L’habitude s’est perdue mais nous prenions autrefois régulièrement des trains de nuit pour effectuer de longs trajets. Si bien que, même s’il demeure actuellement seulement six lignes en service, tous au départ de la gare de Paris-Austerlitz, il est plutôt original de retenir pour sujet un voyage Paris-Briançon à bord de l’Intercités n°5789.
Philippe Besson a sobrement choisi Paris-Briançon comme intitulé, sans aucune indication de genre, et nous allons suivre sous son œil le parcours emprunté en avril 2021 pour relier les deux villes. Nous partagerons quelques heures avec une dizaine de personnes, rassemblées par le hasard.
Quiconque aura souvent emprunté la SNCF sera bien d’accord : l’enfermement et la promiscuité (en quasi huis-clos) sont propices aux confidences que l’on ne se ferait habituellement pas entre inconnus. Alors, ces femmes et ces hommes vont, au fil des heures, nouer des liens, laissant l’intimité et la confiance naître, les mots s’échanger, et les secrets aussi. Derrière les apparences, se révèleront des êtres vulnérables, victimes de maux ordinaires ou de la violence de l’époque, des voyageurs tentant d’échapper à leur solitude, leur routine ou leurs mensonges.
Le roman relève presque du documentaire, si bien qu’on apprend (ou qu’on révise) beaucoup de choses, sur l’histoire de France, sur l’évolution socio-économique du pays, et même sur le climat car Philippe Besson a raison de le souligner (p. 124), cette année 2021 fut très pluvieuse et les vendanges n’auront été sauvées que grâce à quelques semaines d’ensoleillement formidable à la fin de l’été. Ils ont été plusieurs vignerons à me le rappeler au cours des entretiens que j’ai menés dans le cadre du Millésimes DigiTasting alors que je poursuivais cette lecture.
L’approche du Creusot rappellera des souvenirs de Lutte ouvrière à la syndicaliste et le site de Cluny parlera à l’étudiante. Nombre de références nous parlent. Nous aurions pu les faire spontanément si nous avions été à bord. Qui n’aurait pas songé à l’intention d’Alain Bashung de sauter à l’élastique du côté de Die (p. 132) ? On a tous en tête la musique de ce chanteur (1998) disant mentir la nuit la nuit à travers la plaine.
Les passagers, eux, en profitent pour arrêter de se fourvoyer alors que le train progresse au pied du Vercors, à moins qu’ils ne reculent, préférant revenir à ce qu’on nomme le droit chemin (p. 128). Car, l’auteur pointe cette observation que le mensonge, parfois, est moins périlleux que la vérité nue. L’aveuglement, parfois, vaut mieux que la lumière crue (p. 126).
C’est presque aussi un thriller puisqu’on ne nous fait pas grâce de croire que tout ira bien. La quatrième de couverture nous a mis en garde : Ils l’ignorent encore, mais à l’aube, certains auront trouvé la mort.
Accident, homicide consécutif à la folie d’un homme…, le lecteur n’a pas d’indice, malgré un nom cité au début de l’histoire et qui resurgit (p. 133) alors qu’on l’avait oublié et quelques interrogations sybillines plutôt opaques comme celle-ci (p. 114) comment deviner qu’elle ne s’y présentera pas … (sous-entendu à l’arrivée) ? Ou encore l’évocation du lac artificiel de Serre-Ponçon, qualifié de magnifique pour les uns, effrayant pour d’autres, qui permet de distiller quelques ondes négatives, sur lesquelles je ne me suis pas attardée parce que j’ai trop de beaux souvenirs associés à Savines-le-Lac.
C’est également un roman sociétal en ce sens que l’auteur y traite les thèmes du combat politique, idéologique, des modes de vie, d’un siècle où pour accepter la fatalité, que d’aucuns nommaient autrefois destin, il est impératif qu’il soit positif. Philippe Besson ne nous épargnera pas (p. 176) les poncifs d’une époque accusatoire, où il faut nommer des coupables, souvent sans preuves, les traîner dans la boue, les offrir à la vindicte populaire, et qu’importe s’il est démontré in fine qu’ils n’y étaient pour rien. Quelqu’un doit payer, quelqu’un doit prendre la colère comme on prend la foudre (…) afin que tous les autres puissent se croire irréprochables.
Quand je lis que l’audace et l’irrévérence ont un prix (p. 145) je pense à Sylvain Tesson et au parallèle que l’on pourrait faire avec une autre traversée de la France, mais en sens inverse et de façon quasi-solitaire que l’on peut voir au cinéma en ce moment. Sur les Chemins noirs fera l’objet d’une prochaine critique.
Ce sont des reproches tout à fait minimes, mais j’aurais apprécié de disposer d’une carte pour mieux me repérer. La liste des personnages aurait également facilité les choses tant ce livre tient parfois du théâtre même s’il n’est pas excessivement dialogué.
Philippe Besson a publié aux éditions Julliard une vingtaine de romans, dont En l’absence des hommes, prix Emmanuel-Roblès, Son frère, adapté au cinéma par Patrice Chéreau, L'Arrière-saison, La Maison atlantique, Un personnage de roman, Arrête avec tes mensonges, prix Maison de la Presse, en cours d’adaptation au cinéma, et Le Dernier Enfant.
Paris-Briançon de Philippe Besson, éditions Julliard, publié le 6 janvier 2022, édité en Pocket le 5 janvier 2023
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