui soulignent les regards sans jamais abandonner les visages dans la pénombre comme on le constate trop souvent. Tout est parfait.
Y compris l’affiche qui cache le visage de celle qui a donné son nom au spectacle, et dont on découvrira plus tard quels horribles outrages les mœurs ont laissé sur sa peau.
Cécile est habillée d’une robe bleu ciel qui lui donne un air angélique de madone italienne. La marquise porte une tenue galonnée de rouge vif, la couleur de l’amour, dont la casaque est coupée dans un coutil de lin ou de coton qui, à l’origine, était produite en Normandie. Le choix est judicieux. Il s’agit d’un tissu tressé de façon à résister à l’usure et qui est donc particulièrement résistant, comme l’est le tempérament de cette femme. S’il n’avait pas de motif défini à l’origine, les rayures bayadères grises et écrues sont devenues tout à fait représentatives des toiles utilisées autrefois pour enrober et protéger la garniture des matelas et des sommiers. Cet emblème renvoie au premier coup d’œil au lit, et il est amusant que Peggy Sturm et Jérôme Pauwels l’aient utilisé pour vêtir la marquise en rappelant son art des intrigues amoureuses.
Si le public rit fréquemment au début, ce qui est très habile de la part de l’auteure, il va progressivement accorder son empathie à Cécile de Volanges puis à la marquise de Merteuil, avant de changer d’avis et de perdre sa capacité de jugement jusqu’à ce que les masques finissent par tomber. Chloé Berthier et Marjorie Frantz sont admirablement dirigées par Salomé Villiers qui signe sa cinquième mise en scène (Retrouvez ici les articles où je parle d’elle comme metteuse en scène et/ou comédienne).
Elle sera madame de Tourvel dans Les Liaisons dangereuses qu’Arnaud Denis mettra en scène dans des décors de Jean-Michel Adam en septembre prochain à Lyon et qui sera en tournée jusqu’en décembre 2023. La distribution est en cours mais on sait déjà qu’Anne Bouvier jouera dans la pièce.
Merteuil de Marjorie Frantz
Mise en scène Salomé Villiers
Assistant mise en scène Alexandre de Schotten
Avec Chloé Berthier et Marjorie Frantz et la voix d’Arnaud Denis
Musique Adrien Biry Vicente
Lumière Denis Koransky
Costumes Peggy Sturm et Jérôme Pauwels
Décor Marjorie Frantz
Production exécutive Jérôme Réveillère en coréalisation avec le Théâtre du Lucernaire
Du 8 mars au 7 mai 2023
Du mardi au samedi : 20h Le dimanche : 17h dans la salle "Théâtre Noir "
Rencontre avec l’équipe artistique le vendredi 31 mars 2023 à l’issue de la représentation.
Du mardi au samedi : 20h Le dimanche : 17h dans la salle "Théâtre Noir "
Rencontre avec l’équipe artistique le vendredi 31 mars 2023 à l’issue de la représentation.
Les photos qui ne sont pas logotypées A bride abattue sont de Cédric Vasnier
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